La Douleur chez la Personne Âgée Le 22 novembre 2007 le Docteur Philippe GRANATO, Géronto-psychiatre et consultant au C.L.U.D. du Centre Hospitalier de Valenciennes, Docteur en Neurosciences, intervenait, dans le cadre des conférences-débats du C.L.I.C. Métropole Nord Ouest, à Lambersart. ЖЖЖЖ Vieillesse & Douleur Pourquoi parle-t-on de la douleur du sujet âgé ? Après 50 ans, il est habituel de se lever le matin, en « ayant mal quelque part ». Les douleurs chroniques touchent 70 % des personnes âgées, et 80 % des personnes âgées en fin de vie. Pour certains patients, le désir d’un passage à l’acte devient prégnant : suicide, euthanasie. Depuis quelques années, l’intérêt pour les personnes âgées va croissant. La douleur faisant partie du quotidien d’une majorité d’entres elles, elle est devenue un sujet incontournable. Ce n’est que récemment que les pouvoirs publics ont pris en compte la douleur du sujet âgé communicant ou non communicant, et des personnes handicapées. Aussi des textes de loi ont été formulés pour inciter à prendre en compte et traiter la douleur. Auparavant, le corps médical n’était guère formé à la prise en charge de cette souffrance. Le premier texte législatif date du 19 janvier 1994 (création d’unités de soins spécifiques). Le second du 4 mars 2002 (droit des malades et qualité du service de santé). La loi a été revue en avril 2005, au risque de tomber cette fois dans l’excès inverse. Désormais, il serait possible de se plaindre et de demander réparation en raison « d’une légère douleur ressentie après le pansement… ». Il importe de border ce type de dérive, au péril de dénaturer la loi. La douleur d’aujourd’hui et celle d’hier ou qu’est-ce que la douleur ? Les progrès de la Médecine sont modestes dans ce domaine. Bien que « l’homme soit le seul animal à souffrir de se savoir souffrant et que la vie a un terme ». Il est le seul à pouvoir exprimer verbalement sa douleur et son angoisse de la mort. Le mot « douleur » vient du latin « dolore » : deuil et doléance, désignant au départ une douleur psychique. Actuellement on entend par « douleur » une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrit dans les termes d’un tel dommage ». Par conséquent, la douleur psychique est désormais pleinement reconnue. Le mot « souffrir » est composé de « sub » : sur, et de « ferre » : porter. Il signifie « endurance » et « patience ». Dans cette acception, la souffrance relève uniquement du domaine psychologique. Elle s’enrichit d’une notion de durée : 1) « J’ai mal » signifie que la douleur est vécue comme une effraction soudaine, 2) « Je suis mal » ou « Je souffre », signifient une douleur qui dure dans le temps. Selon M. GROS et G. LANTERI L. « La souffrance commence précisément lorsque la douleur est vécue comme intolérable ». Toute douleur qui ne « meurt » pas rapidement deviendrait une souffrance. Philippe GRANATO et Olivier MILOWSKI La douleur aiguë « signal d’alarme », un mal nécessaire ! La douleur devient nuisible lorsqu’elle : 1) n’a plus son rôle de signal d’alarme, 2) est devenue souffrance. L’intérêt de la douleur est d’informer, d’avertir et de protéger. Ne ressentir aucune douleur peut être destructeur pour l’organisme. Prenons l’exemple de cette canadienne née avec une indifférence totale à la souffrance. Elle est décédée à l’âge de 23 ans. Son corps n’a pas supporté les conséquences de cette particularité. Elle ne ressentait aucune douleur, et petit à petit, ignorant les souffrances de ses articulations, elle a développé une dégénérescence de 1/3 l’ensemble de ses articulations. 1/3 En effet, rester dans une même position, après un certain temps, provoque un signal de douleur qui nous indique qu’il est temps de déplacer un genou, un pied ou une jambe. Dans ce cas, la douleur a fait son travail. En bougeant on évite la douleur, mais surtout les lésions des contraintes articulaires, musculaires, tendineuses, etc. Cette douleur aiguë, voire physiologique, protège la totalité de l’organisme. La douleur chronique, douleur sans utilité… Dans le cas de la douleur chronique, on constate que le patient a exagérément mal par rapport aux symptômes. Cette douleur devient préjudiciable pour l’intégrité physique et psychique de l’individu. La douleur chronique n’a plus de valeur de « signal d’alarme ». Elle s’associe le plus souvent à une profonde dépression qui est à l’origine d’une surconsommation d’antalgiques et de psychotropes, ne serait-ce que pour trouver le sommeil... De la difficulté d’évaluer la douleur… La douleur relève de l’expérience émotionnelle. Nous sommes dans le domaine du subjectif. On ne voit pas la douleur. Il