ASIA CENTRE CONFERENCE SERIES memo Que veut la Chine ? de Mao au capitalisme Débats Asie avec Professeur François Godement, Directeur de la stratégie, Asia Centre, Professeur des universités à Sciences Po, Senior Fellow, European Council on Foreign Relations 10 octobre 2012 Animé par : Thierry Garcin, docteur d’État en science politique (Paris-Sorbonne), France Culture Alain Wang, Secrétaire général, Asia Presse Dans le contexte du renouvellement de l’équipe dirigeante en Chine, le nouvel ouvrage de François Godement propose un bilan prospectif sur la Chine de 2012 et aborde trois grandes thématiques : politique intérieure, économie, position internationale de la Chine. François Godement, à l’aube de la transition politique majeure que va connaitre la Chine avec le XVIIIème Congrès, que peut on dire du système de gouvernance chinois actuel ? 71 boulevard Raspail 75006 Paris - France Tel : +33 1 75 43 63 20 Fax : +33 1 75 43 63 23 www.centreasia.eu [email protected] siret 484236641.00029 Le système politique chinois est plein de contradictions et est en mouvement constant : il est donc difficile d’avoir un parti pris unique et une réponse uniforme. Ce livre résulte donc en premier lieu d’une envie de proposer des clés de lecture sur les événements actuels en Chine. Ce livre s’inscrit surtout dans une dynamique nouvelle de la politique intérieure chinoise car on a l’impression depuis trois ans que l’histoire politique se rallume en Chine. Le modèle de gouvernance chinois est en effet longtemps resté caractérisé par ce que certains appelleront « direction collective », systématisation » ou « harmonie ». Il s’agissait d’un modèle de gouvernance parallèle et flexible qui évitait soigneusement les interrogations et les conflits qui marquent les régimes démocratiques occidentaux. Or, ces interrogations sont revenues les unes après les autres en Chine et cela de façon assez imprévue. Elles traversent aussi bien le système politique que le système économique chinois. Ainsi, le système politico-légal est remis en question en Chine, notamment sur la question de la place de la loi par rapport au Parti, sujet qui devient un enjeu de base dans la vie politique chinoise. De même, la crise économique qui naît en Occident en 2008-2009 et l’hypercroissance chinoise des années précédentes alertent les dirigeants chinois sur l’impossibilité de reconduire le modèle de croissance actuel et sur la nécessité de réformer le modèle. Enfin, ce livre analyse un tournant tout à fait étonnant de la politique étrangère chinoise et d’aucuns parleront de son assertivité, de sa radicalisation ou de son affirmation. Ce changement est manifeste mais il n’est pas uniforme et il est débattu car il pose des questions sur le futur de la région. L’affaire Bo Xilai comme un révélateur du mode de gouvernance chinois et des débats sur l’orientation de la Chine de demain Le Congrès est finalement le point d’orgue de toutes les interrogations soulevées par ces changements en Chine depuis 2008. Soulignons au passage que c’est davantage le premier plénum après le Congrès qu’il faudra regarder pour se faire une idée de la direction prise par la nouvelle équipe dirigeante. Le système chinois est fondamentalement antipolitique et, alors que ce XVIIIème Congrès si stratégique et sensible se profilait, tout a été fait en Chine pour que une paix règne au sommet du Parti et pour en finir avec les luttes fratricides et factionnelles de l’époque maoïste. Les débats au sommet sont donc dissimulés ou absents et les dirigeants se sont épargnés les uns les autres ces derniers temps. Or, c’est bien cette atténuation du débat politique qui est remise en question aujourd’hui. Nous avons fini par idéaliser ce système en le parant de capacités d’institutionnalisation et de continuité exagérées. L’affaire Bo Xilai apparaît dans ce contexte comme un révélateur. L’ouvrage la commente, apporte des éléments inédits et analyse les ressorts de cette affaire. En réalité, l’empilement des strates est véritablement passionnant : on y observe en effet une strate quasi féodale, personnelle qui relève du feuilleton ainsi qu’une strate constituée de rivalités d’intérêts proprement factionnelles entre grands dirigeants