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L’Encéphale (2009) Supplément 5, S151–S154
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morbide spéci que : celui-ci a été introduit pour faire la
différence avec la dépression post-psychotique [1, 2].
Dans le DSM IV [3], le trouble schizo-affectif se caracté-
rise par une période ininterrompue de maladie caractérisée
par la présence simultanée d’un épisode thymique et des
critères A de schizophrénie, et, au cours de la même période
de la maladie, par des idées délirantes ou des hallucina-
tions présentes durant au moins 2 semaines mais sans symp-
tômes thymiques ; de plus, la présence de symptômes
thymiques occupe une partie conséquente des périodes
actives et résiduelles, et l’ensemble n’est pas dû aux effets
d’une substance ou d’une affection médicale.
Il est décrit deux sous-types de troubles schizo-affectifs
dans le DSM IV : le type bipolaire, en cas d’épisode mania-
que ou mixte, et le type dépressif, en cas d’épisodes uni-
quement dépressifs majeurs.
Comme dans le DSM IV, le trouble schizo-affectif est, dans
la CIM-10 [16], rangé dans le chapitre des « Schizophrénie,
trouble schizotypique et troubles délirants », avec cinq sous
types : maniaque, dépressif, mixte, autres, et sans précision.
Un travail intéressant de Marneros, à Cologne, a distin-
gué deux autres sous-types : le sous-type co-occurrent,
avec coïncidence des épisodes schizophréniques et affec-
tifs, et le sous-type séquentiel, avec apparition de diffé-
rents types d’épisodes affectifs, schizophréniques et
schizo-affectifs, au cours de l’évolution [14].
Le concept de schizophrénie affective
J.-M. Azorin*(a), A. Kaladjian(a)
(a) Hôpital Sainte-Marguerite, Service de psychiatrie adulte, 270, boulevard Sainte Marguerite, 13274 Marseille cedex 09.
Le trouble schizo-affectif a été décrit pour la première fois
par Kasanin [8]. Ce concept de schizophrénie affective, ou
de trouble schizo-affectif, renvoie davantage à la bouffée
délirante qu’aux troubles schizo-affectifs au sens moderne.
Kasanin avait décrit un début brutal entre 20 et 30 ans, une
personnalité et une adaptation prémorbides normales, des
perturbations émotionnelles marquées, une distorsion du
monde et des perceptions, la présence d’un stress spéci -
que, et une évolution favorable.
La signi cation moderne de ce concept apparaît avec
les critères RDC [18] : le trouble schizo-affectif se caracté-
rise par un syndrome maniaque ou dépressif, associé à au
moins un symptôme schizophrénique sur une liste de 5 ; il
doit avoir une durée minimale d’une semaine, et compren-
dre la superposition temporaire des symptômes affectifs et
schizophréniques.
Les sous-types RDC opposent un sous-type maniaque vs
un sous-type dépressif, un sous-type affectif vs un sous-type
schizophrénique, un sous-type aigu vs un sous-type chroni-
que, et un sous-type subaigu vs un sous-type subchronique.
Ces descriptions du trouble schizo-affectif réapparais-
sent dans le DSM III, comme une catégorie résiduelle après
élimination notamment des épisodes thymiques avec carac-
téristiques psychotiques. Dans le DSM III-R, les critères sont
proches des critères actuels du DSM IV, mais ne font pas
encore mention du caractère ininterrompu de la période
* Auteur correspondant.
Les auteurs n’ont pas signalé de con its d’intérêts.
J.-M. Azorin, A. KaladjianS152
Épidémiologie du trouble schizo-affectif
Le trouble schizo-affectif représenterait 4,5 % des premiè-
res admissions psychiatriques, et 16 % des premières admis-
sions pour schizophrénie. L’incidence du trouble
schizo-maniaque serait de 1,7 pour 100 000 par an, et celle
du trouble schizo-dépressif de 4 pour 100 000 par an.
La prévalence sur la vie entière serait de 0,5 à 0,8 %.
Dans les cliniques spécialisées comme les « Lithium cli-
nics », il représenterait 35 % des admissions.
Parmi les patients admis pour psychoses majeures, 25 %
auraient un trouble schizo-affectif, 35 % un trouble affec-
tif, et 42 % une schizophrénie [17].
Validation du concept
de trouble schizo-affectif
Parmi les éléments de validation de ce concept, les don-
nées évolutives montrent des résultats intéressants. De
façon schématique, les études de suivi au long cours mon-
trent soit un pronostic proche de celui des schizophrénies,
soit un pronostic proche de celui des troubles affectifs, soit
un pronostic intermédiaire entre les deux [6].
