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L’affaire Bo Xilai comme un révélateur du mode de
gouvernance chinois et des débats sur l’orientation
de la Chine de demain
Le Congrès est nalement le point d’orgue de toutes
les interrogations soulevées par ces changements en
Chine depuis 2008. Soulignons au passage que c’est
davantage le premier plénum après le Congrès qu’il
faudra regarder pour se faire une idée de la direction
prise par la nouvelle équipe dirigeante. Le système
chinois est fondamentalement antipolitique et, alors que
ce XVIIIème Congrès si stratégique et sensible se prolait,
tout a été fait en Chine pour que une paix règne au
sommet du Parti et pour en nir avec les luttes fratricides et
factionnelles de l’époque maoïste. Les débats au sommet
sont donc dissimulés ou absents et les dirigeants se sont
épargnés les uns les autres ces derniers temps. Or, c’est
bien cette atténuation du débat politique qui est remise
en question aujourd’hui. Nous avons ni par idéaliser ce
système en le parant de capacités d’institutionnalisation et
de continuité exagérées.
L’affaire Bo Xilai apparaît dans ce contexte comme un
révélateur. L’ouvrage la commente, apporte des éléments
inédits et analyse les ressorts de cette affaire. En réalité,
l’empilement des strates est véritablement passionnant :
on y observe en effet une strate quasi féodale, personnelle
qui relève du feuilleton ainsi qu’une strate constituée de
rivalités d’intérêts proprement factionnelles entre grands
dirigeants et cela par personnes interposées. Mais il
y a également une strate politique très importante car
Bo Xilai, par son comportement et ses ambitions, récusait
les principes fondamentaux de la direction collective dont
le premier principe est l’auto-effacement. On constate ainsi
combien l’abondance des prises de position et des idées
publiquement exprimées par Bo Xilai contraste avec le peu
d’informations dont nous disposons sur le programme
politique et le positionnement idéologique du futur
président chinois putatif Xi Jinping. Ce dernier respecte
ainsi typiquement le système de la direction collective et
son programme ne ressortira qu’après l’ofcialisation de
sa cooptation.
L’affaire Bo Xilai agit donc comme un révélateur mais elle
se situe également à un carrefour important pour l’avenir
de la Chine. Elle conrme notamment la persistance de ce
que le Premier ministre Wen Jiabao a appelé les «fantômes
maoïstes», si puissants dans la société chinoise. Si Wen
Jiabao mettait en garde contre un possible retour de la
Révolution culturelle, son avertissement visait davantage
la menace que représente pour la Chine la conjonction
d’une ambition personnelle et l’utilisation de méthodes
politiques s’appuyant sur le chantage et sur des méthodes
de violence de masse. L’épisode Bo Xilai est une
réaction d’autodéfense de l’élite politique chinoise qui
a entrevu dans la personne de Bo Xilai le risque que
représenterait la capture du pouvoir par un homme
audacieux qui gouvernerait de façon personnelle à la
façon de Mao.
Mais au delà du cas personnel du cadre du Parti, l’affaire
Bo Xilai émerge au carrefour des interrogations sur les
grandes orientations économiques et politiques de la
Chine de demain. Orientations économiques bien sûr car
implicitement, le modèle de Chongqing mis en avant par
Bo Xilai défendait une optique plus étatique et plus socialiste
que l’économie chinoise réelle de la Chine. Orientations
politiques également car Bo Xilai avait apporté sa caution
au nationalisme (notamment durant les manifestations
antijaponaises de 2010) et afchait sa proximité avec
l’armée. Les aspérités du cas Bo Xilai recoupent un
questionnement plus général sur le plan politico-légal
et soulignent les interrogations et hésitations d’un
système tiraillé entre d’un côté, un appareil sécuritaire
toujours plus fort et mis en alerte après les Printemps
arabes et, à l’inverse, une tendance forte et des appels
à l’autonomisation du droit par rapport au politique et au
Parti. Wen Jiabao est ambigu sur ce dernier point mais
il suit clairement une tendance réformiste. Ce conit et
ces hésitations entre les deux tendances émergent ainsi
derrière la polémique sur les arrestations secrètes ou sur
la question de la réforme du Code de procédure pénale
chinois. La politique transparait dans ces épisodes et les
dirigeants politiques s’envoient des messages à travers
ces opérations.
Un carrefour économique: approfondir ou réformer
le système actuel?
On pourrait tout à fait imaginer, à la suite de certains
analystes, que le système économique actuel ait la
capacité de perdurer encore une vingtaine d’années grâce
à la mobilisation intérieure, au nouveau plan quinquennal,
aux exportations et à l’extraction de plus value à partir des
populations en activité dans les usines. Cette position s’est
consolidée autour des intérêts des sociétés d’Etat et des
intérêts d’une partie de la classe supérieure de la société
chinoise très proche de ses rentes de situations. Face à
cette position conservatrice, certains analystes, Cassandre
ou visionnaires lucides, dénoncent les déséquilibres du
système et sont pessimistes sur la pérennité du modèle
chinois. Ils recommandent un réajustement qui ne se limite
pas à des investissements dans les infrastructures de la
Chine de l’intérieur mais qui inclurait également un modèle
de consommation intérieure et un modèle d’entreprise.
Il s’agirait alors de revenir sur cette tendance lourde
observée ces dernières années en Chine avec le recul
des entreprises privées et la ré-étatisation de l’économie
chinoise. De prime abord, cet enjeu peut paraître
purement économique ou idéologique entre des libéraux
« naïfs » formés à l’école américaine et des socialistes
nostalgiques. En réalité, derrière ce conit idéologique
se trouve un conit d’intérêt majeur sur la nature de
l’oligarchie, sur les rentes de situations, conit qui traverse
les dirigeants politiques comme les élites économiques.
Ce débat a des implications internationales et les positions
des réformistes sont par exemple appuyées par la Banque
Mondiale, ce que dénoncent d’ailleurs les conservateurs.
Ce débat est également capital pour l’avenir de l’Europe
car en fonction de son orientation, le partenaire chinois
changera beaucoup dans son rapport au monde.