et cela par personnes interposées. Mais il y a également une strate politique très importante car Bo Xilai, par son comportement et ses ambitions, récusait les principes fondamentaux de la direction collective dont le premier principe est l’auto-effacement. On constate ainsi combien l’abondance des prises de position et des idées publiquement exprimées par Bo Xilai contraste avec le peu d’informations dont nous disposons sur le programme politique et le positionnement idéologique du futur président chinois putatif Xi Jinping. Ce dernier respecte ainsi typiquement le système de la direction collective et son programme ne ressortira qu’après l’officialisation de sa cooptation. L’affaire Bo Xilai agit donc comme un révélateur mais elle se situe également à un carrefour important pour l’avenir de la Chine. Elle confirme notamment la persistance de ce que le Premier ministre Wen Jiabao a appelé les « fantômes maoïstes », si puissants dans la société chinoise. Si Wen Jiabao mettait en garde contre un possible retour de la Révolution culturelle, son avertissement visait davantage la menace que représente pour la Chine la conjonction d’une ambition personnelle et l’utilisation de méthodes politiques s’appuyant sur le chantage et sur des méthodes de violence de masse. L’épisode Bo Xilai est une réaction d’autodéfense de l’élite politique chinoise qui a entrevu dans la personne de Bo Xilai le risque que représenterait la capture du pouvoir par un homme audacieux qui gouvernerait de façon personnelle à la façon de Mao. grandes orientations économiques et politiques de la Chine de demain. Orientations économiques bien sûr car implicitement, le modèle de Chongqing mis en avant par Bo Xilai défendait une optique plus étatique et plus socialiste que l’économie chinoise réelle de la Chine. Orientations politiques également car Bo Xilai avait apporté sa caution au nationalisme (notamment durant les manifestations antijaponaises de 2010) et affichait sa proximité avec l’armée. Les aspérités du cas Bo Xilai recoupent un questionnement plus général sur le plan politico-légal et soulignent les interrogations et hésitations d’un système tiraillé entre d’un côté, un appareil sécuritaire toujours plus fort et mis en alerte après les Printemps arabes et, à l’inverse, une tendance forte et des appels à l’autonomisation du droit par rapport au politique et au Parti. Wen Jiabao est ambigu sur ce dernier point mais il suit clairement une tendance réformiste. Ce conflit et ces hésitations entre les deux tendances émergent ainsi derrière la polémique sur les arrestations secrètes ou sur la question de la réforme du Code de procédure pénale chinois. La politique transparait dans ces épisodes et les dirigeants politiques s’envoient des messages à travers ces opérations. Un carrefour économique : approfondir ou réformer le système actuel ? On pourrait tout à fait imaginer, à la suite de certains analystes, que le système économique actuel ait la capacité de perdurer encore une vingtaine d’années grâce à la mobilisation intérieure, au nouveau plan quinquennal, aux exportations et à l’extraction de plus value à partir des populations en activité dans les usines. Cette position s’est consolidée autour des intérêts des sociétés d’Etat et des intérêts d’une partie de la classe supérieure de la société chinoise très proche de ses rentes de situations. Face à cette position conservatrice, certains analystes, Cassandre ou visionnaires lucides, dénoncent les déséquilibres du système et sont pessimistes sur la pérennité du modèle chinois. Ils recommandent un réajustement qui ne se limite pas à des investissements dans les infrastructures de la Chine de l’intérieur mais qui inclurait également un modèle de consommation intérieure et un modèle d’entreprise. Il s’agirait alors de revenir sur cette tendance lourde observée ces dernières années en Chine avec le recul des entreprises privées et la ré-étatisation de l’économie chinoise. De prime abord, cet enjeu peut paraître purement économique ou idéologique entre des libéraux « naïfs » formés à l’école américaine et des socialistes nostalgiques. En réalité, derrière ce conflit idéologique se trouve un conflit d’intérêt majeur