Psychologie comparative des comportements Catherine Brandner !"#$%&'( )*%+&,+-'( 09 Perspective évolutionniste de l’anorexie mentale D’après le texte de Crawford, C.B. (1989). The theory of evolution: of what value to psychology? Journal of Comparative Psychology, 103, 4-22 Mélanie Allain, Licence ès Sciences du sport et de l'éducation physique, mention Enseignement L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire qui se développe dans nos sociétés industrialisées et qui touche principalement les femmes.1 Le DSM-IV-TR définit l’anorexie mentale comme une pathologie qui se caractérise par le refus de garder un poids corporel minimum normal, une peur intense de prendre du poids, une altération significative de la perception de la forme de son propre corps, et une aménorrhée c’est-à-dire l’absence de 3 cycles menstruels minimum entraînant une perte de ses fonctions sexuelles reproductrices.2 Les raisons d’une telle pathologie sont multifactorielles3 et peuvent être abordées de différentes manières selon les domaines spécifiques que recouvre la psychologie. Crawford (1989) développe plusieurs approches distinctes et complémentaires pour étudier la signification de l’anorexie mentale. L’approche socioculturelle nous est la plus familière. Elle pose l’hypothèse que l’anorexie mentale se développe alors que les jeunes femmes recherchent la maigreur pour se conformer aux idéaux de beauté de leur société. Par ailleurs, l’approche évolutionniste part du postulat que les comportements actuels ont évolué en réponse à des conditions ancestrales. La perspective évolutionniste recherche les causes ultimes du comportement c’est-à-dire à comprendre pourquoi un comportement a évolué. Dans le cas de l’anorexie mentale, elle cherche à comprendre à quel comportement normal des populations ancestrales correspond le comportement pathologique actuel de l’anorexie mentale. Alors que la perspective socioculturelle nous est la plus familière, quel est l’intérêt d’adopter une perspective évolutionniste dans l’étude d’un comportement alimentaire comme l’anorexie mentale ? Nous expliquerons deux hypothèses évolutionnistes développées par Crawford (1989) et montrerons leur intérêt dans le domaine de la psychologie. L’hypothèse de la compétition entre femme nécessite de transposer une jeune femme anorexique dans un contexte environnemental pauvre en ressources caractéristique des populations ancestrales. Il y a des millions d’années, le manque de ressources entraînait une forte compétition entre les femmes pour pouvoir survivre et faire survivre sa progéniture. Par conséquent, seules les femmes les plus fortes physiquement et socialement pouvaient survivre dans cet environnement hostile. Cette compétition entre femmes était représentative de la sélection naturelle de Darwin (1859). Dans ce schéma, l’anorexie mentale se propose comme un trait adaptatif de la sélection naturelle. En effet, la perte de poids aurait la fonction de retarder la maturation de la jeune femme. Ce retard pubertaire provoquerait le désintérêt de l’homme puisqu’elle n’est plus fécondable et implicitement réduirait la compétition entre les femmes. Ainsi, la jeune anorexique aurait plus de temps pour se développer socialement et physiquement. En termes de fitness (succès reproducteur), nous pouvons penser que le comportement anorexique à un coût élevé. Cependant, le retard pubertaire maximise la fitness. En effet, le désintérêt des hommes et la baisse de la compétition entre femmes laissent du temps à l’anorexique pour se développer dans le but d’être plus compétitive et de proposer de meilleures ressources à ses futures progénitures. Dans cette perspective évolutionniste, c’est l’hypothèse du retard pubertaire qui est mise en avant. Ceci peut amener à de nouvelles pistes de réflexion quant aux soins à prodiguer aux patientes atteintes d’anorexie mentale aujourd’hui. En effet, l’hypothèse du retard de maturation nous fait T. Léonard, C. Foulon, J-D. Guelfi, Trouble du comportement alimentaire chez l’adulte, EMCPsychatrie 2, 2005, p. 96-127. 2 American psychiatric Association, DSM-IV-TR manuel diagnostique et statistique des troubles ème mentaux, texte révisé par J.-D. Guelfi et al. 4 édition, Paris : Masson, 2000, p. 676. 3 T. Léonard, C. Foulon, J-D. Guelfi, Trouble du comportement alimentaire chez l’adulte, EMCPsychatrie 2, 2005, p. 96-127. 1 réfléchir sur la possibilité de concevoir des thérapeutiques non médicamenteuses basées sur le développement physique et social de l’anorexique. La deuxième hypothèse développée par Crawford (1989) est celle de l’altruisme alimentaire. L’acte altruiste est défini par un comportement qui peut nuire à la survie et la reproduction de sa propre personne au profit d’autres individus.4 Pour comprendre cette hypothèse, il faut transposer les traits caractéristiques de l’anorexique dans l’environnement hostile des populations ancestrales de chasseurs-cueilleurs. Aujourd’hui, l’anorexique est définie comme une personne hyperactive qui manque de confiance en elle. Elle aime faire plaisirs aux autres en leur faisant à manger. Aussi, elle a une tendance à voler et cacher de la nourriture pour la redonner aux autres. Ces caractéristiques, qui aujourd’hui sont pointées du doigt, répondent à un comportement de survie dans l’environnement rude et pauvre en ressources des populations ancestrales. Lors d’intenses famines, le comportement des jeunes anorexiques était un trait adaptatif au milieu. En effet, leur maigre alimentation et leur comportement d’offrande alimentaire leur permettaient de nourrir les plus nécessiteux (enfants et mères) et ainsi participer au maintien de leur survie.5 Cet acte altruiste est bénéfique en termes de fitness inclusive : l’anorexique augmente la fitness de sa parentèle, c’est-à-dire ceux dont elle a une proximité génétique, mais aussi sa fitness individuelle du fait de la proximité génétique avec ceux qu’elle aide. L’intérêt de cette deuxième hypothèse est de mettre en avant le comportement altruiste d’offrande alimentaire qui est un comportement laissé pour compte dans les approches non-évolutionnistes. Ceci permet d’ouvrir des pistes de réflexion quant à la thérapeutique utilisée pour soigner les cas d’anorexie mentale. En effet, nous pourrions réfléchir à des thérapies favorisant ce comportement d’offrande alimentaire pour agir sur la notion de confiance en soi dont les anorexiques souffrent. Avec l’explication de deux hypothèses évolutionnistes, nous avons montré qu’il était intéressant de s’ouvrir à différentes perspectives lors de l’étude d’un comportement pathologique tant sur le point de la compréhension du trouble, que sur la thérapeutique à mettre en place. En effet, la perspective évolutionniste, dans sa recherche des causes ultimes, met en avant d’autres aspects de l’anorexie mentale, permettant de porter la réflexion sur différentes ou nouvelles thérapeutiques. Aussi, l’explication par les causes ultimes est un complément aux approches qui recherchent des causes plus mécanistes de la pathologie mentale. Références Charles B. Crawford, The Theory of Evolution : Of What Value to psychology, Journal of Comparativ psychology 1989, vol. 103, p.4 – 22. T. Léonard, C. Foulon, J-D. Guelfi, Trouble du comportement alimentaire chez l’adulte, EMCPsychatrie 2, 2005, p. 96-127. American psychiatric Association, DSM-IV-TR manuel diagnostique et statistique des troubles ème mentaux, texte révisé par J.-D. Guelfi et al. 4 édition, Paris : Masson, 2000, p. 676. ème Neil A. Campbell, Jane B. Reece, Biologie, Adaptation et révision scientifique de R. Mathieu, 2 Edition, De Boeck, 2004, p.1252. M. Crahay, C. Goffinet, Regard croisé sur l’anorexie, Edition Universitaire de Liège, Liège, 2001, p.99 – 100. La pilosité faciale des hommes expliquée par la sélection sexuelle D’après le texte de Ritchie, M.G. (2007). Sexual selection and speciation. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst., 38, 79-102. Evelyne Antonietti, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option anthropologie clinique et psychopathologie 4 5 Neil A. Campbell, Jane B. Reece, Biologie, Adaptation et révision scientifique de R. Mathieu, 2ème Edition, De Boeck, 2004, p.1252. M. Crahay, C. Goffinet, Regard croisé sur l’anorexie, Edition Universitaire de Liège, Liège, 2001, p.99 – 100. 2 A ce jour, parmi les hommes et les femmes, nous remarquons une grande diversité des morphes. Phénotypiquement, nous constatons des différences : l’homme est plus grand, plus musclé et plus poilu alors que la femme est moins grande, moins musclée et moins poilue que l’homme. Les différences de morphes que l’on peut observer entre les hommes et les femmes sont des dimorphismes sexuels (Darwin, 1871). Ils peuvent porter sur les caractères sexuels primaires, par exemple les organes génitaux, ou sur les caractères sexuels secondaires tels que la pilosité. Concernant la pilosité, excepté celle de la zone pubienne, celle des aisselles et des cheveux, nous notons une différence entre les deux sexes. L’homme est en général plus poilu au niveau du corps que la femme et possède en principe une barbe (il y a cependant des différences interspécifiques) et des sourcils plus fournis. En observant la nature, le cas d’hommes parfaitement glabres et de femmes à barbe est très rare. Il y a des différences de morphes observées entre hommes et femmes qui ne peuvent s’expliquer par la sélection naturelle (Darwin, 1859). Cette sélection naturelle concerne les caractéristiques telles que les morphes, sélectionnées pour conférer au porteur un avantage pour survivre dans son environnement. Pourtant certains morphes, tels que la barbe ou la mâchoire plus carrée de l’homme n’avantagent pas ou plus sa survie dans l’environnement actuel. Alors pourquoi peut-on observer encore aujourd’hui certains de ces morphes parmi les hommes et les femmes s’ils ne résultent pas d’une adaptation à l’environnement ? Le sujet de ce texte porte plus particulièrement sur la pilosité faciale, c’est-à-dire la barbe (la moustache est englobée sous le terme de barbe, il ne sera pas question ici de différenciation) pour tenter de répondre à cette question. D’abord nous allons essayer de comprendre la fonction première des poils puis sa quasi-disparition jusqu’à nos jours. Ensuite nous tenterons de comprendre la pilosité faciale de l’homme qui n’a pas ou peu disparu et elle sera placée dans une perspective de la sélection sexuelle de Darwin pour comprendre sa présence actuelle. Pour finir, nous ferons un lien avec l’effet de notre culture sur la pilosité. Si nos ancêtres étaient velus, comme la plupart des singes, nous pouvons nous imaginer que cela devait être un avantage pour la survie. Les poils protègent la peau et ont une fonction de roulement à billes aux endroits de frottement de la peau. Ceci explique la raison de la présence de poils sur la zone pubienne et sous les aisselles encore aujourd’hui. De plus, les poils sont une protection contre le froid et ont une fonction de transmission d’odeur. Nous pouvons comprendre alors leur avantage en terme de survie en ces temps reculés quand il n’y avait ni vêtements ni crèmes solaires ni parfums. Pourquoi ont-ils alors pratiquement disparu avant que ces accessoires soient inventés ? M. Belt (1874, cité par Darwin, 1871) proposa une explication par le fait que la nudité facilite le repérage de tiques et autres parasites. Cependant cette explication n’explique pas pourquoi l’homme a gardé une certaine pilosité comme la barbe. La théorie de la sélection sexuelle (Darwin, 1871) semble pouvoir apporter une réponse à cette question. La sélection sexuelle concerne la compétition intra-sexe et le choix d’un partenaire pour la reproduction intra-spécifique. Le choix du partenaire se fait sur des critères de « beauté » dépendants du temps et du contexte d’une espèce. Ces critères de beauté sont des morphes qui ont un effet d’attractivité plus ou moins grand sur l’autre sexe. Ils seraient aussi des indicateurs de supériorité reproductive (M. J. West-Eberhard, 1983) ce qui signifie qu’ils seraient liés à de « bons gènes » relatifs à la santé. Par exemple, la queue de paon, jugée sur une échelle d’attractivité par les femelles, est un indicateur de bonne santé et donc de supériorité reproductive. Les femelles recherchent aussi des mâles qui pourront leur apporter sécurité et ressources (nourriture, protection, etc.) lors des soins fournis aux petits. Ainsi les morphes des mâles seraient sélectionnés sexuellement en conférant un avantage dans la reproduction. Les individus porteurs de ces morphes avantageux auront une meilleure reproduction car ils seront plus choisis par les femelles que leurs pairs non-porteurs. En ce qui concerne l’évolution de la pilosité, il semblerait qu’il est apparu à un moment donné une préférence du côté des hommes pour leur choix d’une partenaire femelle moins poilue (Darwin, 1871). Lorsqu’une préférence pour un critère de beauté apparaît, le trait sélectionné sexuellement « moins poilu » tend à s’exagérer (Darwin, 1871 cité par M. J. West-Eberhard, 1983). Ces femmes qui étaient moins poilues et préférées des hommes eurent un plus grand succès reproductif et leur descendance hérita du trait « moins poilu ». A leur tour, la descendance femelle et mâle (le trait peut être hérité par les deux sexes (Darwin, 1871)) fut moins poilue et permis la diffusion du trait dans la population. 3 L’évolution de ce trait tendant à s’exagérer expliquerait pourquoi nous ne sommes plus autant poilus que ne l’étaient nos ancêtres. Cependant, les hommes ont gardé une certaine pilosité faciale : la barbe. Dans certaines cultures, la barbe était sacrée et considérée comme un critère de beauté (H. Ellis, 1925). Comme expliqué cidessus, les critères de beauté sur lesquels se fait le choix du partenaire seraient des indicateurs de supériorité reproductive. Quelle serait donc le message caché de la barbe ? La barbe apparaît chez les garçons à la puberté, lors de la maturation sexuelle (Darwin, 1871). Elle est corrélée avec le taux de testostérone de l’homme (N. Neave, K. Shields, 2008). N. Neave et K. Shields (2008) ont mené une étude sur les effets de la manipulation de la pilosité faciale des hommes sur la perception des femmes de l’attractivité, la masculinité et la dominance des visages masculins. Ils ont présenté 15 visages masculins, modulés par un logiciel de morphing, avec cinq niveaux de pilosité (glabre, mal rasé léger, mal rasé franc, barbe légère, barbe franche) à 60 femmes de 18 à 44 ans (âge moyen 21,7). Elles ont ensuite jugé ces visages sur des échelles d’attractivité, de masculinité et de dominance. Les résultats sont les suivants : une barbe franche produit l’impression d’un individu plus âgé, masculin, agressif et socialement mature. Le visage jugé le plus dominant est celui de la barbe légère. Mais concernant l’attractivité sexuelle, et le désir de liaison à court comme à moyen terme, le morphe choisi est celui « légèrement mal rasé ». En résumé, la barbe ou sa présence légères serait un bon indicateur pour le choix des femmes. Recherchant un partenaire ayant de « bons gènes » et susceptible d’apporter des ressources pour subvenir aux besoins de la famille à venir, les femmes choisiraient donc de préférence les hommes à barbe, ces derniers leur semblant plus aptes que les hommes glabres à leur apporter ce qu’elles recherchent. L’évolution aurait donc sélectionné ce morphe masculin afin d’apporter une aide dans le choix des femmes pour un partenaire. Dans la mythologie, par exemple, de nombreux dieux sont pourvus de longues barbes. Les barbes des dieux, incarnant la sagesse, pourraient être un indicateur de leur maturité et pouvoir. De même, les prêtres égyptiens portaient la barbe comme objet de vénération (H. Ellis, 1925). Mais la culture occidentale d’aujourd’hui semble passer la barbe de mode. Le poil