Apprendre à parler, apprendre à penser Les ateliers de philosophie

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Apprendre à parler, apprendre à penser
Les ateliers de philosophie.
Carole Calistri – Christiane Martel – Béatrice Bomel-Raineli. / Scéren
« Il pourra paraître ambitieux, fou, enthousiasmant, décalé, génial, farfelu, invraisemblable, de parler de philosophie
à l’école élémentaire. En tout cas cela ne laissera pas indifférent et ce n’est pas une mince victoire lorsqu’il s’agit de
présenter une innovation. »
1 - Les sources
Le modèle américain : Mattew Lippman
Concepteur de la « philosophie pour les enfants »
Programme général conçu pour former les enfants à être des « citoyens dans une démocratie ».
Il s’appuie sur la notion de communauté d’enquête et de réflexion celle qui est constituée par les enfants d’une
classe qui pensent et il s’intéresse également aux apprentissages de la pensée critique, créative, politique et éthique.
La philosophie pour les enfants devient la philosophie avec les enfants. Une considération pour les capacités
philosophiques des élèves en rupture avec la conception de l’ «apprenant-vase vide ».
Jacques Lévine
Il est essentiel que l’enfant puisse faire l’expérience de sa propre pensée et cela autrement que sur un mode
scolaire. C’est dans ce but qu’il établit le protocole suivant :
Poser une seule question existentielle ou concernant la relation aux autres et à soi-même durant un atelier
hebdomadaire qui dure 10 minutes au maximum et pendant les lesquels les enfants sont assis en cercle. Le maître
n’intervient qu’en début de séance pour présenter la question, il est le garant des conditions de prise de parole et
des modes de gestion du temps.
Michel Tozzi et Anne Lalane
Le maître assure dans l’atelier de philo une fonction de guidage.
L’objectif est d’y apprendre à penser, à réfléchir « philosophiquement ». Le maître n’est pas en position/obligation
de transmettre un savoir établi.
La philo ne compte pas parmi les disciplines à enseigner à l’école primaire ; on en réclame donc du maître à aucun
moment, l’attestation de connaissances spécifiques du domaine, on ne prévoit pas de formation spécifique. Il
demeure celui qui aide au travail qui sait aider au perfectionnement de compétences qu’il est le seul à pouvoir
repérer et analyser comme telle.
L’enfant a la capacité très tôt à penser. Cela légitime de ne pas attendre la classe de terminale. Il peut apprendre à
(mieux) penser précocement et avoir un regard réflexif sur son propre langage.
Bruno Guiliani : aucune définition de la philo n’est meilleure que son étymologie : l’amour de la sagesse. Il écrit :
La philo n’est pas un savoir mais une activité accessible à tous dès l’enfance. Elle ne consiste pas à tenir des discours
abstraits ou à connaître des doctrines mais à utiliser sa raison pour devenir plus sage et être ainsi plus heureux dans
sa vie.
Il existe un cadre théorique connu qui possède toutes les propriétés exploitées dans l’atelier de philo : le
constructivisme.
Jean-Louis Le Moigne :
La position constructiviste assure une légitimité à la pratique de l’atelier de philo. Si le réel n’est pas indépendant de
l’action humaine qui le construit, le dispositif de l’atelier de philo place exactement l’enfant dans une situation où
cette construction du réel va se faire. L’enfant y est également susceptible de développer une attitude d’interaction
avec le monde d’une manière générale. L’instrument qui construit est pour nous le langage et lui-même se trouve
modifié et donc construit par l’activité.
Mikhaïl Bakhtine (1981) :
Nous pouvons considérer l’atelier de philo comme le lieu/le tissage d’un véritable échange, comme le lieu d’une
construction collective.
Quelle situation est plus stable que la situation scolaire, 5 jours sur 7, dans le même lieu avec les mêmes camarades,
le même maître, ses temps cycliques, ses rites ? L’atelier de philosophie inscrit sa régularité propre dans ce temps
scolaire quotidien.
Les enfants grâce au langage ont une manière d’appropriation du monde et cette appropriation modifie le langage.
C’est bien grâce au langage, « instrument sémiotique » par excellence, que les activités spécifiquement humaines
ont pu se construire. C’est la création et l’usage de cet instrument qui fait de l’homme précisément un homme.