est impossible de mesurer son intensité. Il n’existe aucun examen paramédical témoignant d’une douleur. Il n’est pas difficile de simuler une plainte douloureuse. D’autre part, dans le cerveau il n’y pas d’endroit précis où la perception de la douleur serait localisée. Dire la douleur Il n’y a pas de mots spécifiques qui expriment les différents types de douleur et leur intensité. Il est nécessaire d’utiliser des comparaisons : « C’est comme un coup de poignard. », etc. La parole est un canal essentiel pour exprimer sa douleur. On a longtemps considéré à tort que ceux qui n’avaient pas accès à la parole ne pouvaient pas souffrir : bébé, jeunes enfants, handicapés, etc. Comment faire avec un sujet âgé non communicant, ou ne s’exprimant presque pas ? Plus on est âgé et plus on éprouve des difficultés à trouver ses mots. Seule possibilité alors pour évaluer la douleur et son intensité : observer le patient qui va adopter des attitudes antalgiques. L’importance des autres composantes de la douleur L’expression et la reconnaissance de la douleur imposent de prendre en considération un ensemble de composantes : sociologique, éducative, religieuse, personnelle. Une identification juste de la douleur impose de connaître ces composantes. D’où la plus grande aptitude des infirmières expérimentées, par rapport aux débutantes. Parmi ces composantes la participation confusionnelle n’est pas à exclure : une personne qui a de plus en plus mal, prendra de plus en plus de médicaments, négligeant les doses prescrites, sur- tout si elle peine à trouver le sommeil. Elle agira au risque de perdre la vie. Il y a ainsi des tentatives de suicides, interprétées comme telles, qui n’en sont pas « Je voulais juste dormir… ». Des tentatives de mesure de la douleur Il a été mis au point des échelles de mesure semiquantitatives pour tenter d’évaluer l’intensité de la douleur. Par exemple : L’E.V.A. : l’Echelle Visuelle Analogique. C’est le patient qui s’autoévalue avec des « notes » allant de 0 à 10. La mesure « O » est acquise à l’ensemble des sujets. La mesure « 10 » suppose que ces sujets aient déjà atteint ce seuil. Mais dans l’éventualité où ils auraient atteint ce chiffre, comment pourraient-ils savoir qu’ils ne peuvent pas souffrir davantage encore ? Néanmoins, cette échelle trouve un intérêt dans des mesures comparatives pour juger de l’efficacité d’un traitement ou d’un médicament. ECPA & DOLOPLUS sont des échelles d’évaluation semi-quantitatives de la douleur chez le sujet non communicant ou peu communicant. C’est le personnel médical qui identifie et évalue la douleur. On regarde les attitudes du patient, son visage, ses expressions, sa façon de se positionner dans le lit (attitude antalgique ?), on écoute ses plaintes (cris, geignements, etc.). Un ensemble de personnes, de soignants, remplissent les questionnaires d’évaluation. Les scores sont comparés dans le temps. L’augmentation du nombre des évaluateurs permet de tendre vers davantage de subjectivité. L’origine des échelles Le Psychiatre d’enfant GAUVAIN-PIQUARD, qui travaillait sur la douleur des enfants atteint d’hémopathie et cancers, a ressenti très tôt le besoin de mettre au point une échelle de mesure de l’intensité douloureuse. Rappelons qu’en latin « enfant » signifie « qui ne parle pas ». Les deux échelles ECPA et DOLOPLUS sont des adaptations de cette première échelle. Ce médecin s’inspire des travaux de Sigmund Freud qui en son temps avait déjà tenté de conceptualiser la douleur à défaut de la mesurer. Il proposait différents niveaux d’impact de la douleur sur l’appareil psychique. Premier niveau, une personne qui va bien et qui n’a pas de préoccupations somatiques ou psychiques s’intéresse au monde qui l’entoure et à elle-même. Le second niveau : dès qu’une petite douleur commence à se manifester, l’intérêt pour le monde extérieur diminue tandis que l’individu se recentre sur lui-même. Troisième niveau : une douleur importante conduit l’individu à se désintéresser de l’extérieur, des autres et de son propre corps. Il se recroqueville sur sa douleur et sur lui-même. Quatrième niveau : il existe une « pétrification » du corps et de l’esprit : c’est « l’Atonie Psychique ». Il est immobile, concentré sur la douleur. Le monde extérieur et son corps ne l’intéressent plus du tout. 2/3 La Douleur chez la Personne Âgée (suite) Cinquième niveau, la « douleur indicible ». Douleur physique ou douleur psychique. Elle se voit auprès des personnes victimes de viols, de torture, d’actes de barbarie, d’expérience de mort imminente, de catastrophes naturelles, etc. Il leur est impossible de verbaliser la situation