est devenu un ennemi à éradiquer. Les publicités pour le rasage sont nombreuses et les mannequins affichent un visage glabre. De plus, les femmes sont considérées plus attractives par les hommes si elles n’ont pas de poils sur le corps. Nous pourrions faire l’hypothèse que les hommes rasés paraissent plus jeunes, et qu’ils auraient donc une meilleure fertilité ou seraient plus vigoureux. Ceux-ci auraient plus de succès auprès des femmes lors de leur choix de partenaire. Il est difficile de comprendre cet effet de la culture qui influence l’apparence des hommes et des femmes. Peut-on le considérer comme une évolution normale des morphes ? Ou comme une influence qui va en contresens de l’évolution naturelle de la sélection sexuelle ? (ce sujet ne fera pas l’objet de ce texte). Il pourrait y avoir une autre façon d’expliquer la présence de la barbe chez l’homme. Ce caractère sexuel dimorphique pourrait avoir une autre utilité que celle de la reproduction. Il permettrait l’identification intra-spécifique du sexe d’un individu (Wallace, 1878 ; Huxley, 1938 ; Mayr, 1963 ; Selander, 1972 ; Backer and Parker, 1979 cités par M. J. West-Eberhard, 1983). Celui qui porte une barbe serait reconnu en tant que mâle et celui qui n’en porte pas, comme une femelle. Bien entendu, les individus ne se limitent pas à un seul caractère pour identifier le sexe d’un autre individu. Cette perspective est assez limitée car elle ne prend pas en compte l’effet de la culture qui préconise le rasage de la barbe. En conclusion, nous constatons que la théorie de la sélection sexuelle selon Darwin (1871) permettrait d’expliquer la présence de la pilosité faciale chez les hommes à ce jour. La barbe serait donc un indicateur de maturité et de dominance pour les femmes. En effet, celles-ci recherchent un partenaire qui leur procure des ressources et de « bons gènes » contribuant à une descendance en bonne santé. Cependant la culture semble aller dans un tout autre sens en affichant un idéal masculin sans barbe. De son côté, la femme n’a pas gardé de pilosité faciale car sa nudité est plus appréciée par les hommes et valorisée par la culture occidentale actuelle qui bannit les poils mêmes dans les endroits (pubis et aisselles) les plus nécessaires. Ainsi il se pourrait que dans un futur lointain la pilosité faciale des hommes disparaisse, elle aussi. Références Darwin, C. 1859 (1992). L’origine des espèces. Paris : Flammarion 4 ème Darwin, C. 1871 (1999). La Filiation de l’Homme et la sélection liée au sexe (3 ed). Paris : Syllepse. Ellis, H., (1925). Etudes de psychologie sexuelle - IV : la sélection sexuelle chez l’homme : Toucher – Odorat – Ouïe – Vision. Paris : Mercure de France. Neave, N., K., Shields, (2008). The effects of facial hair manipulation on female perceptions of attractiveness, masculinity, and dominance in male faces. Personality and Individual Differences, 45, 5, 373-377 West-Eberhard, MJ. (1983). Sexual selection, social competition, and speciation. The Quarterly Review of Biology. 58(2):155-183. La perception visuelle: Contexte naturel et dispositif expérimental D’après le texte de Rosenthal, G.G. (2007). Spatiotemporal dimensions of visual signals in animal communication. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst., 38, 155-178. Gabrielle Baechler, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie expérimentale La perception visuelle comprend plusieurs processus tels l’attention, la détection du mouvement, de la forme et de la texture ou encore la segmentation de l’image. Rosenthal et al, 2007, font part de la prépondérance du processus de sélection de l’image dans la perception visuelle de nombreux animaux. D’après Schaaf et al, 1998, qui ont étudié ce mécanisme chez les macaques, la sélection visuelle interviendrait de manière précoce dans la chaîne de traitement du stimulus visuel. A partir de ces énoncés, se formule la problématique suivante: le processus de sélection visuelle se manifeste-t-il de manière précoce chez le rat qui effectue une tâche expérimentale de reconnaissance d’objets? Pour y répondre, il s’agit d’abord de définir les concepts de perception et de reconnaissance. D’après Donnadieu et al, 2006, la perception visuelle désigne l’ensemble des processus qui permettent à l’homme et à de nombreux animaux de prendre connaissance du monde qui les entoure; elle s’opère sur la base des informations que le système visuel transmet à partir des signaux de l’environnement. Quant à la reconnaissance visuelle, elle définit une identification de l’objet à partir d’une représentation mentale mise en parallèle avec la perception réelle; elle constitue donc une particularité de la perception. A ce titre, on peut supposer que la reconnaissance visuelle dispose d’une partie des processus compris dans la perception et notamment le processus de sélection visuel dont il est question dans cet exposé. Afin d’expliquer l’action et l’intervention précoce du processus de sélection dans la perception visuelle, il convient de faire un bref survol sur le codage de l’information visuelle. Selon Rosenthal et al, 2007, l’information des signaux visuels est encodée dans des patterns spatiotemporels qui comprennent des variations de couleurs, de formes et d’intensité à travers le temps et l’espace. La composante spatiale peut se présenter dans des variations morphologiques (pelage, plumage...) alors que la composante temporelle comporte des changements d’orientation ou de posture. Ces dimensions s’expriment en même temps et exercent deux grands rôles dans la communication animale: se protéger des prédateurs, tel lors du camouflage ou se faire voir, à l’exemple de la parade nuptiale. Ces deux fonctions prépondérantes semblent donc requérir la présence d’un mécanisme perceptif de sélection précoce. Selon ce point de vue et suivant Rosenthal et al, 2007, ce processus de sélection précoce est prépondérant dans le milieu naturel. Un exemple nous est fourni par les grands ongulés: pour ce genre de mammifères, les stimuli qu’ils perçoivent précocement sont situés sur le plan horizontal en raison de l’attaque présumée de leurs prédateurs qui se déroule sur une ligne horizontale. Un autre exemple nous est donné par les petits rongeurs qui sélectionneraient les stimuli verticaux car leurs prédateurs sont souvent aériens et fondent sur eux en suivant une ligne verticale. Ainsi, dans ces deux cas, une sélection visuelle précoce assure la survie. La recherche expérimentale, qui s’est intéressée à cet aspect du traitement de l’information visuelle, a pu déterminer que ce processus de sélection précoce est opérée dans le cortex visuel primaire. Selon Rosenthal et al, 2007, de simples cellules dans le cortex visuel primaire de macaques présentent 5 différentes réponses aléatoires qui révèlent des combinaisons spécifiques entre l’orientation du stimulus, sa fréquence spatiale et sa vitesse. Reprenant cette étude, van Hateren et van der Schaaf, 1998, ont renforcé l’hypothèse que de simples cellules corticales produisent une représentation des images naturelles. De plus, ils ont démontré que les réponses de ces cellules de V1 n’étaient pas aléatoires mais qu’elles correspondaient fidèlement aux images naturelles et à leurs différents positionnements et défilements dans l’environnement. Pour ces auteurs, un tel découpage de scènes naturelles est probablement le reflet d’un processus de sélection rigoureux afin que les animaux puissent agir et réagir de manière optimale dans des contextes particuliers. De même Parraga et al, 2002, ont montré que des sujets humains étaient capables de choisir visuellement des fruits mûrs dans un milieu complexe; cette tâche écologique spécifique révèle ainsi la sensibilité sélective du système visuel chez l’homme. Ces différents éclairages permettent de revenir à la problématique de départ et de définir le dispositif expérimental afin de trouver une réponse adéquate à la question posée. A cet effet, la reconnaissance d’objets testée chez le rat est effectuée dans une arène dans laquelle sont disposés plusieurs objets. L’animal va explorer une première fois cet environnement. Puis un des objets sera déplacé. A la suite, le rat est invité à explorer une deuxième fois l’arène pour repérer l’objet qui a été déplacé. La mesure portera sur la rapidité à laquelle le rat va identifier cet objet en comparaison des autres objets. Seul le facteur visuel est analysé; les autres variables sensorielles, telle l’olfaction, par exemple ne sont donc pas prises en compte. Au vu de ce qui a été énoncé dans ce texte, on peut supposer que le rat va repérer l’objet en question au moyen du processus de sélection visuelle présent à la fois, selon l’hypothèse émise, dans la perception et dans la reconnaissance visuelles. En effet, comme il est postulé par Rosenthal et al, 2007, que les rongeurs sont capables de sélectionner des stimuli saillants dans leur environnement, il est présumé que les rats qui sont des rongeurs seront dotés de ce même processus sélectif. De plus, toujours selon ces auteurs et pour répondre à la problématique posée, ce mécanisme sélectif, intervenant très tôt dans le traitement des signaux visuels chez les rongeurs, on peut postuler qu’il pourrait aussi agir de manière précoce chez le rat lors de la tâche de reconnaissance d’objets. Références Rosenthal, G. (2007). Spatiotemporal Dimensions of Visual Signals in Animal Communication. The Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 38, 155-178. Ionescu, S. et Blanchet, A. (2006). Psychologie cognitive et bases neurophysiologiques du fonctionnement cognitif. Paris: Dunod. Van Hateren, J.H. et Van der Schaaf, A. (1998) Independent component filters of natural images compared with simple cells in primary visual cortex. Proc. R. Soc. London, Ser. B 265:359-66. L'adaptation au milieu marginal, un principe fondamental dans l'évolution? D’après le texte de Kawecki, T.J. (2008). Adaptation to marginal habitats. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst., 39, 321-342. Justin Baudraz, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychopathologie et anthropologie clinique L'article sur l'adaptation aux habitats marginaux (Kawecki. 2008) va nous permettre de nous questionner sur l'interaction entre le génotype et l'environnement dans le contexte spécifique de l'habitat marginal, lieu dans lequel une espèce évolue sans qu'elle y soit parfaitement adaptée, et dans la place qu'il peut avoir pour l'explication du mécanisme d'évolution de l'espèce au sens le plus large. Dans un premier temps, nous aborderons cette interaction dans le cadre de la théorie évolutionniste et de la sélection naturelle. Ceci va par la suite ouvrir sur la question des différents milieux possibles et sur la notion de niche écologique, qui est le lieu d'adaptation ultime de l'espèce, pour, enfin, en venir à l'habitat marginal qui nous permettra de comprendre plus finement les mécanismes de l'évolution à travers le temps. Le concept principal qui sous-tend la notion d'évolution est celui de l'adaptation qui stipule que les espèces évoluent en fonction de leur environnement. Ce mécanisme résulte d'une interaction entre le 6 génotype et l'environnement par la sélection naturelle, le résultat fonctionnel effectif étant le phénotype. En des termes plus simples, le phénotype est la forme de l'individu, ses caractéristiques visibles internes ou externes telles la forme du corps ou la configuration du circuit digestif. Tandis que le génotype assure directement la continuité de l'espèce à travers les générations, le phénotype l'assure de façon pratique, fonctionnelle en offrant à l'individu la possibilité de vivre et de se reproduire. Il y a donc une architecture (génotype) et une fonction (phénotype) qui est le fruit de l'adaptation. Le sens de l'évolution est donné par la sélection des caractères à travers le nombre de descendants de l'individu. C'est la survivance de la structure (gène) qui est déterminante. Dans ce cadre de sélection, il faut aborder le principe de la fitness, celle-ci est le calcul de l'expansion possible du gène dans la population: Fitness = n descendants/n parents. Ainsi, si la fitness est supérieure à 1, le gène augmente en fréquence, dans le cas inverse, il tend à disparaître. Il faut donc penser la génétique à un niveau démographique à travers l'idée de la force de la sélection naturelle, qui va se manifester entre autres à travers l'expansion ou la diminution de la population dans un lieu donné. Ainsi, lorsqu'il y a une diminution démographique la sélection sera forte car peu d'individus arriveront à se reproduire et beaucoup seront laissés de côté, alors qu'en cas d'expansion, la plupart des individus transmettront leurs gènes. En effet, la sélection engendre l'adaptation et cette dernière permet une expansion démographique car la majorité des individus ont suffisamment de caractères permettant la survie et la reproduction dans le milieu donné. Nous touchons ici au principe de niche écologique: elle représente l'ensemble des adaptations fonctionnelles triées par la sélection naturelle, laquelle garantit l'adéquation des organismes à leur environnement. (Delord. 2008). Plus qu'un lieu géographique c'est un lieu biologique. Il représente l'univers particulier d'une espèce, peuplé de végétaux, d'animaux et de caractères géographiques propres. Plus précisément, deux espèces vivant dans un même lieu ne partagent pas la même niche. Par exemple, le chevreuil et le lynx boréal sont des animaux de forêt, les espèces sont proches, il y a des interactions entre eux au travers de la chasse, le chevreuil étant un gibier du lynx. Néanmoins la niche n'est pas la même, ce n'est pas la forêt en soi car, bien qu'ils fassent réciproquement partie la niche de l'autre, ils n'y ont pas la même place. Si l'on prend la qualité des végétaux, elle est particulièrement importante pour le chevreuil, mais n'a pas la même valeur pour le lynx, ses variations n'ayant que des effets indirects pour sa survie. Ainsi la niche est une place particulière à une espèce dans un écosystème dans laquelle la sélection naturelle est au plus faible car les espèces y sont parfaitement adaptées, et donc, d'un point de vue démographique, elle est le lieu où il y a une expansion. Il est très important de constater cela dans la mesure où cette expansion joue un rôle dans la théorie de l'adaptation à un habitat marginal et à fortiori dans une forme de constance de l'évolution. Pour cela il faut observer la théorie de l'évolution à travers le temps. On considère en effet que l'évolution passe par une alternance de deux phases mais ne s'arrête jamais. La première est dite lente, l'espèce évolue, mais dans une temporalité très longue. La seconde est dite rapide, par rapport à la première la temporalité, elle est bien plus brève, c'est une forme de pic d'adaptation. Il y a donc une évolution constante mais pas régulière. Ainsi, il faut se demander de quelle manière ces alternances apparaissent. On en revient à l'interaction entre l'espèce et son environnement, c’est-àdire que la phase lente est un moment où il n'y a pas de changements environnementaux majeurs, dans ce cas, la sélection est au plus faible car l'espèce bénéficie de sa niche. La phase rapide est, elle, à mettre en lien avec des changements environnementaux qui vont transformer ou anéantir la niche et qui vont renforcer la sélection car les individus ne seront plus parfaitement adaptés à leur milieu. (les changements ne sont pas uniquement liés à des facteurs climatiques, l'arrivée d'une nouvelle espèce dans le biotope est suffisante pour ébranler un résidant. Par exemple l'arrivée de l'écureuil gris en Angleterre a causé la disparition de l'écureuil roux, dans ce cas il faut penser à la compétition entre deux espèces qui partagent la même niche.). C'est ici que la question posée apparaît clairement: de quelle façon