Concernant les données neuro-biologiques, neuro-endo-
criniennes, neuro-cognitives, et neuro-pathologiques, l’en-
semble des paramètres étudiés montrent, de même, soit
un statut comparable à celui des schizophrènes, soit un sta-
tut comparable à celui des patients affectifs, soit un statut
intermédiaire entre les deux groupes [6].
Les études familiales montrent que parmi les familles
des probands schizo-affectifs, on retrouve plus de troubles
affectifs (7 %) que de troubles schizophréniques (3 %).
Les troubles affectifs sont plus fréquents parmi les
apparentés de patients souffrant de troubles schizo-affec-
tifs que parmi les apparentés de patients souffrant de trou-
bles schizophréniques. Par ailleurs, le risque de trouble
schizophrénique chez les apparentés de troubles schizo-
affectifs est supérieur au risque de trouble schizophrénique
chez les apparentés de troubles affectifs.
Le risque de trouble schizo-affectif est similaire chez
les apparentés de troubles schizophréniques à celui des
troubles affectifs (1,4 % vs 1,2 %).
En n, les études familiales montrent que les troubles
schizo-affectifs de type bipolaire sont plus proches des trou-
bles affectifs, et que les troubles schizo-affectifs dépressifs
sont plus proches des troubles schizophréniques [10].
Certains auteurs, comme Marneros, ont cherché à vali-
der la distinction entre sous-types schizo-affectifs bipolai-
res vs dépressifs.
On retrouve ainsi une différence concernant le sexe
(autant d’hommes que de femmes pour le sous-type bipo-
laire, plus de femmes que d’hommes pour le sous-type
dépressif), concernant l’éducation et le statut profession-
nel (supérieurs chez les schizo-affectifs bipolaires par rap-
port aux schizo-affectifs dépressifs), concernant la
personnalité prémorbide, qui est sthénique et con ante
dans les troubles schizo-affectifs bipolaires, asthénique et
peu con ante chez les schizo-affectifs dépressifs. En n,
l’évolution les distingue : les troubles schizo-affectifs bipo-
laires ont un début plus précoce, avec un plus grand nom-
bre d’épisodes et de cycles [13].
Ces auteurs ont également montré que les différences
de caractéristiques entre patients bipolaires et patients
dépressifs sont les mêmes que celles retrouvées entre trou-
bles schizo-affectifs bipolaires et troubles schizo-affectifs
dépressifs. Cela est vrai pour les caractéristiques socio-
démographiques, et pour l’évolution, qui est dans l’ensem-
ble moins bonne que dans les troubles affectifs [13].
En n, les études de validation des sous-types « troubles
schizo-affectifs co-occurents » vs « troubles schizo-affec-
tifs séquentiels » n’ont montré aucune différence, tant au
niveau des caractéristiques socio-démographiques prémor-
bides que du pro l évolutif ou du pronostic.
Hypothèses étiologiques
Plusieurs hypothèses peuvent être proposées quant à l’étio-
logie du trouble schizo-affectif. On peut le considérer
comme une variante de la schizophrénie, comme une
variante du trouble affectif, comme une psychose indépen-
dante, comme un trouble hétérogène sur le plan nosologi-
que : se pose aussi la question d’une vulnérabilité unique
ou d’une vulnérabilité partagée [17].
Un travail intéressant de Tsuang et al. [21] a montré
que le diagnostic de trouble schizo-affectif n’est pas indé-
pendant de celui de trouble schizophrénique ni de celui de
trouble affectif. Mais l’hypothèse qu’il s’agisse donc d’un
trouble hétérogène sur le plan nosologique (une partie se
rapprochant des troubles affectifs, l’autre des troubles
schizo phréniques) ne paraît pas étayée par les résultats des
études familiales.
On peut aussi faire l’hypothèse d’une vulnérabilité uni-
que pour les différents troubles, avec des expressions dif-
férentes. C’est par exemple le modèle de Janzarik [7],
postulant que la vulnérabilité commune à l’ensemble des
psychoses est une prédisposition à l’instabilité dynamique,
à une uctuation de l’humeur, mais que cette uctuation
peut être endiguée soit par la structure de la personnalité,
soit par le tempérament ( gure 1). L’une des limites de ce
modèle est qu’il rend compte des schizophrénies paranoï-
des, mais pas des schizophrénies négatives.
Le modèle de la vulnérabilité partagée met en jeu des
phénomènes d’interactions entre les gènes (gènes de la
vulnérabilité cognitive, gènes de la vulnérabilité thymique,
gènes de la vulnérabilité aux interactions communes) et
des interactions gènes-environnement.
Ce modèle a été développé notamment par Siris et
Lavin ( gure 2) [17], et par Berner ( gure 3) [5].
