El profesional de la información, v. 12, n. 3, mayo-junio 2003
214
Riccardo Petrella
façonné et oriente aussi les pensé-
es, les stratégies et le comporte-
ment des ministres de l'éducation,
des dirigeants d'universités, des le-
aders des syndicats des travai-
lleurs, des parlementaires, des mai-
res des villes, des producteurs de
programme Tv, des journalistes.
Bref, la compétitivité est devenue
un credo, le nouvel évangile des
sociétés aujourd’hui dominant le
monde.
L'idéologie de la
compétitivité, avant le
11 septembre 2001
L'idéologie de la compétitivité,
avant le 11 septembre, se réduit à
quelques idées simples: nous som-
mes (affirme-t-on) engagés dans
une guerre technologique, indus-
trielle et économique sans merci à
l'échelle mondiale. L'objectif est
de survivre, de "ne pas se faire
tuer". La survie passe par la com-
pétitivité; hors d'elle, pas de salut à
court et à long terme, pas de crois-
sance, pas de bien-être économi-
que et social, pas d'autonomie,
d'indépendance politique; le rôle
principal de l'Etat, de l'école, des
syndicats, des villes etc., est de
créer l'environnement le plus pro-
pice aux entreprises afin qu'elles
soient (ou deviennent, ou restent)
compétitives dans cette guerre pla-
nétaire. La compétitivité a eu ses
évangélistes, ses théologiens, ses
prêtres et, bien entendu, ses fidè-
les: c’est à dire l'opinion publique
"matraquée" par les discours sur la
compétitivité.
Les principaux évangélistes
ont été les quelques dizaines d'éco-
nomistes et d'experts de renommée
internationale qui, aux EUA, en
Europe et au Japon, ont prétendu
avoir trouvé les "lois naturelles" de
l'économie moderne (dite de mar-
ché) en y introduisant de nom-
breux ingrédients empruntés à des
théories philosophiques et scienti-
fiques liées, à tort ou à raison, à
Hobbes ("l’homme est loup pour
les autres"), Darwin ("la sélection
naturelle"), Spencer ("la sélection
par les plus aptes"), Nietzsche
(l’importance de l’hero).
Les théologiens ont proliféré
dans les années 80: on leur doit une
énorme quantité d'ouvrages et d'ar-
ticles, l'organisation de centaines
de conférences et de séminaires
pour expliquer que la compétitivité
n'est pas seulement l'affaire des en-
treprises (la microcompétitivité),
mais qu'elle concerne le monde et
le système dans son ensemble (la
macrocompétitivité). Encore une
fois, la plupart des théologiens est
originaire des EUA. Parmi les
grands pontifes, citons Michael
Porter, auteur entre autres d’une
"summa theologica" sur lacompé-
titivité (The competitive advanta-
ges of nations)1. Selon eux, la com-
pétitivité est comme la grâce: on l'a
ou on ne l'a pas. Elle n'est pas divi-
sible. Ceux qui l'ont seront sauvés.
Ceux qui commettront le péché de
ne pas être compétitifs sont con-
damnés à disparaître.
Les prêtres du nouveau culte se
comptent par dizaines de milliers à
travers le monde. On les trouve
partout: dans les universités com-
me dans les parlements, dans la
city de Londres comme au Fonds
monétaire international et à Sao-
Paulo, au sein de la Commission de
l'Union Européenne comme dans
les Chambres de commerce et d'in-
dustrie de Lyon, de Valencia, de
Milan, voire dans les syndicats des
travailleurs. Les consultants en
gestion et en management consti-
tuent la catégorie la plus convain-
cue et la mieux formée à convain-
cre de l’armée des prêtres de la
compétitivité, ce qui explique leur
formidable croissance en nombre
et en crédibilité politique au cours
de vingt dernières années.
La pratique collective du culte
de la compétitivité s’est voulue
fondée sur un outil "scientifique":
le World Competitiveness Index
(WCI). Le WCI est produit, depuis
plusieurs années, par une institu-
tion privée suisse, le World Econo-
mic Forum (Forum économique
mondial), avec l'aide de l'Institute
for Management Development
(Institut pour le développement du
management) de Lausanne2. Le
WCI a exercé, jusqu’à présent, la
même fonction, si l'on peut dire,
que le classement ATP des joueurs
de tennis: chaque année, il classe
les pays en fonction de leur niveau
de compétitivité, distribuant ainsi
les bons et les mauvais points. De
nombreux gouvernements ont pris
le WCI très au sérieux. Citons par
exemple le cas emblématique de
l’Espagne à l’époque du Premier
Ministre socialiste Felipe Gonzá-
lez. L’un des arguments portés par
González en soutien de son plan
pour un nouveau pacte social fut
celui de dire que l’Espagne était
23e dans le classement du WCI et
que son plan visait à faire remonter
le pays parmi les dix premiers!
Litanies de la Sainte-
Trinité Li-De-Pri
Au fur et à mesure que les éco-
nomies du monde occidental se
sont empêtrées dans la crise struc-
turelle du chômage et que les an-
ciens pays dits socialistes (ex-
Union Soviétique, Europe Centrale
et Orientale, Chine) sont passés,
armes et bagages et à pas de géants
à l'économie de marché, une lon-
gue litanie de mots, de plus en plus
"sacrés", est venue consolider et
enrichir la rhétorique de l'évangile
Texte pour la conférence de Va-
lencia du 26 novembre 2001.
A la mémoire de Vicente Pé-
rez Plaza.
Qui a cru dans le futur.
Epris d’innovation,
"planteur d’arbres"
il a su mettre sa créativité,
profondément humaine,
et sa rigueur politique
au service d’un monde toujours meilleur.