une évolution lente est-elle possible s’il n'y a pas une transformation de la niche? A priori cela ne semble pas raisonnable car, en un premier temps, la sélection est tellement faible qu'il est possible de la considérer comme inexistante. De plus, si l'adaptation est parfaitement réussie, ce qui est une condition dans le principe de la niche, dans quelle direction une évolution pourrait se faire? Or, les observations ne révèlent pas une évolution continue et des adaptations possibles à un nouveau milieu. Il faut ici aborder le principe 7 de mutation, il est la transformation d'un gène de façon aléatoire. Ainsi, lors de la reproduction des gènes sont transmis au descendant à travers un mécanisme de transcription et, dans le cas de la reproduction sexuée, de couplage de deux génotypes. Durant cette phase il y a des erreurs de transcription qui peuvent se produire de façon aléatoire, c'est ce mécanisme qui est une des causes de la variation des gènes et de l'apparition de nouveaux caractères. Si l'on additionne les variations génétiques, on constate que la somme, la variance génétique, est positivement corrélée avec la taille de la population. Sachant que c'est dans cette variation que l'on va trouver le plus grand nombre de gènes avec des caractéristiques diverses, plus la variation est grande plus les chances de trouver un gène possédant une fonction nouvelle est grand. C'est donc la population au sein de la niche qui, de par sa densité et diversité, a le plus de chance de posséder le gène adapté à un environnement marginal en son sein. Il faut donc constater que la population de la niche dispose de grandes ressources pour une adaptation. Malgré tout, cela n'explique pas la direction qu'une évolution prendrait lors d'une situation où la niche se maintient. Dans ce contexte, la notion d'habitat marginal apparaît comme pouvant donner une direction à une évolution malgré une stabilité de la niche. Si l'on revient à l'expansion démographique au sein de la niche, il faut constater qu'une fois la densité maximale atteinte, certains individus n'y trouveront plus leur place, ce qui conduit donc soit à la mort de certains individus, s’ils ne peuvent pas émigrer comme par exemple dans le cas d'habitants d'une île, ou à l'émigration. En cas d'émigration il y a deux hypothèses; soit l'individu part retrouver un endroit symétrique à la niche, ce qui serait l'idéal pour sa survie, soit il doit s'accommoder d'un environnement auquel il n'est pas adapté, c'est l'habitat marginal, et sur un long terme cette dernière situation survient forcément. La définition de l'habitat marginal repose principalement sur la démographie qui, dans ce cas, est négative. La population étant inadaptée, elle se reproduit avec peine. Dès lors, ce milieu serait la clé de la constance d'une évolution et de la direction qu'elle pourrait prendre. Lorsque l'espèce est confrontée à ce nouveau milieu, la fitness y est inférieur à 1, la population n'est donc pas capable de se maintenir. En revanche, cette dernière est constamment pourvue en migrants nouveaux n'ayant pas de place dans la niche, ainsi la population est maintenue artificiellement. A priori il est possible de se dire qu'il n'y a pas d'adaptation possible à cause de ces migrants qui charrient constamment des gènes adaptés à la niche et qui ne laissent donc pas de place à la sélection d'un gène adapté car ce dernier ne peut pas être sélectionné car il est continuellement noyé dans le flux génétique amené par les migrants. Or il se trouve que cela n'est pas le cas. Si l'on reprend les notions développées plus haut de diversité génétique et de population, on observe que la niche est en fait capable de fournir de nombreux allèles qui peuvent être déjà adaptés et qui pourront être sélectionnés dans cette zone particulière. Cela s'observe entre autres avec les plantes résistantes aux métaux lourds, le gène est déjà présent à l'origine mais n'est pas sélectionné. Ainsi, c'est lorsque l'espèce se retrouve confrontée à l'environnement spécifique que le tri est fait. L'habitat marginal n'est donc qu'une zone de tri et non d'apparition du gène. Une autre question est comment ce gène a la possibilité de se développer au sein de la population. En fait, dès que la fitness est supérieure a 1, la présence du gène augmentera. Le problème est par contre de savoir s’il y aura spéciation ou non. Il faut donc déterminer s’il y a une migration de l'habitat marginal en direction de la niche. Si l'on se base sur des considérations démographiques, on a tendance à penser que la migration est unilatérale et va du centre vers l'extérieur, or si l'on se base sur des considérations comportementales, on constate que l'individu aura toujours tendance à chercher un environnement ressemblant à la niche. Ainsi il faut considérer que la migration va dans les deux sens. Le gène sélectionné dans l'habitat marginal a donc de fortes chances de se retrouver dans la niche. Pour cela, il faut, bien entendu, qu'il n'y ait pas d'isolement géographique. S’il y a effectivement une interaction migratoire bilatérale, le problème est de savoir si le gène n'est pas inadapté à la niche originelle, car s’il l'est, la tendance serait sur un long terme à la spéciation ou alors, plus probablement, a une stagnation de l'évolution (le gène adapté à l'habitat marginal ne peut pas se répandre dans la niche tandis que le gène original le noie à travers l'afflux de migrants.). Cette considération n'est valable que dans le cas où la niche est stable, lors de sa disparition le gène adapté prendra le dessus. Si par contre le gène adapté à l'habitat marginal se révèle aussi adapté à la niche, il faut considérer l'habitat marginal comme une zone de sélection particulière qui entraînera une dérive génétique favorable à l'augmentation du gène dans la 8 population globale. Ainsi, sur une longue durée, le gène pourra devenir dominant au sein de la population de la source elle-même et donc la faire évoluer. Ce qui est intéressant ici est l'idée que, malgré la stabilité de la niche, une adaptation est possible dans la direction d'un élargissement de cette dernière. En effet, la seule adaptation qui ne stagnera effectivement pas est lorsqu'un gène est adapté à la fois au milieu marginal et à la niche. Les caractères sélectionnés sont donc moins spécifiques à un environnement que les originaux. Cela montre donc une tendance générale de l'adaptation à une forme de « de-spécification » qui conduit à un agrandissement de la niche. D'ailleurs, ces adaptations générales sont très compétitives. À l'exemple des suidés (cochons, sangliers, etc.), il faut voir dans leur non-spécification alimentaire un avantage compétitif notoire qui permet de disposer d'une niche écologique très vaste. L'espèce rentre en compétition avec un très grand nombre d'espèces spécialisées tout en ayant le fort avantage des diverses solutions qu'elle aura pour subvenir à ses besoins. Il ne faut donc en aucun cas voir la nonspécialisation comme un caractère « archaïque » mais le fruit d'une adaptation réussie, l'espèce étant très peu vulnérable. Enfin, l'habitat marginal permet d'expliquer l'alternance entre phases évolutives lentes et rapides en relation avec le rapport démographique entre la population de la niche et de l'habitat marginal. Lorsque la population de la niche est très forte comparée à celle de l'habitat marginal, si un gène est sélectionné, le temps pour qu'il se transmette à la majorité de la population sera très long car son avantage compétitif est restreint à une zone insignifiante. Par contre, si la balance démographique évolue, que la niche rétrécit et que l'habitat marginal s'élargit, le gène aura à la fois plus de facilité à se transmettre à l'intégralité de la population. Par ailleurs, dans ce cas, il aura aussi un avantage compétitif clair. Ainsi sa prégnance augmentera et il se transmettra plus rapidement à l'intégralité de la population. Il faut voir ces renversements démographiques en corrélation avec les changements environnementaux propres à la phase d'adaptation rapide. Il y a donc une évolution constante, influencée par les habitats marginaux de l'espèce, et des pics évolutifs, dont la dynamique est donnée par un changement de rapports démographiques entre la niche et l'habitat marginal. Références Chaline J. (2006). Quoi de neuf depuis Darwin?. Paris : Ellipses. Delord J. (2008). Écologie et évolution. In. L'évolution des concepts fondateurs de la biologie du XXIème siècle. Dir. Miquel P. E., Vincent R. Bruxelles : De Boeck. Kawecki T. J. (2008). Adaptation to marginal habitats. Annu. Rev. Ecol. Evol., 39, 321-342. Réflexions sur la prévalence masculine de l’autisme dans la perspective de la sélection sexuelle. D’après les textes de Geary, D.C. (2002). Sexual selection and sex differences in social cognition. In A. V. McGillicuddy-De Lisi & R. De Lisi (Eds.), Biology, society, and behavior: The development of sex differences in cognition (pp. 23-53). Greenwich, CT. Ablex, Greenwood. Nathalie Bennani, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie de la santé De nombreuses études montrent qu’il existe sur le plan cognitif et comportemental des différences entre hommes et femmes (concernant surtout le langage, les émotions, les habiletés spatiales), ce qui laisse supposer l’existence de différences anatomiques et fonctionnelles entre le cerveau masculin et le cerveau féminin.(Cahill, 2009). Ces variations liées au sexe auraient également une influence sur la sensibilité des hommes et des femmes à certaines pathologies cérébrales (Cahill, 2009) comme l’autisme par exemple dont la prévalence est de quatre garçons pour une fille (Jamain, 2003). La théorie de la sélection sexuelle fournit un cadre pour comprendre l’existence de ce dimorphisme sexuel (au niveau physique, cognitif et comportemental) de part l’avantage qu’il confère aux hommes et aux femmes en terme de stratégies de reproduction. (Geary, 2002). Selon Geary(2002), dans les sociétés humaines ces stratégies sont aussi influencées par des critères d’ordre social, culturel et écologique. En ce qui concerne les femmes, les stratégies de reproduction consistent à créer une communauté socialement stable pour élever leurs enfants. Pour parvenir à leurs objectifs, les femmes doivent être 9 capables de gérer de nombreuses relations dyadiques (avec leurs enfants, leur partenaire sexuel et d’autres personnes encore pour maintenir un réseau d’aide). Ces interactions dyadiques nécessitent l’élaboration de compétences cognitives sociales telles que le langage, le comportement non verbal, le décodage des expressions faciales. Ces compétences seraient donc supérieures chez les femmes (Geary, 2002). Les stratégies masculines de reproduction consistant surtout en la compétition pour l’accès aux partenaires sexuelles souvent sur un territoire très étendu, les hommes ont développé des compétences pour la lutte physique et des compétences spatiales supérieures à celles des femmes. Les compétences sociocognitives des femmes, en particulier le décodage des expressions faciales étant supérieures à celles des hommes selon Geary (2002), l’on pourrait se demander si elles peuvent constituer un facteur de moins grande vulnérabilité des filles à l’autisme. Pour étayer cette hypothèse, il s’agira dans un premier temps de définir l’autisme puis de vérifier empiriquement que les femmes ont en effet des compétences supérieures à celles des hommes dans le décodage des expressions faciales. Enfin, nous nous intéresserons à la susceptibilité génétique de ces compétences et nous verrons dans quelle mesure elle pourrait avoir une influence sur la prévalence de l’autisme. Définition de l’autisme L’autisme est souvent défini comme une pathologie neuropsychiatrique se caractérisant par un dysfonctionnement de l’intelligence sociale, ou cognition sociale, c'est-à-dire « de la perception du traitement des signaux sociaux et des représentations des états mentaux (pensée, intention, désirs, croyances) » (Thomassin, 2007). Le diagnostic de l’autisme se fait sur l’observation de symptômes comportementaux caractérisés par une perturbation des interactions sociales et de la capacité à communiquer associée à des activités stéréotypées. (Chamak & Cohen, 2003). Des études cliniques montrent les difficultés des enfants autistes à donner du sens aux émotions faciales dès les premiers mois de la vie , plus précisément, ils identifieraient les émotions non pas de façon intuitive, globale et rapide mais par un examen minutieux et lent (Plumet, 2005). Compétences des femmes dans la cognition sociale Rosenthal et ses collaborateurs (1979, cités par Geary, 2002) ont mis au point un test (PONS) mesurant la sensibilité des individus aux indices émotionnels non verbaux d’autrui. Le test consistait à regarder un film contenant plus de deux cents segments de comportement non verbal (dont les expressions verbales). Des milliers de personnes ont passé ce test (hommes, femmes, enfants) et ce dans de nombreux pays. Les filles et les femmes ont obtenu de meilleurs résultats que les garçons et les hommes (deux tiers des filles et des femmes dépassant les garçons ou les hommes moyens). Il est intéressant à noter que les performances des hommes s’amélioraient pour le décodage d’expressions faciales de colère émises par d’autres hommes, (Buck et al. , cités par Geary,2002) ce qui va dans le sens de l’hypothèse de Geary selon laquelle les compétences cognitives sont le reflet des stratégies de reproduction. De plus, au niveau développemental, deux études montrent l’intérêt très précoce des filles pour les signaux (stimuli) sociaux. Haviland et Maltesta (1981, cités par Geary, 2002) ont remarqué que les filles établissent et maintiennent davantage le contact visuel que les garçons dès l’âge d’un jour. Baron-Cohen et ses étudiants (2002, cités par Cahill, 2009) ont filmé dans une maternité des nouveaux-nés auxquels ils ont présenté le visage d’une étudiante ou un mobile coloré constitué d’une mosaïque de traits ayant la forme et la taille du visage humain. Les petites filles passaient plus de temps à regarder le visage humain et les garçons le mobile. Dès leur naissance, les filles seraient plus sensibles aux indices sociaux de leur environnement et les garçons aux indices physiques (formes géométriques). (Geary, 2002). Analyse génétique Il faut préciser dans ce contexte que le sexe est un marquage chromosomique, XX pour les femmes, XY pour les hommes. De nombreuses observations suggèrent l’existence d’une prédisposition génétique à l’autisme. A l’heure actuelle, aucun gène majeur n’a été identifié et les chercheurs ne disposent que de gènes« candidats », c’est à dire associés de manière récurrente au syndrome autistique. (Jamain, 2003). L’on constate par exemple une augmentation de l’incidence de l’autisme chez les filles ayant 10 un syndrome de Turner(X0). Si les filles turnériennes reçoivent leur unique X de leur mère, elles sont plus touchées par l’autisme (Jamain, 2003). D’autre part, parmi les filles turnériennes non autistes, celles qui reçoivent leur X de leur père ont de meilleurs résultats à des tests d’aptitudes sociocognitives (comparables à ceux de garçons normaux) que celles qui reçoivent le X de leur mère (Skuse et al., 1997, cités par Geary, 2002). Ces résultats laissent supposer sur le chromosome X la présence d’un gène soumis à l’empreinte parentale (c'està-dire qui s’exprime différemment selon qu’il provient du père ou de la mère) impliqué dans le développement et l’expression de certaines compétences sociocognitives (dont la capacité à décoder les signaux de communication non verbaux) (Geary, 2002). Selon Jamain (2003), ce gène pourrait jouer un rôle dans la prévalence masculine à l’autisme. En conclusion, l’on peut dire que les meilleures compétences très précoces des filles concernant le traitement des expressions faciales pourraient être un facteur expliquant la moindre vulnérabilité des filles à l’autisme. La prise en compte des différences cognitives sexuelles permet une analyse plus approfondie des mécanismes cognitifs et peut offrir au domaine de la psychopathologie des pistes de recherche intéressantes concernant les maladies comme l’autisme dont la grande hétérogénéité des symptômes comportementaux rend la thérapie très complexe. Références Cahill, L. (2009).Cerveau masculin cerveau féminin. Cerveau & psycho, 34,62-68. Chamak,B. & Cohen, D. (2003). L’autisme: vers une nécessaire révolution. Médecine et science, 19 ,(11), 1152-1159. Geary, D. C. (2002). Sexual selection and sex differences in social cognition. In A. V. McGillicuddy-De Lisi & R. De Lisi (Eds). Biology, society, and behavior : The development of sex differences in cognition (pp. 23-53). Greenwich, CT : Ablex/Greenwood. Jamain, S. et al. (2003) La génétique de l’autisme. Médecine et Sciences. 