Qu’en tirons-nous pour notre pratique d’atelier philosophique ? Il est nécessaire d’échanger pour construire notre
être social et notre être langagier. Les enfants parlent, pas de n’importe quoi, et ensemble, en frottant leur langage
et leur pensée au langage et à la pensée des autres et de la même manière que le contact de matières rugueuses
finit par rendre lisses, polies, le frottement de ces paroles, paroles de pairs, paroles d’experts, polit, en retour l’usage
du langage.
2 - L’atelier de philo et les programmes : entre innovation et Instructions
(attention, Livre publié en 2007)
Comment s’organise-t-on à l’école maternelle ?
Tout d’abord, les IO mettent l’accent sur « la maîtrise de la langue française, priorité absolue.»
Le ministère insiste sur l’hétérogénéité des élèves en matière de langage. L’atelier de philosophie s’appuie
précisément sur la diversité des variétés sociales mais aussi personnelles da la langue parlée par les enfants mai loin
d’en faire un obstacle, il l’utilise comme une sorte de sas entre la parole de la maison et celle de l’école.
Ensuite le ministère envisage que les conversations courantes ne soient pas le seul moyen pour construire la maîtrise
de la langue. « Le langage s’exerce d’abord à travers l’expérience quotidienne, mais ses fonctions plus complexes se
découvrent aussi dans des situations organisées de se découvrir, de structurer des manières neuves de comprendre la
parole d’autrui ou de se faire comprendre »
L’atelier de philosophie peut être l’une de ces « situations organisées ». Elles sont programmées dans l’espace (un
lieu différent de la salle de classe) et dans le temps, avec un rythme hebdomadaire, une durée fixe et un contenu
précis.
Il s’agit de « permettre à chaque enfant de participer aux échanges verbaux de la classe et inscrire les activités de
langage dans de véritables situations de communication. »
Il s’agit aussi de « construire cette communication sans cesse relancée entre l’enfant et les adultes, entre l’enfant et
ses camarades […] à l’aider à franchir le complexe passage d’un usage du langage en situation à un langage
d’évocation des événements passés, futurs ou imaginaires.
Le ministère rejoint là un des objectifs de l’atelier de philo lorsqu’il pointe également l’authenticité de ce qui est
proposé en matière d’exercice langagier. Le rôle spécifique du maître dans l’atelier de philo est de nature à engager
l’échange, c’est à dire l’expression personnelle de l’enfant. Le maitre ne gomme pas sa fonction régulatrice mais
évite d’encourager un dialogue uniquement entre l’élève et lui.
Qu’attend-on au cycle 2 ?
Le rythme hebdomadaire et la programmation semblent être les clés des progrès constatés chez les élèves en
langue orale : l’atelier prévu chaque semaine le même jour permet aux enfants, une fois l’étrangeté du tout premier
atelier passée, de pouvoir se projeter dans l’exercice oral. Le cadre de l’atelier permettra aux uns de réutiliser sans
crainte des formules déjà testées et aux autres de prendre le risque des nouveautés.
Selon les programmes 2008 (sélection en dehors de l’ouvrage cité en titre, car livre publié en 2007)
Ecole maternelle / S’APPROPRIER LE LANGAGE
Le langage oral est le pivot des apprentissages de l’école maternelle. L’enfant s’exprime et se fait comprendre par
le langage. Il apprend à être attentif aux messages qu’on lui adresse, à les comprendre et à y répondre. Dans les
échanges avec l’enseignant et avec ses camarades, dans l’ensemble des activités et, plus tard, dans des séances
d’apprentissage spécifiques, il acquiert quotidiennement de nouveaux mots dont le sens est précisé, il s’approprie
progressivement la syntaxe de la langue française (l’ordre des mots dans la phrase).
La pratique du langage associée à l’ensemble des activités contribue à enrichir son vocabulaire et l’introduit à des
usages variés et riches de la langue (questionner, raconter, expliquer, penser).
Échanger
s’exprimer
Les enfants apprennent à échanger, d’abord par l’intermédiaire de l’adulte, dans des situations qui les concernent
directement : ils font part de leurs besoins, de leurs découvertes, de leurs questions ; ils écoutent et répondent aux
sollicitations. Ils nomment avec exactitude les objets qui les entourent et les actions accomplies. Progressivement, ils
participent à des échanges à l’intérieur d’un groupe, attendent leur tour de parole, respectent le thème abordé.
Ils redisent de manière expressive des comptines et interprètent des chants qu’ils ont mémorisés.
