01-Origines de la vie et sexualite.indd

publicité
Origines de la vie et sexualité
17
CHAPITRE
1
ORIGINES DE LA VIE
ET SEXUALITÉ
Marie-Christine Maurel
Bien que la sexualité et les différences sexuelles n’existent certainement pas
à l’origine de la vie, il n’en reste pas moins possible que les instincts qui,
à une phase ultérieure, deviennent sexuels, aient existé dès le début…
Sigmund Freud (1973).
S
C’est dans un environnement
similaire, apparemment
inhospitalier, que la vie a pris
naissance il y a 4 milliards
d’années. (Site volcanique
actuel, île de Hawaii).
’intéresser à la question des origines revient à questionner notre
propre origine. D’où venons-nous ? De quels instants, de quelle scène
originelle sommes-nous issus ? Cette scène primitive, lieu et acte de la
conception, objet de si nombreuses interrogations, souvent déterminantes
dans notre désir futur de savoir ou pas, exerce sur nous une immense
fascination. Si, comme l’affirme Raymond Cahn, « s’intéresser aux origines
de la vie, c’est le destin possible d’une curiosité sexuelle », alors toute
pulsion épistémophilique, tout désir de connaissance trouvent leur
origine dans cette curiosité manifestée dès les premiers instants de notre
existence.
Le mot sexus, qui signifie « sexe », proviendrait du latin secare, « couper,
diviser ». Cette racine indique la séparation des sexes, caractéristique
01-Origines de la vie et sexualite.indd Sec1:16-Sec1:17
15/04/09 15:47:03
Origines de la vie et sexualité
18
première et principale de la reproduction sexuée. La reproduction
sexuée implique donc deux sexes, deux partenaires susceptibles d’exercer une attirance réciproque. La sexualité est également génératrice d’un
bénéfice individuel tel qu’il est toujours souhaitable de répéter l’expérience. Elle s’accompagne d’une émotion agréable, le plaisir – sensation
de contentement, d’apaisement (apaiser est à la racine du mot plaisir)
–, qui suit l’état de tension précédant la satisfaction. L’énergie, couplée
à l’état de tension et productrice du plaisir sexuel, serait, selon Sandor
Ferenczi (1974), la répétition d’un jeu ludique, réminiscence de la quiétude intra-utérine, de la sensation de flotter, de nager, accompagnée du
déplaisir de la naissance, qui se termine bien (dans la plupart des cas),
en conférant une sensation de pleine satisfaction.
Grâce à la reproduction, la sexualité assure le mélange aléatoire de
matière génétique qui permet la transmission de caractères héréditaires
et l’éclosion d’une diversité chaque fois renouvelée. Toute notre imagination ne suffirait pas à concevoir ce que la vie invente et a inventé en
termes de formes, de solutions, de fonctionnalités toujours nouvelles,
amplifiées, naturellement sélectionnées, puis modifiées à nouveau au
cours des générations, et ce dans chaque espèce. C’est ainsi que procède
l’évolution biologique.
Des populations de molécules, de cellules, d’espèces suivent au fil du
temps ce parcours qui spécifie le vivant. Ainsi ne peut-on définir la vie
que par l’évolution et in fine par la sexualité. La sexualité, c’est la vie,
mais peut-on dire que la vie, c’est la sexualité ?
DE LA PÉRENNITÉ À LA CONTINUITÉ
Que s’est-il passé, dès l’origine, pour que deux entités présentent une
telle attirance leur permettant de trouver le chemin l’une vers l’autre ?
Événement fortuit, affinité élective, mise en présence, simple trouvaille
ou vraie rencontre ? Comment comprendre et qualifier la sortie du chaos
initial des molécules de l’océan primitif ?
