I.R.T.E.S.S. Institut Régional Supérieur du Travail Educatif et Social 2 rue Professeur Marion 21000 DIJON LA COLLABORATION ENTRE TRAVAILLEURS SOCIAUX ET SOIGNANTS SUR LES PROBLEMATIQUES DE PRECARITE ET DE SANTE Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme Supérieur en Travail Social présenté par Brigitte LANDANGER Sous la direction de Philippe LYET Décembre 2004 Remerciements Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers tous les responsables des services qui ont accueilli avec bienveillance mes requêtes, et envers tous les professionnels qui ont accepté très volontiers de m'accorder de leur temps lors des entretiens. Je remercie Philippe LYET, directeur de mémoire, dont les conseils m'ont accompagnée tout au long de la réalisation de ce mémoire. 1 Sommaire Pages Remerciements 1 Sigles et abréviations 6 INTRODUCTION 7 1. Eléments d’approche à partir de notre expérience professionnelle 7 2. Approche générale 8 CHAPITRE 1 : Quels liens entre le sanitaire et le social sur les problématiques de santé et de précarité ? 1.1. Le cadre politique 12 1.1.1 Montée du chômage et augmentation du coût des soins 12 1.1.2 L’évolution des droits et l’accès aux soins 12 1.1.3 L’adaptation des dispositifs en santé publique 13 1.2. Approche de la précarité 15 1.2.1 Les évolutions historiques 16 1.2.2 L’affaiblissement des liens sociaux et relationnels 18 1.2.3 La perte des supports et de la reconnaissance sociale 18 1.2.4 Des définitions 19 1.3. Approche de la santé 21 1.3.1 Des définitions 21 1.3.2 L’approche sanitaire dissociée de l’approche sociale 23 1.4. Action sociale et santé 24 1.4.1 L’expérience du Service Social de la CRAM 24 1.4.1.1 L’adaptation aux besoins 24 1.4.1.2. Le partenariat entre le secteur sanitaire et le secteur social 25 2 1.4.2 L’expérience du SAM - A 26 1.4.2.1 Une approche adaptée et un engagement 26 humain et professionnel 1.4.2.2 Une articulation incessante à trouver entre 27 le sanitaire et le social 1.4.3 Le maillage 28 1. 5 : La construction de nouvelles pratiques 29 1.5.1 La coopération, le réseau, le partenariat 29 1.5.2 Le travail ensemble 32 1.5.2.1 Les représentations et l’intercompréhension 32 1.5.2.2 La problématisation et la traduction 33 1.6 : La problématique de notre recherche 34 CHAPITRE 2 : DISPOSITIF DE RECHERCHE 2. 1 Le dispositif d’enquête 37 2.1.1 La population concernée 37 2.1.2 L’entretien 37 2.1.3 La construction du guide d’entretien 38 2.1.4 Les grands thèmes 39 2.2 Présentation du terrain d’enquête 41 2.2.1 Eléments ayant porté notre curiosité vers les services sollicités 41 2.2.2 Les professionnels enquêtés 42 2.2.3 Les collaborations mises en évidence 43 2.2.4 44 Présentation des services et des professionnels enquêtés 2.3 La méthodologie de l’analyse 51 3 CHAPITRE 3 : Analyse des résultats 3.1 Origine et déroulement des collaborations 52 3.1.1 Les problèmes qui conduisent les acteurs à collaborer 52 3.1.2 Les différences d’approches et de compétences créent des tensions à dépasser 54 3.1.3 La convergence vers des actions 58 3.1.4 Les règles, les procédures 61 3.1.5 La place de l’informel 63 3.1.6 Les traducteurs et les processus de traduction 64 3.1.7 L’intercompréhension en mouvement 66 3.2 Les effets des processus d’intercompréhension sur les identités professionnelles 67 3.2.1 Les déterminants personnels et professionnels des acteurs 67 3.2.1.1 Une prédisposition à l’intercompréhension 67 3.2.1.2 La relation d’aide à l’autre, élément commun aux deux fonctions médicale et sociale 68 3.2.1.3 Ils font le lien entre problèmes sanitaires et sociaux qui ont des incidences entre eux 3.2.2 Les processus identitaires des acteurs 68 69 3.2.2.1 L’identité renforcée 69 3.2.2.2 Le repli identitaire 70 3.3 Ce que la collaboration génère 72 3.3.1 Les changements au niveau des pratiques et des relations entre professionnels 72 3.3.2 Les changements au niveau des bénéficiaires 76 3.4 Conclusion 77 4 CHAPITRE 4 : Vers la transformation des pratiques professionnelles 4.1 La complexité des problèmes implique la nécessité d’une approche pluridisciplinaire 80 4.1.1 Concevoir de nouvelles stratégies sanitaires et sociales 80 4.1.2 Repenser les liens entre le sanitaire et le social 81 4.1.3 L’éthique ré-interrogée 81 4.1.4 L’approche pluridisciplinaire et l’implication d’acteurs différents 83 4.2 La formation des acteurs et le développement de la professionnalité 84 4.2.1 Les soignants 84 4.2.2 Les TS 86 4.2.3 Le développement de la professionnalité 88 Conclusion générale 89 Bibliographie 92 Annexe : Le guide d’entretien 95 5 SIGLES ET ABREVIATIONS Notre enquête a eu lieu dans l'Est de la France, dans deux villes : - une grande ville dite Ville A - une petite ville dite Ville B Parmi les services concernés, certains sont désignés avec des sigles rappelant leur lieu d'implantation : SAM – A (ou B) Service d'Accueil Médical de la Ville A (ou B) PASS - A (ou B) Permanence d'Accès aux soins de Santé de la ville A (ou B) CCAS - A Centre Communal d’Action Sociale de la Ville A Foyer A situé dans la Ville A SS – CRAM Service Social de la Caisse Régionale d'Assurance Maladie Centre d’examens de Santé de la CPAM Caisse Primaire d'Assurance Maladie Les professionnels AS Assistant Social ES Educateur Spécialisé TS Travailleur Social Autres sigles CCAA CHRS CHS CMP CMU COTOREP DRASS ESF ML MAS PRAPS SPIP Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale Centre Hospitalier Spécialisé Centre Médico Psychologique Couverture Maladie Universelle Commission d'Orientation Technique et de Reclassement Professionnel Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales Espace Solidarité Famille Mission Locale Maison d'Accueil Spécialisée Programme Régional d'Accès à la Prévention et aux Soins Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation 6 INTRODUCTION 1 Eléments d’approche à partir de notre expérience professionnelle Educatrice spécialisée, durant la période de 1985 à 2003, dans le cadre d’un C.H.R.S. (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale), nous voyons évoluer la question de la santé pour les personnes en situation de précarité. Progressivement, les difficultés sont plus nombreuses et plus complexes : ce sont des problèmes de santé physique à traiter et/ou de plus en plus de santé mentale. L’ouverture des droits, l’accompagnement à un accès aux soins et le soutien durant les soins, deviennent des axes de travail importants et, le plus souvent, les premiers mis en œuvre à l’admission d’une personne. L’accueil de la souffrance psychique et sa nécessaire prise en compte, font entrer la clinique psychopathologique dans notre travail, notamment par l’instauration de séances d’analyse de la pratique. Nos relations avec le secteur-santé se développent : avec la Sécurité Sociale, avec des services de soins (Service d'Accueil Médical), des médecins généralistes ou spécialisés (de ville ou hospitaliers), avec le secteur psychiatrique (Centre Hospitalier Spécialisé, Centres Médico-Psychologiques). L’épidémie du Sida est un évènement important à relever car il marque de manière impérieuse la nécessité de l’ouverture du monde médical au secteur social : des réseaux s’organisent, des réponses en termes de prise en charge médico-sociale s’élaborent et se structurent dans le Réseau Ville-Hôpital. Par ailleurs, devant l’augmentation de signaux de détresse venant de populations fragiles (adolescents, personnes en rupture sociale…) d’autres réseaux émergent : réseau de prévention du risque suicidaire, réseau CHS-CHRS. Les travailleurs sociaux sont sollicités pour être personnes-relais en matière de prévention et ainsi, ils deviennent acteurs en santé publique. Nous nous investissons sur ces questions. Par exemple, nous participons à des actions de formation par rapport au Sida, aux conduites addictives et nous sommes personne-relais pour la mise en place de la Couverture Maladie Universelle (CMU). Nous participons, en 2001, à des réunions regroupant une large palette d’acteurs de 7 Santé et du Social, concernant la Convention Thématique "Santé" relevant de la Convention Cadre du Contrat Ville, pour un travail d’émergence de besoins, de réflexions, et de propositions. Grâce à la coopération s’exerçant dans le cadre du réseau CHS-CHRS, nous constatons des améliorations dans le suivi des personnes. Ce travail nous apparaît utile pour imaginer, trouver, aménager avec ces dernières, des réponses adaptées à leurs difficultés complexes, plurifactorielles. Il permet aussi d'éviter qu’elles soient contraintes à "un va et vient" d’un dispositif médical à un dispositif social – chacun les renvoyant à la compétence de l'autre secteur. Cependant, ce réseau est fragile, car porté seulement par les acteurs qui l’animent et manquant d’audience au niveau du CHS et de ses praticiens. Nous remarquons l’emploi de plus en plus usité du vocable «handicap social», à la COTOREP (Commission d’Orientation Technique et de Reclassement Professionnel), organisme où l’avis médical est dominant. Nous relevons que la confrontation du point de vue médical et du point de vue social est difficile dans certains cas : problème de langage, de formation, de volonté, de pouvoir, de sens ?… Ainsi, nous constatons et expérimentons l’émergence de mouvements de collaborations accrues entre les secteurs de la santé et du social pour une approche différente des personnes en situation de précarité et pour l’élaboration de réponses concourant à leur mieux-être physique, psychique, social. 2 Approche générale Depuis 1945, la protection sociale a évolué vers une prise en compte de tous les risques de la vie. Les 30 Glorieuses ont vu s’améliorer les conditions de vie, la prise en charge médicale, et l’état de santé de la population. Or, depuis les années 70 et l’entrée dans ce que l’on a d’abord appelé "la crise", des populations de plus en plus nombreuses, ébranlées par la montée du chômage, se trouvent en position de vulnérabilité, de fragilité, ce qui rend incertaine, instable, leur intégration à l’ensemble social. 8 Dans son rapport de Février 1998, le Haut Comité de la santé publique alerte sur « La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé ». De fait, aujourd’hui pour une large frange de la population le seul accès à des soins « courants » est devenu difficile. Le risque d’une régression apparaît maintenant face à l’ampleur de la précarité – environ 6 millions de personnes sont touchées – et suscite de lourdes inquiétudes. La précarité se traduit par de nouvelles formes de vie et induit de nouveaux comportements qui risquent à moyen terme de représenter une menace sérieuse pour la santé des couches sociales les plus défavorisées et de la jeunesse, en particulier celle qui vit dans des conditions difficiles, et au delà celle de la population toute entière. Des politiques publiques visent à réparer et maintenir le lien avec ces populations, dans un souci de cohésion sociale et de stabilité. Leur évolution montre que cet enjeu est devenu progressivement prégnant et qu’il est présent de plus en plus dans des politiques transversales, qui décloisonnent les champs d'interventions et encouragent le partenariat. Elles initient notamment la mise en place de mesures et de dispositifs favorisant l'accès aux soins, comme les Permanences d'Accès aux Soins de Santé (PASS) au sein de l'hôpital, qui est à nouveau sollicité dans sa fonction d'accueil des plus démunis. Des professionnels du social et du sanitaire sont sollicités pour créer les conditions d'une prise en charge à la fois sociale et médicale mieux articulée. Cette démarche implique la nécessité de se connaître, d'échanger les points de vue, de négocier des orientations. Dès lors, nous nous demandons comment se construit cette coopération, comment s'opère ce changement dans les pratiques professionnelles et ce qu'il génère. Notre curiosité et notre questionnement nous conduisent alors au choix d’orienter notre travail de recherche vers ces dimensions. Pour mener à bien cette étude , nous avons élaboré quatre chapitres. Le 1er chapitre s'intéresse aux liens entre le sanitaire et le social sur les problématiques de santé et de précarité à travers cinq axes d'approches. → Le 1er axe est consacré au cadre politique, et à son adaptation à la situation sociale où la précarité, d’abord montante, est devenue massive. Nous relevons notamment que les nouvelles politiques territoriales invitent les acteurs des champs social et sanitaire, appartenant aux secteurs public et libéral, à travailler ensemble. 9 → Le 2ème axe nous aide à concevoir ce que revêt le terme de précarité à travers son évolution historique et des analyses actuelles. Son explicitation nous montre combien la santé est en jeu, mise en péril dans ce contexte de vie. → Le 3ème axe nous donne des définitions de la santé, et nous éclaire sur la dissociation relativement récente de l’approche sanitaire et l’approche sociale. → Le 4èmeaxe, à partir d’exemples d’actions réalisées, vient interroger cette dissociation, car à l’opposé, il met en éclairage l’intérêt à pratiquer une approche globale des personnes en situation de précarité, et à élaborer des collaborations entre le secteur sanitaire et le secteur social. Il s'appuie sur une pré-enquête réalisée auprès de la DRASS chargée du PRAPS, du Service Social de la CRAM, de la PASS de l'hôpital de la Ville A, du SAM de la Ville A1. → Les professionnels mobilisés sur ces questions considèrent les difficultés à vivre des personnes en terme de santé et/ou resituent leurs difficultés de santé dans leur histoire et leur contexte de vie. Des liaisons et des échanges s’avèrent nécessaires entre professionnels pour mettre en cohérence leurs interventions, opérer des ajustements et construire des objectifs communs. Cette question des liens se théorise à travers les concepts de réseau, de partenariat qu’il nous est apparu nécessaire d’éclairer dans un 5ème axe. Nous remarquons que la collaboration est l’élément commun majeur à ces deux termes. Les recherches des sociologues (BERNOUX, AMBLARD, DHUME) sur les organisations nous apportent des repères sur la construction du "travail ensemble", que nous explicitons. Ainsi, ce cheminement nous amène à préciser et à construire notre démarche de recherche à propos de la collaboration entre travailleurs sociaux et soignants dans cet espace particulier où se croisent difficultés sociales et sanitaires. L'élaboration de la problématique de notre étude tient compte de deux objectifs majeurs : éclairer et comprendre comment la coopération se construit et ce qu'elle produit. Le processus de recherche qui en découle est exposé dans le comporte des 2ème chapitre. Il présentations du dispositif et du terrain d'enquête, et expose la méthodologie de l'analyse. 1 Cf. Sigles et Abréviations p. 6 10 Le 3ème chapitre analyse les résultats de l'enquête grâce à l'étayage de la sociologie des organisations. Le 4ème chapitre formule des réflexions et des propositions en vue de la transformation des pratiques professionnelles. En effet, si la recherche nous éclaire sur la réalité et nous renseigne sur les pratiques professionnelles, un autre de ses intérêts réside dans l'ouverture qu'elle apporte en terme de changements voire d'innovations. Il nous apparaît notamment que la formation des professionnels doit prendre en compte ensemble la dimension de la précarité et de la santé et préparer à la collaboration transversale et interdisciplinaire. 11 CHAPITRE 1 : Quels liens entre le sanitaire et le social sur les problématiques de santé et de précarité ? 1.1 : Le cadre politique 1.1.1 Montée du chômage et augmentation du coût des soins Avec les réformes sociales des années 70 et 80, les personnes proches du seuil de pauvreté – personnes âgées, handicapés, familles monoparentales- parviennent en général à améliorer quelque peu leurs conditions de vie. En revanche, la situation se détériore pour les autres. A partir des années 80, la crise économique entraîne réorganisation, concurrence, compétitivité exacerbée, non sans conséquences humaines… On licencie, l’emploi précaire se développe. Le chômage s’accroît et la limitation de la durée d’indemnisation fait basculer certaines personnes dans une précarité qui peut mener bien au-dessous du seuil de pauvreté. Avec le chômage, les rentrées de cotisations marquent le pas, tandis que les dépenses de soins ne cessent de s’accroître. C’est l’époque des plans successifs de la Sécurité Sociale, qui conduisent à alourdir les cotisations et à diminuer les remboursements. A ce moment, du côté de l’offre de soins, il est important de relever que l’hôpital est entré dans l’ère de la performance; le progrès médical paraît sans limite; le coût des soins s’emballe. Les médecins de ville, installés en nombre avant le numerus clausus, s’équipent, ont recours aux actes de laboratoire et aux examens de diagnostic. La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût, vite hors de portée des revenus individuels, même élevés. 1.1.2 L’évolution des droits et l’accès aux soins Dès 1981, le rapport de M. OHEIX met en évidence les difficultés d’accès aux soins des plus pauvres. Des médecins tels X. EMMANUELLI, à Nanterre puis dans le premier "SAMU" social à Paris, sont en première ligne. Le rapport de M. REVOL en 12 1987 est mis en oeuvre par la circulaire de Janvier 1988. Les solutions sont cherchées dans un accès plus aisé à la prise en charge, notamment via l’assurance personnelle et l’assurance médicale (décentralisée depuis 5 ans). La loi du 1er Décembre 1988 crée le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) qui pose comme postulat général : le droit de l’individu à un revenu minimum de survie. Son attribution ouvre droit à l’assurance personnelle, dont la cotisation est supportée par l’aide médicale. Celle-ci, à l’initiative des départements et des caisses d’assurance maladie sera réformée en 1992 pour en faciliter l’accès, en liaison avec le développement des cartes-santé. On croyait avoir trouvé une réponse dans l’accès aux soins. C’était oublier la complexité de l’affiliation, l’obstacle de l’avance des frais, le poids du ticket modérateur, l’existence d’un 2ème guichet pour l’aide médicale, l’inadéquation de la prise en charge par celle-ci des cotisations d’assurance personnelle. Cette dernière n’a pas été conçue pour des personnes en grande précarité. On verra ainsi des malades tuberculeux qui ne sont plus contagieux sortir de l’hôpital et rechuter, car ils ne peuvent acheter les médicaments dont ils ont besoin 2. 1.1.3 L’adaptation des dispositifs en santé publique Cette évolution introduit un premier constat. On prend conscience des interactions entre pauvreté et santé. La santé publique est en cause. Une approche élargie se révèle nécessaire, qui repose sur une adaptation de l’offre de soins. Les Programmes Régionaux de santé (PRS) sont lancés, de façon expérimentale en 1995, avant d’être officialisés par l’ordonnance du 24 Avril 1996. C’est le principal outil qui permet aux régions de mettre en œuvre les priorités régionales choisies parmi celles déterminées par la Conférence Régionale de Santé (CRS). Il est intéressant de noter que, dès le lancement de cette démarche de santé publique, 4 PRS sur les 39 engagés, portent spécifiquement sur les problèmes de santé des populations défavorisées. Une analyse des autres PRS, mis en place de 1995 à 1998, montre que cette préoccupation est, par ailleurs, très présente dans les 2 la loi 94 43 du 18 Janvier 1994 modifiera l’article L220 du Code de la santé publique pour que les dispensaires antituberculeux soient habilités à assurer, à titre gratuit, le suivi médical et la délivrance de médicaments anti-tuberculeux prescrits par un médecin. 13 objectifs de nombreux programmes. Ainsi, des PRS Périnatalité, Alcool, Saturnisme ou Santé des personnes âgées, développent des actions en direction de populations exclues ou en voie d’exclusion. La circulaire du 21 mars 1995 invite les Directeurs Départementaux des Affaires Sanitaires et Sociales à élaborer un Plan Départemental d’Accès aux Soins pour les plus Démunis (PDAS). Sa mise en œuvre dans une trentaine de départements permet d’élaborer une méthode de travail avec les partenaires qui concourent à la santé de ces personnes. La loi d’orientation contre les exclusions du 29 Juillet 1998 va donner une nouvelle impulsion à cette approche, en faisant des problèmes de santé des populations en situation de précarité une priorité nationale. Elle rend obligatoire dans chaque région l’élaboration d’un programme qui est soumis à la validation du Comité Régional des Politiques de Santé (CRPS). Ce programme, prévu pour 3 ans, est arrêté par le Préfet de région. La circulaire du 23 Février 1999 en précise les modalités et des crédits importants sont prévus pour faciliter leur développement. Ainsi, la première génération des Programmes Régionaux d’Accès à la Prévention et aux Soins (PRAPS) couvre la période 2000/2002. Le PRAPS est porteur de l’idée du décloisonnement du sanitaire et du social. Dans la région où a lieu notre étude, il a permis d’effectuer un repérage de ce qui existe et des espaces où les liaisons manquent. Il a également conforté, amélioré des actions existantes et innové par la création de postes d’Agents de santé, dont la mission est l’accompagnement vers le soin. Ces professionnels, de formation initiale assistant social, éducateur spécialisé, ou infirmier, ont participé à une formation d’adaptation à ces fonctions, qui sera renouvelée pour de nouveaux effectifs. L’hypothèse première est de faire évoluer ces métiers, ou bien de concevoir un nouveau métier. Ce travail vise à mettre en valeur la nécessité d’une relation d’accompagnement spécifique, où se croisent et se complètent des actions relevant du social et du sanitaire qui, par la singularité de leurs ajustements, favorisent le changement chez la personne et son mieux-être. 14 La loi affirme également la mission sociale de l’hôpital qui est interpellé pour renouer avec l’accueil des pauvres ; des Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS) sont crées dans ce sens. La PASS est au cœur même de cette question du lien sanitaire/social dans une institution essentiellement orientée sur le soin. Elle doit permettre un accueil des plus démunis, pour leur faciliter l’accès à leurs droits, pour recevoir des médicaments (délivrance de médicaments gratuitement par les pharmacies des hôpitaux), pour bénéficier des premiers soins, et être orienté afin que ces derniers se poursuivent. Dans la région de notre étude, on compte dix PASS avec des permanences et des protocoles d’accueil assurés par des infirmiers, des travailleurs sociaux, et des consultations médicales. A l'hôpital de la Ville A, elle a été créée, comme ailleurs, suite à une commande de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS). Elle est reliée au service des urgences et dispose de locaux à proximité. Les services de prévention sanitaire et de médecine scolaire, dans le même sens, sont invités à prendre en compte les difficultés des personnes en situation de précarité. La loi du 27 Juillet 1999, instaurant une Couverture Maladie universelle (CMU), parachève la réforme avec l’assurance maladie de base sous seule condition de résidence, et l’accès à la couverture complémentaire sous condition de ressources. En résumé, depuis les années 70, en réponse à la montée de la précarité, la protection sociale vise d’abord à une ouverture et à un accès facilité à des droits. Progressivement, les liens entre précarité et santé devenant plus prégnants, l’Etat impulse des mesures, des programmes au niveau local, qu’il cadre dans une loi. La nécessité d’un décloisonnement entre le secteur sanitaire et le secteur social est affirmée. Afin de bien repérer les interférences entre la précarité et la santé , une approche de ces notions est nécessaire. 