Ils apprennent peu à peu à communiquer sur des réalités de moins en moins immédiates ; ils rendent compte de
ce qu’ils ont observé ou vécu, évoquent des événements à venir, racontent des histoires inventées, reformulent
l’essentiel d’un énoncé entendu. Ils acquièrent progressivement les éléments de la langue nécessaires pour se faire
comprendre, c’est-à-dire pour : désigner correctement les protagonistes concernés, marquer les liens entre les
faits, exprimer les relations temporelles par le temps adéquat des verbes et les mots ou expressions pertinents,
situer les objets ou les scènes et décrire les déplacements de manière pertinente.
Cycle 2 / Langage oral :
- Prendre part à des échanges verbaux tout en sachant écouter les autres ; poser des questions.
- S’exprimer avec précision pour se faire comprendre dans les activités scolaires.
- Participer à un échange : questionner, apporter des réponses, écouter et donner un point de vue en respectant les
règles de la communication
PALIER 1 - COMPÉTENCE 1 du Socle commun - LA MAÎTRISE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Dire
Items
S’exprimer clairement à
l’oral en utilisant un
vocabulaire approprié
Explications des items
S’exprimer avec précision pour
se faire comprendre
dans les activités scolaires.
- Partager le sens des mots,
s’exprimer à l’oral pour
communiquer dans un cercle
élargi.
- Faire un récit structuré à l’oral
(relations causales,
circonstances temporelles et
spatiales précises) et
compréhensible pour un tiers
ignorant des faits
rapportés ou de l’histoire
racontée.
Indications pour l’évaluation
L’évaluation est réalisée dans des situations de
classe ordinaire, lors de conduite de projets ou dans
des activités
spécifiquement conçues pour l’évaluation.
Elle repose sur des activités dans tous les domaines
où l’oral est sollicité en situation de communication
et d’évocation.
L’évaluation porte sur la capacité à :
- évoquer des faits (événement, expérience, sortie
…) ;
- raconter une histoire entendue ou lue par l’élève,
ou par l’enseignant ;
- décrire un lieu (se situer dans l’espace proche,
école, maison, gymnase, rue), une expérience, un
personnage, un objet.
L’observation porte sur :
- la clarté de l’expression ;
- la pertinence du propos ;
- le vocabulaire employé ;
- l’emploi des connecteurs appropriés pour marquer
les relations causales et les circonstances
temporelles et
spatiales ;
- la capacité à s’exprimer en situation duelle, en petit
groupe ou devant la classe.
L’item est évalué positivement lorsque l’enfant
parvient à construire un discours continu même
court, en se
faisant comprendre, en adaptant son propos aux
interlocuteurs et en utilisant le vocabulaire qui
convient.
A l’oral, pour les élèves qui ne parviennent pas à
s’exprimer en grand groupe, l’enseignant proposera
le même
type de travail en petit groupe et si nécessaire en
situation duelle.
Participer en classe à un
échange verbal en
respectant les règles de
communication
Participer à un échange :
questionner, apporter des
réponses, écouter et donner un
point de vue en
respectant les règles de
communication.
L’évaluation est conduite dans des situations de
communication en classe dans les différents
domaines d’enseignement. Elle repose sur des
activités d’échange, de débat, le petit groupe étant
propice au dialogue.
L’observation porte sur :
- le respect des règles d’écoute, de prise de parole et
d’échanges ;
- la précision et la clarté du propos ;
- la capacité à questionner, à demander des
explications, à apporter des réponses à des
questions posées ;
- l’utilisation d’un registre de langue adapté ;
- la capacité à réagir en fonction de ce qui a été dit ;
- la capacité à tenir compte de son / ses
interlocuteur(s) et de s’en faire comprendre ;
- la capacité à exprimer un accord ou un désaccord
et à justifier son point de vue.
L’item est évalué positivement lorsque l’élève
parvient à participer aux échanges dans une langue
compréhensible en restant dans le sujet, en donnant
son point de vue tout en prenant en compte celui
des autres
PALIER 1 - COMPÉTENCE 6 du socle commun - LES COMPÉTENCES SOCIALES ET CIVIQUES
Avoir un comportement responsable
Items
Appliquer les codes de la
politesse
dans
ses
relations
avec ses camarades,
avec
les adultes à l’école et
hors
Explication des items
Participer en classe à un
échange verbal en respectant
les règles de communication.