19, (11), 1081-1090. Plumet, M-H. (2005). L’énigme de l’autisme : nouvelles pistes. Sciences humaines, 164,42-44. Thomassin, V. (2007). Théorie de l’esprit et lobe frontal. Thèse de doctorat : neuropsychologie. Ecole doctorale d’Angers. La prévalence des femmes en soins palliatifs peut-elle s’expliquer par l’histoire évolutive de notre espèce ? D’après l’article de Bjorklund, D.F., and Kipp, K. (1996). Parental Investment Theory and Gender Differences in the Evolution of Inhibition Mechanisms. Psychological Bulletin, 120(2), 163-188. Valérie Chabloz, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie de la santé Les soins palliatifs sont généralement définis comme des soins prodigués dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie chronique ou évolutive. L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et autres symptômes quand les soins thérapeutiques ne suffisent plus, mais également de considérer la souffrance psychologique, sociale et spirituelle des patients. Actuellement, les soins palliatifs sont au centre des préoccupations politiques. En effet, de plus en plus de personnes en fin de vie auront besoin d’une assistance accrue en raison de l’allongement de l’espérance de vie et de l’augmentation des maladies chroniques évolutives. (Binder et Von Warthung, 2009). Par conséquent, on peut s’attendre à une augmentation massive des besoins en personnel soignant jusqu’en 2020. (Binder et Von Warthung, 2009). Face à cette pénurie attendue de soignants, des stratégies de recrutement s’imposent et ceci d’autant plus que la profession n’attire presque que des femmes. En effet, en 2005, l’Office Fédéral de la Statistique (2009) recense, en Suisse, 3169 infirmières pour seulement 412 infirmiers ainsi que 1044 aides-soignantes pour 66 aides-soignants. On peut supposer que ces chiffres sont transposables aux équipes de soins palliatifs, celles-ci étant composées principalement d’infirmières et d’aides-soignantes. C’est précisément sur cette surreprésentativité féminine que porte ce travail. Une hypothèse formulée par Bjorklund et Kipp (1996) servira de point d’appui pour expliquer, dans une perspective évolutionniste, une cause possible de la 11 prévalence féminine dans les services de soins palliatifs. En se basant sur la théorie de l’investissement parental, (Trivers, 1972), Bjorklund et Kipp (1996) postulent que les femmes « préhistoriques » auraient été soumises à de plus grandes pressions que les hommes pour inhiber certaines réponses inadaptées d’ordre émotionnel, social et sexuel ce qui aurait eu comme effet d’augmenter leurs capacités d’inhibition (surtout dans les tâches sociales et sexuelles). Dans un premier temps, il s’agira de démontrer, selon l’hypothèse de Bjorklund et Kipp (1996), pourquoi les femmes auraient développé de meilleures capacités d’inhibition que les hommes. Pour ce faire, la théorie de l’investissement parental (Trivers, 1972, cité par Bjorklund et Kipp) sera brièvement expliquée, puis il s’agira d’étudier les pressions à l’œuvre sur les femmes préhistoriques ainsi que leurs conséquences. Dans un deuxième temps, le concept d’inhibition sera défini. Nous verrons que celui-ci semble être commun à de nombreuses disciplines et qu’il n’est pas aisé d’en dégager une conception unique. Dans un troisième temps, il s’agira d’analyser si les qualités nécessaires à la pratique d’un soignant en soins palliatifs relèvent du mécanisme d’inhibition. Selon Bjorklund et Kipp (1996), pour mettre en évidence des différences sexuelles dans les capacités d’inhibition, il est nécessaire de se référer au concept de sélection sexuelle et plus particulièrement à la théorie de l’investissement parental (Trivers, 1972, cité par Bjorklund et Kipp). L’investissement parental représente le temps et l’énergie investis dans l’élevage des jeunes ainsi que les risques encourus par les parents pour les protéger. Chez les mammifères, le coût énergétique de la gestation et de la lactation étant beaucoup plus important que celui de la « spermatogenèse » et de la copulation la femelle investira davantage dans sa progéniture alors que, le mâle privilégiera plutôt la recherche d’un grand nombre de partenaires. (Campbell et Reece, 2007). Selon Bjorklund et Kipp (1996), ces différentes stratégies reproductives impliqueraient de plus grandes pressions sur les femmes « préhistoriques » que chez les hommes pour inhiber certaines réponses inappropriées. En effet, pouvoir bénéficier des ressources dispensées par les hommes impliquerait pour la femme « préhistorique » de maintenir l’intérêt du mâle sur elle. Cette pression aurait donc contraint la femme préhistorique à inhiber certaines réponses inappropriées, par exemple inhiber son intérêt pour un autre homme ou maintenir cet intérêt caché. Le fait d’assumer seule l’éducation de ses enfants aurait représenté une autre pression pour la femme préhistorique (Bjorklund et Kipp, 1996). Il semble que cette contrainte aurait conduit la femme préhistorique à inhiber son désir de faire passer ses propres besoins avant ceux de ses enfants. Pour Bjorklund et Kipp (1996), les femmes « préhistoriques » auraient d’abord développé des capacités d’inhibition liées au domaine sexuel (pour garder l’intérêt de l’homme sur elle) et social (pour assumer l’éducation des enfants) puis ces compétences se seraient étendues progressivement à d’autres domaines. Selon une perspective évolutionniste, ces capacités d’inhibition, respectant les 3 principes de la sélection naturelle (elles doivent varier, être héréditaires, augmenter la survie ou la reproduction) auraient été sélectionnées par l’évolution puis transmises de génération en génération. Il apparaît dans la littérature que définir le concept d’inhibition se révèle être très complexe. « L'inhibition étant observée à plusieurs niveaux du système nerveux, des neurones au comportement, il est très difficile d'en dégager une conception unique » (Boujon, 2002). Pour Fuster et Luria (cités par Bjorklund et Kipp, 1996) l’inhibition serait une capacité du système cognitif qui semblerait dépendre de l’activation du cortex préfrontal situé dans la partie antérieure du lobe frontal. Selon Donjean (2009), l’inhibition est le plus souvent définie comme « le processus qui nous permet de supprimer, différer ou éviter une réponse prédominante préalablement activée ». Boujon (2002) le considère comme étant un puissant système de contrôle. Tandis que pour Berthoz (cité par Houndé, 1999) il est le « principal mécanisme de l’apprentissage sensorimoteur », « l’un des mécanismes fondamentaux de la production du mouvement ». La dernière partie de cet exposé vise à démontrer qu’un soignant en soins palliatifs doit faire preuve de compétences d’inhibition pour assumer au mieux sa tâche. En soins palliatifs, les soignants ne peuvent plus se retrancher derrière un objectif de guérison. Face aux patients en fin de vie, les objectifs principaux sont la prise en charge somatique et l’accompagnement relationnel. Une première qualité, citée dans la littérature, indispensable au bon déroulement de l’accompagnement relationnel est la disponibilité. Lorsque Broca (2005) évoque l’importance de la disponibilité chez le soignant, il insiste sur l’attention accordée au patient. « Ce n’est pas tant la technicité du soin que la nécessaire 12 vigilance de tous les instants pour que le moindre geste soit réellement un geste de soin ». (Broca, p.102). Une autre compétence indispensable à la prise en charge des patients en fin de vie est le contrôle émotionnel. Selon Sordes-Adler, Esparbès-Pistre, Tap (1997) cela impliquerait de la part du sujet de « canaliser » ses émotions, de ne « pas « paniquer ». En soins palliatifs, la précision du geste est extrêmement importante. En effet, bien que l’essentiel du travail avec des patients en fin de vie soit relationnel, il est absolument nécessaire que les soignants fassent preuve d’une grande rigueur et d’une pratique efficace impliquant des gestes précis. « Nous devons accorder une place tout aussi importante à la composante instrumentale de ce rôle (techniques de soins, traitement) afin d’assurer le confort et la sécurité du malade. » (Foucault, 2004, p.13). En se référant aux quelques éléments de littérature cités précédemment définissant le mécanisme d’inhibition, on constate que les qualités attendues de la part de l’infirmier(e) pour effectuer sa tâche de soins sont étroitement liées aux capacités d’inhibition. En effet, la disponibilité est reliée à l’attention (Broca, 2005) alors que selon Boujon (2002) « L’inhibition intervient dans tout contexte ou situation nouvelle qui nécessite de l’attention ». Le contrôle émotionnel fait intervenir la notion de contrôle qui pour Boujon (2002) est inhérent au mécanisme d’inhibition. Quant à la précision des gestes nécessaires selon Foucault (2004) à la prise en charge somatique, elle peut être reliée à la définition de l’inhibition de Berthoz (cité par Houndé, 1999) : « un des mécanismes fondamentaux de la production du mouvement ». Il semblerait que le mécanisme d’inhibition intervienne dans trois des compétences indispensables à la pratique du soignant en soins palliatifs (disponibilité, gestes précis, contrôle émotionnel). Cette constatation peut conduire à formuler le postulat suivant : les femmes auraient de meilleures capacités d’inhibition que les hommes, elles seraient donc avantagées dans leur fonction de soignantes en soins palliatifs, ce qui pourrait expliquer leur prévalence dans ce secteur de soins. Références Abiven, M. (1997, 2004). Pour une mort plus humaine. Paris : Masson Binder J., & Von Warthung L. (2009). Office Fédéral de la santé publique (OFSP) et conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS). Editeurs OFSP et CDS. Bjorklund, D-F. & Kipp, K. (1996). Parental Investment Theory and Gender Differences in the Evolution of Inhibition Mechanisms. Psychological Bulletin, 120, (2), 163-188. Boujon, C. (2002) L'Inhibition au carrefour des neurosciences et des sciences de la cognition : fonctionnement normal et pathologique. Marseille : Solal De Broca, A. (2005). Douleurs, Soins Palliatifs, Deuils. Paris : Masson. Campbell N. & Reece J. (2007). Biologie. Paris : Editions du Renouveau Pédagogique Inc. Donjean, C. (2009). Une nouvelle mesure du contrôle de l’inhibition chez les jeunes enfants. European Journal of Psychological Assessment ; 25 (2) Foucault, C. (2004). L’art de soigner en soins palliatifs : perspectives infirmières. Quebec : Les presses de l’Université de Montréal. Houndé, O. (1999). Attention sélective, développement cognitif et contrôle inhibiteur de l’information. In G. Netchine-Grynberg (Ed). Développement et fonctionnement cognitif : vers une intégration. (pp. 181-195). Paris : PUF. OFS : http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index.html Sordes-Ader F., Esparbès-Pistre S. & Tap P. (1997) Adaptation et stratégie de coping à l’adolescence. Revue de Recherches en Education. 20 (131-154). Plasticité phénotypique et plasticité cérébrale D’après le texte de Dukas, R. (2004). Evolutionary biology of animal cognition. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst., 35, 347-374. Camille Chavan, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie expérimentale L’auteur de l’article sur lequel se base ce travail (Dukas, 2004) propose une approche de la cognition animale. Plus précisément, il s’intéresse à l’évolution phylogénétique et ontogénétique de certains 13 traits cognitifs. Dans cet article, la cognition est définie comme l’ensemble des processus neuronaux impliqués dans l’acquisition, la rétention et l’utilisation de l’information. Par conséquence, les traits cognitifs étudiés sont la perception, l’apprentissage, la mémoire à long terme, la mémoire de travail, l’attention et la prise de décision. L’auteur propose aussi une étude de la variation de ces traits cognitifs en fonction des contraintes environnementales. Il s’intéresse à la notion de plasticité phénotypique. Dans ce travail, nous tentons, à partir de la notion de plasticité phénotypique, d’éclairer les mécanismes de la plasticité cérébrale. Puis, afin d’apporter une dimension plus concrète, nous prenons l’exemple de l’héminégligence, une pathologie dont les techniques de réadaptation sont fondées sur le mécanisme de plasticité cérébrale. Le génotype d’un organisme est défini comme sa constitution génétique (Campbell, 1995). Le phénotype rend compte de ses caractéristiques observables, c’est le produit d’une interaction entre le génotype et l’environnement. Pour un génotype donné, il peut exister plusieurs phénotypes, c’est ce que l’on nomme la « norme de réaction » (Dukas, 2004). Cette norme de réaction possède plusieurs propriétés, dont celles de pouvoir évoluer et s’adapter. La plasticité phénotypique est définie comme « la capacité d’un seul génotype à produire plus d’une forme alternative de morphologie, d’un état physiologique et/ou d’un comportement en réponse aux conditions environnementales. » (West-Eberhard, 1989, cité par Bertrand et al. 2003). Prenons comme exemple la couleur des fleurs d’hortensias. (Campbell, 2005). Pour des fleurs de même variété génétique (à génotype égal), on remarque que le phénotype « couleur » varie du rose au bleu en fonction de l’acidité du sol. La revue de littérature qui sert de base à ce travail (Dukas, 2004), relate plusieurs expériences permettant d’illustrer les effets de la plasticité. L’une d’entre elles est une tâche de discrimination tactile effectuée avec un seul doigt par un singe adulte (Recanzone et al. 1992, cités par Dukas, 2004). Après plusieurs semaines d’entraînement, le cortex est exploré. On remarque que «les zones recevant les informations des doigts «sur-utilisés» sont plus larges que chez les témoins, et qu’elles se sont étendues par rapport à celles recevant des informations des doigts qui ne sont pas impliqués dans la tâche (…). » (Bear, Connor & Paradiso, 2007, p.410). Dans ce cas, l’on assiste à une réorganisation des réseaux neuronaux du cortex moteur suite à un apprentissage, afin de permettre à l’organisme de s’adapter aux nouvelles contraintes environnementales. Cette expérience met en évidence un mécanisme de plasticité appliqué au cerveau, ce qui nous permet d’introduire la notion de plasticité cérébrale. La plasticité cérébrale traduit l’ensemble des manifestations permettant aux réseaux neuronaux de se modifier, se remodeler suite à tout nouvel apprentissage. C’est un mécanisme continu, qui se produit sans arrêt et qui permet à l’individu de s’adapter à toute nouvelle expérience et d’en conserver une trace. Afin de comprendre comment le phénomène de plasticité cérébrale se manifeste chez l’être humain, prenons l’exemple de la négligence spatiale unilatérale (ou héminégligence). Ce syndrome, le plus souvent observé suite à un accident vasculaire cérébral, traduit l’incapacité de réagir à ou de traiter des stimuli sensoriels présentés dans l’hémichamp controlatéral à la lésion (Kerkhoff & Rossetti, 2006). Comme c’est l’hémisphère droit qui est le plus souvent atteint, la personne souffrant d’héminégligence ne prendra pas en compte toute la moitié gauche de son univers. Précisons encore que ce syndrome ne peut être « diagnostiqué » que si le patient ne souffre pas d’un trouble moteur ou sensoriel primaire. Plusieurs méthodes ont été mises au point afin d’aider la personne à compenser ce déficit, mais nous n'en aborderons qu’une : le port de lunettes prismatiques. Bien que la plupart des effets de l’héminégligence se dissipent avec le temps, d’autres se chronicisent et handicapent la vie quotidienne de la personne cérébro-lésée. Les mesures réadaptatives comme le port de lunettes dont le verre est taillé spécialement afin d’induire un biais latéral d’attention spatiale de 10 degrés vers la droite (Saevarsson, Kristjansson, Hildebrandt & Halsband, 2008), permettent d’atténuer les effets chroniques de l’atteinte cérébrale en induisant une exploration plus importante de l’espace gauche. 