Aspects thérapeutiques
Dans les troubles schizo-maniaques, en ce qui concerne l’ef-
cacité curative, les études contrôlées montrent que la
combinaison antipsychotique/stabilisateur de l’humeur sem-
ble supérieure aux monothérapies. Une étude contrôlée
montre la supériorité de l’olanzapine sur l’halopéridol, et
Le concept de schizophrénie affective S153
Il faut noter que, bien que la combinaison antipsychoti-
que + stabilisateur de l’humeur soit la pratique la plus com-
mune, son ef cacité n’a jamais été démontrée dans des
études contrôlées [9, 12].
Recommandations thérapeutiques
Les auteurs qui ont proposé des recommandations théra-
peutiques dans les troubles schizo-affectifs ont utilisé un
modèle de prédominance relative des symptômes psychoti-
ques et des symptômes affectifs.
Si les symptômes psychotiques dominent le tableau par
rapport aux symptômes affectifs, ils proposent en première
intention un antipsychotique atypique, puis, en cas d’échec,
une association de deux antipsychotiques atypiques, puis
les études ouvertes suggèrent l’ef cacité des antipsychoti-
ques atypiques (en particulier la clozapine) et des ECT.
Dans les troubles schizo-dépressifs, pour l’ef cacité
curative, les études contrôlées montrent que les antipsy-
chotiques semblent supérieurs au lithium, que la combinai-
son antipsychotique + lithium semble utile dans certains
cas, et que la supériorité de la combinaison antipsychoti-
que + antidépresseur paraît beaucoup mieux établie en cas
de dépression post-psychotique que dans la phase aiguë.
Les études ouvertes suggèrent l’intérêt de la clozapine
et des ECT, et une étude contrôlée montre la supériorité de
l’olanzapine sur l’halopéridol [9, 11, 12, 20]. Les études à
long terme sont rares. Les résultats des quelques études
réalisées avec le lithium, les antipsychotiques ou les anti-
dépresseurs sont contradictoires et peu concluants.
Figure 3 Le modèle de Berner [5].
Vulnérabilité
cognitive
Décit du traitement
de linformation
Réactivité
autonome
ab
Hypo- Hyper
III
I
Vulnérabilité
dynamique
Prédisposition
aux déraillements dynamiques
et aux anomalies des biorythmes
Niveau dynamique
habituel
ab
Bas Élevé
IV
II
Figure 2 Modèle de la vulnérabilité partagée [17].
Propension
aux anomalies
prototypiques
de la schizophrénie
Vulnérabilité majeure : la maladie apparaît à loccasion
d’événements mineurs
Vulnérabilité mineure : la maladie napparaît qu’à loccasion
d’événements majeurs
Vulnérabilité insigniante
0 % Proportion de la population 100 %
Figure 1 Vulnérabilité : prédisposition à l’instabilité dynamique – Modèle de Janzarik [7] d’après Berner [5].
Vulnérabilité : prédisposition à linstabilité dynamique
Stress
Instabilité dynamique manifeste
Pensée et
comportement
désorganisés
Atmosphère
délirante
schizophrénique schizo-affectif
Déraillements
maniaques
ou dépressifs
stables
bipolaire
Déraillements
dépressifs stables
dépression unipolaire
Haut
Bas
Faible
Forte
Variantes
de la
personnalité
Niveau
dynamique
habituel
(biologique)
Structure
individuelle
(acquise)
Niv
eau
Trouble schizo-affectif
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une association de deux antipsychotiques atypiques et d’un
thymorégulateur anticonvulsivant. La prescription d’ISRS :
ne se justi e qu’en cas de symptômes dépressifs persis-
tants, et la clozapine en cas de risque suicidaire.
Si les symptômes maniaques dominent les symptômes
psychotiques, les auteurs recommandent en première
intention un antipsychotique atypique, puis d’adjoindre un
thymorégulateur anticonvulsivant, plus éventuellement
une benzodiazépine, du lithium, ou en n un antipsychoti-
que typique.
Si les symptômes dépressifs dominent sur les symptômes
psychotiques, les auteurs recommandent en première inten-
tion un antipsychotique atypique associé à un ISRS, puis
d’adjoindre un thymorégulateur anticonvulsivant (15,4).
Conclusion
Cette notion de trouble schizo-affectif est une entité
controversée, en grande partie du fait de dé nitions varia-
bles. La même raison explique la dif culté d’interprétation
des résultats empiriques.
Le trouble schizo-affectif reste ainsi de ce fait relative-
ment peu étudié dans les essais cliniques, et donc mal
connu sur le plan thérapeutique.
Mais il conserve un pouvoir attractif majeur sur le plan
théorique dans le cadre des modèles de vulnérabilité psy-
chotique.
« Le moineau qui possède des ailes et vole est plus pro-
totypique des oiseaux que le pingouin qui ne vole pas et
semble dépourvu d’ailes » [19]. Mais le pingouin n’en existe
pas moins…
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248-63.
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