1.2 : Approche de la précarité Exclusion, pauvreté, précarité, intégration sont des vocables qui ont largement pénétré les propos – qu’ils soient politiques, sociologiques, philosophiques, journalistiques, ou 15 familiers - tenus sur notre société contemporaine. Mais selon les évolutions historiques ils revêtent des représentations différentes. Il est important d’en approcher l’évolution et le sens afin de saisir ce qu’ils représentent aujourd’hui et de comprendre les nuances qu’apportent des notions connexes : désaffiliation, disqualification, etc. 1.2.1 Les évolutions historiques Au Moyen Age, les populations considérées comme marginales ont un mode de vie caractérisé par le vagabondage, la mendicité, la criminalité et l’exercice de métiers dévalorisés. Il s’agit d’individus qui vivent en dehors des systèmes émanant du patrimoine et du travail : n’ayant ni ressources personnelles ni revenus liés au travail, ils pratiquent la mendicité, qui a été l’une des grandes questions sociales des sociétés préindustrielles. De nombreuses tentatives ont été mises en place pour gérer ce problème aboutissant à une distinction fondamentale entre une mendicité « acceptable » qui était le fait de personnes sans revenus, parce que désignés inaptes au travail, mais sédentaires et domiciliées, et une mendicité non tolérable pratiquée par des indigents valides, qu’il fallait mettre au travail ou châtier sévèrement. Dans une société où l’intégration sociale passe par la stabilité géographique, où le travail fixe l’individu à un territoire (le paysan est attaché à sa terre, comme l’artisan l’est à son échoppe), la mobilité est stigmatisée lorsqu’elle prend la forme du vagabondage ( ce qui n’est pas le cas pour la mobilité légitime du marchand). La dynamique conduisant à la marginalisation est le plus souvent d’origine économique : elle prend sa source dans l’instabilité des situations de travail et la fragilité des insertions sociales. Ainsi, les exclus de l’époque médiévale sont des paysans ruinés, ou des individus exerçant certains petits métiers de ville, non protégés par les systèmes corporatistes, et souvent obligés de partir de chez eux pour aller tenter leur chance ailleurs. Ils connaissent des trajectoires de désaffiliation qui commencent le plus souvent par une rupture avec leur premier enracinement territorial, et qui se poursuivent par une série d’errances à la recherche de travail, pour se terminer parfois avec une arrestation ou une condamnation. Il est important de noter ici que ces phénomènes de marginalisation concernent des individus qui ont été pendant un certain temps complètement intégrés à l’ordre social. Ainsi dans la grande majorité 16 des cas, le vagabondage est l’aboutissement d’un itinéraire qui comporte plusieurs étapes, et dont la situation d’exclusion est le résultat, l’aboutissement extrême. A la fin du 17ème siècle et avec le développement de l’ère industrielle, une nouvelle organisation sociale se profile. Les franges les plus populaires d’une société marquée par le féodalisme constituent le gros de la première main d’œuvre ouvrière et, plus que de pauvreté, on parle désormais de prolétariat ouvrier et de « paupérisme ». Puis, peu à peu, s’installe la société salariale, avec son cortège de protections sociales et ses systèmes d’assurances (chômage, maladie, vieillesse, etc.) censées garantir à chacun une vie correcte en cas d’accident de parcours. Cette organisation sociale connaît son apogée au cours des « 30 Glorieuses », et pendant un certain temps on a pu penser que les seules personnes qui pourraient désormais se trouver dans le besoin étaient les individus inaptes au travail, désormais pris en charge par un système d’assistance en rapport avec leurs particularités (ce fut le cas, par exemple, avec la construction d’un véritable statut social pour les personnes handicapées statut équivalent à celui du « pauvre intégré » de la société médiévale). Or, les évolutions des dernières décennies remettent en question cette idéologie. On constate que l’industrialisation a, elle aussi, produit un type de positions vulnérables et l’on voit réapparaître des formes de pauvreté (y compris à l’intérieur du travail salarié) que l’on croyait disparues. L’activité professionnelle n’est plus synonyme de stabilité, et l’emploi n’est plus systématiquement pourvoyeur ni d’un revenu fixe et suffisant, ni de tout un ensemble de droits et de protections sociales. Le sociologue R. CASTEL parle ainsi d’une « dynamique générale de précarisation qui défait les statuts assurés »3 et propose la notion de « désaffiliation ». A l’origine, précaire qualifie quelque chose "qui n’est pas capable de durer" : c’est bien cette dimension d’instabilité qui caractérise le plus fortement ces parcours fait d’alternances entre des périodes de travail et des périodes de chômage, marqués par l’incertitude et l’impossibilité de se projeter dans l’avenir. 3 CASTEL, R., Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1998. 17 1.2.2 L'affaiblissement des liens sociaux et relationnels Depuis la fin des 30 Glorieuses, dans notre société salariale, se sont développés des parcours professionnels et des formes d’emploi qui tendent à s’éloigner de plus en plus de l’emploi en contrat à durée déterminée et à plein temps, qui constituait jusqu’ici la norme de référence. C’est au regard de cette norme, que l’on parle de précarité et d’exclusion pour les personnes qui n’ont pas, ou plus, accès à l’emploi, ou qui n’ont accès qu’à ses formes dérivées (stage, Contrat Emploi Solidarité, Contrat Emploi Consolidé, et autres formes de contrats à durée déterminée) Les difficultés que rencontrent ces personnes ne s’expriment pas seulement dans le rapport à l’emploi, mais aussi dans certaines formes d’affaiblissement des liens sociaux et relationnels. En effet, d’une part, les mutations de l’organisation salariale entraînent une atomisation des collectifs de travail et le développement des contrats temporaires qui favorisent le nomadisme professionnel et rendent difficile la constitution de réseaux relationnels fondés sur l’entourage de travail. D’autre part, le rôle intégrateur et stabilisateur de la famille nucléaire tend à s’atténuer en s’articulant de façon complexe et interactive avec les incertitudes qui marquent de plus en plus de parcours professionnels. Les transformations de ces deux grands liens de la vie sociale que sont le travail et la famille prennent part aux processus de précarisation. La précarisation ou l’exclusion, tout comme l’intégration professionnelle se définissent donc fondamentalement comme des processus multidimensionnels, se déclinant à la fois dans le domaine professionnel et dans le domaine relationnel, et peuvent également toucher d’autres aspects des conditions de vie comme le logement, l’accès aux soins. 1.2.3 La perte des supports et de la reconnaissance sociale A propos de la situation actuelle, R. CASTEL remarque que « Ce n’est pas l’avènement de la précarité en tant que telle, mais d’une nouvelle forme de précarité qui s’installe après la mise en place des régimes de protection qui avaient jugulé la précarité antérieure ». Et il constate que « dans l’ébranlement actuel, non seulement on perd les protections qui avaient été construites par l’Etat, mais on dispose de peu de positions de repli pour faire face à ces nouvelles carences ». Il propose le terme de « désaffiliation » qui nomme « des situations de 18 décrochage » ce qui signifie que « les gens ne sont plus inscrits dans des régulations collectives, qu’ils ont perdu leurs assises ou leurs supports et qu’ils se mettent à flotter parce qu’ils n’ont plus de repères. », se retrouvant ainsi « individus par défaut »4. Placé en position d’« inutilité sociale » ou de « surnuméraire » parce qu’il n’est pas inscrit dans les dynamiques qui produisent de la richesse et de la reconnaissance sociale, l’individu ressent de l’insatisfaction parce qu’il ne trouve pas en dehors de lui ce qu’il voudrait obtenir (par exemple du travail, des revenus, des opportunités pour sortir de son marasme). S. PAUGAM parle de « disqualification sociale » et V. DE GAULEJAC de « lutte des places » - puisque de places il ne peut pas y en avoir pour toute monde ! De son côté, R. CASTEL remarque qu’ « en posant le principe de l’égalité entre les individus, en particulier sous la forme de l’égalité des chances, les sociétés démocratiques individualisent l’inégalité : si le jeu est ouvert et que tout le monde peut concourir et être classé selon son mérite, l’échec est imputable à l’individu lui-même ».5 Ces positions peuvent avoir des répercutions sur la santé psychique de l’individu, entraînant une fragilisation, du désarroi et même de la souffrance. Dans son rapport de 1995, A. LAZARUS parle d’ « une souffrance que l’on ne peut plus cacher » et du « besoin de soins pour des usagers qui ne sont pas des malades mentaux. »6 1.2.4 Des définitions J. WRESINSKI, dans le rapport remis au Conseil économique et social en 1987, propose la définition suivante : 4 CASTEL, R. , HAROCHE, C. , Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Entretiens sur la construction de l’individu moderne, Paris, Fayard, 2001. 5 CASTEL, R. , HAROCHE, C. , o.c. 6 LAZARUS, A. , Une souffrance que l’on ne peut plus cacher, Rapport du groupe de travail « Ville, santé mentale, précarité et exclusion sociale », Délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain, Délégation interministérielle au RMI,1995,. 19 « La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou mois graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de ré-assumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un avenir prévisible». 7 Cette définition de J. WRESINSKY reste pertinente aujourd’hui, et aide à comprendre le processus qui, à des rythmes variables et pour des motifs différents, s’inscrit dans la vie d’un certain nombre de personnes. Elle met en particulier en évidence que la capacité d’assumer seul ses responsabilités est très rapidement entamée dès lors que les sécurités de base sont affectées. Dans le Rapport du Haut Comité de la Santé Publique sur "la progression de la précarité en France et ses effets sur la santé", nous pouvons lire que « la précarité est avant tout un état de fragilité et d’instabilité sociale dont l’avenir, la durée, ne sont pas assurés et qui risque s’il se prolonge de faire glisser ceux qu’il affecte vers l’exclusion. Telle qu’on peut la définir ici, la précarité relève donc plus d’une vision d’un état transitoire que d’une catégorie sociale aux limites précises. C’est sur la base d’une telle approche qu’elle doit être regardée en tant que déterminant de l’état de santé. »8 La notion de "déterminant de santé", qui vient d’être énoncée, a été apportée par la première Conférence internationale pour la promotion de la santé, réunie le 21/11/1986 à Ottawa. Elle ouvre sur une nouvelle conception de la santé. 7 WREZINSKY, J. , Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Journal officiel, Avis et rapports du Conseil économique et social, 1987. 8 HAUT COMITE DE SANTE PUBLIQUE, La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé, Rennes, ENSP, Avis et rapports, 1998, p. 26. 20 1.3 : Approche de la santé 1.3.1 Des définitions La Charte d’Ottawa, élaborée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) 9, énonce que l’état de santé d’une population est le résultat de l’influence de nombreux facteurs déterminants, et affirme ceci : « Pour parvenir à un état complet de bien-être physique, mental et social, l’individu ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter. La santé est donc perçue comme ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; c’est un concept positif mettant l’accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les capacités physiques. La santé exige un certain nombre de conditions et de ressources préalables, l’individu devant pouvoir notamment : se loger, accéder à l’éducation, se nourrir convenablement, disposer d’un certain revenu, bénéficier d’un écosystème stable, compter sur un apport durable de ressources et avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable. Ainsi la promotion de la santé, dont l’ambition est le bien être complet de l’individu, ne relève pas seulement du seul secteur de la santé. » Ce texte permet de pénétrer, avec une force évidente, dans la problématique du rapport de la santé avec la pauvreté et la précarité. Mais il y a également, entre la santé et l’environnement social, une relation circulaire, car comme il le rappelle : « La bonne santé est une ressource majeure pour le développement social, économique et individuel et une importante dimension de la qualité de vie. » D’autres approches issues de la clinique considèrent la santé comme une conquête toujours provisoire et non un état passif indéfiniment acquis. Elle est soumise à l‘expression du potentiel génétique et aux effets pathogènes du mode de vie et de l’environnement. En ce sens, la santé serait plutôt un compromis provisoire supposant le fonctionnement plus ou moins harmonieux d’un certain nombre de mécanismes de défense, innés ou acquis. 9 Charte élaborée lors d'une Conférence internationale pour la Promotion de la santé, le 17-21 Novembre 1986, à Ottawa (Ontario) 21 X. EMMANUELLI porte un regard critique sur la définition de l'OMS qui, selon lui fait apparaître la santé comme un idéal inatteignable, « revendiquée comme droit, jamais atteinte comme fait. » A son avis, « La vie, donc la santé, c’est au contraire le territoire de l’inquiétude, de l’ajustement permanent des équilibres, des épreuves minuscules ou grosses à surmonter chaque jour, de la capacité à faire des deuils, c’est à dire survivre aux pertes. On peut espérer, comme un objectif lointain, acquérir l’état utopique de quiétude des organes, de l’esprit et de l’environnement. Mais la santé n’est pas dans le terme, elle est dans le cheminement, le parcours d’obstacles, le passage qui ouvre sur l’expérience et l’expansion de l’être. A mes yeux, la bonne santé serait plutôt la capacité de maintenir et de nourrir les facultés nécessaires à l’établissement d’un échange riche avec le monde. On peut être physiquement peu performant, par exemple asthmatique ou insuffisant cardiaque, mais être en bonne santé pour peu que l’on sache échanger avec grâce et sérénité. »10 Ainsi, la capacité de surmonter des épreuves et la capacité d’avoir des échanges satisfaisants avec les autres et l’environnement, tout au long de la vie, sont des éléments essentiels à la santé. Dans le Rapport du Haut Comité de santé publique, il est question de l’altération d’un ou plusieurs déterminants – que l’on peut relier aux termes de « sécurités de base » présents dans la définition de la précarité de J. WRESINSKY - ce qui représente un péril pour la santé présente et future des individus. Ce texte définit la santé dans un sens assez proche de celui de la Charte d’Ottawa. « Bien entendu, dans une perspective de santé publique, la santé ne saurait être limitée à la seule absence de maladie. Une souffrance psychique, même non pathologique, la répétition de troubles bénins, une perturbation de l’image de soi ou le sentiment de sa propre inutilité seront considérés comme des signes suffisants pour parler de problème de santé. D’autant que cette souffrance est en elle-même un déterminant important de la mauvaise santé. »11 Les auteurs de ce Rapport avancent la notion de « capital-santé » qui, bien qu’elle ait un caractère statique, et rende difficilement compte des stratégies personnelles 10 11 EMMANUELLI, X , Out, L’exclusion peut-elle être vaincue ? , Paris, Laffont , p. 83. HAUT COMITE EN SANTE PUBLIQUE, o.c. , p. 47 22 d’utilisation du capital, offre l’avantage de bien marquer à quel point les évènements tout au long de la vie, augmentent, protègent, érodent ce capital qui peut atteindre ses limites de nombreuses années après avoir été ainsi entamé. Ainsi la démarche en éducation pour la santé auprès des publics en situation précaire, si elle ne diffère pas fondamentalement, dans ses principes essentiels, des démarches effectuées auprès d’autres publics, va être cependant confrontée à un enjeu particulier : celui d’intervenir précisément sur cette capacité à maîtriser certains aspects de la vie qui participent au bien être et à choisir des comportements favorables à la santé. 1.3.2 L’approche sanitaire dissociée de l’approche sociale L’histoire de l’hôpital montre bien comment le secteur sanitaire et le secteur social se sont disjoints. Dans les asiles de l’Ancien régime, vieux, mendiants, mourants, indigents, malades, accouchées et aliénés sont entassés dans des conditions de confusion et d’hygiène catastrophiques. L’asile fait peur et quiconque a les moyens appelle un médecin à son domicile. Par une politique volontaire, la première moitié du 19ème siècle est pour l’hôpital un âge d’or qui fait la réputation internationale de la médecine française. En 1851, une loi sépare l’hôpital de l’hospice, affirme sa vocation médicale au service des pauvres, les privilégiés restant attachés aux médecins des villes et aux cliniques privées. Seuls les misérables continuent de naître et de mourir à l’hôpital. Ce n’est qu’en 1941, qu’une loi ouvre l’accès de l’hôpital à tous les publics, mettant fin à la vieille association de l’hôpital avec la charité. En 1970, la loi relative à la réforme hospitalière crée les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) et investit l’hôpital de la triple mission de la recherche, de l’enseignement et de la clinique. L’objectif était de constituer la santé publique en pôle d’excellence, d’y attirer les plus grands spécialistes en leur offrant des perspectives de carrières attrayantes et des moyens techniques immenses. Cette loi limitant la mission des établissements au domaine médical, le social doit être pris en charge ailleurs par des professionnels compétents et adaptés. En 1975, la "loi relative aux institutions médico-sociales" sépare définitivement le sanitaire du social. De ce jour, l’hôpital est devenu un établissement strictement 23 technique qui n’héberge que dans la mesure où il soigne. Le caractère "hospitalier" qui permettait jusque là d’accueillir pour des longs séjours des nécessiteux affligés de maladies chroniques a disparu. Investissant toujours plus dans la technologie et toujours moins dans l’accueil, la nouvelle logique économique affirme la prévalence de la technique sur l’humanisme. Le soin (curatif) reste bien dévolu à l’hôpital, mais tout l’aspect de l’accompagnement, du "prendre soin" doit avoir lieu ailleurs. Cette dissociation s’est également instituée dans la formation médicale. Dès 1943, un décret impose au personnel hospitalier de posséder des diplômes d’Etat. Plus tard, dans les années 70, la formation des infirmiers et des assistants sociaux, comportant auparavant un tronc commun, se scindera en deux cursus bien distincts. Il est intéressant de remarquer que des choix importants se déroulent durant la décennie 70 qui révèle l’entrée de la société dans "la crise" . Depuis cette époque, progressivement, le secteur social est amené à adapter ses actions en prenant en compte la santé. Une pré-enquête nous a permis d'éclairer des pratiques allant dans ce sens. 1.4 : Action sociale et santé Pour notre travail de pré-enquête, nous avons choisi de contacter le Service Social de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie (SS-CRAM), car il appartient au vaste système de protection sociale de la Sécurité Sociale, et mène des actions de prévention sur la santé auprès de publics en situation de précarité. Ensuite, nous avons porté notre intérêt vers le SAM-A crée par l'Association A parce qu’il est un lieu de soins qui pratique une approche particulière. 1.4.1 L’expérience du Service Social CRAM 1.4.1.1 L’adaptation aux besoins Initialement, le SS-CRAM était destiné aux personnes atteintes gravement par la maladie. En 1988, Il devient aussi instructeur de dossiers RMI. Le dispositif mis en 24 place fait sortir de l’ombre beaucoup de personnes non connues des services sociaux et met en évidence le caractère massif de la précarité. Les assistants sociaux sur leurs secteurs sont les premiers observateurs de ce phénomène. Au départ, les contrats élaborés dans ce cadre sont essentiellement à visée professionnelle. Mais assez rapidement (vers 90/91), les assistants sociaux (AS) constatent qu’un travail préalable est nécessaire, pour bon nombre de personnes, par exemple sur l’image de soi, et plus globalement sur une éducation à la santé. L’idée forte émergeante est que la non prise en compte de la santé constitue un frein à l’insertion. En effet, pour les personnes en situation de précarité, la maladie est une difficulté parmi d’autres, et la prise en compte de sa santé est souvent un sujet relégué derrière des préoccupations dans d’autres domaines (emploi, revenus, logement). Ce service constate que si le RMI a apporté un revenu, et la possibilité d’être assuré, si la CMU assure et garantit un panier de biens de soins (selon les termes de la Sécurité Sociale), cela ne suffit pas pour que les personnes se soignent, et/ou prennent en compte dans leur environnement, leur mode de vie, les éléments favorables à leur santé. Une aide apparaît primordiale pour favoriser leur prise de conscience sur ces aspects et les accompagner vers les soins. 1.4.1.2 Le partenariat entre le secteur sanitaire et le secteur social Les professionnels recherchent de nouvelles façons de travailler. Ils trouvent des relais pour entrer en contact avec ces personnes en situation de précarité, car elles ne répondent pas aux courriers "classiques" , et ne viennent pas aux rendez-vous. Dès 92/93, les AS de la CRAM initient des Modules-santé qui aident à faire les liens sur tous les aspects de la santé (sommeil, alimentation…), qui favorisent l’expression des peurs (du diagnostic, de la rencontre avec un professionnel, de se confier...). Par la dynamique du groupe et l’apport des intervenants, les AS tentent de faire évoluer les personnes et de modifier leur représentation de la santé. Par exemple, dans un département de la région à partir d’un Restaurant du Cœur, les AS ont monté un atelier-santé. Après plusieurs séances, un professionnel de la Sécurité Sociale est intervenu, puis les AS ont pu travailler sur des besoins individuels. 