14 La technique de rééducation citée ci-dessus met en évidence des phénomènes de plasticité cérébrale. Comme son attention est déplacée vers la droite, le sujet à d’abord de la peine à s’orienter. Par exemple si l’examinateur lui demande de saisir un objet, il devra s’y prendre à plusieurs reprises avant de pouvoir l’atteindre. La distorsion visuelle imposée par les prismes oblige le sujet à réapprendre à s’orienter dans l’espace qui l’entoure. Les réseaux neuronaux vont donc se modifier afin d’intégrer cette nouvelle situation et permettre au sujet d’évoluer plus aisément. Donc afin de palier aux effets de cette déviation vers la droite, le cerveau va en quelque sorte compenser la distorsion en déplaçant l’attention de l’individu vers la gauche. Ce déplacement de l’attention est conservé par la suite, même lorsque le sujet ôte ses lunettes, et lui permet une exploration plus importante de son hémichamp gauche. Références ème Bear M.F., Connors B.W., Paradiso M.A. (3 édition), (2007). Neurosciences, à la découverte du cerveau. (A. Nieoullon, trad.). Noisy-le-Grand : Editions Pradel. (Edition originale 2006). Bertrand C., Franquet E., Fayolle S., & Cazaubon A. (2003). Une nouvelle approche de la biodiversité : plasticité morphologique chez une diatomée d’eau douce. Comptes Rendus de Biologie, 326, 107-120. Campbell N.A. (3ème edition), (1995). Biology. (R. Mathieu, trad.). Bruxelles: De Boeck. (Edition originale 1993). Dukas R. (2004). Evolutionary biology of animal cognition. Annual Review of Ecology, Evolution and Systematics, 35, 347-374. Kerkhoff G., Rossetti Y. (2006). Plasticity in spatial neglect – Recovery and rehabilitation. Restorative Neurology and Neuroscience,24, 201-206. Saevarsson S., Kristjansson A.,Hildebrandt H., Halsband U. (2009). Prism adaptation improves visual search in hemispatial neglect. Neuropsychologia, 47, 717-725. Coopérer – manipuler D’après le texte de Srevens, J.R. et al. (2005). Evolving the psychological mechanisms for cooperation. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst., 36, 499-518. Dominique Courbat, Maîtrise universitaire ès Lettres, Philosophie Introduction La démarche philosophique en général et éthique en particulier peut questionner la Psychologie clinique, entre autres à propos des jeux et enjeux de pouvoirs dont la relation thérapeutique est la scène. Ainsi: comment débusquer l’éthique à l’œuvre dans l’«infiniment proche et le presque immédiat»6de la rencontre entre deux individus en situation de thérapie ? Quelles variables seraient à même de fournir des indices de ce processus ? L’étude comparée du comportement de coopération constitue l’occasion d’une première approche de cette question sous la forme d’une tentative – naïve – de mots croisés entre les termes de l’éthologie en général, de l’évolutionnisme en particulier et ceux d’une éthique envisagée comme un appel à lancer « au vif du sujet ». Cette première approche, d’une question à une autre, se déroule en quatre temps : On verra tout d’abord que la question de la filiation entre l’homme et l’animal posée par Darwin (1859) il y a 150 ans est loin d’être liquidée. Ne faut-il pas y voir des restes tenaces de « blessures narcissiques », autrement dit de résistance à l’abandon du privilège de l’anthropocentrisme ? On verra deux illustrations de l’actualité de cette question : l’une issue de la psychologie cognitive évolutionniste (Stevens & al., 2005), l’autre de la proposition épistémologique formulée par l’éthologue Jean-Marie Vidal. Ce premier pas servira de point d’appui pour poursuivre avec la tentative d’une lecture de la relation thérapeutique en termes darwiniens, à savoir d’enjeux pour la survie et de balance coûts – bénéfices. Une hypothèse sera alors avancée : la relation thérapeutique serait à la fois un comportement de coopération (régi par mécanisme de Sélection Naturelle) et un artifice 6 Billeter, 2006, p. 14 15 humain (une forme de Sélection Artificielle, autrement dit de manipulation). C’est ensuite par une approche éthique que cette hypothèse sera questionnée. Sera alors proposée l’idée d’une pratique thérapeutique sous la forme d’un « laisser agir sur fond d’incertitude ». La conclusion proposera des pistes d’observation hic et nunc de cette pratique à l’œuvre en chaque individu. On verra comment cette pratique peut être qualifiée d’éthique et fournir des informations quant aux (en)jeux de pouvoir à l’œuvre dans toute rencontre entre êtres humains. 150 ans après Darwin Observant l’impact des artifices humains sur les plantes et les animaux, Darwin (1859) s’est demandé si une même forme d’influence n’était pas à l’œuvre – sans intention – dans la Nature. Rappeler l’origine de cette intuition pour la Théorie de la Sélection Naturelle, c’est aussi questionner son champ de validité, ses limites d’application à l’espèce humaine. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la question d’un « saut » qualitatif et / ou quantitatif entre l’homme et l’animal reste d’actualité ? L’article de Stevens & al. (2005) fournit une illustration de l’actualité de cette question dans le champ de la psychologie cognitive évolutionniste : pour les auteurs de cet article, les mécanismes psychologiques impliqués dans les comportements de coopération ont atteint chez l’homme un degré d’élaboration tel qu’il nécessite de considérer l’espèce humaine à part des autres espèces animales : prenant le point de vue de l’humain, les auteurs considèrent que sa faculté de mémorisation exceptionnelle, alliée aux délais temporels et aux identifications qu’impliquent la complexité de ses pratiques (action, relation) en font une espèce à part : ces éléments exercent des contraintes cognitives sur l’implémentation des comportements, contraintes devant être examinées à part des pressions exercées par la Sélection Naturelle (Stevens & al., 2005, p. 512). L’éthologue Jean-Marie Vidal (1992) quant à lui adopte une position épistémologique tranchée elle aussi : selon lui, il faut distinguer l’évolution des organismes et celle des psychismes. Il ne réfute bien sûr pas la continuité évolutive des organismes ; mais au niveau psychique, la structure langagière et la notion d’altérité marquent un saut (qualitatif) entre homo sapiens sapiens et ses ancêtres animaux. N’y a-t-il pas dans cette prise de position pour une rupture dans la filiation entre l’homme et l’animal des réminiscences de dualisme et d’anthropocentrisme ? A distinguer psychisme et organisme la position de Vidal ne reproduit-elle pas un dualisme corps – esprit ? Le psychisme échapperait-t-il donc au codage génétique et aux contraintes environnementales ? En outre, la grille d’analyse cognitive de Stevens & al. (2005) ne prend-elle pas pour fondement un présupposé anthropocentriste ? En effet, c’est à partir des facultés cognitives telles que décrites chez l’homme que les comportements de coopération sont étudiés, y compris chez l’animal (graphique, p.512, par exemple). C’est supposer que l’humain est le détenteur exclusif de mécanismes cognitifs hautement élaborés, outillage abouti dont l’animal ne posséderait que des ébauches plus ou moins complexes. Ne risque-t-on pas, à s’y prendre ainsi, de passer à côté de spécificités animales ignorées de nous, animaux humains ? de plus, c’est opérer un glissement – qui reste implicite – depuis des données scientifiques partielles vers l’application d’un jugement de valeur, ce qui n’est pas le rôle de la démarche scientifique. Quel impact ces remarques ont-elles sur l’objet de réflexion choisi, à savoir la relation thérapeutique ? Concernant le dualisme : la complexité des mécanismes psychiques impliqués dans la situation thérapeutique n’en fait pas – comme on le verra - une situation à part les lois du vivant. Elle n’échappe pas aux pressions exercées par la Sélection Naturelle. Et à propos de l’anthropocentrisme : envisager la relation thérapeutique, dans les termes de l’éthologie, comme un comportement de coopération, à savoir comme un « comportement qui procure un bénéfice à un individu autre que celui qui coopère »7. Ces éléments engagent à poursuivre dans la direction d’une tentative de lecture darwinienne de la relation thérapeutique. Coopération et artifice Un patient est un individu dont la souffrance peut être définie soit en termes de déficit d’adaptation à l’environnement dans lequel il évolue, soit en termes de déficit de fitness personnelle (valeur de survie et de reproduction en termes de viabilité et fécondité éprouvée et/ou évaluées par lui-même et/ou par un congénère comme déficitaires ou compromises). Il peut être comparé à un animal blessé, souvent 7 Stevens & al. (2005), p. 500 (traduction personnelle). 16 agressif, violent et /ou isolé qui avance en territoire (psychique, environnemental) précaire, aux limites incertaines ou étriquées. Le thérapeute quant à lui assure sa subsistance en exerçant une activité lucrative, outillé de ses compétences concernant le fonctionnement « psychologique » de ses congénères. Ainsi décrite, la relation thérapeutique fait se rencontrer deux individus dont l’un est dominant, l’autre dominé : elle est asymétrique en termes de fitness (thérapeute : sain > patient : malade) et d’enjeux pour la survie (patient : santé > thérapeute : porte-monnaie). La relation thérapeutique n’est pas qu’un comportement de coopération au sens de l’éthologie : une de ses spécificités est d’être formalisée par un « contrat thérapeutique » que les deux congénères s’engagent à respecter. Des conditions-cadres (spatio-temporelles, honoraires, setting, etc.), des objectifs de traitement officialisent leur intention commune et explicite : renforcer la fitness (santé) du patient par la poursuite d’objectifs de traitement. En ce sens formel et contractuel, cette situation de er coopération est le fruit d’un artifice humain au sens 1 de sa définition : « qui est le produit de 8 l’habileté humaine et non celui de la nature » . Homo sapiens sapiens a développé cette puissante faculté : il peut faire usage d’artifices à propos du vivant en général et de ses semblables en particulier. En ce sens, la question de l’abus qui peut en être fait concerne chaque être humain. On peut alors avancer l’hypothèse suivante : la relation thérapeutique est doublement régie, par des mécanismes propres à la sélection naturelle (sans intention) et par une forme consentie de sélection artificielle9 (qui vise un but). Elle constitue une forme d’artifice humain ou de manipulation, ce qui n’est pas scandaleux, mais vaut d’être considéré explicitement. Cette manipulation n’est de plus pas l’apanage du seul thérapeute (les patients peuvent user de « leur » maladie comme d’un outil de manipulation) mais concerne le rapport que chacun entretient avec lui-même et ses semblables. Incertitude et vide d’intention Un double mécanisme serait donc à l’œuvre dans la relation thérapeutique : deux congénères en comportement de coopération et deux êtres humains usant d’artifices, autrement dit deux êtres humains sujets/objets de manipulation. Que nous apprend l’éthique à ce sujet ? Suivant le professionnel de l’éthique clinique Jean-François Malherbe (2001 ; 2007), la manipulation est une forme de meurtre, puisqu’elle réduit un sujet au statut d’objet. C’est par la pratique du dialogue que le vivant n’est pas tué, dialogue qui s’appuie sur une ignorance socratique : homo sapiens sapiens est l’homme qui sait qu’il ne sait pas totalement qui il est, qui il est appelé à devenir. L’outil fondamental de cet accouchement perpétuel est ainsi, plus que la manipulation (nécessaire pour un temps sous la forme de l’objectivation et distincte de l’objectification qui se suffit du sujet – objet), l’incertitude. Une autre piste de réflexion au sujet du rapport entre Sélection Naturelle et Sélection Artificielle nous est fournie par le philosophe chinois (IVe siècle avant notre ère) TchouangTseu, éclairé par le philosophe et sinologue Jean François Billeter (2006) : pour lui « l’activité intentionnelle et consciente, spécifiquement humaine, est source d’erreur, d’échec d’épuisement et de mort. L’activité entière, nécessaire et spontanée, qu’elle soit le fait d’un animal ou d’un homme supérieurement exercé, est au contraire source d’efficacité, de vie et de renouvellement. »10. Le passage entre ces deux « régimes d’activité » (qui va de l’inférieur, propre aux humains vers le supérieur, commun à toutes les espèces animales) est caractérisé par l’entrée en action de facultés, ressources et forces que nous ne connaissions pas et qu’il s’agit de « laisser agir »11. C’est donc lorsqu’elle est vide d’intention que l’action est la plus efficace. Ainsi, deux éléments apparaissent : l’homme sain – viable et fécond – si l’on suit Malherbe (2001 ; 2007) sait reconnaître sa part d’ignorance et agir dans la conscience de son incertitude. Et, avec Le Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. (1984). Paris : Dictionnaire Le Robert. 9 Ainsi définie : « la sélection artificielle est orientée par une volonté humaine conformément à un dessein préalable, à un calcul, une intention. Elle est finalisée par des considérations transcendantes à son propre processus. » (Tort (1996), p. 3889) 8 10 11 Billeter (2006), pp. 52 - 53 Billeter (2006), p. 57. 