sur la nature de l’oligarchie, sur les rentes de situations, conflit qui traverse les dirigeants politiques comme les élites économiques. Ce débat a des implications internationales et les positions des réformistes sont par exemple appuyées par la Banque Mondiale, ce que dénoncent d’ailleurs les conservateurs. Ce débat est également capital pour l’avenir de l’Europe car en fonction de son orientation, le partenaire chinois changera beaucoup dans son rapport au monde. Mais au delà du cas personnel du cadre du Parti, l’affaire Bo Xilai émerge au carrefour des interrogations sur les 2 Une radicalisation de la politique étrangère qui prend ses racines dans la crise de 2008/2009 Enfin, la radicalisation de la politique étrangère continue depuis trois ans sur ce rythme cyclique qui voit alterner période d’irritations et d’excès avec des périodes de modération. On constate depuis 2009 un renversement complet d’une des lignes directrices de la politique étrangères chinoise : l’entente de la Chine avec son voisinage. Nous pouvons cependant déjà poser un diagnostic sur cette évolution récente. Celle-ci prend en effet sa source dans les événements de 2008/2009 qui apparaissent aux yeux de toute une partie de la classe dirigeante chinoise et plus largement de l’establishment et des élites comme un message historique de déclin du déclin de l’Occident. Les experts chinois aiment d’ailleurs dresser une comparaison avec la crise de 1929 et le système est traversé par une forme de messianisme historique qui, peut être, fait sauter des verrous de prudence et de modestie traditionnels. Pourtant, même si l’on souligne souvent les dérapages en mer de Chine, le manque de contrôle et le chantage d’une frange nationaliste du Parti, on observe un gouvernement central et un Président extraordinairement prudent et soucieux de n’avoir aucun adversaire sur sa « gauche » sur le plan du nationalisme et laissant les choses se développer avant de donner des coups d’arrêt. La seule question qui ne fait pas débat en Chine est finalement celle de la rivalité sur le long terme avec les USA et la volonté de « retrouver » une influence prépondérante dans le Pacifique occidental. La politique est donc de retour et le modèle actuel chinois de bonne gouvernance tant défendu ne se reproduit pas sur lui même. Il cède face à des affrontements somme toute normaux, témoignant par là même de l’existence d’une société politique chinoise bien vivante qui peut même s’avérer dangereuse. La critique interne à la Chine vis à vis du Président Hu et du Premier ministre Wen, accusés d’être immobiles, timorés ou indécis est étonnante pour un tandem qui a tout de même maintenu la Chine sur un rythme de 10% de croissance pendant 10 ans et témoigne d’un appétit de réforme, quitte à en découdre avec les caciques du Parti. La relation entre l’opinion publique et les gouvernants est de plus en plus complexe mais s’il est indéniable que l’opinion publique joue un rôle et influence le gouvernement, il serait exagéré d’aller jusqu’à dire qu’elle mène le gouvernement. Questions Comment décrire régime chinois ? et qualifier la nature du On pose souvent la question du caractère communiste du régime chinois et bien évidemment, il faut répondre qu’une grande partie de l’évolution de la société et de l’économie chinoises ne correspondent pas au modèle marxiste. Il en reste cependant une caractéristique importante : l’extraction de plus value, le coefficient d’épargne et l’extraordinaire différentiel entre les salaires et l’accumulation des réserves qui se rapprochent en effet du modèle marxiste. Surtout, le marxisme a laissé son empreinte via des éléments de justice et d’égalitarisme qui imprègnent toujours le débat politique. L’idéologie communiste est toujours présente et cette prégnance pourrait très bien resurgir du peuple. L’exemple de Wukan est de ce point de vue très intéressant : la contestation est en effet née là où ont eu lieu les premières révoltes communistes des années 1920 et le leader du mouvement était un communiste conscient de ses origines et pas du tout un libéral. Il ne faudrait donc pas conclure que le système a complètement oublié ses bases communistes qui demeurent très présentes dans