25 Des collaborations sont nées : avec la polyvalence de secteur, l’Agence Nationale Pour l’Emploi , la Mission Locale, etc. Dès lors, un travail essentiel de partenariat s’est élaboré. Le travail entre les professionnels du soin et les professionnels du service social s’est construit, se situant au niveau de la complémentarité et de la coordination. Au niveau politique, il a fallu faire comprendre aux élus que les modules-santé ne peuvent être efficients que pour des petits groupes. La prise de conscience qui s'est ouverte, questionne sur le décloisonnement sanitaire/social en direction d’une approche globale de la personne. 1.4.2 L’expérience du SAM - A 1.4.2.1 Une approche adaptée et un engagement humain et professionnel Le SAM - A, situé à proximité du Service d’Accueil et d’Orientation de la Ville A, a été créé après les Assises de la marginalité, en 1987/88, auxquelles participaient des associations caritatives et des associations gestionnaires d’établissements sociaux. Ces organismes ont fait le constat que les populations en situation de précarité ou exclues avaient des problèmes de santé complexes, mal soignés, et que l’offre de soins n’était pas saisie par elles ou pas adaptée. Dès lors, le SAM se construit autour de l’idée qu’il faut partir du social, de la situation globale de la personne pour l’amener à se préoccuper de sa santé, plutôt que de faire un lieu de santé spécifique pour un public en situation de précarité (qui signerait une sorte de "médecine à 2 vitesses"). . La précarité entraîne des perturbations profondes parmi lesquelles le rapport au corps (le soucis de soi, en tant que corps) est modifié. Les phénomènes d’exclusion provoquent des altérations de l'image de soi, de l'identité, des désinvestissements de soi-même et de son environnement, allant jusqu’à la souffrance psychique. Les repères spatio-temporels sont défaits, désorganisés. C’est pourquoi, les systèmes d’accueil segmentés, sur rendez-vous, sont inappropriés avec certaines personnes. Aussi, le SAM propose un accueil adapté, qui peut être réglementé pour les uns, ou spontané pour les autres. Il est aussi un lieu à mesure humaine et relativement banalisé, c’est à dire non marqué fortement comme institution sociale ou hospitalière. 26 La coordinatrice du SAM relève que beaucoup de personnes reçues sont « volatiles », c’est à dire qu’elles vont « picorer » à différents endroits ; il est difficile de les « accrocher » et elles peuvent mettre six mois à un an, pour accepter de rencontrer un médecin. Ce travail demande beaucoup de patience de la part des professionnels qui doivent ré alimenter sans cesse leur motivation et leur intérêt pour elles, afin de lutter contre des sentiments d'impuissance et/ou d’échec. Mais ces patients peuvent être aussi de « grands impatients », car demandant une réponse immédiate à un soucis du moment, qu’ils ne relient pas à un problème de santé. Elle remarque que tant qu’il n’y a pas d’investissement de ces personnes, il ne se passe pas grand chose en matière de soins ou d’accompagnement social. Les professionnels visent à créer progressivement « un humus relationnel », qui d'abord éveille puis entretient chez elles une envie d’être aidées dans ce lieu, et qui, de leur côté est un des moteurs de leur motivation. Elle relève que ces personnes sont « telles des tonneaux de Danaïdes » qu’on remplit et qui se vident aussitôt. Il faut du temps, parfois plusieurs années pour qu’il reste quelque chose au fond, et obtenir des changements. Cela représente une tâche très difficile. A son avis, cela peut paraître tout à fait marginal de travailler dans la durée, car aujourd’hui, tout doit aller très vite (les Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale doivent réinsérer un individu en six mois ou un an). Confrontés à ce public, médecins et travailleurs sociaux voient leurs conceptions antérieures dépassées, humanistes chez les médecins, idéologiques chez les travailleurs sociaux. Une remise en question profonde est donc nécessaire. 1.4.2.2 Une articulation incessante à trouver entre le sanitaire et le social Le SAM tend à trouver en permanence une articulation entre le sanitaire et le social, et à susciter une interaction dans le même lieu. Le médecin ne peut pas faire de la médecine, des prescriptions et veiller à l’accompagnement aux soins, sans prendre en compte la réalité de vie des patients. Par exemple, entamer une démarche de sevrage d’alcool, avec une personne en errance, ne marchera jamais. 27 Le SAM dispose donc d’une équipe pluridisciplinaire dont la coordination est assurée par un travailleur social et non un médecin, cela « pour marquer la signification que le médecin doit pratiquer une médecine sociale ». Or, comment construire une pratique avec de l’accompagnement social et de l’accompagnement aux soins en sachant que le champ social et le champ sanitaire relèvent chacun d’institutions différentes en terme de financement ou de tutelle ministérielle ? Sur le terrain, même si les acteurs ont la volonté de collaborer, parce qu’ils ont besoin les uns des autres, comment peuvent-ils dépasser leurs enfermements institutionnels ? C’est ainsi que des sujets, chez qui les difficultés de santé et les difficultés sociales sont étroitement imbriquées, sont renvoyées d’un champ à l’autre - phénomène qualifié communément du « syndrome de la patate chaude. » Tous les jours, un accueil médical et social est assuré par deux professionnels : soit l’infirmière et la secrétaire, soit l’infirmière et la coordinatrice, et des consultations médicales ont lieu : quotidiennement en médecine générale, ponctuellement en psychiatrie et dermatologie. De plus, une psychologue est présente un matin par semaine. Le SAM prend en compte la restauration de l’image de soi, en offrant la possibilité de bains, douches, changement de vêtements, coiffure. Son fonctionnement est à la fois construit, et à tout moment déconstruit, car l’accueil est ouvert avec ou sans rendez-vous. Cette part d’aléatoire implique la nécessité d’une grande complicité entre les professionnels qui doivent être polyvalents, afin d’être tous en capacité d'évaluer la situation de toute personne reçue et de discuter avec elle de son orientation. Ce moment est donc primordial pour l'avenir. 1.4.3. Le maillage Le maillage est un terme employé à différents niveaux. Au niveau de la pratique quotidienne, le maillage est construit par l’équipe du SAM dans un soucis d’approche globale; il décrit l’articulation du social, de l’administratif, du médical, des soins à la personne et à la restauration de son image. 28 Dans le cadre du PRAPS, la question de l’accompagnement vers le soin s’est posée car il est apparu que l'absence d'une liaison empêchait les personnes en situation de précarité d’accéder à des soins. La réponse innovante dans la région de notre étude a été de concevoir les agents de santé, professionnels qui ne soignent pas, qui ne traitent pas le social mais qui, sur un certain laps de temps, accompagnent la personne pour qu’elle démarre ou poursuive les soins dont elle a besoin. Le PRAPS a formalisé la réflexion sur l’approche globale de la personne et encouragé le développement de réseaux (CHS-CHRS, Réseaux-Urcam12) afin de créer un maillage sanitaire et social qui favorise les prises en charge et suivis des personnes. Les collaborations sont lentes, complexes. Par exemple, l’adhésion d’un psychiatre à un réseau est variable selon sa formation, ses choix théoriques. Les nouvelles politiques territoriales invitent les professionnels des secteurs public et libéral, appartenant à des institutions diverses à travailler ensemble, plutôt qu’elles ne créent des institutions nouvelles. Ces collaborations ne sont pas aisées, tributaires souvent de l’engagement et de l’intérêt des personnes. La question du maillage donc des liens a été théorisée avec les concepts de réseau et de partenariat. 1.5 : La construction de nouvelles pratiques 1.5.1 La coopération13, le réseau, le partenariat Le chômage, et la précarité massive qu’il a entraînée, ont rendu de plus en plus indispensables les rencontres entre professionnels de différents secteurs oeuvrant dans le champ très vaste de l’insertion sociale : emploi, formation professionnelle, logement, administrations diverses, santé. Les coopérations entre acteurs sociaux, se mettent en place sur le constat d’un manque, d’un défaut, autour d’une question centrale. Sur le sujet qui nous intéresse, elle peut être celle-ci : comment advient-il que les populations en situation de précarité ne saisissent pas l’offre de soin existante ? Et par conséquent, comment remédier à cela ? 12 13 Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie nous utiliserons comme synonymes coopération et collaboration pour éviter les répétitions. 29 La ou les réponses ne peuvent pas se construire sur l’intervention d’un seul secteur, mais sur la coopération entre plusieurs secteurs. A partir de leurs relations professionnelles de proximité, les acteurs sociaux explorent, construisent des pratiques collectives où ils s’investissent, enrichissant ainsi leurs pratiques, et le sens de leurs missions. Ainsi, la coopération est devenue progressivement un outil de travail au service d’actions coordonnées. Fin des années 80, début des années 90, la notion de réseau est majoritairement associée à ces pratiques. Elle rend compte ou promeut des formes de travail entre professionnels sans forcément penser l’implication des hiérarchies institutionnelles. C. NEUSCHWANDER, du groupe TEN, en 1991, insiste sur la proximité et la connivence des acteurs entre eux. Pour lui, le réseau est « un assemblage variable d’acteurs libres qui entretiennent entre eux une communication forte. Parce qu’un tel réseau est d’abord communication, il développe trois caractéristiques : une communication ne s’établit qu’autour d’un intérêt commun : le réseau s’organise donc autour d’un domaine de connaissances, de compétences, ou d’activités, par rapport auquel il permet d’établir des relations d’échange; une communication ne se maintient que s’il y a compréhension : le réseau génère donc des concepts qui lui sont familiers, une certaine forme de culture commune et même des valeurs partagées; une communication ne se réalise que s’il y a une crédibilité mutuelle : le réseau se développe donc par la reconnaissance d’une compétence, d’une capacité d’influence ou d’action : il repose de ce fait sur une complicité à base de confiance qui correspond à l’entrée dans ce réseau ! La perte de cette crédibilité entraîne la rupture des communications et donc de ce fait la sortie du réseau. »14 Au cours des années 90, « l’inclination de plus en plus forte des institutions à contrôler les actions externes de leurs agents, va conduire les acteurs du secteur à recourir de plus en plus à la notion de partenariat »15. 14 15 NEUCHWANDER, C. , Les réseaux et les acteurs, Revue Pour, n° 132, 1991. LYET, P. , 2002 30 Ce terme traduit le constat que les collaborations externes des agents ne peuvent véritablement se développer que si les hiérarchies institutionnelles sont engagées, sous une forme ou une autre, et par là, garantissent les actions développées. A un premier niveau, C. LANDRY (1994) en propose la définition générale suivante : « Le partenariat résulte d’une entente réciproque entre des parties qui, de façon volontaire et égalitaire, partagent un objectif commun et le réalisent en utilisant de façon convergente leurs ressources respectives. »16 D. BONDU (1998) quant à lui, tente d’en décrire la complexité et le formalise comme « un système organisé de coordinations des acteurs institutionnels, définis chacun par des cadres juridico-politiques parfaitement établis. Aussi le travail partenarial rassemble-t-il des représentants d’institutions qui s’efforcent de conjuguer leurs logiques et ne fonctionne qu’à travers des procédures et des règles parfaitement formalisées, en privilégiant nécessairement des échanges de type secondaire, c’est-à-dire formels et médiatisés, entre les personnes impliquées. En particulier, le partenariat sera efficient à partir du moment où les règles mises en place traduisent un accord commun sur la place spécifique et la complémentarité de chaque acteur institutionnel, définies en regard d’une vision partagée et d’objectifs communs. » 17. Plus récemment, dans son ouvrage de 2001, F. DHUME s’intéresse aux formes actuelles de "travail ensemble". Il propose de définir le partenariat comme « une méthode d’action coopérative fondée sur un engagement libre, mutuel et contractuel d’acteurs différents mais égaux, qui constituent un acteur collectif dans la perspective d’un changement des modalités de l’action -faire autrement ou faire mieux- sur un objet commun- de part sa complexité et/ou le fait qu’il transcende le cadre de l’action de chacun des acteurs-, et élaborent à cette fin un cadre d’action adapté au projet qui les rassemble, pour agir ensemble à partir de ce cadre. »18 Il insiste sur la notion d’engagement libre des partenaires, qui doivent accepter premièrement, une situation d’instabilité et d’inconfort par la remise en question des habitudes et des implicites. Pour lui, « les trois moteurs de la démarche s’appellent : intérêt partagé, conflit négocié et prise de risque. »19 16 LANDRY, C. , citée par MAROY, C. , Le partenariat, concept ou objet d’analyse ?, Education Permanente, n°131/1997, p. 30. 17 BONDU , D. , Nouvelles pratiques de médiation sociale, Paris, ESF, 1998. 18 DHUME, F. , Du travail social au travail ensemble, Paris, ASH, 2001, p.108. 19 DHUME, F. , o.c. , p.103. 31 Nos lectures et notre travail de pré-enquête nous donnent à penser qu’aujourd’hui la dynamique de réseau renvoie à l’existence de liens de coopération pré-existants, actifs, alors que la dynamique du partenariat suppose la construction d’un cadre et conduit à changer l’organisation et les pratiques des acteurs. De notre point de vue, l’élément majeur commun à ces deux termes, est la coopération. Dans ce travail, nous allons particulièrement nous intéresser à la coopération entre les soignants et les travailleurs sociaux, qu’ils soient acteurs de réseaux et/ou de partenariats. C’est pourquoi, il nous paraît nécessaire d’approfondir cette notion. 1.5.2 Le travail ensemble 1.5.2.1 Les représentations et l’intercompréhension En amont de la rencontre entre les partenaires, F. DHUME préconise une réflexion sur « l’altérité et les différences, la confrontation et le conflit, les forces et les fragilités de chacun »20. Il importe de se connaître et de se comprendre. Mais « l’intercompréhension » ne se borne pas à un sentiment de connaissance préalable de l’autre. « Il s’agit de passer non seulement par une expression des identités et des différences mais aussi par une (ré)appropriation des valeurs des autres, non pas pour les faire siennes, mais pour les comprendre, les maîtriser ». Il précise encore que « concrètement, il ne s’agit pas seulement d’exprimer qui l’on est. Il peut s’agir aussi de dire aux autres comment on les voit, qui l’on pense qu’ils sont…Et c’est ce partage de représentations réciproques qui fonde un véritable processus d’intercompréhension, sans lequel le partenariat n’aboutira pas. »21 Ces représentations sociales jouent un rôle d’autant plus important lorsque les conditions de différenciation demandent à s’estomper dans une activité qui décloisonne les « monopoles » des champs d’intervention. Les comparaisons surgissent, les différences ont plus de probabilité d’être mises en exergue : ce n’est 20 21 DHUME, F. , o.c. , p. 162. DHUME, F. , o.c. , p. 184. 32 pas en niant les différences que celles-ci ne jouent plus un rôle d’entrave. P. RICHARD-DE PAOLIS, 22 lors d’un Colloque en 1989, conclut ainsi « car nous pouvons aussi construire, par la reconnaissance des différences, et l’appréciation des outils des uns et des autres, des atouts pour une collaboration efficace. » Dès lors, F. DHUME propose d’« avancer l’un vers l’autre jusqu’à faire ensemble, abandonner certaines parties de soi tout en préservant ce qui est essentiel : l’éthique, l’identité, pour faire quelque chose qui ait un sens. ». Cela suggère que le partenariat génère une production qui dépasse la simple addition des compétences : « on fait quelque chose de nouveau ou de différent, immanent à la création d’un nouvel acteur collectif. »23 1.5.2.2 La problématisation et la traduction Ce "travail ensemble" est donc porteur de changement, créateur d’innovation. Or, il importe à toute action de changement, à toute introduction d’innovation de faire, en préalable, la part de ce qui unit et de ce qui sépare. Cette démarche de problématisation conduit nécessairement à la formulation d’une interrogation, susceptible de produire la convergence des acteurs concernés. Elle fait passer chaque entité d’un contexte, d’une position singulière et isolée, à une acceptation de coopération. Cette mise en mouvement s’opère autour d’un projet provisoire et minimum qui ne peut tout d’abord résider que dans l’intention d’apporter une réponse à une question d’ordre général, mais englobant tout de même les intérêts de chacune des entités. D’après H. AMBLARD et P. BERNOUX, « la problématisation ne peut s’opérer que sous l’effet d’un traducteur, c’est à dire 22 P. RICHARD-DE PAOLIS. Directrice de l’Ecole d’Eudes Sociales et Pédagogiques. Contribution lors d’un colloque sur le thème : « Professions du champ social : pratiques et enjeux de la collaboration », Cahiers de l’EESP, 1989, p. 29. 23 DHUME , F. , o. c. , p.112 33 d’un acteur qui après s’être livré à l’analyse du contexte, dispose de la légitimité nécessaire -ou au minimum n’est pas en situation illégitime- pour être accepté dans le rôle de celui qui problématise. »24 Ainsi, selon les sociologues CALLON et LATOUR25 la traduction devient un mouvement, qui permet « d’établir un lien intelligible entre des activités hétérogènes ». Sa qualité n’est pas dans son contenu mais dans son processus d’énonciation ou de production. Ils poursuivent leur propos ainsi : « Il (le traducteur) détourne de leur trajectoire les entités en présence mais ne provoque pas pour autant l’abandon par chacune des parties des enjeux qui sont les siens. Conduites à un point de passage obligé, parce que cela participe, du point de vue de chacune des entités, de la poursuite de leurs intérêts, celles-ci se trouvent engagées dans un compromis (provisoire comme tout compromis) sans avoir rien renié leur spécificité : la convergence se fraie (…) Ainsi entendue, la traduction devient la création d’espaces de négociation, la production d’ "arrangements" multiples, de "combinaisons", " combines"… " compromis", qui seuls permettent aux choses et aux humains de tenir ensemble ; " sous l’opposition des objets et des sujets, il y a le tourbillon des médiateurs"– des traducteurs, pourrait-on ajouter. »26 1.6 La problématique de notre recherche Dans une dynamique tendant au décloisonnement de leurs pratiques, des soignants et des travailleurs sociaux oeuvrent ensemble auprès de personnes en situation de précarité. Ces professionnels élaborent leurs actions dans une démarche d’approche globale de ces personnes, considérant leurs difficultés à vivre en terme de santé, et/ou resituant leurs difficultés de santé dans leur histoire et leur contexte de vie. 24 AMBLARD, H. , BERNOUX, P. , HERREROS, G. , LIVIAN, Y-F. , Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil, 1996. 25 cité par AMBLARD, H. , BERNOUX, P., o. c. , p.136 26 AMBLARD, H. ,BERNOUX, P. , o. c. , p.176 34 Echanges, concertations, mises en commun, coordinations conduisent à l’élaboration d’un diagnostic partagé - terme, d’abord chargé du savoir et des prérogatives médicales, ensuite employé par le secteur social, et qui, dès lors, procède d’une maturation commune. En conséquence, les actions proposées aux personnes procèdent d’une articulation entre le sanitaire et le social. Notre curiosité dans ce travail de recherche se porte sur la rencontre entre soignants et travailleurs sociaux, sur leur " travail ensemble", et sur ce qu’il produit. Dès lors, différentes questions se posent à nous : - Comment ces professionnels se sont-ils engagés dans une démarche d’ intercompréhension ? Quels ont été, pour eux, les pertes et les gains en terme d’identité ou d’éthique? - Puis, comment s’est opérée la convergence? Sur quelles idées, quels éléments s’est-elle construite ? Comment ont-ils dépassé leurs désaccords pour trouver une position commune ? - Comment s’est opérée leur problématisation, c’est à dire : « cette opération de repérage, consistant à faire la part, dans une situation, de ce qui unit et ce qui sépare, puis qui fait passer d’une position singulière et isolée à une acceptation de coopération »27 ? S’est-elle opérée sous l’effet d’un ou plusieurs traducteurs ? - Quels principes, règles, choix ont été construits ? Enfin, nous nous intéressons à ce que ce " travail ensemble" met en mouvement en terme de professionnalité, d’éthique, de savoir. Quel enjeu guide leur cheminement ? Quel sens construit en commun en émerge ? Nous référant à F. DHUME, nous nous demanderons quel est cet « acteur collectif » qui émerge de leur coopération. En résumé, et ce sera notre problématique : Dans quelle mesure le cheminement commun de ces professionnels de la santé et du social les conduit-ils à se mobiliser sur un projet qui les rassemble et qui traduit la rencontre de problématiques sanitaires et de problématiques sociales ? 27 AMBLARD- BERNOUX., o. c. , p.157 35 Notre hypothèse est alors la suivante : Le « travail ensemble » que mènent des soignants et des travailleurs sociaux est d’autant plus abouti, qu’il implique leur engagement dans une démarche d’ « intercompréhension », qui permet l’élaboration d’une convergence vers un projet construit en commun. Il est un mouvement permanent de négociations, de compromis, d’actions concertées, et par là-même, générateur d’innovations, de professionnalité, de sens et de savoir. 