- Appliquer les usages sociaux
de la politesse
Indications pour l’évaluation
L’évaluation porte sur les attitudes adoptées
habituellement par l’élève dans les différentes
situations de vie de classe et de vie collective au sein
de l’école.
L’élève montre qu’il est capable d’adapter son
comportement selon les moments de la journée
(temps de travail, déplacements, temps libre…) et
de l’école, avec le maître
au
sein de la classe
dans les diverses interactions selon qu’il s’agisse
d’un autre élève, d’un enseignant ou d’autres
adultes…
Il est capable, en participant à un échange collectif,
de passer du tutoiement avec un camarade au
vouvoiement vis-à-vis de l’enseignant.
3 - Les mises en œuvre
Comment engager l’atelier ? Quelle périodicité ? Quelle durée ? Quelle place accordée à l’enseignant ? Aura-t-il les
compétences requises ? Quels objectifs ? Quels thèmes ?
Le protocole Lévine :



Il comporte 3 aspects : l’énoncé du thème, l’annonce que la séance durera 10 minutes, l’annonce que
l’enseignant n’interviendra pas.
La façon dont on présente aux enfants les ateliers est fondamentale.
Il est important de leur dire dans un langage simple que l’on va faire de la philosophie, c’est à dire qu’on va
apprendre à réfléchir à des questions que se posent les hommes depuis longtemps. Apprendre à réfléchir
signifie qu’on va prendre son temps de réfléchir dans sa tête avant de parler que tout le monde n’est pas
obligé de prendre la parole au cours d’une séance et qu’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises réponses aux
questions sur lesquelles on réfléchit [..] l’enseignant est le garant des conditions de prise de paroles et des
modes de gestion du temps
Le thème de l’atelier est une question pour laquelle on cherche ensemble qui aura aujourd’hui une réponse
incomplète, inachevée, plurielle, et qui évoluera en même temps que la pensée de chacun.
La durée, connue de tous sitôt son ouverture devrait être stimulante pour les élèves : le temps étant compté, si un
élève veut prendre la parole, il lui faut la solliciter assez vite. Cette mise en situation d’oser exprimer ce qu’ils
pensent, d’accepter de de confronter à ce que pensent les autres et de prendre en compte ce que disent les autres
engagent, peut-être, ces élèves trop souvent silencieux à parler.
Les prises de parole de l’enseignant sont limitées. Lévine recommande une intervention à minima : gardien de la
bonne tenue de l’atelier (écoute, respect, maintien dans le sujet, durée…)
Qu’attendre des ateliers de philo ? Annick Perrin :
S’interroger, définir, fonder (problématiser, conceptualiser, argumenter) , voilà le processus à favoriser.
3 questions simples pourront aider à apprécier la pertinence philosophique des thèmes abordés.
-
Veut-on clarifier les mots, les notions, les concepts ? (conceptualiser)
Veut-on poser des questions, de douter de ce qu’on pense, de ce qu’on entend ? (problématiser)
Veut-on prendre position, répondre à une question, justifier avec des arguments, répondre à des contrearguments ? (argumenter)
Le maître dispose de la formation en philosophie de tout bachelier, irriguée éventuellement par la formation
professionnelle
dispensée
par
des
enseignants
de
philo
et
des
lectures
personnelles.
Est-ce suffisant pour animer ces ateliers ? OUI : l’enseignant est médiateur. Il crée les conditions d’un climat de
confiance, de respect et d’écoute. Il instaure des modes de distributions régulés de la parole pour que chacun puisse
s’exprimer. C’est lui qui est responsable de la question du jour et de sa formulation. Il rend le questionnement
accessible aux jeunes enfants, ainsi qu’il le fait dans d’autres champs disciplinaires.
Comment mettre en place et analyser cet atelier ?
Aménager l’espace :
Elèves et enseignant sont assis en tailleur, en rond sur des petits coussins. L’espace est limité, et délibéré le vis à vis
avec les camarades de classe : celui qui parle perçoit ainsi les réactions des autres ; il peut faire le choix d’en tenir
compte ou de les ignorer.
Le choix d’un lieu spécifique, distinct de la salle de classe est déterminant. Il vise à bien marquer la spécificité du
fonctionnement de l’atelier. Le groupe classe devient une communauté de recherche et de réflexion.