l’idéologie. Vous écrivez notamment dans votre ouvrage que « le léninisme survit au communisme » : les Chinois ont-ils une alternative politique au Parti Communiste Chinois (PCC) ? Le système léniniste est toujours présent et par contraste avec les autres bureaucraties léninistes, il s’agit d’ailleurs du premier régime léniniste riche de l’histoire et du premier à être modernisé, concentré avec la technologie à son service. L’essentiel pour le PCC est d’occuper et de monopoliser l’espace politique afin de remplir toutes les alternatives possibles. Le PCC est le plus grand système gestionnaire de clientèle au monde et il gère la distribution d’emplois, l’accès aux ressources et son réseau tentaculaire de 83 millions de membres lui permet d’être omniprésent en Chine. Il est important d’insister sur la modernité d’un système qui est par exemple capable de donner des numéros informatisés à toutes les familles paysannes afin de distribuer des prestations sociales. On assiste ici à la création, historique dans l’histoire millénaire de l’Etat chinois, d’un lien direct entre l’Etat central et la population paysanne, et ceci sans devoir passer par des strates intermédiaires. Le système médiatique chinois est riche et a une capacité remarquable à générer des débats au sein de limites mouvantes fixées par le système. Le cas d’internet et des réseaux sociaux, florissants en Chine, est intéressant et les limites ne sont pas prédéfinies : ces médias explorent continuellement des espaces de liberté temporaires qui se développent jusqu’à être étouffés in fine par les dirigeants via la définition soudaine d’une limite. Plutôt qu’un jeu du chat et de la souris qui dénoterait une vision machiavélique de la question, il s’agit d’un outil renouvelé de contrôle des masses par le Parti, d’un espace 3 de liberté contrôlé en flux continu par les dirigeants. La Chine est-elle un pays socialiste ou capitaliste ? On parle souvent de système d’économie mixte alors que le modèle chinois est finalement proche d’autres modèles occidentaux qui ne sont pourtant pas qualifiés de la sorte. Mieux vaut employer le terme « d’économie hybride » qui suggère un mélange peu contrôlé car le terme d’économie mixte suppose l’existence d’un cadre réglementaire. Le mécanisme capitaliste est très fort mais la direction initiale reste incontestablement publique. On connaît la capacité du régime à gérer les réformes économiques depuis trente ans mais qu’en est il de leur maitrise de ces réformes ? Après tout, un fusible a déjà fondu en 1989 (Tian’anmen). Quelle est la capacité des dirigeants à insuffler de nouvelles réformes et à maitriser des réformes d’une telle ampleur ? Un tel système peut-il réformer autant sans risquer de se fragiliser lui même ? La réforme expose t-elle le régime ? Les trente ans de réformes qu’a connu la Chine ont fonctionné de façon concentrique en favorisant les proches du régime et un certain nombre d’acteurs économiques privilégiés. Aujourd’hui, ce système ne peut plus continuer de par l’ampleur des écarts générés par ce modèle. Le régime doit donc se contrôler lui même et frapper ses propres intérêts ou ceux du groupe humain qui s’est trouvé associé à la réussite des trente dernières années. Se séparer de cela sans faire de politique est très difficile. Il existe un véritable gâchis au sein du système économique chinois, notamment avec des entreprises d’Etat qui font des profits immenses alors qu’elles participent très peu aux exportations chinoises : leur place prépondérante dans le système international ne provient pas de leurs succès internationaux –exception faite du secteur des matières premières- mais de leurs revenus investis à l’étranger. Contrôler ces intérêts équivaut à poser la question de l’équilibre des pouvoirs sur le plan économique et sur le plan légal. Peut-on envisager une évolution « à la brésilienne » de la société chinoise ? (Inégalités criantes, strates complexes) ? Une évolution « à la brésilienne » ou même sur le modèle américain de la société chinoise est hautement improbable. Un potentiel de révolte et un retour populiste sont toujours légitimes et existent toujours depuis la révolution chinoise et la révolution communiste. Il