17 Tchouang-Tseu (Billeter, 2006) l’action efficace revêt la forme d’un « laisser agir » ou « vide d’intention ». Conclusion La pratique d’un «laisser agir» sur fond d’incertitude peut paraître paradoxale dans le cadre thérapeutique. Mais chaque être humain – thérapeute ou pas - n’éprouve-t-il pas quotidiennement cette énigme qu’il constitue ? L’ignorer est une possibilité. L’examiner en est une autre, qui peut se révéler instructive, d’autant plus pour les partenaires de la relation thérapeutique : une attention portée à tout ce qui se déroule à l’insu des intentions explicites de cette coopération «artificielle» constitue une démarche de connaissance et d’interrogation : qu’est-ce qu’ «être un humain» ? Entre agir et être agi, quel est le domaine de pertinence propre à l’exercice des pouvoirs de cet être humain ? Questions à adresser à la réalité tangible de l’infiniment proche et du presque immédiat, mais comment ? Le psychiatre Christophe André (2009) propose par exemple l’étude de « l’état d’âme », en tant qu’il est un « carrefour, chambre d’écho, à l’interface entre le dehors et le dedans, entre le corps et l’esprit, entre hier et demain, entre nos pulsions et notre culture, entre nous et les autres. » Les états d’âme sont des conjonctions de données physiques, biographiques, relationnelles, mentales qui influencent grandement notre vécu. Christophe André propose ainsi à ses patients des temps de «méditation de pleine conscience» : s’y pratique un «retrait» permettant l’observation du déferlement des états d’âme. Une telle pratique suspend le passage à l’acte de l’artifice et éclaire du même coup une expression première du sujet vivant. Elle enrichit et assouplit les accès aux régimes d’activité vides d’intention relevés par Billeter à propos de l’enseignement du Tchouang-Tseu. Autrement dit, prêter un œil à ses états d’âme permet de constater, voire d’ajuster le rapport qu’entretient l’être humain avec ses pouvoirs. Une foison d’indices pourrait à chacun constituer une variable opérationnalisable : Par exemple : les rythmes du corps (respiratoires, cardiaques, débit vocal, gestuelle, etc.) informent de l’état de peur (vigilance) ou de tranquillité (confiance); un danger pour la survie est signalé par l’amorce (même infime) de la fuite (retrait) ou de l’attaque (défi); la dynamique de l’approche (apprivoisement) est régulée par l’attrait (désir) et par la répulsion (dégoût). Dans le contexte de la relation thérapeutique, il n’est pas pertinent d’isoler ces variables ou de les ème étudier à la 3 personne, sous peine d’aboutir à une nouvelle morale, « charte éthique » (deux termes antinomiques) ou code déontologique. Par contre, la pratique d’une plongée dans l’énigme foisonnante du hic et nunc peut être l’occasion d’une instruction à la fois « naturelle » et éthique : l’être humain est à la fois objet et sujet de mécanismes de pouvoirs. La question générale « qu’est-ce que je fais de mes mains » vaut d’être posée. La question plus précise également : qu’est-ce que je manipule? Comment je manipule? A quelles fins? Références André, C. (2009). Les états d’âme : un apprentissage de la sérénité. Paris : Odile Jacob. Baumard, N. (?). Une Théorie naturaliste et mutualiste de morale. Ecole des hautes études en Sciences Sociales. Thèse de Doctorat, dirigée par Sperber, D. Billeter, J.F. (2006). Leçons sur Tchouang-Tseu. Paris : Editions Allia. Clavien, C., & El-Bez, C. (Eds.). (2007). Morale et évolution biologique, entre déterminisme et liberté. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes. Darwin, C. (2008). L’origine des espèces. Paris : Flammarion. (Edition originale: 1859). Dugatkin, L.A. (1997). The Evolution of Cooperation : Four paths to the evolution and maintenance of cooperative behavior. Bioscience, 47 (6), 355 – 362. Malherbe, J.-F. (2001). Déjouer l’interdit de penser. Essais d’éthique critique. 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Mate retention in marriage : further evidence of the reliability of the mate retention inventory. Personality and Individual Differences, 39, 415-425. Shackelford, T.K et al. (2005). Universal dimensions of human mate preferences. Personality and Individual Differences, 39, 447-458. Miller, L.C. et al. (2002). Men’s and women’s mating preferences : distinct evolutionary mechanisms? Current Directions In Psychological Science, 3, 88-93 Buss, D.M. (2001). Cognitive Biases and Emotional Wisdom in the Evolution of Conflict Between the Sexes. Current Directions In Psychological Science, 10, 219-223 Céline Favrod, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie expérimentale Dans notre culture, le choix d’un partenaire semble essentiellement gouverné par les sentiments et en particulier le sentiment amoureux. On peut alors se demander dans quelle mesure ce sentiment est suffisant pour assurer une relation de couple saine et durable et si les aspirations sont les mêmes pour les hommes et les femmes. Nos choix sont-ils guidés par la théorie de l’évolution ? En quoi les choix masculins et féminins sont-ils différents et peut-on expliquer ces différences du point de vue de l’évolution ? En travaillant dans ce sens, Shackelford et collègues (2005b) ont montré que les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes valeurs lorsqu’il s’agit de choisir un partenaire pour une relation à long terme. Les femmes semblent attribuer plus de valeur au statut, aux ressources, à la fiabilité/ stabilité, à l’éducation et à l’intelligence de leur partenaire que les hommes. Les hommes, quant à eux, semblent attribuer plus de valeur à l’amour, à la beauté, à la santé et au désir d’un foyer de leur partenaire que les femmes. Le fait que ces différences se retrouvent dans toutes les cultures étudiées, semble indiquer que leurs racines sont à chercher dans l’évolution et les mécanismes de la sélection sexuelle. La perspective évolutionniste adoptée par les auteurs (Shackelford et collègues, 2005b) cherche à expliquer en quoi le fait de préférer un partenaire pouvant offrir plus de ressources que les autres individus est un avantage en termes de descendance et de propagation des gènes. Cette discussion n’a pas pour objectif de remettre en question les concepts de base de l’évolution, mais de montrer que les explications du type évolutionniste ne sont pas suffisantes pour expliquer toutes les différences. En effet, en parallèle à l’évolution biologique dont traite la théorie de Darwin (L’origine des espèces, 1859), qui est une évolution génétique lente, il y a une évolution culturelle rapide se faisant par apprentissage. L’évolution culturelle se base sur des comportements pouvant être appris ou copiés sans être influencés par un polymorphisme génétique. (Chapuisat, 2007). Cette discussion a pour but de montrer qu’il est important d’inclure des arguments culturels dans les explications des différences observées entre les sexes. Pour ce faire, nous allons traiter des différences observées dans le choix d’un partenaire à long terme et également dans les stratégies utilisées pour le maintient du couple. Concernant les préférences pour le choix du partenaire, Shackelford et collègues (2005b), ont identifié quatre dimensions universelles. I. « Amour vs. Statut/Ressources ». Cette dimension constitue une sorte de compromis psychologique entre l’amour mutuel (style de relation en communion) et la recherche d’un partenaire pouvant apporter des ressources au couple. II. « Fiabilité/Stabilité vs. Beauté/Santé ». Cette dimension représente un compromis psychologique entre le fait de choisir une personne ayant une personnalité stable ou de préférer l’apparence physique. III. « Education/Intelligence vs. Désir d’un foyer/d’enfants ». Cette dimension constitue un compromis psychologique entre des facteurs éducationnels et les préoccupations familiales. IV. « Sociabilité vs. Religion similaire ». Cette dernière dimension constitue un compromis psychologique entre la préférence pour quelqu’un de sociable et la préférence pour une personne « religieusement compatible ». 19 Cette étude se base sur une base de données importante (Buss, 1989) comportant 9809 individus mesurés dans 37 pays répartis sur les 5 continents. Shackelford et collègues (2005b) observent des différences significatives entre les hommes et les femmes pour les trois premières dimensions. Globalement, les femmes accordent plus de valeur au Statut/Ressources, à la Fiabilité/ Stabilité et à l’Education/Intelligence dans le choix d’un partenaire pour une relation à long terme que les hommes. Les hommes quant à eux, accordent plus de valeur à l’Amour, la Beauté/Santé et Désir d’un foyer/d’Enfants que les femmes. Concernant la différence observée pour la première dimension « Amour vs. Statut/Ressources », cette valorisation des femmes pour des partenaires ayant un statut élevé et des ressources financières a été observée dans plusieurs études. (Voir Buss (2003) et Okami & Shackelford (2001)). Shackelford et collègues (2005b) nous offrent une explication évolutionniste : il s’agit de comprendre en quoi le fait, pour une femme, de préférer un partenaire pouvant offrir plus de ressources que les autres individus masculins est un avantage en termes de fitness et de propagation de ses gènes. Cette question peut paraître triviale à première vue, car un mâle ayant les capacités d’apporter plus de nourriture à ses descendants va pouvoir avoir plus de descendants en bonne santé et ainsi une propagation des gènes plus importante. La fitness des femelles capables de repérer un tel avantage chez un partenaire, va donc être augmentée. C’est pourquoi, selon Shackelford et collègues (2005b), les femmes valorisent autant la capacité des hommes à apporter des ressources pour la famille. Miller et collègues (2002) étudiant à leur tour la préférence des femmes pour des hommes ayant plus de ressources que les autres individus, montrent que cette différence est influencée par le pouvoir économique des femmes qui est, dans la plupart des cultures, nettement inférieur à celui des hommes. Ils se réfèrent à l’étude de Eagly & Wood (1999) qui a montré que la différence entre les hommes et les femmes concernant la dimension « Amour vs. Statut/Ressources » était plus importante dans les cultures où les femmes ont moins de pouvoir et que, par contre cette différence avait tendance à disparaître dans les cultures où le pouvoir économique était distribué de manière équivalente entre les sexes. Miller et collègues (2002) remettent ainsi en cause les explications évolutionnistes de Shackelford et collègues (2005b). Miller et collègues (2002) continuent leur argumentation en se basant sur le fait qu’en tant qu’espèce sociale, l’Homme n’a pas les mêmes contraintes que les autres espèces. Ils utilisent l’hypothèse des chasseurs-cueilleurs qui vivaient en groupe. Selon cette hypothèse, à l’intérieur des groupes, les ressources étaient partagées de manière équivalente entre tous les membres. Les hommes ne présentaient alors pas de différence entre eux concernant les ressources à offrir à leurs descendants. Il est donc peu probable, selon cette hypothèse, que les ressources d’un homme soient à la base du choix de celui-ci comme partenaire. Suite à cela, il semble important d’inclure des explications plus culturelles à la différence observée entre les sexes, concernant le choix du partenaire dans une relation à long terme. Pour Buss (2001), des différences entre sexes issues de l’évolution sont également présentes dans les comportements de maintient du couple. En effet, selon Buss, le couple est une entité fragile et son maintien par chacun des partenaires semble répondre à des intérêts différents. Par exemple, en termes de fitness, la femme doit garder les ressources de son partenaire pour élever ses enfants. Quant à l’homme, il doit éviter de s’investir pour des enfants qui ne seraient pas les siens et doit donc empêcher l’infidélité de sa partenaire. Shackelford et collègues (2005a) ont montré que les hommes et les femmes mettaient en place des comportements de préservation du couple. Des tactiques telles que la monopolisation du temps du partenaire, le fait de montrer à l’entourage, par des signes physiques ou oraux que le/la partenaire n’est pas disponible, la manipulation émotionnelle, le soin apporté à sa propre apparence et quatorze autre tactiques permettent de prévenir l’infidélité du partenaire. Shackelford et collègues (2005a) soulignent que ces comportements influencent souvent négativement le « bonheur » conjugal et sont influencés par des facteurs extérieurs. Par exemple pour les hommes, de tels comportements seront plus fréquents si le partenaire masculin perçoit dans sa partenaire une grande valeur de reproduction. Buss (2001) explique l’apparition de tels comportements de jalousie par la présence de biais cognitifs consistant à surinterpréter des signes d’infidélité. Il propose la théorie de la gestion de l’erreur («Error Management Theory») qui nous dit que lorsque nous faisons une inférence il existe deux types d’erreurs possibles, les faux positifs et les faux négatifs. Ces deux erreurs n’ont pas les mêmes 20 conséquences en termes de coûts et bénéfice. En accord avec la théorie de l’évolution, la théorie de la gestion de l’erreur nous dit que nous avons évolué en faisant les inférences dont les erreurs sont les moins coûteuses. Ces biais cognitifs sont issus de l’asymétrie des conséquences des inférences sociales et peuvent être prédis. Par exemple lorsqu’il y a des signes pouvant conduire à une inférence du type «mon partenaire m’est infidèle», il est plus coûteux de faire une fausse inférence en pensant « mon partenaire est fidèle» alors que le partenaire est infidèle que de faire une fausse inférence en pensant « mon partenaire est infidèle » alors que ce n’est pas le cas. En effet dans le premier cas, il y a un risque pour le partenaire masculin de s’investir pour l’éducation d’un enfant qui n’est pas le sien. En termes de fitness, cette conséquence est catastrophique puisque les gènes du mâle ne seront pas transmis. Dans le deuxième cas, le risque principal est la rupture ce qui est moins important en termes de fitness puisque le mâle aura encore toutes ces ressources pour s’investir dans une nouvelle relation et avoir une descendance génétique. Comme l’indique l’exemple, la direction et le degré du biais va dépendre de facteurs tels que le contexte comme par exemple le nombre de rivaux et le sexe du partenaire. Buss (2001) souligne que ces biais cognitifs ont évolué différemment pour les hommes et les femmes car les contextes et conséquences ne sont pas les mêmes. En effet, afin de maximiser leur fitness, les hommes doivent se protéger d’un éventuel investissement pour une descendance ne portant pas leurs gènes, alors que les femmes doivent se protéger contre la perte des ressources du partenaire afin de pouvoir subvenir aux besoins des petits. C’est pourquoi, les hommes devraient être plus vigilants aux indices d’infidélités sexuelles de leur partenaire qu’aux indices d’infidélités émotives. Par exemple, dans le cas où sa partenaire serait amoureuse d’un autre homme, ce dernier pourrait alors subvenir aux besoins des enfants ce qui permettrait alors au partenaire ayant subit la rupture d’investir ses ressources pour une nouvelle descendance. Toujours en termes de fitness, pour les hommes, l’infidélité émotive a donc moins de conséquences négatives que l’infidélité sexuelle. Par contre, pour les femmes, il est moins coûteux d’avoir un partenaire infidèle au niveau sexuel qu’au niveau émotif, puisque la perte des ressources est plus importante dans ce dernier cas. Cette hypothèse a été testée par Buss et collègues, et ils ont effectivement trouvé des différences entre hommes et femmes. Cependant, une nouvelle fois, Miller et collègues (2002) remettent en questions les explications évolutionnistes de Buss (Buss et Schmitt, 1993) en se référant à deux études indépendantes (Harris and Christenfeld, 1996 ; DeSteno and Salovey, 1996) qui suggèrent que les résultats de Buss provenaient d’artefacts comme par exemple dû au fait qu’un type d’infidélité est plus fortement signalé dans un des deux groupes. Ces deux études montrent de manière indépendante que les signes d’infidélité, provoquent la jalousie et affectent les hommes et les femmes de manière similaire. Cette discussion nous a permis de discuter de quelques différences entre les hommes et les femmes en tant que partenaires dans une relation à long terme. Miller et collègues (2002) nous disent que prétendre que les hommes et les femmes ont évolué de manière distincte en termes de stratégie sexuelle semble avoir « contaminé » la culture populaire, alors qu’en psychologie c’est un débat en cours. Nous avons vu que les explications évolutionnistes ne suffisent pas toujours et qu’il est important d’inclure des explications culturelles afin de mieux comprendre ces différences. Références Buss, D.M., (1989), Sex différences in human mate préférences : Evolutionary hypothèses rested in 37 cultures, Behavioral and BrainSciences, 1-49. Buss, D.M., (2001), Cognitive biases and emotional wisdom in the évolution of conflict between the sexes, Current Directions in Psychological Science, 219-223. Chapuisat, M. (2007), Cours Biologie évolutive et Comportementale, SSP-Unil Lausanne. 