L’atelier se déroule avec l’ensemble de la classe pour participer à la création de cette « communauté de recherche »
évoquée par Lipman et Bernié et qui est un objectif du protocole de Lévine, pour conforter le sentiment d’appartenir
à ce groupe pensant et pour prendre conscience de l’importance de la parole de chacun dans la réflexion collective.
Parole et rôle de l’enseignant :
Avant la discussion, une série de rappel reviennent comme une ritournelle sur les raisons et les enjeux de l’atelier,
son universalité, sa durée, les règles de prises de parole et d’écoute. Cette intervention d’ouverture fonctionne
comme un cadre.
Exemple d’une mise en route d’un atelier. Thème : Es-tu pressé de grandir ?
Comme tous les mardis/on est réuni ici pour un atelier de philosophie/ comme tous les mardis on va réfléchir à une
question qu’on se pose en France et dans tous les pays du monde que se posent les enfants et que se posent aussi
les grandes personnes/ qu’on se pose maintenant et que vous vous poserez peut-être encore quand vous serez plus
grands ou même quand vous aurez des enfants/ l’atelier va durer 10 minutes/ au bout de 10 minutes on
s’arrête/même si vous avez encore des choses à dire//je vais enregistrer parce que demain j’écouterai et je vais
écrire sur l’ordinateur tout ce que vous avez dit/ comme tous les mardis/ /avant de prendre la parole chacun
réfléchit dans sa tête/ quand j’ai une idée je lève le doigt/la maîtresse me tend le micro et je parle très fort pour
qu’on entende bien ce que je dis/ je dois écouter ce que disent les autres/ et je peux bien sûr réagir à ce que dit le
copain ou la copine//aujourd’hui j’aimerais bien que chacun réfléchisse et dise s’il est pressé de grandir. Est-ce que
tu es pressé de grandir ? Pourquoi ?
Parfois au cours de l’atelier, il répète la question pour recentrer la discussion qui s’éloigne trop du sujet ou pour
interpeller un enfant qui n’a pas encore pris la parole.
Jamais une incorrection de syntaxe, de conjugaison n’est relevée, corrigée. Ce n’est pas au cours de l’atelier que
l’enseignant opère des corrections car il risque de dévoyer l’objectif et d’interrompre une pensée en construction.
Il peut reprendre l’intervention de l’un, rebondir sur l’intervention d’un autre, répéter une formulation inaudible,
une idée nouvelle, mettre en relief un propos et inviter la classe à poursuivre la réflexion pour aller au-delà.
Il est possible que pour certains « petits parleurs » le silence du maître soit interprété à contresens, comme un
facteur d’insécurité.
Formulations pour la question qui introduit la réflexion :
La formulation qui vise à interpeler chacun :
Selon toi…, Que penses-tu ?... A ton avis ?... Est-ce que je dois ?.. Pourquoi… ? Que peux-tu faire faire ?... Que
ressens-tu ?
Au moment du lancement de l’atelier la question est formulée de telle sorte qu’elle ne suggère pas qu’il y a une
réponse, une réponse unique, une réponse qui serait juste et attendue par le maître. C’est d’elle que dépend en
partie la qualité des interventions des enfants.
Il est apparu que les questions introduites par le « qu’est-ce que c’est que… » risquent d’induire une réponse unique
de la part des élèves.
Qu’est-ce que c’est qu’une grande personne peut ainsi être reformulée en Comment sais-tu que c’est une grande
personne ? ou Pourquoi dis-tu que c’est une grande personne ?
Parole et rôle de l’élève :
Le silence : il s’installe immédiatement après la question d’ouverture. C’est le début de la réflexion personnelle
intérieure qui se déclenche, l’organisation de la pensée avant la prise de parole et la mise en mots.
Suit une série de réponses de plusieurs élèves, chacun prend la parole une fois, apporte une réponse brève
marquant ainsi sa compréhension du problème et sa participation à la communauté de recherche. C’est la phase de
l’inventaire, selon la désignation de Lévine, chaque enfant y allant de son expérience, de son exemple.
Une sorte de surenchère s’installe entre eux, ils manifestent un plaisir visible à ajouter tel élément, à modifier un
autre.
Au-delà de l’apparente répétition et des inévitables frustrations qu’elle engendre chez l’enseignant qui peut avoir
l’impression d’un piétinement, tout se passe comme si chaque enfant éprouvait le besoin de confirmer, expérience à
l’appui, que lui aussi il sait, qu’il peut ainsi prendre sa place dans le groupe d’enfants qui réfléchissent.