y a finalement une course de fond du Parti qui cherche à installer des équilibres ce qui passe par une lutte contre soi même et le risque de déboucher à un certain nombre de révoltes. L’Europe peut-elle tirer partie de cette fragmentation du pouvoir en Chine ? Certes le pouvoir est fragmenté en Chine mais il reste mieux coordonné que l’action de l’UE. L’action extérieure de la Chine est compartimentée, sectorisée et systématiquement bilatérale. L’Etat central garde la haute main sur l’action extérieure et il est utopique de vouloir contourner l’échelon central pour jouer des différences provinciales. Ceci n’empêche ni ne délégitime les investissements culturels et la diplomatie d’influence dans ces provinces. Quelles relations d’influence de la Chine avec les pays émergents ? Pour les Chinois, cette relation avec les BRICS est fondamentale dans le basculement qui s’opère actuellement : il s’agit de constituer un nouveau système international dans lequel la Chine veut être au centre sans pour autant qu’elle perçoive les difficultés inhérentes au fait d’être ce nouveau centre de gravité. Tant qu’il y aura une croissance rapide en Chine avec une hausse des cours des matières premières et une hausse de la demande en énergie, la dépendance de nombreux Etats vis à vis de la Chine s’accroitra (les PED ne sont d’ailleurs pas les seuls pays concernés et l’exemple de l’Australie est de ce point de vue intéressant). La Chine a une offre économique indiscutablement attractive et ceci pour plusieurs raisons : cette offre est par exemple bien moins exclusive que celle des entreprises occidentales ou japonaises qui insistent beaucoup sur la protection de leurs marques et de leurs produits alors que les entreprises chinoises sont plus ouvertes. Il faut cependant souligner des plans où la rivalité est totale entre les BRICS : sur le plan de la gestion monétaire, Inde et Brésil critiquent amèrement la politique de gel monétaire chinois et sur le plan stratégique, Inde et Russie n’ont aucune confiance politique envers la Chine. Le rassemblement des BRICS existe lorsque les cinq Etats ont un intérêt à dire non ensemble mais la notion de BRICS est beaucoup plus difficile à mobiliser positivement. Les nouveaux objectifs de gouvernance internationale aujourd’hui sont clairement gênés par la Chine mais Pékin ne peut pas (et ne veut pas forcément) proposer un ordre alternatif. La notion de BRICS n’a au final aucune pertinence géopolitique. La Chine s’intéresse à ses voisins et notamment à l’Asie du Sud-est au travers d’un accord de libreéchange: ce déploiement régional est relativement nouveau sur le plan historique. Il y a une fascination des experts chinois pour la zone Deutsch Mark et plus généralement pour la place économique de l’Allemagne dans l’Europe post-Seconde Guerre mondiale. L’exemple allemand d’une monnaie dévaluée protégée, d’un fonctionnement souple dans une zone qui comprend un espace commercial est très attractif pour la Chine. Cet exemple est beaucoup plus intéressant pour Pékin que le parallèle qui est souvent dressé avec le modèle japonais. L’influence de ce dernier passe en effet par des firmes alors que l’influence chinoise est plus large et ne se limite pas aux entreprises. Politiquement, la conclusion que l’on peut dresser ici est qu’une partie des dirigeants chinois est persuadée que les liens économiques et que les liens d’intérêts 4 mutuels sont si solides entre la Chine et ses voisins que ces pays ne peuvent faire autrement que de tolérer les atteintes et les affronts politiques et la montée en puissance militaire de la Chine. Les dirigeants chinois tablent sur le fait que ces liens et l’absence de solidarité réelle entre l’Occident et les pays d’Asie permettront à la Chine de faire valoir une zone de production intégrée dont elle a les clés car elle en demeure aujourd’hui la plaque tournante. Quel avenir a l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) ? Il ne faut pas surestimer la portée de l’OCS : il s’agit initialement un pacte de non agression et de stabilité avec des pays d’Asie centrale incertains quant à leurs propres frontières et où les questions de minorités et de religions étaient sensibles. Il s’agit davantage