36 CHAPITRE 2 : DISPOSITIF DE RECHERCHE 2.1 : Dispositif d’enquête 2.1.1 La population concernée Nous choisissons d’interroger des travailleurs sociaux et des soignants dans une proportion équivalente qui collaborent soit au sein d’un même service soit avec des professionnels d’autres services. Ils pratiquent dans le cadre de : - deux PASS - deux Services d’Accueil Médical ouverts à des personnes en situation de précarité ou exclues - un Centre Communal d’Action Sociale - un Service Social d’une CRAM - un Centre d’examens de Santé de la CPAM 2.1.2 L’entretien Notre enquête vise à apprécier le travail de collaboration entre travailleurs sociaux et soignants en nous appuyant sur les repères conceptuels apportés par la sociologie des organisations. L’entretien sera notre outil principal car « en général l’entretien permet d’étudier les faits dont la parole est le vecteur principal (étude d’actions passées, de savoirs sociaux, des systèmes de valeurs et normes…) (…) »28. L’entretien d’enquête a pour objectif de recueillir de l’information relativement à un objet et de rendre apparente la relation que le sujet a à cet objet29. Dans notre étude, il 28 29 BLANCHET, A. , L’entretien dans les sciences sociales, Paris, Dunod, 1985, p. 1. SALES-VUILLEMIN, E. , cours Méthodologie de la recherche/DSTS, 2002. 37 nous importe de déceler comment se construit la collaboration et comment l’acteur pense sa pratique. Nous faisons également le choix de « l’entretien semi-directif : (appelé aussi parfois clinique ou structuré) : l’enquêteur connaît tous les thèmes sur lesquels il doit obtenir les réactions de l’enquêté, mais l’ordre et la manière dont il les introduira sont laissés à son jugement, la consigne de départ étant seule fixée. »30 2.1.3 La construction du guide d’entretien31 Nous avons élaboré un amorçage à notre entretien où nous rappelons les informations de la prise de contact (notre statut, le cadre de notre intervention, et l’objet de notre étude). Puis nous précisons le contrat de communication (enregistrement, anonymat, durée). Après avoir recueilli l’assentiment de l’enquêté, nous introduisons la question inductrice, qui doit mobiliser chez l’enquêté ses connaissances, ses informations et ses représentations; elle commence sur le registre descriptif et se poursuit sur le registre modal. Nous référant aux concepts issus de la sociologie des organisations dont nous avons suivi la progression logique, nous avons structuré notre entretien par thèmes puis décliné des sous-thèmes que nous souhaitons entendre abordés. Enfin, nous avons élaboré les consignes (questions) qui s’y rapportent. « Dans ce cas, le sujet est invité à répondre de façon exhaustive, dans ses propres termes et avec son propre cadre de référence, à une question générale (le thème) caractérisée par son ambiguïté32. Mais s’il n’aborde pas un des sous-thèmes que l’enquêteur connaît, celui-ci pose une nouvelle question (le sous-thème) dont la caractéristique n’est plus l’ambiguïté, afin que le sujet puisse produire un discours sur cette partie du cadre de référence du chercheur. »33 30 GHIGLIONE , R. , MATALON, B. , Les enquêtes sociologiques, Paris, A. Colin, 1978, p. 58. Le guide d'entretien est placé en annexe 32 « La notion d’ambiguïté doit donc être ici comprise comme la présence d’un thème qui introduit la discussion, mais permet au sujet de l’interpréter à partir de son propre cadre de référence. » précise R. GHIGLIONE, R. , o . c. , p.75. 33 GHIGLIONE, R. , o .c . , p.79. 31 38 Les questions se situent soit sur le registre référentiel en vue d’amener des réponses d’ordre descriptif, mettant l’accent sur le contenu, soit sur le registre modal en vue d’amener des réponses sur la relation du sujet à l’objet, mettant l’accent sur l’attitude. Nous avons testé notre guide à trois reprises afin de corriger ce qui peut faire défaut dans notre énonciation des consignes et dans leur compréhension par l’enquêté, et afin de les ajuster le mieux possible aux thèmes et sous-thèmes. Nous posons les questions toujours de la même façon, seul l’ordre peut varier. A l’aide des quatre types de relances issues des travaux de A. Blanchet34 ( réitérations simples, réitérations thématiques, re-formulation, formulation du non-dit, sur le registre modal ou référentiel) nous veillons à guider l’enquêté vers les thèmes visés. Si nécessaire, nous utilisons soit des questions spontanées visant à faire expliciter l’enquêté, soit les questions induites par nos sous-thèmes que nous avons préparées. 2.1.4 : Les grands thèmes Nous attendons de l’histoire de la collaboration, qui constitue notre 1er thème, qu’elle nous éclaire sur le contexte, les enjeux, et les constats à partir desquels s’origine cette démarche vers l’autre. Puis, de sa concrétisation première, nous souhaitons connaître son évolution avec ses grandes étapes, et ses éventuels blocages. Sur le registre modal nous chercherons à savoir comment l’enquêté l’a vécue. L’intercompréhension est notre 2ème thème. Ici, nous nous intéressons à l’expression des identités respectives des travailleurs sociaux et des soignants et au repérage des différences, à l’appropriation (ou ré appropriation) des valeurs de l’autre différent de soi, à la fois en les comprenant et en les maîtrisant. L’expression des représentations sur soi, sur le partenaire et sur le bénéficiaire est ici visée. D. JODELET, en 1991, définit ainsi les représentations sociales : « à la fois socialement construites et partagées, elles ont une visée pratique de maîtrise de l’environnement et d’orientation des conduites et des communications et enfin elles concourent à l’établissement d’une réalité commune à ensemble social ou culturel. »35 34 35 BLANCHET, A. , o. c. Cité par BERTRAND, V. , cours sur les représentations sociales /DSTS, 2003. 39 Nous sommes là dans le champ de la communication au cours duquel le partage des représentations réciproques fonde le processus d’intercompréhension sans lequel la collaboration ne peut pas aboutir. Ensuite, dans un 3ème thème sur la contextualisation et la problématisation, nous rechercherons quels sont les actants en présence (humains, organisationnels, écrits) et quels sont leurs intérêts, enjeux et degrés de convergence. Nous voulons explorer sur quoi se fait la convergence et à partir de quel problème commun et de quelles idées, sont posées les bases d’un compromis, puis d’un projet provisoire. Poursuivant sur l’action, notre 4ème thème se trouve au cœur de la collaboration dans ce qu’elle construit et élabore. Il s’agit d’expliciter la traduction et le cadre d’action spécifique dont nous faisons l’hypothèse qu’il est constitutif de l’identité de "l’acteur collectif" que ce travail construit. Nous sommes là en quête d’éléments descriptifs sur la formalisation des règles, des procédures propres à cette collaboration. Nous recherchons comment se sont construits les objectifs et le projet commun et quelle personne (ou noyau de personnes) a permis la traduction c’est-à-dire le rapprochement des différents acteurs et une mobilisation commune. Sur le registre modal, nous demanderons à l’enquêté ce qu’il pense de son action. Les effets, la production constituent notre 5ème thème qui s’intéresse aux résultats de la collaboration au niveau des relations entre professionnels, de leurs pratiques respectives, de leurs services, du projet, et des bénéficiaires. Sur le plan de l’attitude, nous interrogerons le point de vue de l’enquêté sur la collaboration. Pour finir, nous recueillerons des données sur les variables portant sur les caractéristiques personnelles et professionnelles : âge, sexe, fonction, ancienneté dans la profession, ancienneté dans le service, expériences professionnelles antérieures, expériences inter-partenariales ou inter-institutionnelles antérieures. Après un recueil de vingt entretiens nous effectuerons le travail d’analyse de leur contenu. 40 2.2 Présentation du terrain d’enquête 2.2.1 Eléments ayant porté notre curiosité vers les services sollicités Globalement, nous percevons dans l'action des services choisis une dimension d’innovation. Notre intérêt s’est porté vers le SAM – A, car dans le cadre de notre pratique professionnelle en CHRS nous avons collaboré avec lui. Ce service s’est construit au sein de l’ Association A qui oeuvre depuis longtemps dans le secteur de l’insertion sociale. Créé en 1987/88, il a une expérience relativement ancienne par rapport à d’autres services comme les PASS. Quelques années plus tard, l’Association A, à la demande de la Ville B et de son CCAS, s’implante sur son territoire et crée l’Association B qui lui est rattachée. Progressivement, des services d’aide à l’insertion sociale et professionnelle se mettent en place. A la différence du SAM – A, né de l’initiative du social, le SAM - B est né en 1993, de l’initiative de soignants engagés dans une association caritative d’hébergement de personnes démunies. Il se met en place au sein de l’Association B, sollicitée sur le projet, et fait l’objet d’une convention avec l’hôpital (contractualisation en terme de financement et de missions). Suite à la création de la PASS et de son poste d’AS, son lien avec l’hôpital s’est un peu plus formalisé. Cela marque une autre différence avec le SAM – A qui est bien distinct de la PASS – A. Les deux SAM disposent d’une relative autonomie par rapport aux autres services de leurs associations. Tous deux ont été créés et implantés dans la ville à partir des pratiques et des besoins repérés sur le terrain social, alors que les PASS sont issues des politiques publiques et installées au sein de la grande institution sanitaire que représente l’hôpital. Le caractère novateur et récent des PASS a attiré notre attention. Nous avons souhaité nous intéresser aussi au travail de la Sécurité sociale, mobilisée sur la précarité par les politiques publiques, notamment dans le cadre de la mise en place de la CMU. Certains services, comme le Centre d’examens de santé de la CPAM, se sont ouverts à la rencontre et à la collaboration avec des services extérieurs, c’est pourquoi nous l’avons contacté. Le SS – CRAM très actif auprès du 41 public en situation de précarité, notamment depuis la mise en place du RMI, a suscité notre curiosité. Nous avons contacté le Service social général du Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) de la Ville A car il est un interlocuteur très important, voire premier pour les personnes en situation de précarité. Nous savons aussi qu’il est un service impliqué dans des réseaux et des partenariats où se jouent de nombreuses et nécessaires collaborations dans le champ de l’insertion sociale. 2.2.2 Les professionnels enquêtés Nous souhaitions prioritairement enquêter auprès des professionnels travaillant dans les deux SAM et les deux PASS. Nous avons choisi de nous entretenir avec des médecins généralistes, qui sont le plus souvent les premiers professionnels de santé consultés. Nous avons écarté les médecins spécialistes, comme les psychiatres; nous pensons que le domaine de la maladie mentale et de la psychiatrie pose des problèmes importants mais vastes, et relève d’une approche spécifique. Les infirmières ont une place très intéressante, car dans le cadre des collaborations internes à un service ou à une institution, ce sont elles qui sont le plus souvent en relation avec les TS. Les directeurs adjoints des SAM sont tous deux à l’interface entre la direction associative et les professionnels de terrain, et sont les garants d’une éthique à transmettre, mais ils ont des implications différentes. L’une (responsable du SAM – A uniquement), est présente et active au quotidien pour l’accueil, la coordination; elle est d’ailleurs la seule professionnelle de travail social membre du service. L’autre (responsable de tous les services de l’Association B dont le SAM – B), est positionné à distance, plus présent et impliqué auprès des dispositifs d’insertion (hébergement, emploi), et accorde à l’infirmière une délégation "tacite" pour l’articulation des activités. Cette dernière assure aussi le lien santé-social conjointement avec l’Agent d’accueil santé/ES. Nous remarquons que ces deux responsables, bien que de formation initiale différente (l’une AS, l’autre gestionnaire), ont un parcours professionnel dans le travail social. 42 Nous avons rencontré majoritairement des AS. Les PASS et le SS-CRAM ne comptent que des AS. Nous remarquons que parmi les trois professionnelles du CCAS, l’une a une formation d’ES et ses deux collègues ont une formation d’AS. Selon la catégorisation en vigueur dans la fonction publique territoriale, elles sont toutes employées en tant qu’assistant socio-éducatif. Leur collègue du Foyer A est ES mais de formation AS. Nous avons pris rendez-vous avec les professionnels qui nous ont reçu dans un bureau sur leur lieu de travail. Nous avons suivi notre guide d’entretien et utilisé les quatre types de relances (A.BLANCHET). 2.2.3 Les collaborations mises en évidence Nous avons regroupé les collaborations les plus significatives. Celles où nous avons pu rencontrer des collaborateurs, TS et soignants, sont écrites en gras. Pour les autres, nous avons eu des entretiens avec un seul type de professionnel, soit TS, soit soignant. - Collaborations entre professionnels d’un même service ou d’une même institution : a. A l’interne du SAM - A b. Entre le SAM – A les TS de l’Association - A c. A l’interne du SAM - B d. Entre le SAM – B et les TS de l’Association B e. Entre l’AS de la PASS – B et les soignants hospitaliers f. A l’interne de la PASS – A g. Entre l’AS de la PASS – A et les soignants hospitaliers - Collaborations entre professionnels de service ou d’institutions différentes : a. entre l’AS de la PASS – B et le SAM – B b. entre les soignants du SAM – A et des AS du CCAS c. entre les soignants du SAM - A et l’ES du Foyer A d. entre les AS du CCAS et les soignants du CHS e. entre les AS du CCAS et de la CRAM et les médecins de cabinet libéral 43 Les seuls soignants hospitaliers rencontrés sont ceux engagés dans la PASS - A. Nos sollicitations auprès de médecins libéraux ont été infructueuses. 2.2.4 Présentation des services et des professionnels enquêtés Nous les présentons par groupe de collaboration et/ou proximité institutionnelle et sous la forme de tableaux situés ci-après. 44 SAM – A Service / CCAS - A Mission Missions : - accueil et accès aux soins -lieu ressources Lieu de soins, lieu de (information, conseil, prévention sanitaire, soutien) d’éducation sanitaire -organisation de et de prestations partenariat Service d’Accueil Médical SAM - A Lieu polyvalent avec une antenne sociale, un centre de soins infirmiers, un centre de consultations médicales généralistes et spécialisées CCAS – A Service social général Personnel : -1 coordinatrice -1secrétaire (½ temps) -2 infirmières (temps complet et ½ temps) / Foyer A Histoire Collaboration Créé en 1987/88, après les Assises de la Marginalités auxquelles participaient des associations gestionnaires d’établissements sociaux et des associations caritatives Appui technique en matière de santé : à l’interne, pour les autres services de l’Association - A et à l’externe, pour l’ensemble du secteur sanitaire et social Créé au sein de l’Association A, à proximité de son Service d’Accueil et d’Orientation A l’externe : avec TS du CCAS, foyers, CHRS, TS et soignants du CHS, Associations caritatives, etc. En vacations : -3 médecins généralistes -2 psychiatres -1 dermatologue -1 psychologue Aide aux personnes 18/60ans, seules, sans enfants Grande priorité : répondre à l’urgence Participation à des réseaux : Réseaualcool, Réseau itinéraireprévention des conduites addictives, réseau prévention-VIHHépatite C 1953 : bureau d’aide sociale 1986 : CCAS A l’externe : avec SAM – A, PASS – A, hôpitaux dont le CHS et ses CMP, les médecins de ville, le CCAA Personnel du service -16 TS -1 responsable Foyer A Géré par le CCAS-A Accompagnement à la réinsertion socioprofessionnelle par le biais d’un logement temporaire H et F seuls, disposant d’un minimum de revenus Créé en 1970 Initialement, hébergement de travailleurs migrants A l’externe : avec le SAM - A Liaisons avec le CHS Depuis 1998, de plus en plus accueil de personnes en situation de précarité Personnel : 1 AS sous l’autorité d’une directrice 45 Les professionnels rencontrés au SAM – A, au CCAS – A, au Foyer A Fonction Médecin Généraliste SAM – A Médecin Généraliste (vacations) SAM - A Ancienneté dans Sexe Age service F F 43 36 3 ans 5 ans Ancienneté dans profession 18 ans 9 ans Médecin généraliste (vacations) SAM - A H 52 15 ans 24 ans Infirmière SAM - A F 48 7 mois 25 ans Directrice adjointe coordinatrice SAM - A Assistante socio-éducative (formation AS) CCAS Assistante socio-éducative (formation ES) CCAS F 56 3ans 1/2 Formation initiale : AS Autres fonctions actuelles Expériences professionnelles antérieures Expériences inter partenariales ou inter professionnelles antérieures ½ temps en unité de soins palliatifs Médecin en cabinet libéral : 9 ans oui Vacations au CHS Médecin en Service préventif à l’université Médecin en dispensaire du Conseil Général néant Remplacements en milieu rural, urbain Evaluation dépendance chez personnes âgées (Conseil Général) Formée en addictologie Travail sur unité de cure (6 mois) Médecin attaché à l’hôpital : 18 ans Infirmière libérale à domicile, en santé scolaire, en PMI beaucoup Oui avec CCAS, AS scolaire, ES et AS de secteurs néant AS (7 ans) Formation de cadre pédagogique Chef de service en CHRS beaucoup 33 ans de TS F 31 7 ans 8 ans néant AS à la CAF (famille) Oui, généraliste Polyvalence de catégories F 33 2,5 ans 10ans néant 8 ans au Foyer A Oui, en Centre de prévention Assistante socio-éducative (formation AS) CCAS F 38 4 ans 4ans néant Educatrice Spécialisée (Formation AS) Foyer A F 30 3 ans 3 ans néant Secrétaire dans le secteur médical Collaboratrice d’un administrateur judiciaire Aide soignante 4 ans néant beaucoup 46 PASS - A Service Mission Permanence d’Accès Soins de Santé PASS – A aux Lieu de prise en charge des personnes démunies Histoire - faciliter l’accès aux soins à l’hôpital - favoriser les relais avec les structures de soins, d’accueil, d’accompagnement social - accompagner dans des démarches de reconnaissance des droits Créée fin 2001 Située dans un local à proximité du service des urgences Personnel permanent -1 AS -1 infirmière -1 agent d’accueil -1 médecin bénévole (1 après-midi par semaine) Collaboration A l’interne : avec les soignants et TS hospitaliers A l’externe :avec le SAM – A, les CCAS, les centres d'hébergement pour demandeurs d'asiles , les praticiens de ville Autres consultations assurées par médecins des urgences 1 médecin référent Les professionnels rencontrés à la PASS – A Fonction Infirmière AS Médecin bénévole Sexe Age F F H 45 29 68 Ancienneté dans service 6 mois 2 ans 3 ans Ancienneté dans profession Autres fonctions actuelles 23 ans néant 4 ans Remplacements collègues AS à l'hôpital 40 ans Activité bénévole au SAMU social (avec parfois consultations) Expériences professionnelles antérieures Expériences inter partenariales ou inter professionnelles antérieures Service des avec infirmières urgences 10ans libérales, AS Service de dialyse 10ans AS de secteur 10 mois AS dans hôpital de la ville B 10mois Médecin de campagne (15 ans) Praticien hospitalier oui néant 47 SAM – B et PASS – B Service Service d’Accueil Médical SAM - B Service décentralisé du service des urgences de l’hôpital pour l’accueil des plus démunis Mission -Accueil et accès aux soins -lieu ressources (information, conseil, soutien) -travail de partenariat Personnel : -1 infirmière -1 agent d’accueil Lieu polyvalent avec des consultations de médecine santé/ ES générale, des soins en vacations : infirmiers, un accueil -3 médecins social dont une permanence de l’AS de la généralistes -1 psychiatre PASS (un après-midi par semaine) Permanence d’Accès aux Soins de Santé PASS - B -faciliter l’accès aux soins à l’hôpital - favoriser les relais avec les structures de soins, d’accueil, d’accompagnement social - accompagner dans les démarches de reconnaissance des droits Personnel : -1 AS à ½ temps Histoire Collaboration Créé en 1993 A l’initiative d’un médecin (qui y pratique) et d’une sœur infirmière hospitalière (ancienne directrice de l’école d’infirmières) A l’interne : avec TS de l’association Créée en 1998 A l’interne : avec les soignants hospitaliers A l’externe : avec l’AS de la PASS – B, avec les services Géré par l’association B sociaux de la ville, l’ESF, le (mission globale d’insertion sociale), elle- SS-CRAM, le SPIP, la ML, les même liée à associations l’association A caritatives, l’hôpital Convention avec l’hôpital PASS à l’hôpital en relais avec le SAM – B sur la ville A l’externe : avec le SAM – B (permanence de l’AS /PASS le jeudi-après midi dans ses locaux), avec les soignants libéraux, les services de soins à domicile, la COTOREP 48 Les professionnels rencontrés au SAM – B et à la PASS – B Fonction Médecin généraliste SAM - B Médecin généraliste SAM - B Infirmière SAM - B Agent d’accueil santé/ éducatrice spécialisée SAM - B Directeur adjoint de association B AS PASS - B Sexe Age F 52 Ancienneté dans service 11 ans Ancienneté dans profession 25 ans 11ans H F F H F 59 55 33 42 45 co-initiateur du service 11 ans Cabinet libéral : 29 ans 26 ans 8 ans 8 ans 9 ans TS dans associations A et B : 19 ans (dont 12 ans responsable) 2 ans 19 ans Autres fonctions actuelles Expériences professionnelles antérieures Expériences inter partenariales ou inter professionnelles antérieures Cabinet libéral Engagement syndical Enseignement médecine Cabinet libéral beaucoup Médecin coordinateur (service d’accueil pour toxicomanes) Responsable d'un asile de nuit pour personnes Médecin attaché en errance à l’hôpital : 18 ans (5 ans) Président associations caritatives néant Agent administratif Infirmière centre de réadaptation fonctionnelle Infirmière en usine (10ans) Animatrice Service d’Accueil et d’Orientation (Association A, 3ans) Diplômée éducatrice spécialisée en Juin 2004 Traduction juridique Commerce vins Agent administratif hospitalier (CES 3ans) néant Objecteur de conscience à l’association A oui ½ temps Service social "classique" à l'hôpital AS en Service Social de secteur, Mission Locale, MAS Educatrice en Foyer d’enfants beaucoup beaucoup Au cours de sa pratique au SAM - B 49 SS – CRAM / Centre d’examens de santé de la CPAM Service Mission Service Social de la CRAM Sur 2 grands axes : la santé, la précarité Eléments / Histoire Service de la Sécurité Sociale (issu de la loi de 1945) - accès aux soins -maintien au poste de travail ou reconversion -prévention et aide face à la dépendance Collaboration A l’interne : avec les CPAM A l’externe : avec médecins généralistes et spécialistes, les AS de secteur Personnel (pour un département) : 16 AS, 2 cadres Centre d’examens de santé de la CPAM Tout assuré a droit à un examen de santé Service de la SS (issu de la loi de 1945) Missions : -prévention -conseils, orientation -accès aux soins Au départ, but : offrir un service médical à la population au sortir de la guerre Peu à peu, activités évoluent 1992 : un arrêté fixe activités. Populations en situation de précarité à recevoir en priorité A l’interne de la SS : CPAM, SS-CRAM, CAF A l’externe : association A, CCAS, Foyers d’accueil, hôpitaux, services d’aide psychologique, Conseil général, associations caritatives Les professionnels rencontrés au SS – CRAM, au Centre d’examens de santé de la CPAM Fonction Sexe Age Ancienneté dans service Ancienneté dans profession Autres fonctions actuelles Expériences professionnelles antérieures Expériences inter partenariales ou inter professionnelles antérieures Oui, avec institutions pour enfants, avec professionnels différents, avec établissements scolaires néant AS SS- CRAM F 45 10 ans 10 ans néant Monitrice éducatrice en établissements (enfants et adultes avec handicap) Médecin – chef Centre d’examens de santé H 54 ans 20 ans 26 ans néant Médecin généraliste libéral 50 2.4 La méthodologie de l’analyse Les vingt entretiens ont été enregistrés. Nous les avons retranscrits, puis avons repéré les thèmes présents à partir desquels nous avons organisé notre analyse sous la forme d’un grand tableau. Au fur et à mesure d'une nouvelle lecture, les propos se rapportant à chacun des thèmes ont été placés dans la colonne qui leur était consacrée. Ils étaient les suivants : L’histoire de la collaboration L’intercompréhension La contextualisation La problématisation La traduction Le cadre d’action spécifique (règles, procédures) Les effets, la production Les désaccords, les blocages, les manques Nous avons ajouté une colonne sur le cadre de la collaboration (avec qui, avec quels services collaborent-ils ?) et une colonne sur les variables concernant les caractéristiques personnelles et professionnelles. Puis, nous avons effectué une synthèse par thème et une synthèse générale par service. De simples contacts à une collaboration construite, nous avons relevé différentes étapes à la progression des relations entre professionnels ou groupes de professionnels. Nous avons essayé de dégager quels sont les éléments les plus forts caractérisant le niveau d’évolution et la qualité de la collaboration, et quelles sont les nuances. Nous avons remarqué que ces dimensions sont dépendantes des personnes et des dynamiques des services. 