Nous savons que la Terre s’est formée, il y a 4 milliards d’années, par
un processus d’agglomération des nébuleuses primitives. Cette petite
planète solide, proche du Soleil (150 millions de kilomètres), est – en
l’état actuel de nos connaissances – la seule planète du système solaire
à la surface de laquelle on trouve de l’eau liquide. Le souvenir presque
effacé de notre premier bain dans le liquide amniotique nous rappelle
que 90 % de l’histoire de la vie depuis ses origines se sont déroulés dans
l’eau des océans. Des molécules gazeuses formées dans l’atmosphère et
dans l’espace se sont déposées dans la mer prébiotique, façonnant peu à
01-Origines de la vie et sexualite.indd Sec1:18-Sec1:19
19
peu les molécules organiques qui précèdent les molécules biochimiques
primordiales, pièces rudimentaires mais fondamentales des premières
formes de vie. La scénographie proposée par les géochimistes décrit un
environnement chaud, une atmosphère dense, une pression élevée…
Les conditions physico-chimiques sont alors réunies pour que les premiers globules créés soient capables de croître, de se rencontrer et de se
reproduire.
Les conditions parfaitement définies de la soupe primitive représentent les éléments intangibles, héréditaires, c’est-à-dire l’ensemble des
biens laissés à disposition. L’aléatoire se situe du côté de l’assemblage,
de la condensation en petits compartiments de formes variables. Des
systèmes prévivants qui suivent des règles établies pour les systèmes en
équilibre thermodynamique – structures dites dissipatives, prenant naissance à la suite de fluctuations produisant une instabilité1 (Glansdorff et
Prigogine, 1971) – ont pu peu à peu se constituer. Différents seuils entre
non-vie et vie ont ainsi été franchis par une succession d’instabilités.
On peut donc parler des origines plutôt que d’une origine. Selon Ilya
Prigogine, le hasard, c’est-à-dire la fluctuation, et la nécessité, c’est-àdire l’instabilité, coopèrent au lieu de s’opposer. Nous tenons déjà là une
première manifestation de ce qui sera nécessaire au vivant pour se développer, évoluer et s’installer définitivement dans l’océan primitif.
Formation des premières protocellules
À partir de l’amoncellement des « briques élémentaires du vivant »,
des vésicules vont se former. Il s’agit de protocellules, reproductibles en
laboratoire par condensation de molécules simples, acides aminés, lipides ou sucres. Ces premiers globules, ou coacervats, que nous pouvons
qualifier de précellules, diffèrent les uns des autres par leur composition.
Les précellules filles, issues de la division par simple partage mécanique
d’un même coacervat, ne se répartissent pas les composants de la précellule mère avec une exactitude semblable à celle que l’on verra plus
tard à l’œuvre dans la reproduction de l’ADN des chromosomes (Brun
et Maurel, 2005). Ces protocellules accumulant peu à peu des réserves
deviennent bientôt capables de se rencontrer, de fusionner, d’avoir des
échanges – prémices sans doute des tout premiers échanges sexuels –, de
s’autoreproduire. C’est seulement à partir du moment où elles entrent en
contact avec des éléments qui peuvent leur conférer de la stabilité qu’elles commencent à acquérir une certaine pérennité. Les plus performantes se verront sélectionner au détriment des plus faibles, qui s’éteindront
spontanément.
15/04/09 15:47:05
Origines de la vie et sexualité
20
21
Quelle est la nature de ces éléments capables d’assurer dans un premier temps la pérennité puis la continuité ? Le système actuel de reproduction sexuée, avec transmission héréditaire des caractères au travers
de la duplication à l’identique de chromosomes constitués d’ADN et de
leur recombinaison, est apparu bien plus tard dans l’histoire du développement de la vie.
Phagocytose et cannibalisme
Au cours de cette première période, les protocellules enfin constituées, entourées d’une membrane, bien isolées dans leur compartiment,
n’ayant de prise que sur elles-mêmes, se sont peu à peu tournées vers
l’extérieur. Il leur a fallu, à un moment donné, incorporer, s’approprier
des qualités autres afin d’assurer la pérennité de leurs caractères propres,
ce que nous appelons le fixe (ce qui ne change pas, ce qui est régulier
et stable). Absorber et transformer des particules étrangères : voilà en
quoi consistent les gestes élémentaires de la phagocytose. Les premières
espèces se sont ainsi nourries d’objets en bon état issus d’autres espèces, minérales, moléculaires ou précellulaires, devenues hors d’usage.