au péril de déstructurer leur appareil psychique. Une longue période de temps est nécessaire pour commencer à oser dire ou à écrire leur douleur. Les rescapés des camps de concentration ont souvent mis de longues années avant de verbaliser ou d’écrire leurs souffrances. Le traitement des différents types de douleur… La douleur n’est pas une fatalité. Il est possible de la calmer. Concernant les personnes âgées, les médicaments prescrits actuellement sont des extrapolations de ceux donnés aux patients adultes. Il y n’y a pas à ce jour de médicaments spécifiques aux douleurs propres du grand âge. On ne sait pas déterminer aujourd’hui si la sensibilité algique des sujets âgés est plus importante que celle de l’adulte. Il est faux de penser que le traitement médicamenteux est le seul à être efficace. Une douleur physique qui dure dans le temps est souvent associée à une douleur psychique. Il en résulte dans ce cas une dépression. La non prise en compte de cette dimension psychiatrique est à l’origine de douleurs résistantes et incompréhensibles. De plus chez les personnes âgées, il est très rare que la douleur soit essentiellement somatique. La plainte douloureuse est alors un mode d’expression d’une souffrance psychique de type dépressif : solitude, refus de la dépendance, refus de la vieillesse, conflits avec la famille, les voisins... L’affaiblissement de l’appareil psychique court-circuite l’élaboration idéique. La douleur psychique s’exprime de moins en moins avec des mots , pour s’exprimer au travers de douleurs corporelles, variables d’une semaine à l’autre et résistantes à tous les soins. Une prise en charge psychiatrique serait un complément utile dans ce type de situation. Combien de douleurs mal étiquetées (fibromyalgie, etc.) sont-elles des cicatrices impossibles à refermer, d’événements cachés sur lesquels on ose pas mettre des mots. Dans le cas d’un bras cassé, il s’agit d’une douleur somatique sans aucune souffrance psychique. Mais, à partir d’un certain âge, une douleur persistante à l’estomac sera associée par exemple à un possible cancer en développement. Dans ce cas la souffrance psychique se surajoute à la douleur somatique. Parmi les douleurs psychiques « l’angoisse » de type névrotique est prédominante. L’angoisse est une peur sans objet. On sait que psychiquement quelque chose ne va pas, sans que l’on sache quoi précisément. On peut comparer cela à la fièvre qui est révélatrice d’un dysfonctionnement somatique, sans que l’on en connaisse la cause. Les hallucinations et les délires sont des manifestations d’une souffrance de l’appareil psychique mais à des degrés supérieurs. Ne pas exprimer verbalement ces symptômes serait préjudiciable aux personnes âgées. Désormais, il existe des médicaments efficaces. En outre, le vieillissement de l’appareil psychique favorise l’apparition habituelle de ce type de symptômes. On constate une exacerbation des traits de caractère, un vécu agressif et persécutif du monde, etc. A ce titre, habituellement le lobe frontal impose des censures permanentes dans le savoir-être, le savoir vivre et le savoir faire. En prenant de l’âge, le lobe frontal inhibe de moins en moins, et certaines personnes peuvent montrer des réactions, des attitudes et des propos désagréables pour elles et pour leur entourage. Il s’ensuit un rejet social avec pour corollaire la solitude. Ces patients n’ont plus personne à qui exprimer leur douleur physique et psychique. Conclusions Une bonne prise en charge de la douleur impose du temps médical pour écouter les patients. Malheureusement, il y a de moins en moins de médecins et de plus en plus de personnes âgées. Les douleurs « incompréhensibles » ou douleurs résistantes devraient faire l’objet d’une consultation psychiatrique car une douleur psychique est souvent la cause, voire la conséquence, d’une douleur somatique. L’intrication (la non-séparabilité) des deux est habituelle. Actuellement la prise en compte des douleurs somatiques et psychiatriques est modeste. La douleur psychique du sujet âgé n’est pas suffisamment prise en charge en France. Il en résulte une détresse et un désespoir des sujets âgés qui paient un lourd tribut à la dépression et aux suicides « silencieux ». Peut-être serait-il utile que les pouvoirs publiques accordent une place plus importante à la psychiatrie du sujet âgé afin de compléter l’offre de soins. Philippe GRANATO & Nathalie MATHIS — www.alixcom.net Renseignements et informations : Monsieur Olivier MILOWSKI- Directeur - CLIC Métropole Nord Ouest—100 rue 3/3 du Général Leclerc—59350 SAINT ANDRE — Tel : 03.20.51.60.83 — Email : [email protected]