Le risque : En parlant, chacun prend des risques : risque de dire ce qu’il pense, de parler devant les autres –
camarades et enseignant- d’un sujet inexploré jusqu’alors, risque d’exposer à voix haute ce que suscite ce
questionnement, de devoir préciser ses choix, de les justifier risque d’entendre des arguments qui ne vont pas dans
le sens de ce qu’il pense, d’être déstabilisé de devoir prendre en compte d’autres avis pour infléchir ce qu’il pensait,
risque de quitter l’atelier en pensant différemment qu’au début de l’atelier, de modifier sa pensée en la confrontant
à celle des autres.
En observant les prises de paroles, en écoutant les enregistrements, en parcourant les transcriptions il apparaît que
certains enfants ont des rôles identifiables dans l’atelier.
Les élèves silencieux : Certains élèves ne prennent la parole que lorsqu’ils sont sollicités mais néanmoins le contenu
de leur discours montre qu’ils sont dans le sujet.
Peut-on interpréter leurs silences comme un temps nécessaire pour écouter les autres, pour chercher à les
comprendre, pour organiser leurs idées, élaborer leur propre pensée et la mettre en mots ?
D’autres élèves ne prennent pas du tout la parole. La posture de l’enseignant, au sein du cercle, mais en retrait des
interventions, lui offre l’occasion d’observer ces silencieux. Ils bougent leur corps. Est-ce que pour ces enfants, la
mise en mouvement de la pensée doit être accompagnée d’une expression de leur corps ?
Le gain pour tous : les élèves parlent entre eux, se regardent, ponctuent leurs interventions par des gestes, visant
l’adhésion des autres. Ils opèrent des choix. Leur installation en cercle favorise les échanges et la participation
mesurée de l’enseignant les incite à prendre la parole. Les réactions aux propos des uns et des autres attestent de
cette écoute effective.
Fin de l’atelier :
L’annonce de la clôture de l’atelier est faite 2 minutes avant. La parole est alors donnée en priorité à ceux qui ne
l’ont pas encore prise, cela évite les déceptions, les frustrations.
En fin d’atelier c’est l’annonce du temps écoulé et de la coupure du micro qui clôt l’activité. C’est donc l’horloge qui
décide et non l’enseignant. Il n’y a aucune synthèse ni conclusion, aucune réponse formalisée, aucune production
écrite de ce qui a été dit, aucune prise de décision.
L’enregistrement des ateliers :
Chaque atelier est enregistré au magnétophone. Le micro tenu par l’enseignant est rendu à chaque élève qui sollicite
la parole. Il apporte solennité et sérieux à la situation. Chaque enregistrement est transcrit. Les enregistrements et
les transcriptions sont à la disposition des élèves. Ils les consultent, seuls, feuillettent le classeur y compris au CP où
ils ne savent pas lire. Ils sollicitent l’enseignant pour une lecture intégrale ou partielle d’une discussion. Il arrive que
les échanges s’engagent autour de tel ou tel atelier. Ils portent sur ce qui a été dit et certains enfants émettent des
idées nouvelles sur le thème revisité
Il permet à l’enseignant une écoute différée un relevé des prises de parole, des silences, des interactions, des
nuances des oppositions, des accords, des erreurs, des évolutions. C’est l’occasion de s’émerveiller des réflexions
des enfants et de constater aussi que l’oreille de l’enseignant corrige de fait les approximations.
L’écoute différée : régulation pour le maître et l’élève
Les enregistrements et les transcriptions mettent en évidence les interventions sur le vif de l’enseignant :
l’intonation remplace les structures interrogatives, les contractions, les redondances, les négations ont un seul
membre. C’est une langue parlée différente de la forme écrite.
Cette pratique de laboratoire peut devenir, dans le protocole de Lévine, une pratique professionnelle en donnant
aux élèves comme à leur maître la possibilité de s’entendre en différé. Naturellement, advient inévitablement une
confrontation entre la manière dont nous pensons parler et la manière dont nous avons parlé réellement et la
manière dont nous pensions que nous devrions parler en tant qu’enseignant.
Si on évacue le léger déplaisir qui accompagne cette confrontation, on ne peut qu’être sensible à ses bénéfices.
Premier effet : cela rend sensible à sa propre parole d’éducateur face à des élèves et donc cela permet d’en avoir
une représentation plus juste.
