L’Encéphale (2009) Supplément 5, S151–S154 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Le concept de schizophrénie affective J.-M. Azorin*(a), A. Kaladjian(a) (a) Hôpital Sainte-Marguerite, Service de psychiatrie adulte, 270, boulevard Sainte Marguerite, 13274 Marseille cedex 09. Le trouble schizo-affectif a été décrit pour la première fois par Kasanin [8]. Ce concept de schizophrénie affective, ou de trouble schizo-affectif, renvoie davantage à la bouffée délirante qu’aux troubles schizo-affectifs au sens moderne. Kasanin avait décrit un début brutal entre 20 et 30 ans, une personnalité et une adaptation prémorbides normales, des perturbations émotionnelles marquées, une distorsion du monde et des perceptions, la présence d’un stress spécifique, et une évolution favorable. La signification moderne de ce concept apparaît avec les critères RDC [18] : le trouble schizo-affectif se caractérise par un syndrome maniaque ou dépressif, associé à au moins un symptôme schizophrénique sur une liste de 5 ; il doit avoir une durée minimale d’une semaine, et comprendre la superposition temporaire des symptômes affectifs et schizophréniques. Les sous-types RDC opposent un sous-type maniaque vs un sous-type dépressif, un sous-type affectif vs un sous-type schizophrénique, un sous-type aigu vs un sous-type chronique, et un sous-type subaigu vs un sous-type subchronique. Ces descriptions du trouble schizo-affectif réapparaissent dans le DSM III, comme une catégorie résiduelle après élimination notamment des épisodes thymiques avec caractéristiques psychotiques. Dans le DSM III-R, les critères sont proches des critères actuels du DSM IV, mais ne font pas encore mention du caractère ininterrompu de la période * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. morbide spécifique : celui-ci a été introduit pour faire la différence avec la dépression post-psychotique [1, 2]. Dans le DSM IV [3], le trouble schizo-affectif se caractérise par une période ininterrompue de maladie caractérisée par la présence simultanée d’un épisode thymique et des critères A de schizophrénie, et, au cours de la même période de la maladie, par des idées délirantes ou des hallucinations présentes durant au moins 2 semaines mais sans symptômes thymiques ; de plus, la présence de symptômes thymiques occupe une partie conséquente des périodes actives et résiduelles, et l’ensemble n’est pas dû aux effets d’une substance ou d’une affection médicale. Il est décrit deux sous-types de troubles schizo-affectifs dans le DSM IV : le type bipolaire, en cas d’épisode maniaque ou mixte, et le type dépressif, en cas d’épisodes uniquement dépressifs majeurs. Comme dans le DSM IV, le trouble schizo-affectif est, dans la CIM-10 [16], rangé dans le chapitre des « Schizophrénie, trouble schizotypique et troubles délirants », avec cinq sous types : maniaque, dépressif, mixte, autres, et sans précision. Un travail intéressant de Marneros, à Cologne, a distingué deux autres sous-types : le sous-type co-occurrent, avec coïncidence des épisodes schizophréniques et affectifs, et le sous-type séquentiel, avec apparition de différents types d’épisodes affectifs, schizophréniques et schizo-affectifs, au cours de l’évolution [14]. S152 Épidémiologie du trouble schizo-affectif Le trouble schizo-affectif représenterait 4,5 % des premières admissions psychiatriques, et 16 % des premières admissions pour schizophrénie. L’incidence du trouble schizo-maniaque serait de 1,7 pour 100 000 par an, et celle du trouble schizo-dépressif de 4 pour 100 000 par an. La prévalence sur la vie entière serait de 0,5 à 0,8 %. Dans les cliniques spécialisées comme les « Lithium clinics », il représenterait 35 % des admissions. Parmi les patients admis pour psychoses majeures, 25 % auraient un trouble schizo-affectif, 35 % un trouble affectif, et 42 % une schizophrénie [17]. Validation du concept de trouble schizo-affectif Parmi les éléments de validation de ce concept, les données évolutives montrent des résultats intéressants. De façon schématique, les études de suivi au long cours montrent soit un pronostic proche de celui des schizophrénies, soit un pronostic proche de celui des troubles