51 CHAPITRE 3 : Analyse des résultats 3.1 Origine et déroulement des collaborations 3.1.1 Les problèmes qui conduisent les acteurs à collaborer Le constat d’un manque et le besoin des autres sont des préalables qui conduisent à la rencontre d’autrui. Les éléments significatifs des dominantes36 Globalement, les TS enquêtés ont besoin d’échanger avec les soignants sur les problèmes suivants : si la personne rencontre des problèmes d’accès aux soins en terme d’affiliation et/ou de budget pour comprendre certains comportements liés à des pathologies pour des échanges de points de vue afin d’orienter une personne pour effectuer une orientation (constitution de dossiers) pour savoir comment se passent les suivis médicaux, et si la personne se présente à ses rendez-vous Par exemple, les AS du CCAS reçoivent des personnes qui très souvent ont des difficultés psychologiques voire psychiatriques. Elles remarquent que symptômes de maladie et symptômes sociaux sont la plupart du temps liés. Elles ont besoin de « l’appui du sanitaire pour faire une pré évaluation.» Au niveau professionnel, elles constatent que des projets de réinsertion sont entravés par un état de santé défaillant. Globalement, les soignants enquêtés ont besoin des TS sur les problèmes suivants : pour connaître le cadre de vie de la personne, son comportement (notamment son rapport à l’hygiène) afin d’adapter la prise en charge médicale 36 Les résultats seront présentés sous forme de dominantes (pour les positions les plus généralement partagées) et sous forme de nuances (pour les positions plus marginales) 52 pour mettre en place des éléments favorisant le maintien de la santé, la mise en place de soins, et leur continuité dans de bonnes conditions La coordinatrice du SAM – A constate que les problèmes sociaux et de comportement sont des freins au processus de soins, donc les médecins ont recours au TS pour que « ces parasites » soient levés. Les nuances en fonction des personnes le social inclus dans la prise en charge en médecine générale Un médecin du SAM – B pense que la mise en place d’un projet de soins implique d’avoir en tête sa faisabilité pour la personne. Selon sa conception, en médecine générale la prise en charge doit être globale, à la fois biomédicale et psychosociale. Elle considère que sa compétence est de savoir avec quel partenaire travailler, afin de mettre en place les éléments favorables à l'inscription des personnes dans la société (en référence à la définition de la santé de l’OMS). Pour elle, le TS est son premier relais; il fait ce qu’elle ne sait pas faire. Les nuances en fonction des collaborations le besoin de l’autre dans des situations extrêmes Le recours à l’autre professionnel a lieu quand on ne sait plus comment faire. L’AS de la PASS - A pense que certains soignants hospitaliers ont des a-priori sur les AS, et par conséquent ne les sollicitent pas, sauf pour des cas extrêmes. Cette observation peut être reliée à celle de l’infirmière du SAM – A qui remarque que les TS font appel aux soignants quand ils touchent leurs limites, et à celle du responsable de l’Association – B qui dit : « Les TS vont à la réunion mensuelle du SAM – B quand ils ont une situation de blocage. » une entrée en relation réfléchie et prudente Ouvrir la voie de la collaboration, implique de la part du TS une entrée en relation préparée. Si l’AS de la PASS – B les a préalablement sensibilisés, les médecins de l’hôpital se rendent compte de besoins sur le plan social chez certains patients. Dès lors, il apportent les éléments dont ils disposent à l’AS « qui trie ». L’AS du SS-CRAM prend contact avec les médecins traitants au cas par cas (souvent lourd). En général, elle leur précise qu’elle intervient en faveur de la personne qui a 53 donné son accord préalable, et qu’elle a besoin de conseils. Selon elle, globalement, les médecins sont satisfaits de sa démarche. Le diagnostic n’est pas systématiquement évoqué, sauf s’il importe de vérifier ce que la personne en a dit ou compris. AS et médecin parlent surtout des incidences des problèmes de santé. d’un service à un autre : chacun son rôle Le fonctionnement du Centre d’examens de santé de la CPAM est particulier sur ce point. Aujourd’hui, il a « une empreinte médico-sociale » selon l’expression de son directeur-médecin-chef, mais si une personne a un problème social elle est orientée vers le service compétent, le Centre d’examens ne le traitant pas. De même, si une personne a un problème médical, le Centre n’assure pas les soins, mais oriente. Il ne suit pas non plus l’évolution de la situation de la personne sur ces deux plans. Les autres services interviennent donc en relais de son travail de prévention et de repérage. Il apparaît que la nécessité de faire appel à l'autre et de travailler ensemble découle des limites que les acteurs attribuent à leurs propres capacités d'analyse des situations et d'action. Nous remarquons que cette démarche ne va pas de soi, n'est pas spontanée et qu'il est toujours plus facile de faire seul (jusqu'au blocage). Mais si le constat du manque crée le besoin de l'autre, il n'est pas suffisant pour construire une collaboration. Pour cela il importe d'avoir aussi la volonté de résoudre les problèmes dans le cadre collectif qui devient comme un outil de résolution et d'évolution des pratiques. L'engagement dans ce processus conduit à la confrontation des approches et des compétences. 3.1.2 Les différences d’approches et de compétences créent des tensions à dépasser Les éléments significatifs des dominantes le besoin de l’autre professionnel et la complémentarité des points de vue D’une manière générale, les TS apportent aux soignants leurs visions sur les conditions de vie de la personne, sur son comportement social et ses capacités à prendre soin d’elle. Un médecin remarque qu’après cinq ans d’expérience au SAM – A, 54 elle apprend toujours autant des TS expérimentés; elle les écoute beaucoup et tient compte de leurs avis. Les soignants (surtout les médecins) apportent aux TS leurs connaissances des maladies et de leurs incidences. la confrontation aux limites de l’autre Si les TS ont une vision globale de la personne, ils n’ont cependant pas la vision médicale sur laquelle les soignants sont seuls compétents. Dès lors, certaines décisions ne relèvent que des prérogatives du médecin (par exemple : une hospitalisation). Un médecin du SAM – A précise : « Je n’interviens pas ou peu sur le projet social, mais j’ai carte blanche sur le côté médical. » et en conséquence « Un TS ne peut pas prescrire au médecin ce qu’il doit faire ». Pour elle, le TS doit « jouer le jeu » et ne pas la rencontrer avec un projet médical « ficelé ». La coordinatrice du SAM – A note que les soignants sont précautionneux par rapport à certaines règles techniques, éthiques, propres au champ sanitaire. L’infirmière engage sa responsabilité dans des protocoles de soins; le médecin engage la sienne dans la signature d’un certificat médical constitutif d’un dossier. les différences d’approches et les désaccords Plusieurs médecins relèvent que TS et soignants n’ont pas les mêmes appréciations de l’urgence et du danger. Dans certaines situations, ils trouvent les TS impatients de faire aboutir leurs objectifs sociaux. A cette fin, ils se montrent pressants dans leurs requêtes auprès d’eux, par exemple, à propos de l’orientation d’une personne vers une cure de sevrage d’alcool. Or, « pour un médecin régler un problème d’alcool n’est jamais une urgence »; de plus, prendre le temps lui est nécessaire pour faire le point médicalement. Par rapport au danger, la question des HDT37 est évoquée. Par exemple, un TS considère que le comportement perturbé répété de telle personne (avec bris de matériel, violence verbale) touche les limites du CHRS dans laquelle elle est hébergée, 37 Hospitalisation à la demande d’un tiers : procédure qui impose une hospitalisation à une personne 55 et demande au médecin d’intervenir par une HDT. Mais, au moment de la consultation médicale, ce dernier ne constate pas de signes de délire; dès lors, sans argument de « péril imminent », il ne peut pas prendre une telle décision. Tout en signifiant son désaccord, le TS fait parfois pression sur le médecin pour infléchir son avis. Dans certains cas, des TS ne respectent pas les termes du contrat qu’ils ont passé avec un résident, qui s’est engagé à s’abstenir de toute violence, et qui est averti qu’à défaut le CHRS prendra une sanction. Le médecin renvoie alors les TS à leur responsabilité concluant que telle situation relève de leur décision et non de la sienne. En conséquence, comme le remarque un médecin, si l’un demande à l’autre de « ne pas faire tout à fait comme d’habitude », dans ce cas une explication est nécessaire. Elle propose de travailler les désaccords, qui font partie du processus de collaboration, afin de les dépasser. C’est le sens même de la controverse qui est au cœur de la dynamique qui précède l’innovation, le changement. « La science, le fait scientifique, l’innovation technique, le changement ne s’imposent jamais d’eux-mêmes. C’est le processus qui est au fondement de leur émergence qui leur donne ou non la stabilité nécessaire. »38 Le positionnement commun qui émerge, fonde là toute sa force. Les nuances en fonction des personnes l’évitement du conflit et de la négociation Il advient que des TS, n’obtenant pas ce qu’ils attendent du SAM, emmènent une personne en consultation chez un autre médecin en ville. Cette conduite évite la confrontation des points de vue, la négociation et la construction d’un compromis entre eux et le SAM. Elle questionne sur le risque de l’instrumentalisation des médecins. la singularité de la relation soignant/patient Un médecin du SAM – B remarque qu’il lui arrive de défendre les patients contre les TS. Il note que leurs perceptions des personnes sont divergentes, notamment à propos des conduites liées à l’alcool. Pour lui, cela est dû aux approches différentes. Il vit « la singularité de la consultation médicale où s’exprime la subjectivité du patient », alors 38 AMBLARD, H. , o. c. , p.144. 56 que les TS essaient de faire « une évaluation objective de la situation » (il les trouve « très occupés par les papiers »). Un médecin du SAM - A précise que sa culture est celle du « colloque singulier avec le patient. » Si une situation implique un choix entre ce positionnement et le maintien d’un équilibre social , le médecin aura tendance à aller spontanément vers le premier. En conséquence, si le patient n’est pas partenaire de la proposition d’action d’un TS, parce qu’il ne veut pas ou ne peut pas, elle inclinera à écouter le patient en premier. Pour elle, c’est vraiment là où les cultures professionnelles respectives divergent. L’infirmière du SAM – B ne passe pas de contrat avec les personnes, à la différence des TS de l’Association qui leur demandent une contre partie à l’aide accordée et qui, eux-mêmes, ont la pression d'une « quasi-obligation de résultats » par rapport à leur travail. En tant que soignante, elle pense avoir « une obligation de moyens », motivée par la qualité de la relation qu’elle crée et la qualité du temps qu’elle donne. Au niveau des soins, elle ne peut pas contraindre et selon son expression, il faut « donner confiance, convaincre sans contraindre. » Les nuances en fonction des collaborations deux approches différentes, deux types de prise en charge L’AS de la PASS – A remarque que du fait de leurs formations différentes, soignants et TS n’ont pas les mêmes « réflexes » sur les situations. Par exemple, un médecin décide de ne pas hospitaliser un patient, appréciant que son problème de santé est chronique, et lui propose des soins externes (sa décision est également contrainte par l’effectif des lits disponibles). Or, du point de vue de l’AS, ce dernier ne pourra pas revenir à des rendez-vous réguliers, en raison de ses difficultés (errance, rapport au temps perturbé); elle pense qu’une hospitalisation serait plus adaptée pour que les soins aient lieu. Elle situe là un problème de communication entre une approche globale et un point de vue strictement médical. Avancer l’un vers l’autre implique la rencontre avec les similitudes et les différences, avec les forces et les fragilités de part et d’autre, en termes d’approche, d’analyse des situations, de conception et de responsabilité. Des désaccords peuvent conduire au conflit (inhérent au processus de collaboration). Par la discussion, l’explication, la 57 négociation et par l’analyse des controverses, émerge un positionnement commun qui favorise la convergence vers des actions. 3.1.3 La convergence vers des actions La plupart des professionnels rencontrés, TS et soignants, considèrent converger vers une finalité commune : le bien être de la personne. Mais ils remarquent aussi avoir des approches, des règles et des contraintes différentes. Dès lors comment font – ils pour créer une convergence de leurs pratiques? Les éléments significatifs des dominantes le dialogue et l’explication créent le rapprochement Ce rapprochement passe d’abord par le partage d’éléments d’information. Une AS du Foyer A note que les éléments mis en commun avec les soignants permettent de discuter, d’arriver à une même analyse, et d’articuler leurs actions. Le responsable de l’Association B argumente que « les regards croisés permettent de conforter ou pas une hypothèse. Se parler permet de sortir des impressions de blocage ressenties d’un côté ou de l’autre. » Un médecin du SAM – B considère que « se parler permet de corriger les points de vue respectifs. Les désaccords sont dépassés par l’explication. Chacun reste dans son champ de compétences, mais participe à la recherche de solutions ensemble. Pour créer la convergence, il est nécessaire d’en prendre le temps. » Et quand ce partage d’informations et d’idées peut se prolonger dans le temps, il porte ses fruits. Un médecin du SAM - A pense qu’avec les TS qui ont de l’expérience et avec ceux avec qui elle parle beaucoup, une compréhension réciproque et un rapprochement sur une même conception de l’usager ont lieu. Elle explicite leur travail de collaboration ainsi : « Au bout d’un certain temps, on s’aperçoit qu’on trouve avec les uns et les autres des fonctionnements. Au fur et à mesure, on ajuste, réajuste. C’est une mise en place par tâtonnements. Avec tout nouveau collègue, cela recommence… ». Selon la coordinatrice du SAM – A, la convergence implique une rencontre sur les mêmes valeurs et la même représentation de la précarité (nous nous trouvons-là sur le 58 registre de l’intercompréhension développé plus loin). Elle se joue également au cas par cas et nécessite d’informer et de concerner la personne. C’est pourquoi, notamment les objectifs de la collaboration TS/ soignants sur sa situation doivent être parlés avec elle. Globalement, pour que TS et soignants créent de la convergence entre eux, il importe : - d’aller au même rythme : celui dicté par la personne - de créer une relation, un lien social fort avec elle - de se préoccuper d’elle pour qu’elle se sente investie par le soignant et le TS. la question fondamentale du secret professionnel traverse les pratiques ensemble La question du secret professionnel a été abordée par tous les TS et soignants enquêtés. Tous demandent l’avis de la personne concernée avant de partager certaines informations et même, quand c’est possible, effectuent ces échanges en sa présence. Une AS du CCAS ajoute qu'elle doit toujours être informée de ce qui est débattu à son sujet, car elle a un rôle complet (notamment en terme de décisions) à jouer dans sa prise en charge. Un médecin du SAM – A pense que si on le respecte «pur et dur » la collaboration ne peut pas fonctionner. Il importe donc de se ré-interroger sur son fondement. Elle relate l’exemple d’une situation où une information médicale sur un patient a été communiquée par fax à tous les services de l’Association, ce qui a déclenché son indignation. Ultérieurement, lors d’une discussion interne à l’Association sur ce thème, elle a élaboré une communication sur le secret partagé, éclairant ses difficultés et ses limites. Car, comme le précise une AS du CCAS : « La collaboration, ce n’est pas un déballage ». « Cela ne signifie pas que tout doit être partagé, et notamment le diagnostic», complète un autre médecin. « Par contre, concernant tel patient, si le TS ne connaît pas la date de sa dernière injection et la date de la prochaine, le traitement ne sera pas respecté». Certains diagnostics peuvent être communiqués avec l’accord de la personne. Par exemple, si un cancer est détecté chez un résident de foyer, il est important que le TS 59 en soit informé car les soins impliqueront un suivi lourd avec des hospitalisations nombreuses. A la PASS – A, un dossier commun regroupe les éléments médicaux et sociaux. Le médecin note que le partage du secret médical est important et nécessaire (par exemple dans le cas d’une détection de tuberculose). Des éléments médicaux peuvent avoir une incidence directe sur l’évolution de la situation sociale. Pour les personnes demandeuses d’asile, en attente d’hébergement durant de longs mois, une prise en charge peut être activée sur un argument d’urgence médicale. Les nuances en fonction des personnes des freins ou des limites à la convergence L’infirmière du SAM - B constate que lors des réunions où sont présents des TS de l’Association, une mise en commun et une élaboration de stratégie commune ont lieu, mais elle a aussi la sensation que chacun parle son langage. Elle relie cela au choix institutionnel de considérer le médical comme « appui technique du social », positionnement qu’elle juge trop restrictif (et qui par conséquent serait un frein à la communication ?). Un médecin du SAM – B a l’impression qu’il y a deux équipes avec chacune sa cohésion, son langage. A propos du secret professionnel, il rappelle que dans l’intimité du cabinet médical, lors de la consultation, le médecin est dans la subjectivité du patient qui vient pour que sa plainte soit écoutée. Il pense que « le médecin ne peut pas trop communiquer au TS sur la subjectivité du patient ». L’infirmière du SAM – A, considérant « intuitives » les règles de son service, s’interroge par rapport au secret médical partagé. Ses questionnements la conduisent à se demander si elle est sous l’autorité du médecin ou sous l’autorité de la coordinatrice. Cette dernière remarque nous amène à aborder la question du cadre de l’action collective. Toute collaboration doit se doter de règles qui stabilisent son fonctionnement collectif. Cela se traduit par une redéfinition des principes, et repères de chacun pour qu’ils deviennent communs aux acteurs. 60 3.1.4 Les règles, les procédures Des procédures, des règles sont discutées et construites par les professionnels impliqués pour structurer le travail ensemble. Ainsi, les acteurs créent un cadre d’action spécifique à leur collaboration. Cela génère une production qui est « quelque chose de nouveau ou de différent, immanent à la création d’un nouvel acteur collectif ».39 Ce cadre est plus ou moins structuré selon l’histoire du service et le degré d’évolution de la collaboration. au SAM – A Chaque mois a lieu une réunion au SAM – A où sont présents soignants, TS, et le bailleur SONACOTRA. Des situations de personnes sont exposées, discutées, et évaluées; des stratégies sont élaborées et des échéances posées. Les professionnels repartent avec des éléments nouveaux ou différents à partir desquels ils vont pouvoir poursuivre un travail. Plus tard, la situation est ré-abordée lors d'une nouvelle réunion avec les éléments d’évolution, et de nouveau confrontée aux interrogations, hypothèses et avis de tous. Des réajustements éventuels sur les actions et/ou sur le projet en cours sont discutés. Les AS du CCAS observent que les soignants sollicitent aussi leur éclairage et qu’un véritable échange a lieu. Ces dernières ont demandé la mise en place d’un ordre du jour établi à l’avance, ainsi que la stabilité des acteurs présents afin de garantir un certaine continuité au travail et une vigilance par rapport aux informations échangées (le bailleur social présent n’étant pas soumis au secret professionnel). Une AS du CCAS est désignée responsable du lien avec le SAM – A et participe à toutes les réunions. Les AS soumettent toujours à l’avis de la personne concernée, leur projet d’évoquer sa situation dans ce lieu. Un médecin précise que lorsque des éléments médicaux sont dits, ils ne doivent pas être écrits. Par exemple, une AS du CCAS suit depuis plusieurs années un Monsieur bénéficiaire du RMI, qui antérieurement a été salarié pendant vingt ans, et qui après un licenciement économique n’a jamais pu se réinsérer. Ses observations la conduisent à penser qu’il est affecté d’une pathologie psychiatrique (avec peur de l’autre, du groupe, 39 DHUME, o. c . , p.112. 