L’évolution de ce trait tendant à s’exagérer expliquerait pourquoi nous ne sommes plus autant poilus
que ne l’étaient nos ancêtres.
Cependant, les hommes ont gardé une certaine pilosité faciale : la barbe. Dans certaines cultures, la
barbe était sacrée et considérée comme un critère de beauté (H. Ellis, 1925). Comme expliqué ci-
dessus, les critères de beauté sur lesquels se fait le choix du partenaire seraient des indicateurs de
supériorité reproductive. Quelle serait donc le message caché de la barbe ? La barbe apparaît chez
les garçons à la puberté, lors de la maturation sexuelle (Darwin, 1871). Elle est corrélée avec le taux
de testostérone de l’homme (N. Neave, K. Shields, 2008). N. Neave et K. Shields (2008) ont mené
une étude sur les effets de la manipulation de la pilosité faciale des hommes sur la perception des
femmes de l’attractivité, la masculinité et la dominance des visages masculins. Ils ont présenté 15
visages masculins, modulés par un logiciel de morphing, avec cinq niveaux de pilosité (glabre, mal
rasé léger, mal rasé franc, barbe légère, barbe franche) à 60 femmes de 18 à 44 ans (âge moyen
21,7). Elles ont ensuite jugé ces visages sur des échelles d’attractivité, de masculinité et de
dominance. Les résultats sont les suivants : une barbe franche produit l’impression d’un individu plus
âgé, masculin, agressif et socialement mature. Le visage jugé le plus dominant est celui de la barbe
légère. Mais concernant l’attractivité sexuelle, et le désir de liaison à court comme à moyen terme, le
morphe choisi est celui « légèrement mal rasé ». En résumé, la barbe ou sa présence légères serait
un bon indicateur pour le choix des femmes. Recherchant un partenaire ayant de « bons gènes » et
susceptible d’apporter des ressources pour subvenir aux besoins de la famille à venir, les femmes
choisiraient donc de préférence les hommes à barbe, ces derniers leur semblant plus aptes que les
hommes glabres à leur apporter ce qu’elles recherchent. L’évolution aurait donc sélectionné ce
morphe masculin afin d’apporter une aide dans le choix des femmes pour un partenaire.
Dans la mythologie, par exemple, de nombreux dieux sont pourvus de longues barbes. Les barbes
des dieux, incarnant la sagesse, pourraient être un indicateur de leur maturité et pouvoir. De même,
les prêtres égyptiens portaient la barbe comme objet de vénération (H. Ellis, 1925). Mais la culture
occidentale d’aujourd’hui semble passer la barbe de mode. Le poil est devenu un ennemi à éradiquer.
Les publicités pour le rasage sont nombreuses et les mannequins affichent un visage glabre. De plus,
les femmes sont considérées plus attractives par les hommes si elles n’ont pas de poils sur le corps.
Nous pourrions faire l’hypothèse que les hommes rasés paraissent plus jeunes, et qu’ils auraient donc
une meilleure fertilité ou seraient plus vigoureux. Ceux-ci auraient plus de succès auprès des femmes
lors de leur choix de partenaire. Il est difficile de comprendre cet effet de la culture qui influence
l’apparence des hommes et des femmes. Peut-on le considérer comme une évolution normale des
morphes ? Ou comme une influence qui va en contresens de l’évolution naturelle de la sélection
sexuelle ? (ce sujet ne fera pas l’objet de ce texte).
Il pourrait y avoir une autre façon d’expliquer la présence de la barbe chez l’homme. Ce caractère
sexuel dimorphique pourrait avoir une autre utilité que celle de la reproduction. Il permettrait
l’identification intra-spécifique du sexe d’un individu (Wallace, 1878 ; Huxley, 1938 ; Mayr, 1963 ;
Selander, 1972 ; Backer and Parker, 1979 cités par M. J. West-Eberhard, 1983). Celui qui porte une
barbe serait reconnu en tant que mâle et celui qui n’en porte pas, comme une femelle. Bien entendu,
les individus ne se limitent pas à un seul caractère pour identifier le sexe d’un autre individu. Cette
perspective est assez limitée car elle ne prend pas en compte l’effet de la culture qui préconise le
rasage de la barbe.
En conclusion, nous constatons que la théorie de la sélection sexuelle selon Darwin (1871) permettrait
d’expliquer la présence de la pilosité faciale chez les hommes à ce jour. La barbe serait donc un
indicateur de maturité et de dominance pour les femmes. En effet, celles-ci recherchent un partenaire
qui leur procure des ressources et de « bons gènes » contribuant à une descendance en bonne santé.
Cependant la culture semble aller dans un tout autre sens en affichant un idéal masculin sans barbe.
De son côté, la femme n’a pas gardé de pilosité faciale car sa nudité est plus appréciée par les
hommes et valorisée par la culture occidentale actuelle qui bannit les poils mêmes dans les endroits
(pubis et aisselles) les plus nécessaires. Ainsi il se pourrait que dans un futur lointain la pilosité faciale
des hommes disparaisse, elle aussi.
Références
Darwin, C. 1859 (1992). L’origine des espèces. Paris : Flammarion