d’une sorte de réassurance de neutralité et de non-intervention que d’une alliance active et positive. On ne connaît pas vraiment l’étendue de la coopération sur les questions de lutte antiterroriste et le volet économique, plutôt libreéchangiste, existe en dehors de toute zone de libreéchange mais avec des programmes d’aide. Finalement, l’OCS est une enveloppe alors qu’en réalité, les liens entre les pays concernés passent essentiellement par le canal bilatéral. On peut même penser que l’OCS a été montée en épingle par des chercheurs américains désireux d’attirer l’attention de l’administration Bush sur les enjeux du multilatéralisme en Asie. Quelle place ont les ONG dans le processus de réformes en Chine ? Pour répondre à cette question, il faudra voir la composition du futur Comité permanent et la présence ou non de Wang Yang, Secrétaire du Parti communiste du Guangdong. Il y a certainement une part de cynisme dans son attitude vis à vis des ONG dans le Guangdong mais il a tout de même mis en place des méthodes de valorisation des ONG innovantes dans cette province. Il ne s’agit pas d’une libéralisation politique au premier plan mais plutôt de la délégation de budgets et de l’action sociale au privé parce qu’il est plus compétent que le public sur certains domaines. Indiscutablement, la question de la place de la société civile en Chine se posera à l’équipe dirigeante à venir et la présence de Wang Yang dans le Comité permanent sera le signe d’une continuation dans ce sens ou un coup d’arrêt. On entend souvent que l’individu s’exprime davantage en Chine aujourd’hui, à titre individuel et non au travers d’un groupe comme auparavant, cela grâce au développement des moyens de communication en Chine. Quelles places pour les individus face au pouvoir ? Le Chinois dépend-il moins de la vision collective historique qu’avant? L’individualisme ne vient pas d’Occident et n’est pas le résultat d’une contagion des Printemps arabes en Chine. Le risque réel de propagation de ces révolutions en Chine est d’ailleurs quasi nul. Cependant, il est vrai que deux tendances s’opposent depuis toujours dans la société chinoise avec notamment un communautarisme local (prédominance des liens familiaux et des clans). Des néoconservateurs tels que Pan Wei recommandent d’ailleurs un retour à des modèles de gouvernance traditionnels et infra politiques d’autocontrôle local. A l’inverse, il y a une tendance individualiste indubitable en Chine et il n’y a pas de société aussi peu confucianiste que la Chine en Asie. Les éléments d’individualisme chinois viennent donc de Chine et non d’Occident : selon les statistiques, il y a entre 180.000 et 250.000 incidents de masse par an en Chine (soit plus de 500 personnes manifestant conjointement). Même si ces manifestations ne visent pas toutes à remettre en question le régime, ce chiffre est loin d’être négligeable et témoigne d’un degré de conflictualité important au sein de la société chinoise. Y a-t-il encore une force d’opposition politique en Chine ? Il n’y a pas et il ne peut y avoir de compétition politique officielle et les réseaux d’opposants sont émiettés et fractionnés depuis Tian’anmen. Il n’existe donc pas véritablement de force organisée (à l’exception des églises parfois) mais il y a une sensibilité qui traverse les élites et le Parti. Certains dirigeants ont retrouvé ces connexions qui avaient disparu en 1989. On dit ainsi à Pékin que Xi Jinping aurait eu une longue discussion avec le fils de Hu Yaobang qui est justement aujourd’hui un des militants les plus actifs pour la libéralisation politique. On ne sait rien des idées de Xi Jinping et il est tout à fait possible que cette entrevue fasse partie d’une stratégie de construction de son image publique mais le simple fait qu’il se sente obligé d’inclure cet entretien dans cette stratégie montre bien qu’il y a une compétition et une forme d’agitation de ce côté. La multiplication des scandales est elle de nature à fragiliser le régime ? La Chine est en effet régulièrement traversée par des scandales dont certains impliquent des hauts-dirigeants : sang contaminé, mélanine, infanticides et avortements forcés, greffes illégales d’organes… Il est cependant peu