Cela permet de regarder les performances des élèves et leurs difficultés éventuelles à suivre nos injonctions parfois
injustifiées dans le cadre de la pratique orale de la langue…
4 – Comment évaluer les progrès des élèves ?
Qu’apprennent-ils lors de l’atelier de philo ? A quels indices on peut s’en rendre compte ?
Ce n’est pas en termes de contenu philosophique qu’il faut analyser ces ateliers, même si l’enseignant en sort
souvent avec la frustration de ce qui n’a pas été dit.
La perspective de l’analyse est la maîtrise de la langue et l’apprentissage de la pensée. On ne cherche pas à
atteindre la correction formelle et logique mais à analyser l’évolution de leurs compétences au sein d’un exercice
respectueux de chaque enfant.
On essaie de changer son regard d’évaluateur, de comprendre ce qui se passe quand les élèves parlent autrement
que prévu.
Pour cela laisser du temps, de la souplesse et se laisser du temps pour ne pas intervenir trop vite
Objectif : Mise en place d’une grille de lecture des ateliers qui débouchera sur une autre conception du guidage :
percevoir tout ce qui est en jeu dans le discours évite un interventionnisme dommageable à l’expression.
Ces indications ont été relevées à partir de l’analyse d’enregistrements d’ateliers.
Domaines
Etude la parole de l’enseignant
Indications
Lancer l’atelier
Redire
Savoir attendre
Reprendre sans corriger
Respecter, resituer (synthétiser)
Généraliser et réguler (synthétiser & inviter à prendre la
parole))
Clarifier
Donner la formulation correcte (rectifier la syntaxe)
Reprendre sans couper l’élan (rectifie le niveau de
langue)
Reposer la question
Maintenir dans le sujet
Proposer n’est pas contraindre
Enrichir le lexique et la syntaxe
Recentrer la discussion sur le sujet
Faire expliciter
Faire appel à l’expérience
Solliciter
Interpréter ?
Prendre ou non le risque de directivité (susciter des
réponses au-delà des lieux communs)
Veiller à ses propres formulations
L’appel au discours personnel (passer du vous au tu)
Clore
Comptage du nombre de mots exprimés
Interaction entre élèves
Repérer les lanceurs
Ecouter les élèves s’écouter (repérer les liens entre les
énoncés)
Repérer les fonctions prises par les intervenants
Repérer les lanceurs nouveaux, les petits parleurs
L’apprentissage du dialogue : tenir compte de l’autre
Entendre les nuances et la parole personnelle
Se situer par rapport à la parole de l’autre (je suis
d’accord – je ne suis pas d’accord)
Comptage du nombre de mots exprimés par élève
Etude de la langue
Analyser les différences d’énonciation
Etre attentif aux raisonnements
Entendre et prévoir les articulations sémantiques
Entendre les élèves discuter de formulations lexicales
Constater l’enrichissement des interventions, syntaxique
et narratif
Constater l’enrichissement argumentatif
Contenu en rapport avec le thème philosophique et/ou Entendre les propos sur l’école
l’histoire et l’expérience personnelle.
Ecouter le sujet de l’atelier résonner dans l’histoire
personnelle, projection du présent dans l’avenir
Ecouter l’histoire personnelle
Ecouter l’histoire personnelle, projection dans l’avenir
de la relation aux parents
Lire les traces des ateliers précédents
Entendre l’expérience personnelle et les angoisses
enfantines liées aux conseils de prudence des parents
(recel, vol)
Obéissance à l’école
Entendre les angoisses enfantines (la peur)
5 - Exemple de programmation / cycle 2
Aborder les mêmes sujets plusieurs fois dans l’année, sous différents angles. (Alterner les thèmes au fil des
ateliers).
Ainsi en procédant à des retours sur des thèmes déjà abordés, nous émettons l’hypothèse que les élèves appuieront
leur propre réflexion sur les ateliers antérieurs.
Les thèmes abordés :
Grandir, vieillir :
1)
2)
3)
4)
5)
Pourquoi les enfants vont-ils à l’école ?
Pourquoi les maîtresses et les maîtres vont à l’école ?
Comment sais-tu que c’est une grande personne ? Pourquoi dis-tu que c’est une grande personne ?
Es-tu pressé de grandir ? pourquoi ?