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Okami, P., & Shackelford, T.K., (2001), Human sex différences in sexual psychology and behavior, Annual Review of Sex research, 186-241. Harris, C.R., & Christenfeld, N., (1996), Gender, jealousy, and reason, Psychological Science, 364366. DeSteno, D.A., & Salovey, P., (1996), Evolutionary origins of sex différences in jealousy ? Questioning the « fitness » of the model, Psychological Science, 367-372. Les automutilations dans le trouble de la personnalité borderline : phylogenèse et ontogenèse du lobe frontal. D’après les textes de Dunbar, R.I.M. «Brain and cognition in evolutionary perspective.» et Patel, S. «Introduction to evolutionary cognitive neuroscience methods» Magali Quillet-Diop, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie expérimentale On retrouve chez les patients souffrant du trouble de la personnalité Borderline (BPD) un « mode général d’instabilité des relations interpersonnelles », (DSM-IV-TR, 2000, p.213), une peur de l’abandon, une instabilité émotionnelle et une impulsivité qui les conduit à un comportement auto-agressif répété : les automutilations. Ce comportement autodestructeur se retrouve chez plus de 70% des patients souffrant du BPD (Zanarini et al, 2008). Ce symptôme, qui comprend des actes intentionnels comme se couper, se brûler et avaler des poisons connus, est considéré encore aujourd’hui comme l’un des phénomènes cliniques les plus étranges (Roe-Sepowitz, 2007). Les explications en psychiatrie sont peu explorées, et les mécanismes sous-jacents très mal connus. Afin d’éviter une approche réductrice de la psychiatrie qui se contente d’observer et de classifier les symptômes, différentes hypothèses quant à l’apparition de ceux-ci peuvent être abordées sous un autre angle. Par exemple, la psychopathologie chez les grands singes montre certaines similarités avec la psychopathologie humaine : on retrouve souvent chez les grands singes des comportements qui ressemblent aux différents symptômes psychiatriques chez l’homme, comme les troubles anxieux et la dépression (Brüne, 2006). On peut alors se demander à quel point les comportements d’automutilations chez les hommes sont comparables à ceux que l’on observe chez les singes, et à quelle(s) hypothèse(s) étiologique(s) cela peut nous mener. L’essai présent tente une approche plus évolutionniste de cette pathologie, à partir de deux chapitres (Dunbar, 2007 et Patel, 2007) qui introduisent la théorie d’une évolution homologue entre l’homme et les grands singes. Ensuite, il montre dans quelles conditions similaires les primates humains et non-humains développent un même comportement auto-agressif. Sans entrer dans des explications complexes d’ordre génétique, neuroanatomique ou incluant la sélection naturelle de Darwin, il traite des observations qui lient ces deux espèces. Les preuves en faveur d’une évolution commune entre les grands singes et l’homme sont nombreuses. Elles ne seront pas abordées ici, mais à partir de celles-ci, on a observé que les humains et leurs cousins primates évoluaient dans un système social complexe qui demande des habiletés particulières, comme la compétition, la collaboration et la coalition sociales. On ne retrouve pas chez les autres mammifères de tels échanges sociaux aussi développés. Ces habiletés sociales exigent que l’individu ait les capacités cognitives à faire des inférences au sujet des comportements futurs des autres membres du groupe sous-entendant par-là qu’il «doit pouvoir être capable de se représenter mentalement les individus du groupe qui ne sont pas présents et retenir et manipuler les informations à leur sujet pendant de longues périodes» (Barrett, 2003). Ce plan de représentation interne, qui semble déjà être présent chez les grands singes (Dunbar et al, 2007), offre la possibilité de pouvoir être conscient de ses propres états mentaux et les comprendre, ainsi que ceux d’un autre individu que soi-même. Dans la littérature, cette capacité réfère à la «théorie de l’esprit» (Dunbar et al, 2007, p.31). Elle se développe au fur et à mesure 22 que l’individu apprend à vivre dans un réseau social qui demande de telles habiletés sociales. Les aires frontales semblent très impliquées dans la formation de cette métacognition. (Botez et al, 2004, p.158). Nous en arrivons donc à la seconde homologie entre l’homme et les grands singes, à savoir un lobe frontal particulièrement développé chez ceux-ci. Cette structure joue un rôle déterminant dans la cohésion et l’intégration des informations sensorielles qui conduisent aux différents comportements adaptés que l’on rencontre chez l’homme et les grands singes : i.e. les comportements affectifs et sociaux. Elle semble également être particulièrement impliquée dans les comportements pathologiques du BPD, comme l’impulsivité, l’instabilité des relations interpersonnelles et les automutilations (Tajima, 2009). Enfin, le bon développement du cerveau chez les primates dépend d’apprentissages sociaux qui se font durant une longue période qui dure plusieurs années et qu’on ne retrouve pas chez les autres mammifères. Elle va de l’enfance à la fin de l’adolescence et exige par là, la protection, les soins et la tutelle de la mère et des autres individus du groupe. Si l’enfant n’a pas ce cadre sécurisant, cela peut l’empêcher d’explorer le monde autour de lui. Et le cerveau a besoin de stimulations et de découvertes pour se développer correctement en harmonie avec l’environnement. Si ce n’est pas le cas, on assiste alors souvent, que ce soit chez l’humain ou le grand singe, à des comportements pathologiques, c’est-àdire des comportements d’ajustements émotionnels et sociaux anormaux (par exemple l’isolement social) qui entravent l’intégrité physique et/ou psychique de l’individu et l’empêche de vivre de manière adaptée avec les autres membres du groupe (Brüne, 2006 et Zanarini, 2008). Parmi ces anomalies, on a observé chez des chimpanzés des comportements auto-agressifs comme les automutilations rencontrées dans le BPD. On ne les rencontre en général pas dans des conditions naturelles, où le singe sauvage évolue avec ses congénères, mais uniquement dans des conditions de captivité et/ou dans des conditions où il y a séparation avec la mère et les membres du groupe. (Brüne, 2006). La première hypothèse étiologique au phénomène d’automutilation démontre que l’animal, sous l’effet d’un stress qui l’empêche de contrôler la situation, ne pourra pas développer ses capacités de gestion des émotions et d’anticipation des évènements. Les automutilations vont donc venir compenser le manque total de contrôle du singe sur son environnement comme une autre forme d’ « adaptation » qui lui procure un sentiment d’emprise sur son corps (Brüne, 2006). On retrouve dans le BPD, des épisodes de stress chronique dans le jeune âge qui semblent être associés au développement de ce symptôme presque toujours accompagné d’une très grande instabilité émotionnelle (Wingenfeld, 2009). En effet, une très grande majorité de patients Borderline qui s’automutilent, rapportent qu’ils ont vécu de multiples évènements traumatisants comme des négligences émotionnelles ou physiques, ou encore des abus physiques ou sexuels (Wingenfeld, 2009). La deuxième hypothèse, contrairement au stress, met l’accent sur le manque de stimulations. L’enfant chimpanzé aura plus de peine à explorer son environnement en absence d’un cadre sécurisant procuré par les soins de la mère. De plus, l’absence des pairs peut empêcher l’expérience d’habiletés sociales indispensables à la vie en groupe. On observe alors chez certains chimpanzés qui ont subi une forme sévère d’isolation, des mouvements stéréotypés comme se balancer, claquer des mains ou encore faire des bruits avec la langue. Ces comportements sont pathologiques lorsqu’ils sont excessivement répétés et qu’ils ne s’adressent à aucun autre individu. Ces mouvements sont souvent accompagnés par des gestes d’auto-agression importants. Les comportements pathologiques répétés comme les automutilations seraient alors une forme de compensation en réponse à un manque de stimulations (Brüne, 2006). Ces observations chez les singes semblent coïncider avec celles que l’on retrouve chez les humains qui s’automutilent. En effet, ces patients expliquent que leurs actes auto-agressif sont dirigés par une pulsion, «accompagnée d’un désir désespéré de ressentir quelque chose» (Brüne, 2006). Il est vrai que l’on retrouve dans le BPD une «intolérance à la solitude et […] le besoin d’avoir d’autres gens avec soi.» (DSM-TR, 2002). Cette peur de l’abandon accompagnée par un sentiment de « vide », générateur de fortes angoisses, amène souvent à des actes incontrôlables comme les automutilations. Il n’y a donc plus guère de doute quant à la continuité bio-psycho-sociale entre les grands singes et les hommes. Leur évolution phylogénétique commune les prédispose à une vulnérabilité psychique et sociale face au stress et au manque de stimulations que l’on retrouve dans certaines conditions d’isolations et de négligences sévères. Il est important tout de même de noter que ces facteurs de 23 risques ne sont pas spécifiques aux symptômes décrits plus hauts. Mais il est agréable de pouvoir profiter de ces études comparées qui apportent de nouvelles hypothèses au domaine de la psychiatrie. Elles permettent d’enrichir la compréhension de certains symptômes psychopathologiques chez l’homme en apportant d’autres pistes quant aux différentes hypothèses étiologiques. Références American Psychiatric Association. (2004). DSM-IV-TR : Manuel diagnostique et statistique des troubles e mentaux (4 éd. rev.). (J.D. Guelfi et al, trads). Paris : Masson. Barrett, L., Henzi, P & Dunbar, H. (2003). Primate cognition: from “what now?” to “what if?” TRENDS in Cognitives Sciences, 7, 494-497. Brüne, M., Brüne-Cohrs, U., McGrew, W.C. & Preuschoft, S. (2006). Psychopathology in great apes: concepts, traitment options and possible homologies to human psychiatric disorders. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 30, 1246-1259. Dunbar, R.I.M. (2007). Brain and cognition in evolutionary perspective. In: Steven M. Platek, Julian Paul Keenan and Todd K. (Eds.), Evolutionary cognitive neuroscience (pp. 21-45). Shackelford. Patel, S., Rodak, K.L., Mamikonyan, E., Singh, K. & Platek, S.M. (2007). Introduction to evolutionary cognitive neuroscience methods In: Steven M. Platek, Julian Paul Keenan and Todd K. (Eds.), Evolutionary cognitive neuroscience (pp.48-62 ). Shackelford. Pegna, A.J., Annoni, J-M. & Schnider, A. (2004). Le syndrome frontal. In : Cognition et Neurologie du Comportement.Botez-Marquard, T. & Boller, F. Presse de l’Université de Montréal. Roe-Sepowitz, D. (2007). Characteristics and predictors of self-mutilation : a study of incarcerated women. 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(2003). Developmental dynamics and contemporary evolution psychology: status quo or irreconciable views? … Psychological Bulletin, 129, 866-872 Emilie Obliger, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie de l'enfant et de l'adolescent La psychologie évolutionniste est une discipline qui applique les théories et les principes de l’évolution à la compréhension du comportement et du développement humain dans les sciences psychologiques. Comme la sociobiologie qui tente d’expliquer des phénomènes sociaux en termes de biologie, la psychologie évolutionniste tente d’approcher la compréhension de l’homme avec des concepts biologiques, mais inclut également des explications au niveau cognitif. Dans la perspective de la psychologie évolutionniste, le rôle des processus développementaux est important pour les explications du comportement humain et pour les changements qui peuvent survenir au cours du développement. L’adolescence est une période de transition de l’enfance à l’âge adulte caractérisée par des comportements de recherche d’indépendance. Ces comportements se retrouvent à travers les espèces. La compréhension de ces comportements spécifiques à l’adolescence peut être appréhendée à l’aide d’un modèle neurobiologique proposé par des chercheurs de l’université de Cornell. Il est alors possible de réfléchir à cette période délicate dans le cadre de la psychologie évolutionniste. 24 Le développement peut être compris comme résultant d’interactions entre l’organisme et l’environnement, et divers facteurs épigénétiques peuvent activer ou inhiber l’expression des gènes au cours du développement individuel. Les facteurs épigénétiques sont les composants moléculaires, cellulaires, physiologiques, comportementaux et les événements externes sensoriels. Les traits phénotypiques, morphologiques, physiologiques ou psychologiques sont alors le produit de dynamiques développementales complexes. L’évolution, considérée comme changement phénotypique durable, peut survenir à des niveaux comportementaux, anatomiques, morphologiques, avant tout changement génétique. Un changement dans les processus développementaux dus à des changements dans l’interaction de l’organisme avec l’environnement peut alors conduire à un nouveau phénotype. Par exemple, pour une population de rongeurs, si on change leur alimentation, normalement constituée de végétation, par des graines, alors un certain nombre d’effets peuvent s’observer sur le développement des rongeurs. Par exemple les contraintes mécaniques exercées sur la mâchoire peuvent induire des changements dans le développement. Etant donné que la croissance osseuse est en partie déterminée par les forces exercées sur les os en croissance, l’anatomie du squelette de la mâchoire est susceptible d’être différente chez les animaux qui ont eu la nouvelle alimentation. Un changement phénotypique tel que la préférence pour une nouvelle alimentation, peut ainsi conduire à certaines modifications anatomiques. Ces changements peuvent durer à travers les générations, et si l’alimentation est toujours disponible, conduire éventuellement à un changement génétique. L’adolescence, période sensible de transition de l’enfance à l’âge adulte, est caractérisée par des comportements de recherche d’indépendance, tels que la recherche de nouveauté, la prise de risque, la recherche d’interactions sociales avec des pairs, qui s’observent chez différentes espèces. Ces comportements semblent avoir une fonction adaptative importante. En effet, il semblerait nécessaire à l’adolescent de s'engager dans un comportement à risque afin qu’il puisse se séparer d’avec sa famille et quitter leur territoire sécurisant pour trouver un partenaire. Les comportements de recherche de nouveauté et l'augmentation de la réactivité émotionnelle seraient également utiles pour détecter des endroits sains. Ils permettraient à l’adolescent d’être vigilant, conscient de la menace, prêt au danger pour assurer sa survie dans le déplacement d'un endroit sûr pour un nouveau. Ces comportements typiques de l’adolescence peuvent se comprendre comme le déséquilibre dans le développement des régions préfrontales et sous corticales. Cette perspective sous-entend des changements non linéaires de comportements à travers le développement dus à la maturation précoce du système limbique et tardive du contrôle top down des régions préfrontales. Casey, et collègues (2008) ont proposé un modèle neurobiologique basé sur des modèles de rongeurs et des études d’imagerie d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Ce modèle prend en considération les différences de trajectoires de développement des régions limbiques et des régions préfrontales. Le développement des systèmes limbiques se fait plus tôt que celui des régions préfrontales, ce qui crée une période de déséquilibre entre l’enfance et l’âge adulte et rend l’adolescent sensible à la prise de risque. Le système préfrontal a alors moins d’influence par rapport aux systèmes limbiques dans l’évaluation de la récompense et la réactivité émotionnelle. Cependant dans