probable que ces scandales puissent faire vaciller le régime. Les procès ne sont que rarement équitables et l’innocence ou la culpabilité des personnes incriminées ne sont jamais certaines, même après le verdict. Cependant, il est certain que chacun de ces procès fait avancer la question de la légalité en Chine. Quel est le rôle de l’Armée Populaire de Libération aujourd’hui ? Agit-elle comme un frein face aux réformes ou est-elle consciente que la grande faiblesse stratégique de la Chine demeure son immobilisme institutionnel et que des réformes de fond sont indispensables pour faire monter en puissance la Chine. La Commission Militaire Centrale (CMC) est elle tenue par l’armée ou le Parti ? Existe t-il un débat autonome dans la CMC ? Il convient avant tout de rappeler que nous ne sommes sûrs de rien à propos de ces institutions très fermées. La Commission Militaire Centrale a perdu de son influence, notamment durant le mandat de Hu Jintao. 5 Elle ne s’est que très peu réunie sous sa présidence et peu de ses membres s’expriment. L’armée chinoise est devenue la grande muette. Hu Jintao en est le chef mais l’absence d’organe en dessous pour organiser dans les faits le contrôle du président traduit un défaut de contrôle, une autonomie de facto. L’Armée Populaire de Libération est loin d’être uniforme : certains, influencés par le puissant lobby qu’est devenu la Marine chinoise, poussent par exemple à investir dans la défense maritime tandis que d’autres analystes stratégiques privilégient la cyberguerre. Pour autant, Le lien entre Parti et armée est loin d’être rompu et on ne constate pas aujourd’hui de montée « autonomiste » au sein de l’armée : globalement, tout le monde s’accorde ainsi pour reconnaître que l’armée a pour objectif prioritaire de défendre le Parti et non pas le pays. Finalement, les quelques voix dissidentes sont celles d’universitaires ou d’indépendants qui s’expriment de façon personnelle et qui, tôt ou tard, sont amenés à tempérer leurs propos. L’arrivée du Xi Jinping, réputé plus proche de l’armée, pourrait modifier la place et le rôle de l’armée. rivalité Japon/Etats-Unis des années 1920. On parle beaucoup en ce moment du livre de Yang Jisheng, Stèles, qui travaille sur la période du Grand Bond en avant. Dans quelle mesure la résurgence de la mémoire en Chine entre elle dans le processus de réforme ? Le livre est interdit en Chine mais circule tout de même. La question de la mémoire fait en effet partie du mouvement de libéralisation et il y a une évolution sur ce point. Le Global Times, journal pourtant particulièrement nationaliste, a récemment publié un article très agressif sur la famine provoquée par le Grand Bond en avant. Au sein du Parti, certains courants politiques cherchent à ouvrir le chapitre de la mémoire à des fins politiciennes : il s’agit en effet d’affaiblir les conservateurs encore prompts à citer Mao. Quel crédit apporter aux informations qui filtrent dans l’affaire Bo Xilai ? La Chine a-t-elle une vision globale de son rôle dans le monde ou est-elle au contraire focalisée sur ses objectifs économiques ? A t-elle des visées hégémoniques et conçoit-elle une rivalité avec les Etats-Unis ? Paradoxalement, la Chine est clivée entre une vision géopolitique du monde du XIXème siècle dans laquelle les aires d’influence restent déterminantes - dans cette perspective elle a bien une vision hégémonique du monde- et une position irénique sur le plan de la gouvernance globale. La Chine est en effet en retrait et elle ne s’implique qu’en réaction à ses propres intérêts. La Chine est très prudente au Conseil de Sécurité où elle s’abrite souvent derrière la Russie : s’abstenir sur la Libye était de ce point de vue un signe tout à fait positif car cela équivalait à un oui. Or, quand la Chine s’avance ou concède sur le plan international, par exemple sur le dossier libyen, elle déclenche une levée de boucliers à l’intérieur de la Chine, aussi bien au sein du Parti et de ses factions que dans la population. Ainsi, tandis que les médias occidentaux notaient l’évacuation efficace des milliers de ressortissants chinois de Libye par Pékin, retenait surtout en Chine les pertes de marché des entreprises chinoises en