affectifs, soit un pronostic intermédiaire entre les deux [6]. Concernant les données neuro-biologiques, neuro-endocriniennes, neuro-cognitives, et neuro-pathologiques, l’ensemble des paramètres étudiés montrent, de même, soit un statut comparable à celui des schizophrènes, soit un statut comparable à celui des patients affectifs, soit un statut intermédiaire entre les deux groupes [6]. Les études familiales montrent que parmi les familles des probands schizo-affectifs, on retrouve plus de troubles affectifs (7 %) que de troubles schizophréniques (3 %). Les troubles affectifs sont plus fréquents parmi les apparentés de patients souffrant de troubles schizo-affectifs que parmi les apparentés de patients souffrant de troubles schizophréniques. Par ailleurs, le risque de trouble schizophrénique chez les apparentés de troubles schizoaffectifs est supérieur au risque de trouble schizophrénique chez les apparentés de troubles affectifs. Le risque de trouble schizo-affectif est similaire chez les apparentés de troubles schizophréniques à celui des troubles affectifs (1,4 % vs 1,2 %). Enfin, les études familiales montrent que les troubles schizo-affectifs de type bipolaire sont plus proches des troubles affectifs, et que les troubles schizo-affectifs dépressifs sont plus proches des troubles schizophréniques [10]. Certains auteurs, comme Marneros, ont cherché à valider la distinction entre sous-types schizo-affectifs bipolaires vs dépressifs. On retrouve ainsi une différence concernant le sexe (autant d’hommes que de femmes pour le sous-type bipolaire, plus de femmes que d’hommes pour le sous-type dépressif), concernant l’éducation et le statut professionnel (supérieurs chez les schizo-affectifs bipolaires par rapport aux schizo-affectifs dépressifs), concernant la personnalité prémorbide, qui est sthénique et confiante dans les troubles schizo-affectifs bipolaires, asthénique et peu confiante chez les schizo-affectifs dépressifs. Enfin, J.-M. Azorin, A. Kaladjian l’évolution les distingue : les troubles schizo-affectifs bipolaires ont un début plus précoce, avec un plus grand nombre d’épisodes et de cycles [13]. Ces auteurs ont également montré que les différences de caractéristiques entre patients bipolaires et patients dépressifs sont les mêmes que celles retrouvées entre troubles schizo-affectifs bipolaires et troubles schizo-affectifs dépressifs. Cela est vrai pour les caractéristiques sociodémographiques, et pour l’évolution, qui est dans l’ensemble moins bonne que dans les troubles affectifs [13]. Enfin, les études de validation des sous-types « troubles schizo-affectifs co-occurents » vs « troubles schizo-affectifs séquentiels » n’ont montré aucune différence, tant au niveau des caractéristiques socio-démographiques prémorbides que du profil évolutif ou du pronostic. Hypothèses étiologiques Plusieurs hypothèses peuvent être proposées quant à l’étiologie du trouble schizo-affectif. On peut le considérer comme une variante de la schizophrénie, comme une variante du trouble affectif, comme une psychose indépendante, comme un trouble hétérogène sur le plan nosologique : se pose aussi la question d’une vulnérabilité unique ou d’une vulnérabilité partagée [17]. Un travail intéressant de Tsuang et al. [21] a montré que le diagnostic de trouble schizo-affectif n’est pas indépendant de celui de trouble schizophrénique ni de celui de trouble affectif. Mais l’hypothèse qu’il s’agisse donc d’un trouble hétérogène sur le plan nosologique (une partie se rapprochant des troubles affectifs, l’autre des troubles schizophréniques) ne paraît pas étayée par les résultats des études familiales. On peut aussi faire l’hypothèse d’une vulnérabilité unique pour les différents troubles, avec des expressions différentes. C’est par exemple le modèle de Janzarik [7], postulant que la vulnérabilité commune à l’ensemble des psychoses est une prédisposition à l’instabilité dynamique, à une fluctuation de l’humeur, mais que cette fluctuation peut être endiguée soit par la structure de la personnalité, soit par le tempérament (figure 1). L’une des limites de ce modèle est qu’il rend compte des schizophrénies paranoïdes, mais pas des