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Les premiers travaux sociologiques réalisés sur ces questions montrent le poids de certains
facteurs sur l'alimentation des personnes âgées, tels que la catégorie socio-professionnelle, le sexe, la
région. Ils soulignent également l’importance de la structure du ménage : la vie en couple ou la
cohabitation dans un ménage favorisent une alimentation diversifiée, la préparation culinaire et la prise
des repas en commun. Par ailleurs, au-delà de ces facteurs de différenciation sociale des consommations
alimentaires, nombre d’évènements biographiques sont susceptibles de modifier le cadre de vie des
personnes âgées et leurs pratiques alimentaires, qu’il s’agisse par exemple de la retraite, du décès du
conjoint(e)
6
ou encore de la mobilité résidentielle
7
. Ces transitions
8
ont un impact sur la structure du
ménage et sur la vie quotidienne, en particulier sur les pratiques alimentaires. Si globalement ces
transformations portent sur la nature des éléments consommés (on observe une moindre diversité
alimentaire au fil de l’avancée en âge), les façons de cuisiner et les séquences des repas, tous les sujets
âgés ne sont pas concernés de la même manière. Par exemple, l’expérience du veuvage, au regard de
l’alimentation, n’est pas la même pour les hommes et les femmes, qui mobilisent alors des savoirs et
savoir-faire différents
9
. Dans le même ordre d’idées, des travaux anglo-saxons soulignent les effets du
sexe face à la dénutrition, cette dernière étant plus marquée chez les hommes veufs
10
ou face à la
réception de messages de santé
11
. Les travaux montrent également l’importance du cadre de vie (au sens
du sociologue Maurice Halbwachs), du parcours de vie antérieur et de l’état de santé sur l’alimentation et
ses évolutions.
Un des problèmes spécifique aux pratiques alimentaires au cours du vieillissement est relatif aux
enjeux autour de la dépendance physique ou psychique, conduisant généralement à la « dépendance
culinaire ». Des travaux portant sur les personnes âgées à domicile montrent que cette dépendance
culinaire se traduit, pour les personnes âgées, seules ou en couple, par la délégation de tout ou partie des
activités alimentaires (approvisionnement, préparation des repas)
12
. Ces évolutions, liées à l’état de santé,
conduisent à des modifications dans l’alimentation. Elles dépendent en grande partie des types de prise en
charge de la dépendance et de réorganisation des activités domestiques autour de l’alimentation, du statut
social et du sexe des « aidants » (conjoint, enfant, professionnel). Autrement dit, elles dépendent des
formes de délégation des activités autour de l’alimentation et des interactions sociales entre « aidants » et
personnes âgées
13
qui mettent en jeu un souci de soi alimentaire
14
plus ou moins marqué, c’est-à-dire un
lien plus ou moins explicite établi entre alimentation et santé. Or, les pouvoirs publics, à travers le
Programme National Nutrition Santé (PNNS), ont désigné les aidants comme relais des politiques
nutritionnelles et acteurs de la diffusion de recommandations et de normes de l’orthodoxie nutritionnelle.
Parallèlement, le plan national « Bien vieillir » insiste sur l’importance des conseils en matière de
nutrition dans la prévention de la dépendance. S’interroger sur l’alimentation au fil du vieillissement
ouvre ainsi sur une réflexion autour du « bien vieillir » tout à la fois enjeu sociétal et objet de
questionnement sociologique.
Ce sujet de thèse s’inscrit dans la continuité de ces premiers travaux sur l’alimentation des personnes
âgées et notamment de ceux déjà réalisés au Ceries. Il vise à étudier comment se transforment les
pratiques alimentaires (dans leurs différents registres : approvisionnement, stockage, préparation
culinaire, repas) à deux moments particuliers : d’une part le retour à domicile après un passage en
6
Cardon Ph. [2010], op. cit.
7
Cardon Ph [2009], op. cit.
8
Caradec V. [1998], « Les transitions biographiques, étapes du vieillissement », Prévenir, n° 35, pp. 131-137.
9
Cardon Ph . [2010], op. cit.
10
Locher, J. L., Ritchie, C. S., Robinson, C. O., Roth, D. L., West, D. S., Burgio, K. L. A [2008], “Multidimensional Approach
to Understanding Under-Eating in Homebound Older Adults: The Importance of Social Factors”, Gerontologist, vol. 48, n° 2,
pp. 223-234.
11
McIntosh, W. A., Fletcher, R. D., Kubena, K. S., Landmann, W. A. [1995], “Factors associated with sources of
influence/information in reducing red meat by elderly subjects”, Appetite, vol. 24, n° 3, pp. 219-230.
12
Cardon Ph, Gojard S. [2009], « Les personnes âgées face à la dépendance culinaire : entre délégation et remplacement»,
Retraite et société, n° 56, 169-193.
13
Gojard S., Lhuissier A, [2003], op. cit. ; Cardon Ph. [2008], « Vieillissement et alimentation : les effets de la prise en charge
à domicile », INRA Sciences sociales, n°2, mai ; Cardon Ph, Gojard S. [2009], op. cit. ; Kallio, M. K., Koskinen, S. V. P.,
Prattala, R. S. [2008], “Functional disabilities do not prevent the elderly in Finland from eating regular meals”, Appetite, vol.
51, n° 1, pp. 97-103.
14
Soutrenon E. [2008], « Les conditions sociales du souci de soi alimentaire. Une enquête par entretiens sur les rapports entre
pratiques alimentaires, vieillissement et précarité », ANR. Agence Nationale de la Recherche (COMPALIMAGE),144 p. ;
Cardon Ph . [2010], op. cit.