61 et des ruminations) qu’elle ne sait pas nommer. De son point de vue, il n’est pas en capacité de travailler, mais elle a besoin d’un avis pour conforter son évaluation; c’est pourquoi elle contacte le SAM – A. Après concertation avec un médecin, il est convenu que dans un premier temps, elle propose à ce Monsieur d’effectuer un bilan de santé à la CPAM à qui il demandera la transmission des résultats au SAM. Les étapes envisagées ensuite consistent en l’accompagnement vers une consultation auprès du médecin généraliste, puis si besoin auprès du psychiatre, et ultérieurement vers une éventuelle constitution de dossier pour la COTOREP requérant une Reconnaissance Travailleur Handicapé. Lors de l’entretien suivant avec l’AS , ce Monsieur admet ne pas être prêt pour l’instant à un emploi, et accepte le projet de bilan et d’entrée en relation avec le SAM. Souvent la première consultation au SAM – A est une rencontre à trois : le médecin, la personne accompagnée du TS, dont elle a demandé ou accepté la présence. au SAM – B Un fonctionnement présentant des similitudes avec le SAM – A s’est organisé. En premier lieu, l’infirmière du SAM – B reçoit toute personne qui se présente au service. Puis elle l’accompagne durant le début de la première consultation pour un moment de « présentation et dégraissage de la situation ». Parfois un médecin demande son intervention pour l’aider à faire comprendre une attitude thérapeutique. L’agent d’accueil/ES précise que les médecins, l’infirmière et elle-même apprécient que l’éducateur référent vienne les rencontrer. Chaque mois a lieu une réunion regroupant médecins, infirmière et TS de l’Association. A partir de l’évocation de personnes, d’une mise en commun et d’une concertation, les participants tentent d’élaborer une stratégie. Tous les jeudis après-midi, l’AS de la PASS – B a une permanence au SAM – B, au même moment que les consultations d’un médecin. à la PASS - A La PASS – A, service relativement récent, reçoit un public à dominante "demandeurs d’asile", qui peut venir sans rendez-vous. En général, une personne est vue sur le 62 plan médical et social le même jour, compte tenu des liens entre ses difficultés. Le jeudi après-midi, durant une réunion d’une demi-heure environ, l’infirmière, l’AS et le médecin bénévole (qui consulte cet unique après-midi) se parlent à propos des cas posant problème. Une articulation des actions est recherchée collectivement. à la PASS – B L’AS, unique professionnelle de la PASS – B et récemment embauchée à l’hôpital, peut demander ponctuellement à participer à une réunion de service. Mais elle n’a pas de réunion avec des soignants de manière régulière. « A l’hôpital, le Service social doit être efficace au moment où ils en ont besoin, quand ils ne savent que faire. » 3.1.5 La place de l’informel La collaboration fonctionne aussi grâce à des relations informelles et intuitives, variant selon le contexte, les acteurs et le projet des personnes à aider. L’AS de la PASS - A considère leur existence nécessaire, car elle est consciente de l'étroitesse du temps de réunion dont l’équipe dispose pour se concerter. Ces échanges informels peuvent être travaillés dans une démarche stratégique. Afin de créer les conditions favorables à la collaboration avec les soignants, l’AS de la PASS - B s’est elle-même donnée des principes de conduite : elle tend à l’efficacité, l’intelligence et la transparence, dans le but de gagner en crédibilité auprès des soignants. Elle accorde beaucoup de soins à la communication de ses actions. Nous pouvons penser que cette professionnelle est déjà le traducteur dans une collaboration qu’elle vise à construire. D’après l’agent d’accueil/ES, il n’y a pas de procédure pré établie au SAM – B, mais une ligne de conduite, des principes de travail (accueil, écoute, disponibilité). Si la phase de formalisation permet une stabilisation et une pérennisation des principes de la collaboration, le travail informel d’échanges et de débats est crucial. Il permet que le processus de traduction se développe. 63 3.1.6 Les traducteurs et les processus de traduction Ce processus fonctionne parce qu’un acteur (ou un groupe d’acteurs) œuvre à la traduction réciproque des différentes approches, analyses et problématiques. A la manière d’un traducteur qui construit le passage d’une langue à une autre, il élabore des conceptions et un langage communs. Il est un maillon du mouvement qui crée le collectif. au SAM – A et au SAM – B : la personne en fonction de coordinatrice est traducteur Au SAM – A, la coordinatrice est porteuse et "transmetteuse" du sens; elle explicite certains principes de l’Association A (valables également pour l’Association B). L’Association, qui a surtout des missions sociales considère que le sanitaire doit être au service du social. Sa conception de la collaboration peut s’expliciter ainsi : utiliser des relations avec des personnes ayant des similitudes de valeurs et de conceptions d’intervention, plutôt qu’investir des réseaux officiels, institutionnels. Un des rôles prioritaires de la coordinatrice est d’être dans le lien continu entre le sanitaire et le social (à l’interne, à l’externe). Un médecin remarque qu’elle connaît bien « les deux mondes » et « joue beaucoup les intermédiaires ». Elle apparaît donc être un traducteur missionné mais également reconnu par les collaborateurs. L’infirmière du SAM – B qui remplit le rôle de coordinatrice, fait elle-aussi beaucoup le lien soin/social. D’ailleurs, c’est elle qui participe à toutes les réunions dans l’Association, et « qui connaît le plus de monde », précise l’agent d’accueil/ES. D’autres professionnels, cherchant à étendre la dynamique de collaboration à d’autres services, jouent un rôle de traducteur. Par exemple, un médecin du SAM – A a choisi de travailler en vacations au CHS afin de développer les liens avec cette institution et de faire connaître le travail du SAM. à la PASS – A et à la PASS – B : la recherche de relais, porte parole de la collaboration Selon l’AS de la PASS – A , ce service repose sur ses salariés, c’est à dire l’agent de convivialité, l’infirmière et elle-même, membres d’une équipe qui fonctionne avec une bonne entente. Le médecin référent est peu investi et peu présent. L’AS a conscience 64 de l’importance de la communication et de la nécessité de continuer à faire connaître leur service au sein de l’hôpital. Pour l’AS de la PASS – B, unique professionnelle de ce service, la recherche de la collaboration avec d’autres est une constante de son travail. Par rapport à la situation très dégradée d’une personne, si elle réussit à trouver des solutions pour réduire le risque de chronicisation, (notamment observable par une diminution des consultations), alors elle gagne en crédibilité auprès de tel soignant, qui ultérieurement fera appel à elle plus tôt. Elle remarque que certaines infirmières des urgences, qui la voient travailler, ont fait évoluer leur propre pratique en réalisant un travail de repérage et en lui orientant des personnes. Elles lui demandent des explications, et savent mieux l’utiliser. A ce moment de l’évolution de son travail de construction de collaboration avec les soignants, nous constatons que l’AS est dans une démarche d’intercompréhension (processus abordé dans le chapitre suivant) : l’un va vers l’autre pour se faire connaître et le connaître. Elle rend son travail visible et lisible pour ses interlocuteurs qui deviennent intéressés et coopérants. Ainsi, elle trouve des relais auprès d'acteurs qui, progressivement adhèrent à la proposition qu’elle véhicule de "faire autrement avec elle". A la PASS – A comme à la PASS – B, les acteurs sont dans une dynamique de construction fonctionnelle de l’action visant à faire connaître l’intérêt du travail ensemble auprès des soignants hospitaliers. la traduction inscrite dans la fonction d'AS Ce processus de traduction n’est pas nouveau pour l' AS. En effet, elle est formée à se positionner à une place de tiers (souvent entre l’usager et les institutions) favorisant la communication et aidant à la résolution de conflits. Elle est apte aussi à réaliser « un véritable travail d’interprétation » et à recourir à « une série d’opérations complexes dont le but est la codification, c’est à dire la clarification et la re-formulation de la demande du client ou de la commande institutionnelle, de manière à ce qu’elle soit recevable sur la forme et le fond par les interlocuteurs à qui elle est destinée. »40 40 MONDOLFO, P. , Travail social et développement, Paris, Dunod, 2001. 65 Les compétences acquises à l’exercice de cette fonction, qui est une des dimensions de son identité, sont mises au service de la rencontre, de l’intercompréhension et plus globalement de la construction de la collaboration avec les soignants. Connaître l’autre, être connu de l’autre sont des éléments essentiels pour collaborer. Cela implique un important partage des représentations réciproques qui fonde le processus d’intercompréhension. 3.1.7 L’inter-compréhension en mouvement Les collaborateurs doivent se parler, s’ouvrir à l’expression mutuelle des représentations, des valeurs, des identités, et se doter d’une connaissance réciproque des territoires d’intervention de chacun. Comme le relève l'AS du SS-CRAM, il importe de « bien cibler la qualification, les missions, les objectifs et les actions de son interlocuteur. » Un partage sur les conceptions et les valeurs des professionnels, ainsi qu’une connaissance des idéaux plus ou moins affirmés et véhiculés par leurs institutions respectives sont d’autres éléments essentiels à la construction du travail ensemble. Au final, elle constate que « souvent les objectifs sont les mêmes à savoir permettre à la personne de se soigner, d’être dans un mieux être, et de lutter contre la précarité. » Les soignants du SAM – A invoquent la nécessité de se parler, afin de rapprocher les conceptions et de se comprendre. Pour cela, l’ouverture, l’écoute mutuelle et le travail en équipe sont des facteurs favorables. Deux médecins remarquent qu’elles se retrouvent avec les TS expérimentés sur une représentation identique de l’usager. Les TS du CCAS – A constatent qu’elles se rejoignent avec les soignants du SAM – A sur des valeurs et des objectifs. Ces derniers, perçus complètement investis dans leur travail, sont sensibles à l’approche globale et ne dissocient pas (ou peu) la santé du reste de la vie. Elles ont compris que dans ce service, les soins sont une porte d’entrée pour rétablir un lien avec une personne. A l’opposé, l’intercompréhension entre les AS du CCAS – A et le CHS ne fonctionne pas. Alors que les AS sont demandeuses d’échanges, elle perçoivent que le 66 personnel du CHS n’a pas la demande de savoir comment elles travaillent. Sans cet élan de part et d’autre, la collaboration ne peut pas se construire. A la PASS – A, à force de travailler ensemble, les professionnels permanents se connaissent, et une confiance réciproque s’installe. Cette dernière est un des ingrédients indispensables qui lie le collectif. Telle qu’ici évoquée, elle se construit sur l’expérience et sur la vérification du positionnement de son collaborateur (en terme d’attitudes et de compétences à remplir le rôle attendu de lui). Selon F. DHUME, « Le travail avec d’autres est confrontation à la différence et vécu de l’altérité. Cela conduit donc forcément à opérer des choix, et donc à accepter des renoncements»41 Il implique : « l’acceptation d’une situation d’instabilité et d’inconfort parce que les habitudes et les implicites sont remis en question.»42 Dans la rencontre avec d’autres , chacun questionne ce qu’il est et ce qu’est l’autre. Des ajustements peuvent s’opérer sur le plan de sa propre identité. Qu’en est-il donc de ce mouvement ? 3.2 Les effets des processus d’intercompréhension sur les identités professionnelles 3.2.1 Les déterminants personnels et professionnels des acteurs 3.2.1.1 Une prédisposition à l’intercompréhension Tous les professionnels du soin rencontrés sont allés par choix sur le champ de la précarité, en prenant appui sur leur conception de la médecine qui évolue au fur et à mesure de leur pratique, et sur des considérations éthiques voire idéologiques. Leurs expériences professionnelles (cf. tableaux) indiquent d’autres activités ou emplois 41 42 DHUME, F. , o. c. , p.169 DHUME, F. , o. c. , p.163 67 significatifs de leur orientation vers ce secteur. Les TS perçoivent leur ouverture à du travail avec des partenaires. La plupart AS, elles rappellent que la coopération est inhérente à leur fonction, inscrite dans leur formation. Elles sont très demandeuses de l’éclairage des soignants et très motivées pour travailler avec eux. Une motivation personnelle et un engagement fort chez tous ces professionnels sont repérés. Nous pouvons faire l’hypothèse que lorsque ces éléments sont présents chez deux interlocuteurs, ils constituent une des dimensions favorables à une collaboration satisfaisante. 3.2.1.2 La relation d’aide, élément commun aux deux fonctions médicale et sociale TS et soignants se rejoignent sur la nécessité d’aider l’autre et de prendre en compte ses besoins. L' AS du SS-CRAM considère que les soignants soulagent la souffrance sur le plan médical et que son action soulage la souffrance psychique, en terme d’accompagnement social et d’aménagement de l’environnement. La notion de soin (médical ou social) rapproche TS et soignants qui se rejoignent sur la finalité recherchée de bien être pour la personne. Ils ont conscience de la place et du rôle essentiel de cette dernière dans le travail qui est mis en place la concernant. Ce point est d’autant plus important lorsqu’il est question de problématiques lourdes, nécessitant une collaboration bien articulée. 3.2.1.3 Ils font le lien entre problèmes sanitaires et problèmes sociaux qui ont des incidences entre eux. Globalement, TS et soignants reconnaissent la nécessité d’un rapprochement entre eux, tout au long de leurs interventions auprès du public en situation de précarité. Ils s’accordent sur l’objectif d’élargir leur perception de la personne et de s’ouvrir à une approche globale (processus que permet l’apport de l’autre professionnel). L’AS de la PASS - B prend l’exemple de la fin de vie pour laquelle médecin et AS oeuvrent afin qu’elle soit digne. 68 3.2.2 Les processus identitaires des acteurs Notre recherche révèle que dans la rencontre avec les soignants, l’ identité des TS est beaucoup moins ré-interrogée que celle des soignants, parmi lesquels des positionnements forts émergent. 3.2.2.1 L’identité renforcée En raison de leur formation et du contenu de leurs fonctions, les AS rappellent qu’aller vers l’autre professionnel, aller vers le collaborateur potentiel est une dimension constitutive de leur identité. L’AS du SS-CRAM, se référant aux missions de son service, a le rôle de favoriser l’approche globale des personnes par la collaboration avec les partenaires. Chaque AS du CCAS a libre cours pour stimuler, inventer, à partir du moment où l’action est cohérente et répond à une attente soit du bénéficiaire, soit d’un partenaire, soit de l’institution même. Loin de les détourner de ce qui est au cœur de leurs conceptions du métier, de telles collaborations leur permettent de mieux correspondre à leur identité professionnelle. Un médecin du SAM - B fonde son identité sur sa conception de la médecine générale: « ce sont les soins de santé de premier recours ». Elle complète : « Le soin, c’est prendre soin, donner des soins. C’est psychologique, social. Je me sens faisant partie du sanitaire et dedans il y a du social. ». Quant au TS : « il aide la personne à bénéficier de ses droits ; il l’accompagne dans son inscription dans la société et fait en sorte que la personne décide pour elle. » Elle constate que ces éléments rejoignent la définition de la santé donnée par l’OMS. C’est pourquoi, elle a le sentiment d’appartenir aux deux champs. Nous retrouvons cette conception chez un autre médecin du SAM – A, qui y ajoute un argument idéologique, marquant son opposition à un rapport « marchand » avec le patient (en vigueur dans la pratique libérale). Un médecin du SAM – A considère que la collaboration avec les TS, loin de gêner son identité « la renforce dans sa positivité ». « Elle la ré-interroge sur ses propres limites et ses propres valeurs. ». En rencontrant les TS, elle s’est rendu compte qu’elle avait « une culture médicale ancrée ». Mais elle a conscience que travaillant dans ce lieu, elle n’est pas « un médecin pur et dur (celui qui s’intéresse à la pathologie).» Elle 69 pense que si elle gagne la confiance de l’usager, elle est « le médecin généraliste coordinateur (auprès de qui patients et intervenants se réfèrent). » L’infirmière du SAM - B paraît adhérer au qualificatif d’ « infirmière sociale » que lui octroie le directeur de l’hôpital, et qu’elle relie à l’ensemble de son cheminement professionnel (très empreint de social). 3.2.2.2 Le repli identitaire Deux points de vue de soignants peuvent être regroupés. Ressentant une intrusion des TS dans son domaine, l’infirmière du SAM – A a la sensation d’avoir perdu en autonomie dans sa pratique ; elle s’est repliée sur les soins pour la préserver. Elle va quitter ce service (après 7 mois de présence) pour retrouver son identité professionnelle (en bloc opératoire). Un médecin du SAM - B (qui travaille également dans un service traitant les toxicomanies) remarque que les TS vivent mal l’intrusion des médecins sur le champ de la précarité. Au cours de son exercice professionnel, il a pris conscience de l’empreinte forte de la «doctrine » de l’Association – B, qui stipule que le travail médical est « un appui technique » du travail social. Dès lors, il a la sensation que des actions ponctuelles lui sont demandées, mais que la possibilité d’exercer pleinement son travail médical ne lui est pas donnée, c’est à dire « avoir un échange thérapeutique avec le patient » (ce qui ne va pas forcément sur les champs demandés). Il considère que son travail est de répondre à la demande du patient et non du TS; de plus sa pratique lui apprend que « dans la médecine sociale, il faut aller à la vitesse des patients ». Sur ce point, il trouve que les TS ne sont pas toujours respectueux de la liberté des personnes alors que les médecins le sont plus. Il énonce donc son désaccord sur des éléments conceptuels, éthiques importants. En conséquence, il observe « une sorte de paternalisme » exercé sur les médecins par les TS, qui leur dictent ce qu’ils doivent faire. Il a la sensation également que les TS ont du pouvoir sur les personnes et une idée de normalisation; dès lors, il trouve le travail social plus directif que l’exercice de la médecine qui, selon lui, est « une négociation. » Cependant, il comprend que les TS subissent plus de contraintes, liées 70 à la pression des donneurs d’ordre (la municipalité, leur hiérarchie, etc.), et porteuses d'exigences de résultats. Nous pouvons émettre l’hypothèse que ses relations avec les TS trouvent leurs limites dans sa revendication de « liberté d’action et d’indépendance mise au service de la personne », éléments constitutifs pour lui de son identité de médecin. Ces deux exemples montrent nettement combien le travail ensemble est exigeant car il peut être porteur pour certains acteurs, d’un risque de perte de son identité, de son autonomie et de sa spécificité. A ce propos, F. DHUME considère que « pour pouvoir travailler avec d’autres, se confronter et négocier avec eux, il faut exister, certes, mais aussi pouvoir poser son identité comme acquis, non comme objet de crispation à défendre a priori. »43 Car, l’identité est un processus qui évolue tout au long de la vie, au contact d’un nouvel environnement et des interactions entre les individus (sans l’altérité il n’y a pas d’identité). Selon E. LIPIANSKY, « l’identité oscille entre la similitude et la différence, entre ce qui fait de nous une individualité singulière et qui dans le même temps nous rend semblables aux autres. »44 L’identité doit être conçue comme une dynamique, animée d’interactions jouant dans la complémentarité ou le conflit. Il en résulte des « stratégies identitaires par lesquelles le sujet tend à défendre son existence et sa visibilité sociale, son intégration à la communauté, en même temps qu’il valorise et recherche sa propre cohérence. »45 Ces phénomènes agissent dans toute relation de collaboration. Or, quand des désaccords surviennent notamment sur le sens, l’éthique, une régulation entre les acteurs doit avoir lieu. Selon F. DHUME, elle passe par le conflit qui a « une double fonction concomitante : il est le vecteur de la préservation des identités (en posant des limites) en même temps le moteur du changement culturel (pour permettre une acculturation qui enrichisse à la fois chacun et le collectif). » 43 DHUME, o. c. , p.171 LIPIANSKY E. M. , L’identité, Auxerre, Sciences humaines, 1998, p.22. 45 RUANO-BORBALAN, JC. , L’identité, Auxerre, Sciences Humaines, 1998. 44 71 En fonction de ses enjeux, de ses moyens et de ses compétences, chacun contribue à une production commune, « dans le sens d’un partage qui satisfait à la fois le collectif et chacun de ses membres. »46 Toutes les dimensions énoncées précédemment nous conduisent à aborder la production de la collaboration. 3.3 Ce que la collaboration génère « Quand les processus décrits précédemment peuvent se réaliser de manière optimale, la collaboration opère un rapprochement entre les différents acteurs. Ceux-ci construisent alors une approche commune des problèmes auxquels ils sont confrontés. »47 A partir de là, une pratique ensemble s’élabore et se concrétise, instituant « un acteur collectif, responsable en commun du projet, porteur ensemble de sa réalisation.»48 Selon l’histoire et les caractéristiques des services, et selon l’ancienneté des relations entre acteurs, ce processus est plus ou moins abouti. 3.3.1 Les changements au niveau des pratiques et des relations entre professionnels Le SAM – A et les TS du CCAS et du Foyer Les acteurs de ces services ont décrit des pratiques et exprimé des opinions qui témoignent d’une certaine maturité du travail de collaboration développé par le SAM – A, depuis environ 16 ans. Bien que le personnel du SAM – A se soit renouvelé depuis plusieurs années, les pratiques de coopération y perdurent et progressent car elles sont fortement inscrites dans les missions et les objectifs du service, qui a acquis sa pertinence parmi les dispositifs sanitaires et sociaux actifs sur la ville, et a montré son utilité et son efficacité auprès du public nombreux qu’il accueille. 