schizophrénies négatives. Le modèle de la vulnérabilité partagée met en jeu des phénomènes d’interactions entre les gènes (gènes de la vulnérabilité cognitive, gènes de la vulnérabilité thymique, gènes de la vulnérabilité aux interactions communes) et des interactions gènes-environnement. Ce modèle a été développé notamment par Siris et Lavin (figure 2) [17], et par Berner (figure 3) [5]. Aspects thérapeutiques Dans les troubles schizo-maniaques, en ce qui concerne l’efficacité curative, les études contrôlées montrent que la combinaison antipsychotique/stabilisateur de l’humeur semble supérieure aux monothérapies. Une étude contrôlée montre la supériorité de l’olanzapine sur l’halopéridol, et Le concept de schizophrénie affective S153 Vulnérabilité : prédisposition à l’instabilité dynamique Forte Variantes de la personnalité Stress Structure individuelle (acquise) Faible Bas Niveau dynamique habituel (biologique) Haut Instabilité dynamique manifeste Pensée et Atmosphère comportement délirante désorganisés Déraillements maniaques ou dépressifs stables Déraillements dépressifs stables schizophrénique schizo-affectif bipolaire dépression unipolaire Figure 1 Vulnérabilité : prédisposition à l’instabilité dynamique – Modèle de Janzarik [7] d’après Berner [5]. Trouble schizo-affectif Propension aux anomalies prototypiques de la schizophrénie I II Vulnérabilité cognitive Vulnérabilité dynamique Déficit du traitement de l’information Prédisposition aux déraillements dynamiques et aux anomalies des biorythmes III IV Réactivité autonome a b Niveau dynamique habituel a b 0 % Proportion de la population 100 % Vulnérabilité majeure : la maladie apparaît à l’occasion d’événements mineurs Vulnérabilité mineure : la maladie n’apparaît qu’à l’occasion d’événements majeurs Hypo- Hyper Bas Élevé Figure 3 Le modèle de Berner [5]. Vulnérabilité insignifiante Figure 2 Modèle de la vulnérabilité partagée [17]. les études ouvertes suggèrent l’efficacité des antipsychotiques atypiques (en particulier la clozapine) et des ECT. Dans les troubles schizo-dépressifs, pour l’efficacité curative, les études contrôlées montrent que les antipsychotiques semblent supérieurs au lithium, que la combinaison antipsychotique + lithium semble utile dans certains cas, et que la supériorité de la combinaison antipsychotique + antidépresseur paraît beaucoup mieux établie en cas de dépression post-psychotique que dans la phase aiguë. Les études ouvertes suggèrent l’intérêt de la clozapine et des ECT, et une étude contrôlée montre la supériorité de l’olanzapine sur l’halopéridol [9, 11, 12, 20]. Les études à long terme sont rares. Les résultats des quelques études réalisées avec le lithium, les antipsychotiques ou les antidépresseurs sont contradictoires et peu concluants. Il faut noter que, bien que la combinaison antipsychotique + stabilisateur de l’humeur soit la pratique la plus commune, son efficacité n’a jamais été démontrée dans des études contrôlées [9, 12]. Recommandations thérapeutiques Les auteurs qui ont proposé des recommandations thérapeutiques dans les troubles schizo-affectifs ont utilisé un modèle de prédominance relative des symptômes psychotiques et des symptômes affectifs. Si les symptômes psychotiques dominent le tableau par rapport aux symptômes affectifs, ils proposent en première intention un antipsychotique atypique, puis, en cas d’échec, une association de deux antipsychotiques atypiques, puis S154 une association de deux antipsychotiques atypiques et d’un thymorégulateur anticonvulsivant. La prescription d’ISRS : ne se justifie qu’en cas de symptômes dépressifs persistants, et la clozapine en cas de risque suicidaire. Si les symptômes maniaques dominent les symptômes psychotiques, les auteurs recommandent en première intention un antipsychotique atypique, puis d’adjoindre un thymorégulateur anticonvulsivant, plus éventuellement une benzodiazépine, du lithium, ou enfin un antipsychotique typique. Si les symptômes dépressifs dominent sur les symptômes psychotiques, les auteurs recommandent en première intention un antipsychotique atypique associé à un ISRS, puis d’adjoindre un thymorégulateur anticonvulsivant (15,4). Conclusion