Libye du fait de la guerre. De même, dans les organismes financiers internationaux, la Chine contribue au système mais elle ne s’acharne pas à gagner des places et ne se met pas en avant. La Chine ne va pas gouverner le monde et elle ne remplacera pas les Etats-Unis. Nous aboutirons plus probablement à un monde ingouvernable avec une dispersion des puissances et un renforcement des sphères d‘influence en marge de la gouvernance internationale . Par nature le système chinois est tourné vers l’intérieur : si la Chine est curieuse et s’imprègne facilement de tendances étrangères, la culture chinoise a cela de particulier qu’elle absorbe et retravaille toutes ces influences. Au final, la Chine reste centrée sur elle même. Quant à sa rivalité avec les Etats-Unis, elle est concentrée sur la question de la maitrise du Pacifique occidental et, de façon intéressante, on retrouve ici un schéma similaire à la Nous n’avons à notre disposition aucune preuve formelle sur ce dossier sensible et les informations sont parcellaires et difficilement vérifiables. Par exemple, les échos de presse sur l’étendue de la fortune de Bo Xilai varient énormément d’une source à l’autre. On parle cependant depuis un certain temps des abus de Bo Xilai et il est probable que le procès de Bo Xilai ne soit pas uniquement un prétexte, une invention du Parti pour écarter un homme ambitieux. Peut on envisager un épuisement du modèle économique chinois ? La bombe démographique, les problèmes environnementaux, la croissance difficilement soutenable peuvent-ils enrayer la locomotive chinoise ? Les prédictions apocalyptiques au sujet de l’avenir de la Chine sont monnaie courante aujourd’hui mais il faut savoir les relativiser. On parle en effet de ces problèmes environnementaux ou démographiques depuis vingt ans et la Chine continue pourtant à se développer en contournant tous ces obstacles. Il est peu probable que les questions environnementales ou démographiques soient des freins décisifs au développement chinois. Par contre, on peut cependant souligner trois obstacles majeurs auxquels la Chine devra faire face à court terme : • La demande extérieure ne peut plus croitre comme avant et la Chine doit trouver un nouveau moteur pour son développement économique ; • Le tournant vers la consommation intérieure n’est pas assez rapide et est déséquilibré : il va davantage dans la direction des populations riches qui consomment des biens importés et n’alimente pas suffisamment la consommation locale. Il accroit encore plus les déséquilibres au sein de la société chinoise ; • Les grandes entreprises d’Etat ont d’excellents résultats en Chine où elles évoluent sur des terrains protégés mais elles ont beaucoup plus de mal à travailler sur les marchés étrangers. La 6 multiplication des cas d’entreprises chinoises faisant l’objet d’enquêtes pour des faits de dumping ou de corruption témoigne de cette faiblesse. Cela pose la question de la rentabilité de ces entreprises en dehors du marché chinois et des limites du modèle dirigiste chinois. Celui ci fonctionne en réalité avec un taux d’épargne maintenu artificiellement à 50% par une monnaie stérilisée et sous-évaluée. La Chine a des difficultés à utiliser de façon raisonnée les milliards de réserves accumulés: les investissements chinois à l’étranger manquent parfois de cohérence et certains ne sont pas effectués de façon optimale. David Péneau Débats Asie Les publications électroniques d’Asia Centre Conçu pour confronter les expériences et analyses des décideurs économiques, des acteurs institutionnels, universitaires et de la presse, de France ou d’Asie, le cycle Débats Asie 2012 vous est proposé par Asia Centre, Asia Presse, le Centre d’Accueil de la Presse Étrangère (CAPE) et le Comité National des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CNCCEF). Réunis dans la collection « Extraits des Conférences d’Asia Centre », les Articles et Memos constituent un ensemble inédit de travaux de recherche et de débats actuels sur l’Asie organisés avec les meilleurs experts internationaux. Les Notes et les Etudes approfondissent l’actualité asiatique en la mettant en perspective avec les tendances de long terme à l’œuvre dans la région. 7