46 DHUME, F. , o. c. LYET cours de sociologie des organisations/DSTS, 2004 48 DHUME, o. c. , p.186 47 72 Pour les AS du CCAS, la collaboration permet une prise de recul. Elles sont moins dans l’isolement ce qui les rassure. Pour elles, la réunion mensuelle au SAM – A permet un réel partage, et l'élaboration d’un travail collectif. Cela ne signifie ni la confusion ni l'échange intégral des dossiers (médical et social) mais une meilleure prise en compte des éléments qui ont un lien entre eux. Pour les médecins du SAM - A, la collaboration avec les TS leur donne des moyens pour une approche plus globale de la personne et pour une adaptation du processus de soins à ses conditions de vie. Par exemple, grâce à elle, un médecin a modifié sa prise en charge des problèmes d’alcool et des TS ont modifié leur pratique. A son arrivée au service, ce médecin entendait les TS lui dire : « Cela ne va plus, le comportement de ce Monsieur n’est plus gérable. Il faut qu’il parte en cure et postcure.» Le dossier était fait, il partait . Trois mois plus tard, il revenait dans les mêmes conditions, rien n’avait été préparé pour son retour et peu après, les conduites d’alcoolisation recommençaient. Progressivement, un travail d’accompagnement conjoint s’est organisé et une articulation d’actions s’est mise en mouvement. Dorénavant, dès la constitution du dossier, le médecin reçoit la personne toutes les semaines ou quinzaines pour préparer le départ, et le TS se préoccupe des conditions du retour afin qu’elle soient meilleures (en terme d’activité, de logement). De même, pour constituer une demande d’aide à la COTOREP, les pratiques ont évolué. «Il faut voir les gens plusieurs fois et faire un bilan. Maintenant, c’est passé dans les usages. On travaille ensemble et on prépare réellement l’aboutissement du projet. » Le médecin qui s’exprime ici, considère avoir plus d’intérêts au travail collectif que solitaire; les projets avancent beaucoup mieux (sauf si ce n’est pas le projet de la personne). Elle trouve qu’au SAM – A elle pratique la médecine d’une autre façon qu’en cabinet libéral. « Quand on exerce en cabinet libéral, on ne sait jamais qui joindre en cas de problème social. Ici, j’ai les moyens de travailler correctement en équipe, et cela redonne vraiment des outils». Un autre médecin pense qu’elle y pratique de « la belle médecine » car elle est accompagnée par des professionnels qui sont chacun à leur place. Elle sait qu’elle peut s’appuyer sur quelqu’un pour l’accompagnement social et elle considère que c’est 73 « un luxe ». Même si elle élabore « un beau diagnostic », sans la collaboration avec le TS ensuite, les soins ne marchent pas. Selon la coordinatrice, les soignants modifient leur pratique par rapport à la réalité des personnes et les TS changent la leur en fonction de l’éclairage des soignants. Le travail d’articulation médico-social est toujours à recomposer. Il importe que soient mises entre parenthèse des questions de prévalence entre l'avis médical et l'avis social. Pour les médecins du SAM – A, le souci de la personne et de son contexte de vie prévaut sur les protocoles. Pour le TS, aborder la santé donne une autre perception de la situation sociale de la personne. Sans forcément nommer la maladie, les indications médicales aident le TS. La PASS – A Ce petit service novateur, récent, travaille encore à faire reconnaître sa place et sa pertinence au sein d’un grand hôpital, et parmi les dispositifs externes. Les professionnels ont trouvé à l’interne le chemin de l’entente et de la complémentarité. Avec le service des urgences, même si elle évolue, la collaboration est encore débutante, sa qualité dépendant beaucoup de l’intérêt des acteurs. Pour l’infirmière, la PASS a modifié sa conception de sa profession. Au service des urgences, elle était ancrée dans les soins (gérant les pathologies) avec des protocoles d’une durée donnée. A la PASS, le patient est considéré dans une globalité; elle dispose de temps pour écouter ce qu’il exprime au niveau psychologique, social et sur sa vie quotidienne. Le médecin bénévole considère que la PASS permet une résolution des problèmes d’une façon qui n’est pas strictement médicale, mais inscrite dans une complémentarité. Il y pratique de la médecine générale mais « avec des problèmes non vus ailleurs». Selon l’AS, leurs orientations vers certains services de l’hôpital sont plus faciles, et les rendez-vous auprès du plateau technique et des spécialistes sont obtenus plus rapidement. Leur partenariat à l’externe a progressé vers une amélioration de leurs 74 interventions auprès de certains partenaires (comme les Centres d’hébergement pour demandeurs d’asile). Le SAM – B et la PASS – B De notre point de vue, le SAM – B montre un niveau de collaboration marqué par la présence forte de professionnels actifs depuis sa création et une maturité acquise au fil de onze années d’expériences partagées. La qualité et le niveau d’évolution de la collaboration varie selon les personnes et les services avec qui elle se joue. Les acteurs portent sur elle des regards qui diffèrent selon leurs positionnements conceptuels. Nous pouvons émettre l’hypothèse que le désaccord qu’un médecin exprime (ainsi que l’infirmière) sur la conception associative «du médical comme support technique du social » soit en partie l’expression d’un sentiment de perte de pouvoir du premier par rapport au second (ce praticien ayant été co-initiateur du service). Il ne sent pas les résultats de la collaboration avec les TS de l'Association. L’infirmière relève la nécessité pour le SAM de bien argumenter ses avis auprès d'eux car ils ont « des idées bien arrêtées sur la santé », ce qui n’est pas le cas des TS extérieurs plus ouverts. Cependant, avec un autre médecin, elle considère que pour les professionnels, la collaboration est plaisante et stimule la réflexion. L’agent d’accueil/ES les rejoint pour exprimer de la satisfaction et du plaisir à travailler ensemble. Cette dernière qualifie de « duo » son travail avec l’infirmière et apprécie l’ouverture sur la société que lui donne ce travail avec les soignants. Elle perçoit que s’invente là une manière de travailler, où oser se tromper permet d’essayer une nouvelle façon de faire. Elle trouve que la qualité de la coopération dépend de personne avec qui elle est en relation, de sa volonté, de son ouverture d’esprit et de son acceptation des désaccords. L’AS de la PASS pense qu’une aide réciproque a lieu avec le SAM – B ; elle trouve que sa collaboration avec l’infirmière fonctionne bien. Par contre, elle note qu’à l’hôpital la coopération avec les soignants est à reconstruire tous les jours. Le travail de la PASS y a du sens dans l’action. 75 Le responsable de l’Association B trouve la collaboration assez satisfaisante; « la mutualisation des compétences, des savoirs faire, des diagnostics limite le risque de se tromper. » Selon lui, l’absence de communication avec un médecin pénalise le travail. Le SS- CRAM L’AS pense que la collaboration avec les soignants est dynamisante, enrichissante professionnellement. 3.3.2 Les changements au niveau des bénéficiaires Sur ce sujet, nous n’avons pas l’avis des bénéficiaires eux-mêmes mais celui des professionnels. Nous avons choisi de regrouper les services où les points de vues exprimés sont proches : Le SAM – A, le CCAS, le Foyer A, le SAM – B, le SS – CRAM la re-création d’un lien social avec la personne L’isolement et l’absence de toute aide sociale caractérisent bon nombre de situations rencontrées. Ainsi, la santé est une porte d’entrée pour renouer avec une personne et progressivement la ramener à reprendre contact avec les TS. Ces derniers relèvent que la collaboration nécessite de lui faire comprendre le sens des démarches proposées, puis de recueillir son accord qui, s’il advient, procède de sa prise de conscience que tout cela est dans son intérêt. Un médecin donne son regard tout en précisant qu’il est un peu subjectif. Pour lui, les bénéficiaires se sentent impliqués dans quelque chose réalisé collectivement. Entrer dans une démarche produit chez eux un effet stimulant. Ils en ressentent de la satisfaction, car cela va dans le sens d’une amélioration dans leur vie. vers un mieux être Selon les TS, sans collaboration, la situation d’une personne risque la stagnation. Le travail ensemble et l’approche globale favorisent une évolution plus rapide vers un mieux-être. Selon l’AS du SS – CRAM, ils permettent d’éviter le morcellement du sujet qui est rassuré et aidé à faire des choix. 76 Globalement, les médecins qui pratiquent dans ces services, notent des effets positifs pour les bénéficiaires. Grâce à la collaboration, des soins adaptés peuvent se mettre en place dans des conditions améliorées. L'un d'eux remarque qu'elle permet des paliers d’amélioration plus longs et de meilleure qualité, mais qui n’empêchent pas la rechute. Dès lors, l’humilité est nécessaire car les problématiques rencontrées sont lourdes et par conséquent les réussites sont difficiles. Il importe au préalable de savoir « déceler chez la personne une petite part d’envie de s’en sortir. » Du point de vue de la coordinatrice du SAM - A, les personnes se repèrent mieux en n’étant pas confrontés à des lieux différents et cloisonnés. Elles gagnent en confort et sécurité. Le responsable de l’Association B trouve que le SAM - B facilite l’accueil à l’hôpital, de patients dont les comportements singuliers voire perturbés peuvent agacer les soignants et pénaliser leurs relations avec eux. La PASS – A et la PASS – B des pratiques récentes qui s’ajustent à l’évolution du public Depuis son ouverture (2001), la fréquentation de la PASS – A a augmenté passant de 200 personnes (en 2002) à 650 (en 2003) avec des pics et des baisses. Selon l’infirmière, pour les patients, le traitement de leurs problèmes (sociaux, médicaux) ensemble, au même en au même endroit, est «idéal». La plupart ne parlant pas le français, cela permet de limiter les ré-explications difficiles. L’AS a conscience de difficultés dans la prise en charge des personnes les plus en précarité, dont les situations sont très dégradées. L’AS de la PASS - B pense que sa place est faite à l’hôpital mais que celle de la précarité ne l’est pas. Pour elle, la collaboration sera satisfaisante quand aucun individu en situation de précarité ne quittera l’hôpital sans lui avoir été orienté. 3. 4 Conclusion Au cours de cette étude nous avons cherché à comprendre comment des professionnels du social et du sanitaire travaillent ensemble. Notre analyse nous 77 montre que la collaboration entre deux professionnels, du soin et du social, peut dépasser très largement une relation d’échanges et s’inscrire dans un véritable processus instituant l’émergence de projets construits en commun et dans lesquels il importe d’impliquer la personne concernée. Les éléments recueillis dans plusieurs services montrent qu’il produit des effets au niveau des pratiques des professionnels et au niveau des bénéficiaires. Ils varient selon l’étape du processus de collaboration dans lesquels ils se situent. Ils portent à la fois sur un ou des progrès au niveau de la démarche de collaboration (l’outil des professionnels) et au niveau de la construction et concrétisation du projet (les faits significatifs de l'évolution de la personne). Certaines collaborations confrontées à notre hypothèse nous conduisent aux conclusions suivantes, regroupées en trois grandes tendances : une collaboration mature, sur une position aboutie Nous la remarquons à l’interne du SAM – A , à l’interne du SAM – B, entre le SAM – A et les AS du CCAS (service extérieur à l’Association A). Les professionnels rencontrés sont tous animés d’une forte motivation, moteur de leur engagement. La plupart sont engagés dans une démarche d’intercompréhension. S’ils rencontrent des désaccords, ceux-ci sont dépassés par le dialogue et l’explication. Dans ce mouvement fait d’instabilité et de remises en questions, il cherchent à élaborer une convergence en vue d’actions concertées, tendant à la réalisation d’un projet qui concerne une personne impliquée dans cette démarche. Ce travail ensemble modifie les identités des acteurs, leurs pratiques, et génère une professionalité nouvelle émergeante en tant qu’acteur collectif. une collaboration inégale selon les acteurs, sur une position intermédiaire La collaboration entre les SAM et les TS des autres services internes à leurs Associations respectives, est "encombrée" par un désaccord important sur le plan conceptuel, à propos duquel n'a pas lieu de débat contradictoire. Il apparaît que selon leur personnalité et leur expérience, les acteurs s’en débrouillent chacun à leur façon, en se référant avec leurs convictions sur d’autres repères, en usant de persuasion, etc. 78 une collaboration en demande de la part des TS, sur une position débutante Entre les AS des deux PASS et les soignants hospitaliers, le travail ensemble est en chemin, plus incertain, très tributaire des sollicitations des soignants, de leur intérêt provisoire et de leur volonté. Ce processus est d’abord porté par les AS qui produisent un important travail de traduction. Au cas par cas, des actions concertées produisent des effets satisfaisants pour les personnes. Le travail de l’AS de la CRAM avec les médecins libéraux rejoint ces remarques. 79 CHAPITRE 4 : Vers la transformation des pratiques professionnelles Ce travail de recherche nous a permis d’appréhender la réalité de pratiques professionnelles à l’aide d’outils méthodologiques et conceptuels nouveaux pour nous. Ainsi, il nous a conduit à une lecture différente des processus étudiés, dégagée de nos a priori et de nos représentations empiriques. Notre regard sur la collaboration s’est décentré grâce à l’analyse des résultats qui tend à en révéler la complexité et à l’organiser, en évitant de réduire ou ignorer la différence. Cette étude suscite de premières idées et propositions en terme de transformation des pratiques professionnelles que nous exposons ci-après. 4.1 La complexité des problèmes implique la nécessité d’une approche pluridisciplinaire 4.1.1 Concevoir de nouvelles stratégies sanitaires et sociales Comme nous l’avons dit dans notre premier chapitre, des études montrent que le niveau socio-économique et culturel des personnes a une incidence sur leur état de santé alors que l’offre de soins est, en principe, proposée à tous. Les populations défavorisées ont des difficultés à accéder aux soins de base, et dans le même temps, les progrès de la médecine rapprochent l’espérance de vie humaine de ses limites génétiques. En extrapolant, il est à craindre que le système de santé ne serve plus qu’à les maintenir dans un état de simple survie, avec une espérance de vie écourtée. Ces constations posent des questionnements importants en terme de santé publique. Des professionnels (TS, soignants) se sont mobilisés sur ces dimensions; des politiques publiques ont insufflé la mise en place de dispositifs favorisant l’accès aux soins. Mais nous pouvons penser que l’amélioration de la santé de la population globale obligera encore et de plus en plus à des actions prioritaires vers ses couches les plus défavorisées. Ainsi, de nouvelles stratégies sanitaires et sociales doivent être 80 réfléchies et instaurées ; cette tâche doit se poursuivre avec des acteurs des deux champs qui travaillent ensemble. 4.1.2 Repenser les liens entre le sanitaire et le social Travailler auprès du public en situation de précarité implique de repenser les liens, les espaces communs entre le champ sanitaire et le champ social. La souffrance sociale, comme conséquence existentielle de la pauvreté, est une nouvelle notion qui s’est peu à peu imposée dans le langage médical et sanitaire. La précarité des conditions de vie retentissant sur la santé, à la fois physique et psychique, les soignants dans leur pratique sont confrontés à des personnes ayant un rapport singulier à leur corps, aux soins, et à l’autre. De leur côté, les TS ne peuvent pas éviter de prendre en considération l’état de santé des personnes dans une démarche d’insertion. A un autre niveau, la santé sert parfois de justification à la mise en œuvre d’une politique sociale. Il advient que des conditions d’habitat indignes voire dangereuses ne deviennent problématiques qu’à partir du moment où elles ont des conséquences sanitaires. Ce fut le cas du saturnisme infantile reconnu, après 1985, comme réalité épidémique engendrée par l’habitat insalubre. Dès lors, ce problème s’est déplacé de la clinique médicale vers l’espace public. Un peu plus tard, il a fait l’objet d’une inscription dans les politiques publiques (loi contre les exclusions du 29/07/1998). Nous remarquons que lorsque la vie biologique est menacée, la société constate la nécessité d’agir. Ainsi le corps malade ou souffrant élèverait sa légitimité au dessus de toutes les autres. Il semble que dans des situations ultimes, une logique se dessine qui fait de la vie un bien supérieur autour duquel le consensus le plus large peut s’établir et un principe général se construire. La santé serait alors un ultime langage partagé (le concept de "raison humanitaire" en fait partie). Nous pensons que ces dimensions doivent être réfléchies par les soignants et les TS. 4.1.3 L’éthique ré-interrogée Comme nous l’avons entendu lors de notre recherche, des personnes en situation de précarité peuvent amener très vite des médecins à une confrontation à l’échec; ces 81 derniers peuvent le ressentir de façon particulièrement intolérable, par exemple quand ils tentent de traiter une pathologie pour laquelle la prise en charge est efficace pour la majorité de la population. Dès lors, l’échec peut être rapidement être imputé au comportement de la personne , à son manque d’envie et de volonté de se soigner. Pour P. FOUCRAS49 : « On risque alors de remettre en question, pour les plus pauvres, l’essence même du pari éthique à l’origine du choix d’être soignant : l’homme désire "une vie bonne avec et pour les autres"50, et la santé est un des outils majeurs pour cet objectif. Ainsi la confrontation à l’échec peut amener à penser que des hommes pourraient "choisir" de ne pas vouloir "cette vie bonne", et donc préférer rester malade ou en mauvaise santé. » Ce médecin fait le pari inverse et interroge : « (…) qu’est-ce qui fait, dans sa vie, dans son histoire, que tel homme peut être empêché de choisir "cette vie bonne", et va parfois jusqu’à donner l’impression, voire jusqu’à dire et même penser, qu’il la refuse ? » Selon lui, « la rencontre soignante des plus pauvres » ouvre pleinement à une dimension humaine, éthique déjà connue mais à ré-aborder de façon nouvelle, et à transmettre aux futurs soignants. Il pense qu' «il ne peut pas y avoir de démarche éthique valable et validée si elle n'est pas confrontée au défi de la rencontre du plus souffrant.»51 Les professionnels enquêtés font passer le message que la santé est une forme de lien social qui se construit localement et qui nous rappellerait que tout citoyen a droit à une vie de qualité (cf. les Droits de l’Homme). Cette reconnaissance de la valeur de la vie individuelle constituerait alors une sorte de rempart ultime contre l’exclusion. Nous relevons là des sujets fondamentaux d’interrogations éthiques. La collaboration sur les problématiques de santé et de précarité ouvre pour les TS et les soignants la possibilité d’une réflexion élargie, d’un questionnement sur le Sens, enrichis par la rencontre avec des concepts nouveaux. Des confrontations éthiques, des débats 49 Médecin généraliste à Roubaix, maître de stage et enseignant de médecine générale à la Faculté de médecine de Lille. 50 RICOEUR, P. , Soi-même comme un autre, cité par FOUCRAS, Un enseignement sur l'exclusion pendant les études médicales?, Revue Quart Monde, n° 184, 11/2002, p.30. 51 FOUCRAS, P. , o. c. , p.30 82 contradictoires sont nécessaires entre les collaborateurs, l’enjeu étant de bien se comprendre et de se rencontrer « sur un même territoire autour d’objets communs, définis par des conceptspasserelles. »52 4.1.4 L’approche pluridisciplinaire et l’implication d’acteurs différents Confrontés à l’intrication des problèmes sanitaires et sociaux des personnes, des professionnels de la santé et du social, se parlent, croisent leurs points de vue, travaillent ensemble, dans une finalité de mieux-être et de meilleure inscription de la personne dans la société. L’OMS, dans la Charte d’Ottawa, a consacré une large place au concept de promotion de la santé. Il s’agit de tabler sur les ressources, de renforcer le pouvoir d’agir des populations, de renforcer l’approche collective plutôt qu’individuelle. De plus, il est clairement énoncé que la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire. Elle exige « l'action concertée de tous les intervenants : les gouvernements, le secteur de la santé et les domaines économiques et sociaux connexes, les organismes bénévoles, les autorités régionales et locales, l’industrie et les médias. Les gens de tous milieux interviennent en tant qu’individus, familles et communautés. Les groupements professionnels et sociaux, tout comme les personnels de santé, sont particulièrement responsables de la médiation entre les intérêts divergents, en faveur de la santé. »53 Or, acquérir un regard qui perçoit les ressources individuelles, celles du milieu et les points d'appui n'est pas chose aisée. A cela s'ajoute le manque de confiance en l'autre et en ses capacités en particulier lorsqu'il est très démuni. Cela rejoint une dimension primordiale relevée au cours de cette recherche à savoir qu’un projet se construit avec la personne concernée, s’adapte à sa personnalité et à ses capacités, tient compte de son environnement, etc. Nous pensons que ces dimensions essentielles doivent être abordée de le cadre la formation des professionnels. 52 53 DHUME, o. c. extrait de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, 17-21 Novembre 1986. 