Cette notion de trouble schizo-affectif est une entité controversée, en grande partie du fait de définitions variables. La même raison explique la difficulté d’interprétation des résultats empiriques. Le trouble schizo-affectif reste ainsi de ce fait relativement peu étudié dans les essais cliniques, et donc mal connu sur le plan thérapeutique. Mais il conserve un pouvoir attractif majeur sur le plan théorique dans le cadre des modèles de vulnérabilité psychotique. « Le moineau qui possède des ailes et vole est plus prototypique des oiseaux que le pingouin qui ne vole pas et semble dépourvu d’ailes » [19]. Mais le pingouin n’en existe pas moins… Références [1] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 3rd edition (DSM III). Washington, DC : American Psychiatric Association, 1980. [2] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 3rd edition (DSM III-R). Washington, DC : American Psychiatric Association, 1987. [3] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th edition (DSM IV). Washington, DC : American Psychiatric Association, 1994. [4] Baethge C. Biological treatment of schizoaffective disorders. In : Marneros A and Akiskal H, eds. The overlap of affective and schizophrenic spectra. Cambridge University Press, 2007 : 248-63. J.-M. Azorin, A. Kaladjian [5] Berner P. Das multifaktorielle Pathogenese model. Hans Hoff als Wegbereiter der modernen Psychiatrie. Neuropsychiatrie 1993 ; 7 : 54-7. [6] Galinowski A. Distinction entre formes de début de la schizophrénie et troubles de l’humeur. In : Petitjean F, MarieCardine M, eds. Schizophrénies débutantes, diagnostic et modalités thérapeutiques. Paris : John Libbey Eurotext, 2003 : 31-50 [7] Janzarik W. Strukturdynamische Grundlagen der Psychiatrie. Stuttgart. Enke ; 1988. [8] Kasanin J. The acute schizo-affective psychoses. Am J Psychiatry 1933 ; 13 : 97-126. [9] Keck PE, McElroy SL, Strakowski SM. New developments in the pharmacologic treatment of schizo-affective disorder. J Clin Psychiatry 1996 ; 57 : 41-8. [10] Kelsoe JR. Arguments for the genetic basis of the bipolar spectrum. J Affect Disord 2003 ; 73 : 183-97. [11] Lapensee MA. A review of schizo-affective disorder : somatic treatment. Can J Psychiatry 1992 ; 37 : 347-9. [12] Levinson DR, Umapathy C, Musthaq M. Treatment of affective disorder and schizophrenia with mood symptoms. Am J Psychiatry 1999 ; 156 : 1138-48. [13] Marneros A, Deister A, Rohde A. Bipolar schizo-affective disorders. In : Marneros A, Angst J, eds. Bipolar Disorders : 100 years after manic-depressive insanity. Dordrecht : Kluwer Academic Press, 2000 : 111-25. [14] Marneros A. The schizo-affective phenomenon : the state of the art. Acta Psychiatr Scand 2003 ; 108 (Suppl 418) : 29-33. [15] Miller R, Chouinard G. Les troubles schizo-affectifs. Typologie unidimensionnelle et principes thérapeutiques. In : Olié JP, Dalery J, Azorin JM, eds. Médicaments antipsychotiques : évolution ou révolution ? Paris : Acanthe, 2001 : 397-413. [16] Organisation Mondiale de la Santé CIM-10/ICD-10. Classification Internationale des Troubles Mentaux et des Troubles du Comportement. Paris, Masson, 1993. [17] Siris SG, Lavin MR. Schizo-affective disorder, schizophreniform disorder and brief psychotic disorder. In : Kaplan HJ, Sadock BJ, eds. Comprehensive textbook of psychiatry, vol. VI. Baltimore : Williams and Wilkins, 1995 :1019-31. [18] Spitzer RL, Endicott J, Robins E. Research Diagnostic Criteria (RDC) for a selected group of functional disorders, 3rd ed. New York : State Psychiatric Institute, 1978 [19] Tatossian A. Les tâches d’une génétique des psychoses. A propos des modèles psychotiques : psychose unitaire et vulnérabilité psychotique. In : Fedida P et al., eds. Génétique clinique et psychopathologie. Lyon Simep., 1982 : 92-103. [20] Tran PV, Tollefson GD, Sanger TM et al. Olanzapine versus haloperidol in the treatment of schizoaffective disorder : acute and long-term therapy. Br J Psychiatry 1999 ; 174 : 15-22. [21] Tsuang MT, Dempsey GM. Long term outcome of major psychoses. Schizo-affective disorder compared with schizophrenia, affective disorders and a surgical control group. Arch Gen Psychiatry 1979 ; 36 : 1302-4.