la société d’aujourd’hui, l’adolescence est une période difficile à définir temporellement et ne correspond plus à la séparation d’avec les parents qui est de plus en plus décalée des comportements de recherche d’indépendance. Ces comportements adaptatifs peuvent alors apparaître inappropriés, décalés à cause de l’acquisition de l’autonomie tardive de l’adolescent. Dans une perspective évolutionniste, la question des influences de l’environnement sur le développement peut se poser. Sous la pression des influences externes le développement des régions sous-corticales et préfrontales pourrait être modifié, en repoussant leur maturation afin que les comportements de recherche d’indépendance correspondent à la séparation d’avec les parents. Afin que, dans les générations futures, le décalage entre les comportements spécifiques à l’adolescence et l’acquisition de l’autonomie tende à diminuer et que l’adolescence se définisse par des paramètres biologiques, comportementaux différents de ceux d’aujourd’hui. Une évolution du comportement et du développement de l’adolescent permettant une meilleure adaptation à l’environnement et au mode de vie actuel, est-elle possible ? Références 25 Lickliter, R. and Honeycutt, H. (2003) Developmental dynamics: toward a biological plausible evolutionary psychology. Psychological Bulletin, 129, 819-835 Lickliter, R. and Honeycutt, H. (2003) Developmental dynamics and contemporary evolution psychology: status quo or irreconcilable views? Psychological Bulletin, 129, 866-872 Casey, B. J., Jones, R. M. and Hare, T. A. (2008) The adolescent brain. Annals New York Academy of Sciences, 1124: 111-126 L’immigration en milieu marginal et le déplacement des personnes âgées en institution : approche comparative D’après le texte de Kawecki, J.T., (2008) Adaptation in marginal habitats, Annual Review of Ecology, Evolution and systematics, 39 :321-42, pp. 321-342. Elsa Raynal, Maîtrise universitaire ès Sciences en psychologie, option Psychologie expérimentale Introduction Chez l’humain, le vieillissement entraîne des modifications des capacités tant physiques que cognitives lesquelles se traduisent notamment par des pertes. Celles-ci sont courantes au niveau de la sensibilité de la vue, de l’ouïe, de la mémoire, ou encore des facultés d’adaptation, et les personnes âgées font preuve de différentes stratégies pour pallier ces manques. Elles peuvent par exemple faire de leur quotidien une routine, afin que celui-ci soit plus prévisible, et donc plus facile à vivre pour elles. Mais il arrive parfois des événements imprévus, qui chamboulent une vie, et peuvent avoir des conséquences très importantes. Par exemple, il a été démontré que le décès d’un conjoint12 ou le déménagement dans une maison de retraite13 peuvent être difficilement acceptés et mener jusqu’au décès des personnes qui n’arrivent pas à s’y adapter. On fait parfois référence à ce phénomène comme l’effet de « choc »14. Le vieillissement semble donc lié à des pertes des capacités d’adaptation à un nouvel environnement, qui pourraient mener jusqu’au décès. Dans le monde animal, cette question est également présente. En effet, pour un animal, un changement d’environnement, une immigration vers un nouveau milieu auquel il est mal adapté, pourrait mener celui-ci à la mort. En se basant notamment sur l’article de Kawecki (2008), peut-être est-il possible de montrer qu’une partie de la mortalité, que ce soit chez les personnes âgées ou les animaux, peuvent être imputés à des changements d’environnement et un manque d’adaptation. L’adaptation à un milieu marginal Un habitat marginal est défini par son opposition à une niche écologique : « Les habitats où le taux intrinsèque de la croissance de la population est positif, ce qui en principe permet à une population de persister sans immigration, est par définition dans la niche écologique de l’espèce. Ceux qui ont un taux de croissance intinsèque négatif sont hors de la niche » (Kawecki , 2008). Les populations habitant hors de la niche écologique vivent donc dans un habitat marginal, car celui-ci n’est pas optimum pour elles, que ce soit par exemple à cause d’un manque de ressources tel que la nourriture, ou encore à cause de l’environnement en lui-même (température inadaptée, environnement empoisonné, etc.). Elles ont en temps général plus de mal à survivre et à se reproduire que celles habitant dans la niche écologique. Cependant, une population vivant dans la niche aura une croissance positive, et afin de maintenir sa qualité, des individus devront la quitter afin qu’elle ne devienne pas surpeuplée. Ces immigrés se retrouveront par la force des choses hors de la niche, et donc dans un habitat marginal. Les populations vivant dans les zones marginales peuvent s’être adaptées suffisamment pour y survivre, mais lorsque cet individu venant de la niche y sera confronté, s’il ne s’adapte pas, il ne pourra pas survivre. Ainsi, le manque d’adaptation à cet environnement bien particulier peut mener l’individu à sa perte. Les personnes âgées, tout comme les animaux, sont Thierry, X. (1999) Risques de mortalité et de surmortalité au cours des dix premières années de veuvage. p. 187 13 Locoh, T. (1972) L'entrée en maison de retraite. Étude auprès d'établissements de la région parisienne. p. 1035 14 Ibid. ou voir « choc du veuvage » chez X. Thierry, p. 181. 12 26 parfois confrontées à des changements d’environnements, comme par exemple un départ en maison de retraite. C’est lors de ces passages que l’on peut observer que le manque d’adaptation peut parfois mener au décès, des personnes âgées comme des animaux. L’exemple de l’adaptation à une maison de retraite Le manque d’adaptation des personnes âgées peut être particulièrement observé lorsque celles-ci changent d’environnement, notamment lors d’un déménagement en institution. C’est durant la première année qui suit l’entrée en maison de retraite, et donc durant l’année qui suit un changement d’habitat, que se produisent en comparaison avec les années suivantes le plus grand nombre de décès : 25% des hommes et 15% des femmes ne survivent pas à ce changement (Locoh, 1972). Le changement d’environnement dû au déplacement en EMS et l’adaptation qui s’ensuit (ou son absence) peut être comparé avec la migration d’un animal de la niche écologique vers un habitat marginal, car il s’agit dans les deux cas de s’adapter à un nouvel environnement après un déplacement, et que si cette adaptation fait défaut, cela peut mener au décès. Conclusion Dans le monde animal comme pour l’être humain, le déplacement dans un environnement inconnu, où les ressources ne sont pas garanties, demande une capacité d’adaptation, qui n’est pas toujours suffisamment présente chez les individus. Or, cette capacité d’adaptation à un nouvel environnement est vitale. Dans les deux cas, l’individu qui se déplace, ou est déplacé, doit composer avec ce nouvel environnement, parfois hostile. Il doit déployer un éventail de ressources, par exemple sociales, cognitives, ou encore économiques, afin de s’habituer et s’adapter à ce nouvel habitat. Si les ressources et les capacités ne sont pas suffisantes pour que l’individu s’adapte, que ce soit une personne âgée ou un animal, celui-ci ne pourra pas survivre dans ce nouvel environnement. Références Bergua, V. & Bouisson, J. (2008) Vieillesse et routinisation : une revue de la question. Psychologie & NeuroPsychiatrie du vieillissement. Volume 6, Numéro 4, 235-43, décembre 2008. Kawecki, J.T., (2008) Adaptation in marginal habitats. Annual Review of Ecology, Evolution and systematics, 39 :321-42, pp. 321-342. Locoh, T. (1972) L'entrée en maison de retraite. Étude auprès d'établissements de la région parisienne. Population (édition française), 27e Année, No. 6 (Nov. - Déc., 1972), pp. 1019-1044. Thierry, X. (1999) Risques de mortalité et de surmortalité au cours des dix premières années de veuvage. Population (édition française), 54e Année, No. 2 (Mar. - Apr., 1999), pp. 177-204. Le rôle de l’attachement dans la période ontogénétique de l’homme D’après les textes de Bjorklund, D.F. The role of immaturity in human development. Psychological Bulletin, 122, 153-169; Geary, D.C. and Bjorklund, D.F. (2000). Evolutionary developmental psychology. Child development, 71, 57-65. Chez l’espèce humaine, la durée de la période ontogénétique est particulièrement longue et ceci s’explique en partie par le fait que nous vivons dans une société qui nécessite beaucoup de comportements adaptatifs devant être acquis durant l’enfance. En effet, nous avons divers cultures, langues et codes que nous devons apprendre afin d’être adaptés à l’environnement à l’âge adulte. La période ontogénétique a pour but de permettre à l’individu de développer, d’apprendre et d’améliorer ses compétences physiques, sociales et cognitives dont il aura besoin à l’âge adulte. Il y a 2 à 4 millions d’années nos ancêtres se reproduisaient vers l’âge de dix ans, alors que dans la société d’aujourd’hui, cet âge se rapproche des vingt ans (Bjorklund, 2000). Cette observation a amené l’hypothèse que nos ancêtres ont eu plus de compétences que les autres primates à protéger leurs descendants permettant ainsi à l’espèce humaine d’acquérir des comportements de plus en plus adaptatifs et d’évoluer jusqu’à devenir l’espèce que nous sommes aujourd’hui. Et les autres primates, quant à eux, seraient devenus les espèces qui existent aujourd’hui. Afin de mieux comprendre ce qui a permis l’évolution de la période ontogénétique de l’homme, nous allons aborder le comportement d’attachement et voir en quoi ce comportement a joué un rôle dans le rallongement de la période ontogénétique de l’homme. En abordant le développement du système sensoriel, nous allons 27 commencer par voir en quoi ce système est important pour le développement de l’attachement. Puis, nous verrons que l’environnement joue également un rôle dans ce comportement. Finalement, nous verrons comment l’attachement a permis le rallongement de la période ontogénétique de l’espèce humaine. 15 Pour notre espèce, la fitness ne dépend pas seulement de la quantité de descendants, mais dépend également de la qualité de leur développement et de leur intégration dans la société. Etant donné que l’enfant n’a pas les comportements d’adaptation nécessaires pour pouvoir survivre seul, les parents doivent le protéger de l’environement qui l’entoure jusqu’à que le système nerveux de l’enfant soit entièrement développé et que l’enfant ait acquis tous les comportements qui lui permetteront de survivre sans la protection de ses parents, puis de diffuser ses gènes à son tour. Pour les parents, la propagation de leurs gènes est plus important que le coût que leur représente la protection de leurs descendants. À la naissance, l’ensemble du système sensoriel n’est pas encore entièrement fonctionnel. Afin de survivre, le jeune individu a donc besoin d’être auprès de quelqu’un qui est capable de traiter l’information qui l’entoure et de le protéger ; car sans cette protection, il est une proie facile pour les prédateurs. Le fait que le système sensoriel ne soit pas encore entièrement fonctionnel dès la naissance paraît, à première vue, être un désavantage. Cependant, cette dysfonctionnalité du système sensoriel permet le développement de l’attachement. Lickliter (1990, cité par Bjorklund) a observé qu’un changement dans la chronologie du développement du système 16 sensoriel chez les poussins de caille rend ces derniers incapables de reconnaître la voix de leur 17 mère. En conséquence, le comportement d’empreinte ne se fait pas et la survie de ces oiseaux 18 nidifuges est mis en péril . En conséquence, le fait de stimuler trop tôt un systèmes sensoriel peut avoir des conséquence sur la qualité de l’attachement et sur la survie. D’autres comportements qui se rapportent à l’attachement, tels que la peur de l’étranger ou l’anxiété de séparation, apparaissent au même âge dans toutes les sociétés humaines. Et nous retrouvons ces mêmes conduites chez le chimpanzé (Bjorklund, 2000). Ces observations permettent d’appuyer le fait 19 que le comportement d’attachement a des origines biologiques. Cependant, la situation étrange , (Ainsworth, Bleher, Waters & Wall, 1978) a permis d’observer qu’il existe différentes qualités d’attachement. Cette qualité de l’attachement se construit différemment selon les enfants et les contextes. En effet, les signaux qu’envoit l’enfant lors d’une séparation, ou lorsqu’il se retrouve face à un étranger, déclenchent une réponse de la part de la mère. Et selon la réponse de la mère, l’enfant apprend qu’il peut ou pas compter sur elle lorsqu’il se retrouve en difficulté. Ainsi, la qualité de l’attachement émerge des interactions entre la mère et son enfant. 20 Nous avons vu que le processus d’attachement est au départ biologique (un génotype ), car ce comportement se trouve chez tous les êtres humains ainsi que chez certains primates, cependant, nous trouvons des différences dans leur qualité. Ces différences supposent donc que la qualité de 15 La fitness représente la contribution génétique d’un individu à la génération suivante. Il se calcule par le nombre de descendant arrivé à maturation. Les individus qui ont une grande fitness sont ceux qui transmettent le plus de gènes. 16 Les différents sens ne se développent pas dans le même ordre chronologique et n’ont pas la même hiérarchie chez toutes les espèces. 17 L’empreinte est un lien semblable à l’attachement qui se crée durant une période donnée du développement et qui ne peut pas se créer plus tard. Ce comportement a été observé par Lorenz. Il a constaté que juste après l’éclosion, les jeunes oies suivent le premier objet mobile qu’ils aperçoivent. 18 Dès l’éclosion, les oiseaux nidifuges commencent à se déplacer. L’empreinte est donc un comportement qui leur permettent de rester auprès de leur mère qui les protége et les nourrit. Si le jeune poussin de s’attache pas à sa mère, il se retrouve seul et devient une proie très facile pour les prédateurs. En conséquence, l’empreinte est un comportement important pour la survie du poussin. 19 La situation étrange est une expérience qui permet d’observer comment l’enfant agit face à une personne étrangère. Cette expérience se déroule en plusieurs étapes où les situations différentes se passent avec ou sans la mère ou l’étranger. 20 Le génotype est une combinaison spécifique d’allèles pour un individu donné. C’est une information portée par les chromosomes. 28 21 l’attachement émerge d’un processus épigénétique . L’attachement et les différents comportements qui s’y rapportent ont permis à l’espèce humaine de mieux protéger ses descendants des dangers de l’environnement. On peut supposer que grâce à cette protection, le temps de la période ontogénétique s’est en partie rallongée. La sélection naturelle aurait privilégié les individus ayant de bonnes capacités à protéger leurs descendants, permettant ainsi aux jeunes individus d’avoir plus de temps dans l’apprentissage des comportements adaptés à leur environnement. Et grâce à ce rallongement de la période ontogénétique, l’espèce humaine a pu se différencier des autres primates et évoluer jusqu’à devenir l’espèce que nous sommes aujourd’hui. Références Salter Ainsworth, M., Bleher, M., Waters, E., & Wall, S. (1978). Pattern of attachment : a psychological study of strange situation. Lawrence Erlaum Associates Inc. Bjorklund, D.(1997). The role of immaturity in human development, Psychological Bulletin, 122(2), 153-169. Bjorklund, D. & Geary, D. (2000). Evolutionnary Developmental psychology, Child Development, 71(1), 57-65. Tort, P. (Ed.) (1996), Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, Presse Universitaire de France. 21 L’épigénétique est le processus de modification de l’expression des gènes par l’interaction de l’environnement et du génome. (Tort, 1996) 29