Quand on grandit, est-ce qu’on change ou est-ce qu’on reste pareils ? En grandissant, les êtres humains
restent-ils pareils ou changent-ils ?
6) Comment sais-tu qu’une personne est âgée ? Pourquoi dis-tu qu’une personne est âgée ?
7) Penses–tu que tout le monde devient une personne âgée ?
L’amitié, l’amour :
1)
2)
3)
4)
5)
6)
7)
8)
9)
Est-ce que tu préfères jouer seul ou avec les autres ? pourquoi ?
Pourquoi les hommes ont-ils inventé la famille ?
Comment sais-tu que cet enfant est ton copain, ta copine ? pourquoi dis-tu que c’est ton copain, ta copine ?
Des enfants, des adultes possèdent un animal de compagnie. Aimerais-tu avoir un animal de compagnie ?
pourquoi ?
Qu’est-ce que tu préfères ? donner un cadeau ou recevoir un cadeau, pourquoi ?
Il t’arrive de partager un gâteau, de prêter un jouet, de partager un espace : ta chambre, le canapé, un
fauteuil… qu’est-ce que tu ressens quand tu partages ?
On dit souvent « loin des yeux, loin du cœur ». C'est-à-dire que quand on est loin de quelqu’un qu’on aime
bien, on l’aime moins, on l’oublie… qu’est-ce que tu en penses ?
Pourquoi joue-t-on ?
Nous avons abordé lors d’une séance de jeux / nous avons réfléchi ensemble sur pourquoi on joue, on a
beaucoup parlé des jeux d’enfants / à l’école, à la maison, dans la rue /, aujourd’hui je voudrais qu’on
réfléchisse aux jeux des adultes, les grandes personnes jouent-elles ? pourquoi les grandes personnes
jouent-elles ?
Le respect, l’égalité :
1) Est-ce qu’on est tous pareils ? est-ce qu’on est tous différents ?
2) Pourquoi les hommes ont-ils inventé la politesse ?
La vie :
1) Les hommes et les robots, c’est pareil ou c’est différent ?
2) Peux-tu imaginer un monde où il n’y aurait que des robots, un monde où il n’y aurait pas d’être humain ?
3) Vous avez certainement déjà eu peur dans votre vie d’enfant / peut être que certains d’entre vous n’ont
jamais eu peur / aujourd’hui, chacun va essayer de dire ce que c’est pour lui la peur / qu’est-ce que c’est pour
vous la peur
4) Vous allez aujourd’hui réfléchir aux différences qui existent selon vous entre un homme et une femme un
enfant un être humain / et un robot.
La loi, les règles de vie sociale :
1) Faut-il toujours dire la vérité ?
2) Pourquoi les hommes ont-ils inventé les punitions ?
3) On dit que les enfants ont des droits / pensez-vous que les enfants ont des droits ? et si vous pensez que les
enfants ont des droits, quels droits ont-ils ?
4) Faut-il obéir aux règlements, au code de la route, aux règles de vie de l’école ? Faut-il obéir aux grandes
personnes ? et pourquoi ?
5) Selon vous qu’est-ce que la violence ?
6) Selon vous qu’est-ce qu’une injustice ?
7) Faut-il mentir ? peut-on mentir ? y a-t-il des moments dans la vie où il faut, où on peut mentir ?
Les autres :
1) Qu’est-ce que tu ressens quand tu vois une personne pauvre ?
2) Faut-il être curieux ? faut-il s’intéresser aux autres payas, aux autres personnes, aux autres ?
3) Est-ce que vous pensez qu’il faut s’intéresser aux autres ?
L’esprit critique, l’éthique :
1)
2)
3)
4)
Faut-il croire tout ce qu’on dit ?
Est-ce que tu penses qu’un jour, tu pourras tout savoir ?
Est-ce que tu penses que quand tu seras grand, tu pourras faire tout ce que tu veux ?
Dois-tu faire tout ce qu’on te dit ?
Liste non exhaustive.
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Ce document n’est pas un résumé de l’ouvrage
Apprendre à parler, apprendre à penser- Les ateliers de philosophie.
Carole Calistri – Christiane Martel – Béatrice Bomel-Raineli. / Scéren.
Ce sont des extraits choisis tirés de ce livre pour aider et conforter les collègues dans leur pratique innovante de
mise en place d’ateliers de philosophie dans leur classe à l’école maternelle.
Marie-José Deleersnyder – CPC Béthune 1 – mars 2012.
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