83 4.2. La formation des acteurs et le développement de la professionnalité 4.2.1 Les soignants Les remarques qui suivent et qui émanent d'une AS de PASS, illustrent bien la complexité de l’approche de la situation de ces personnes. Elle observe que certains médecins sont ébahis quand ils réalisent les conditions de vie de certains patients (ceux qui ont travaillé en dispensaire ou dans l’action humanitaire n’ont pas cette réaction). Elle commente qu’en général, ils ont tendance à toujours voir en priorité la maladie. Quand elle « leur apporte en plus le paramètre de la précarité », cela implique pour eux « une démarche intellectuelle supplémentaire ». Ils ont du mal à démêler les intrications des problèmes et portent parfois des jugements hâtifs (« c’est de sa faute s’il en est là »). Cette professionnelle a conscience que les médecins sont confrontés à des situations lourdes : la maladie, l’échec, la mort, que la prise en compte de la dimension sociale vient encore appesantir. Ces constatations questionnent sur la formation des professionnels de la santé qui est avant tout basée sur la perception de ce qui ne va pas (les symptômes, les plaintes). Or, sur le plan médical, la précarité complique tout. P. FOUCRAS, illustre ce propos ainsi : « Par exemple, soigner une personne diabétique requiert une formation particulière. Quand ce même patient est à la rue ou a des difficultés d'expression ou de compréhension ou n'a pas de couverture sociale, on se trouve devant des difficultés supplémentaires qui justifient une formation complémentaire. Cet exemple peut être généralisé à l'ensemble des pathologies mêmes les plus banales. »54 Depuis quelques années des diplômes inter-universitaires "Santé et précarité" se créent dans certains centres hospitalo-universitaires. Certains médecins arrivent à penser qu’une formation spécifique est indispensable. P. FOUCRAS, a déjà réfléchi à ces questions, et propose des pistes de formation et de recherche « pour un enseignement sur l’exclusion en faculté de médecine : 54 FOUCRAS, P. , o.c. , p. 28-31 84 • formation épidémiologique et statistique mettant en évidence les déterminants socio-économiques et culturels de l’état de santé des populations • formation aux réalités de vie des populations les plus précaires • formation à la reconnaissance et à la prise en compte des efforts de ces populations, parfois maladroits, souvent inadaptés, rarement efficaces, mais toujours réels, pour avancer dans la conquête d’une santé meilleure pour une vie bonne • formation et compréhension des facteurs humains, psychologiques et culturels qui nous mettent en échec dans la prise en charge de cette population • formation à des stratégies de soins et à des attitudes intégrant ces réalités • formation à un nouveau regard éthique et humaniste. »55 A notre avis, d’autres propositions peuvent compléter celles de P. FOUCRAS : une formation sur la connaissance des dispositifs d’aide sociale et des professions du social une formation à la collaboration avec les TS et à la construction de projets et de dispositifs médico-sociaux Nous avons contacté une formatrice en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI), qui nous a expliqué que dans les textes rien n’impose une approche de la précarité. Cependant, une ouverture sur ce thème est possible dans le cadre d’un module de "Santé Publique" qui permet d’aborder les grandes priorités politiques. De plus, il en est question dans le cadre de la définition de la santé et dans le domaine de la psychiatrie. Globalement, ce sujet est traité de manière variable selon l’appréciation des formateurs. Elle remarque qu’en général, le social n’est pas un centre d’intérêt pour les étudiants. Grâce à des stages sur le terrain professionnel, ils peuvent être amenés à rencontrer des éducateurs, mais le travail de collaboration avec les TS n’est pas du tout traité. Nous pensons que la formation des infirmières peut s’inspirer de l’ensemble des propositions ci-dessus énoncé. 55 FOUCRAS, P. , o. c. , p. 31 85 4.2.2 Les TS Nous rejoignons les propos du psychiatre J. FURTOS qui parle de « sanitarisation du travail social » et de la nécessaire implication des intervenants du champ social sur les questions de santé élémentaire : « il faut forcément un réseau républicain, payé par l’Etat, pour effectuer cet accompagnement qui n’est plus assumé par le service public de la santé et n’est pas non plus pris en charge, pour les personnes qui ne sont pas intégrées à un groupe social, dans les lieux naturels que sont la famille, les amis, le voisinage. »56 Dans le programme de formation du diplôme d’AS, la réforme récente entérine les évolutions du contexte des métiers. La santé fait l’objet d’une Unité de Formation intitulée "Santé publique et santé communautaire". Quand à la collaboration, elle se traite dans le domaine de l’implication de l’AS dans les dynamiques partenariales institutionnelles et inter institutionnelles. Ces dimensions sont déclinées de manière variable, selon les Centres de formation, à charge pour eux de diversifier les supports et d’explorer les possibilités du territoire (par exemple, une PASS de la région de notre étude va prochainement accueillir des stagiaires). Dans celui du diplôme d’ES, la santé est abordée dans l’approche sur le handicap et dans l’unité dite de Spécialisation (en lien avec les handicaps, les inadaptations, les conduites addictives, les maladies mentales). La santé ne fait pas l’objet d’une approche spécifique commune à tous les étudiants. Dans le cadre des stages pratiques, elle est susceptible d’être plus ou moins abordée par chaque étudiant, selon le terrain choisi. Quand à la collaboration, elle est intégrée à l’unité "Vie Collective" qui met l’accent sur les dimensions collectives de la relation éducative dans ses différents niveaux d’exercice. Une sensibilisation à la sociologie des organisations, une approche des rapports partenariaux internes et externes, une réflexion sur le travail pluridisciplinaire sont prévus. Nous pensons que les dimensions qui suivent, peuvent compléter utilement les contenus des formations de TS que nous venons d’évoquer : la notion de santé et ses déterminants. 56 cité par HELFTER , C. , Vers une "sanitarisation" du travail social ?, Revue ASH, n°2340, 01/2004, p. 37. 86 la santé publique , la promotion de la santé, l’éducation à la santé les politiques de santé, l’organisation sanitaire, les professions de santé la santé des personnes en situation de précarité. La santé, comme lien social l’approche pluridisciplinaire, la collaboration avec les soignants, la construction de projets et de dispositifs médico-sociaux l’éthique (le droit à une vie digne, la santé comme droit et devoir, le concept de personne humaine, etc) Certains thèmes pourraient être abordés dans le cadre de modules ou séminaires communs aux soignants et TS, ce qui permettrait notamment de favoriser l’intercompréhension et la convergence des approches. Car, comme le préconise X. EMMANUELLI : « on pourrait lancer des passerelles entre les écoles d’infirmières et celles des travailleurs sociaux afin que tous les personnels soient formés au caractère infiniment complexe des situations de détresse. Les SAMU, les SAMU sociaux, les institutions d’assistance et d’assurance, les SOS Médecins pourraient ainsi recourir à des personnels formés qui bénéficieraient d’une reconnaissance de leur métier et pourraient faire carrière dans le monde sanitaire et social. Cela peut s’envisager si l’on ouvre des ponts dans la transversalité, au lieu de le faire uniquement dans la verticalité afin de constituer des professions spécialisées. »57 Ultérieurement, au cours de l’exercice professionnel, des rencontres, colloques, débats ensemble pourraient ponctuer l'évolution des réflexions, des recherches, des pratiques dans le champ des problématiques de santé et de précarité . A notre avis, aborder la question de la santé offre pour la formation des TS la perspective de sortir de la catégorisation en inadaptations ou conduites à risques. Son caractère universel (elle concerne la vie de tout humain) permet d’opérer un déplacement de l’objet même de l’action sociale. Il s’agit non plus de concevoir une action centrée sur l’individu et ses caractéristiques supposées (ou observées) défaillantes, mais une action s’attachant à une transformation du lien social au plan local autour de la personne et avec elle. 57 EMMANUELLI , X. , o. c. , p.270 87 4.2.3 Le développement de la professionnalité Les dynamiques étudiées dans ce travail permettent aux acteurs de développer leur professionnalité. Chacun ouvre sa culture professionnelle à la rencontre de celle de l’autre, apprend à l’autre et de l’autre. Le travail ensemble permet donc l’échange, la confrontation des savoirs, et par l’élaboration collective pluridisciplinaire, il institue un mouvement de recréation de savoirs. Dans ce processus, les acteurs développent leur adaptabilité, leur réactivité. Inscrit dans des dynamiques de construction d’organisations se situant dans la transversalité (partenariat, réseau), il est porteur de perspectives en terme de développement. Il ouvre alors pour les acteurs des espaces d’autonomie, encourage leur initiative et leur offre des occasions de progrès. Dans cette évolution, ces derniers développent leur employabilité. C'est pourquoi si la collaboration enrichit le travail social, elle enrichit également le professionnel pour qui « les enjeux relèvent du savoir-penser-complexe et du savoir-agir-complexe»58 58 DHUME, F. , o. c. , p.162. 88 Conclusion générale Cette étude nous a amené à interroger les liens entre le sanitaire et le social sur les problématiques de santé et de précarité. Grâce à un travail d’enquête, nous avons essayé de comprendre comment des TS et des soignants collaborent sur ce champ et construisent un outil de travail porteur de plus value (mieux faire ensemble), générateur de changements et d’innovations, dans l’intérêt des personnes bénéficiaires. Un détour historique nous a montré qu'avec l'installation de la société salariale s'est développé un système de protections sociales. Parallèlement, l'amélioration des conditions de vie, d'hygiène, le développement de la prévention sur le plan médical a fait progresser considérablement l'état sanitaire de la population. Ce mouvement a été particulièrement fort au cours des 30 Glorieuses. Mais depuis le début des années 70, le chômage, l'instabilité de l'emploi précarisent l'intégration sociale des individus, perturbe leurs repères sociaux, altère leurs conditions de vie et fragilise leur devenir. La précarité, ayant pris une ampleur massive, devient un des phénomènes marquant la mutation sociale profonde en cours. Dans le même temps, la médecine devenue de plus en plus spécialisée et technicienne voit ses coûts augmenter. L'hôpital évolue sur la même trajectoire et perd son caractère "hospitalier" dévolu aux plus "nécessiteux". Or, prendre soin de soi devient pour les populations en situation de précarité une préoccupation reléguée après d'autres considérées plus urgentes : le travail, le logement, la nourriture. Ainsi leur santé se dégrade et avec elle une dimension essentielle dont l'érosion n'est pas toujours visible : la perte de l'estime de soi entraînant le mal être. Dès lors, le travail social, déjà mobilisé et actif sur le versant de l'aide à l'insertion professionnelle et sociale est amené de plus en plus à prendre en compte cet aspect dans le cadre de ses actions. Des dispositifs socio-médicaux sont créés soit de l'initiative de travailleurs sociaux et/ou de soignants, soit impulsés par des politiques publiques qui s'engagent sur cette voie. Conscients de l'imbrication des 89 difficultés des personnes et par conséquent de la nécessité d'une approche globale, des TS et des soignants collaborent. Cette recherche nous a permis de recueillir des données permettant d'analyser comment ces professionnels travaillent sur ces problématiques, dans une logique de décloisonnement de leurs approches et de leurs actions. L'analyse des résultats nous renseigne à la fois sur la construction du processus de collaboration et sur ce qu'il réalise. Nous voyons bien là toute l'utilité d'un travail de recherche qui éclaire la richesse des pratiques et permet de mettre en évidence des outils réutilisables, perfectibles au cours de l'expérience présente ou à venir. Il apparaît que les relations de proximité entre professionnels, faites d'échanges d'informations, de bienveillance réciproque, de bonne entente, peuvent évoluer vers la collaboration lorsqu'elles suivent une progression bien spécifique. Grâce à la sociologie des organisations, nous avons pu identifier "les moments" indispensables de ce processus qui, s'ils n'ont pas lieu, laissent les acteurs "sur le chemin", mais ne conduit pas à une collaboration "mature" ou "aboutie". Cette évolution associe des qualités humaines et une démarche intellectuelle. Nous relevons que la collaboration donne les moyens de construire avec la personne concernée un projet à sa mesure, étayé par l'articulation des interventions du TS et du soignant. De ce fait, elle est un outil-méthode de travail au service de l'autre. Le travail de recherche , par ce qu'il nous donne à voir et à comprendre de la réalité en construction, permet d'optimiser les pratiques en corrigeant les erreurs dans les expériences ultérieures. A un autre niveau, la collaboration véhicule ce qui fait le lien social et politique : la rencontre, l'échange et la construction ensemble d'une expérience. Ces trois dimensions sont en jeu entre les professionnels et les personnes qui sont touchées dans leur équilibre social et psychique, et affectées dans leur corps. En les aidant à prendre des décisions et à faire face aux difficultés de leur vie, elle favorise leur maintien ou leur réintégration dans le jeu des relations humaines et les ramène à une meilleure santé, car retrouvant « la capacité de maintenir et de nourrir les facultés 90 nécessaires à l’établissement d’un échange riche avec le monde.59 Ainsi, elle est un outil de lutte contre les inégalités sociales d'accès à la santé et à "une vie bonne"60. Nous l'avons vu, l'enseignement, la formation ont un rôle essentiel à jouer pour préparer les professionnels à ce travail, sur le plan méthodologique et sur le plan conceptuel, car dire et soulager la souffrance humaine dans notre société, nécessite de se référer au Sens. De notre point de vue, la rencontre des TS avec les soignants leur apporte la possibilité d'une réflexion éthique élargie. Elle ouvre sur des confrontations, des débats contradictoires, et la constructions de valeurs. ♦ La précarité touche des populations très disparates et toutes les générations (des enfants aux personnes âgées); elle ne concerne pas une catégorie de personnes. Par contre, elle est porteuse d'un risque de clivage social de plus en plus marqué (les riches et les pauvres). Dans les discours politiques, "la fracture sociale" est souvent présentée comme une fatalité due à une économie qui peine à voir sa croissance redémarrer. Cette situation dont l'issue n'est pas visible est porteuse d'enjeux très importants en terme de santé publique ( des médecins constatent que l'espérance de vie dans leur quartier s'est abaissée à celle de certains pays d'Afrique61). Dès lors comme l'a énoncé le Haut Comité de Santé Publique, l'avenir de notre société est en question. Ces maux- là de notre société renvoient à des enjeux politiques (et philosophiques) que travailleurs sociaux et soignants doivent réfléchir et réinvestir (parfois ensemble) dès leur formation et au cours de leur exercice professionnel. Nous rejoignons le questionnement de F. DHUME dont les apports nous ont été précieux au cours de cette étude, et qui nous interroge : « Quelle société voulons-nous ? »62 La collaboration entre travailleurs sociaux et soignants ouvre un espace de débats, sans doute modeste, pour penser un projet social, mais qui est sûrement le point d’appui de constructions de réflexions et d’actions collectives plus ambitieuses. 59 cf. définition de la santé de X. EMMANUELLI, p. 22 cf. p. 82 61 P. FOUCRAS constate que parmi sa clientèle située à Roubaix (Nord), « où 56 % des patients sont bénéficiaires de la CMU, l’âge moyen du décès, début 2001, est de cinquante sept ans, 80 % des décès étant liés à l’alcool et au tabac. Cinquante sept ans, c’est environ l’espérance de vie au Cambodge, en Erythrée ou au Soudan, avec une mortalité infantile et périnatale bien supérieure. » 62 DHUME, F. , o. c. , p. 120 60 91 Bibliographie 1. Livres AMBLARD, H. , BERNOUX, P. , HERRERO, G. & LIVIAN, Y-F. , Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil,1996, 245 p. BLANCHET, A. , L’entretien dans les sciences sociales, Paris, Dunod, 1987, 289 p. BONDU, D. , Nouvelles pratiques de médiations sociales, Paris, ESF, 1998, 219 p. DUBAR, C. , La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991, 278 p. CASTEL, R. , HAROCHE, C. , Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Entretiens sur la construction de l’individu moderne, Paris, Fayard, 2001, 210 p. CASTEL, R. , Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1998, 474 p. DHUME, F. , Du travail social au travail ensemble, Paris, ASH. , 2001, 206 p. 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Elle a trait à la collaboration entre les travailleurs sociaux et les soignants dans le champ des problématiques de santé et de précarité. Dans cet objectif, j’ai souhaité vous rencontrer. Notre entretien, si vous en êtes d’accord, sera enregistré et durera environ une heure. De plus, je vous informe que les propos des professionnels que serai amenée à citer dans mon mémoire, seront restitués de façon anonyme, et sans identification de leur institution ou service. Si vous êtes d’accord sur ces modalités, nous pouvons commencer. 95 Tout d’abord j’aimerais que vous me disiez avec quels services et quels professionnels du social (ou de la santé) vous collaborez, et quelle image vous avez de la collaboration entre travailleurs sociaux et soignants. Thèmes et sous thèmes Histoire de la collaboration - mise en route - à partir de quels constats , de quel contexte, de quels enjeux ? - comment s’est-elle concrétisée ? - évolution - quelles en sont les grandes étapes ? - y-a-t-il eu des blocages ? - comment l’avez-vous vécue ? L’intercompréhension Consignes De votre point de vue, comment s’est construite et a évolué la collaboration au niveau de votre service, et à votre niveau ? Comment décririez-vous de manière générale votre profession ? - l’expression des identités, des différences - (ré)appropriation des valeurs des autres(compréhension, maîtrise) - le partage des représentations réciproques Comment décririez-vous la profession de votre partenaire ? Quels sont les éléments de convergence et de différence entre elles? Quelle est votre conception de l’usager, -les pertes et les gains en termes d’identité de sa place au regard de votre intervention et de l’intervention de votre partenaire? Contextualisation et problématisation - contextualisation : analyse des actants (humains, organisationnels, écrits) en présence (intérêts, enjeux, degrés de convergence) - la mise en mouvement - le dépassement des désaccords - les idées à la base du compromis - le projet provisoire (intention d’apporter une réponse) Quels éléments (humains, organisationnels, écrits) ont favorisé votre convergence ? Quels problèmes vous ont amené à vous ouvrir à cette collaboration et à la développer, et à votre avis quels problèmes rencontrait votre partenaire? Avez-vous identifié un problème commun ? 96 Traduction et cadre d’action (spécifique) acteur collectif - formalisation, règles, procédures A partir de vos problèmes respectifs, comment avez-vous négocié et construit des objectifs et un projet commun? - le ou les traducteurs (légitimité) - l’investissement de l’employeur Quelles règles, procédures (réunions, chartes mêmes informelles, accords) avez-vous construits ensemble ? A votre avis, y- a-t-il une personne (ou un noyau de personnes) qui a permis et permet encore un rapprochement des différents acteurs et une mobilisation commune, et que pensez-vous de son action ? Les effets. La production - les changements chez chacun et dans la pratique - les apports réciproques En quoi avez-vous besoin de l’autre Que vous manquerait-il si vous ne pouviez pas travailler avec ce TS ou ce soignant-là Pourquoi travaillez- vous bien avec celui-là ou avec cette équipe-là - sur quoi subsistent des désaccords, qu’en faites-vous - les progrès, les améliorations apportés aux bénéficiaires A votre avis, quels sont les principaux résultats de votre collaboration au niveau de vos relations entre professionnels, de votre pratique, de votre service, du projet, des bénéficiaires ? Caractéristiques personnelles et professionnelles Pour finir, j’ai besoin de quelques informations personnelles et professionnelles vous concernant : Age, sexe Fonction Ancienneté dans votre profession Ancienneté dans ce service Expériences professionnelles antérieures Expériences inter partenariales ou inter institutionnelles antérieures Pensez-vous qu’il s’agit d’une collaboration réussie, ou insatisfaisante ou entre les deux ? 97 Nom : LANDANGER Prénom : Brigitte Date du Jury : 03 / 02 / 2005 Formation : Diplôme Supérieur en Travail Social Titre : La collaboration entre travailleurs sociaux et soignants sur les problématiques de précarité et de santé Résumé : Depuis la fin des 30 Glorieuses la précarité touche dans notre société des populations de plus en plus nombreuses, jusqu’à prendre une ampleur massive. Peu à peu les liens entre ce phénomène et l’altération de la santé sont devenus plus prégnants. Des pratiques innovantes ont émergé, visant à une articulation entre les interventions de travailleurs sociaux et celles de soignants dans une démarche d’approche globale des personnes en difficulté. Des politiques sociales, notamment la loi contre les exclusions, ont impulsé la mise en place de cadres, de programmes, de dispositifs et encouragé les liaisons par la constitution de réseaux et partenariats. Notre étude cherche à comprendre comment des travailleurs sociaux et des soignants collaborent sur un champ ou problématiques sanitaires et problématiques sociales se rencontrent, et ce que génère ce travail. L’investigation sur le terrain a eu lieu dans deux villes de l'Est de la France. L'enquête réalisée auprès de professionnels faisant partie de deux Services d’Accueil Médicaux, deux Permanences d’Accès aux Soins de Santé, un Service Social CRAM, un Centre d’examen de santé de la CPAM nous a permis de découvrir des pratiques à l’œuvre, et par là de repérer comment se met en mouvement "le travail ensemble", comment il chemine et abouti (ou non). Les résultats mettent en lumière des qualités ou des niveaux de collaboration qui varient selon les personnes et les services. Ils nous renseignent à la fois sur les éléments complexes constitutifs de ce processus et sur ce qu'il produit au niveau des pratiques et des personnes aidées. Pour collaborer, il importe de s'engager dans une démarche d'intercompréhension à partir notamment des représentations sociales. La mise en mouvement s'opère ensuite autour de la problématisation et de la traduction et met en tension l'élaboration d'une convergence. Ce mouvement fait d'instabilité tend vers l'émergence d'un "acteur collectif". Il apparaît que la collaboration donne les moyens de construire avec la personne concernée un projet à sa mesure visant à son mieux être, étayé par les interventions articulées du travailleur social et du soignant. Dans ce sens, elle est un outil méthode au service de l'autre. De plus, elle véhicule ce qui fait le lien social et politique à savoir : la rencontre, l'échange, la construction ensemble d'une expérience. L'enseignement et la formation des travailleurs sociaux et des soignants doivent prendre en compte ces dimensions. La précarité et les maux qu'elle suscitent renvoient à des enjeux philosophiques et politiques que travailleurs sociaux et soignants doivent investir; leur collaboration ouvre sur la perspective de réflexions et de débats sur un projet social. NOMBRE DE PAGES : 97 VOLUME ANNEXE : 0 CENTRE DE FORMATION : IRTESS - 2 rue du Professeur Marion – 21000 DIJON 1