L’acquisition de structures aux propriétés durables, non sujettes à disparition, a permis le passage à l’étape suivante d’un nouvel alliage. La
sexualité en était alors au stade d’un cannibalisme primitif, les espèces se
regroupant, se couplant et se dévorant pour assurer leur survie.
Enfin, la fécondation chimique et la reproduction parthénogénétique
de ces protocellules étaient également possibles par de simples stimulations physiques ou chimiques dues aux fluctuations de l’environnement.
Le nouveau corps en train de se constituer ne sera plus décomposé
au gré des instabilités, conservera durablement ses propriétés et inscrira
ainsi la vie naissante dans la continuité.
Cette spécificité une fois acquise, encore fallait-il la maintenir face
aux fluctuations du milieu. Pareille nécessité a justifié l’acquisition de
nouvelles capacités de transformation et d’adaptation individuelle.
Chercher en dehors de soi les éléments nécessaires
à la survie « génétique »
Dès les origines de la vie, sans doute, la double question de la transmission d’une organisation spécifique et d’une modalité d’adaptation
individuelle a dû être résolue par les êtres vivants. Chaque fois que des
vésicules, des réactions ou des cycles métaboliques se sont adaptés au
milieu, il ne s’agissait que d’ajustements individuels non transmissibles,
01-Origines de la vie et sexualite.indd Sec1:20-Sec1:21
conçus à chaque génération. Acquérir une spécificité transmissible de
génération en génération a donc représenté une étape décisive. La solution a été trouvée sous la forme d’une spécialisation et d’une complémentarité entre les constituants de la cellule, capables de duplication à
l’identique, et d’autres composants, dont certains sont plus particulièrement voués à l’établissement des échanges avec le milieu extérieur.
Cette différenciation une fois acquise, une généalogie a pris naissance et
les êtres vivants, c’est-à-dire l’ensemble des êtres susceptibles d’évoluer
sous l’influence de la sélection naturelle, ont commencé à écrire leur
histoire.
Nous connaissons aujourd’hui les constituants capables de transmettre, par duplication, certains caractères héréditaires de génération
en génération. La nature physique de ces composants, établie en 1869
par Friedrich Miescher, fut réellement comprise au milieu du XXe siècle2. Max Delbrück, Frederick Griffith et Oswald Avery découvrirent les
L’information génétique
aujourd’hui portée par la double
hélice d’ADN est transmise de
génération en génération au
cours de la reproduction et
s’enrichit par recombinaisons.
Des événements de cette nature
ont dû se produire dès les
origines dans l’océan primitif
où la vie s’est développée.
15/04/09 15:47:06
Origines de la vie et sexualité
22
dimensions physiques, la taille d’une molécule et le pouvoir transformant de l’acide désoxyribonucléique (ADN), susceptible d’emmagasiner
l’information génétique sur les gènes portés par les chromosomes. Les
« instructions » – autrement dit les gènes – inscrites dans les longues
séquences A, T, G, C3 de l’ADN sont transmises de génération en génération.
Mais la réalité est plus complexe que cela. L’hérédité ne repose pas
uniquement sur cette molécule stable qu’est l’ADN des chromosomes.
Au milieu des années 1970, cette conception du gène comme fragment
linéaire et continu d’ADN a été remise en question par de nouvelles
découvertes. Le génome est en fait « morcelé », des régions « codantes »
se voient séparer par de longs segments non codants, hâtivement baptisés « ADN poubelle » (junk DNA). Grande fut la surprise de découvrir,
en 2001, que l’espèce humaine disposait de 30 000 gènes seulement, un
nombre à peine supérieur à celui des gènes présents chez un ver nématode ou chez la petite mouche du vinaigre. Il fallait désormais renoncer
à l’idée du « tout-ADN génétique », accepter l’existence de déterminants
multifactoriels dont les activités sont déclenchées par l’ensemble du
génome – et non par un gène en particulier – et par le milieu environnant4.
Restait encore à comprendre comment de telles structures étaient
apparues au cours de l’évolution primitive. Nous savons que l’ADN a
subi des modifications au cours de son histoire évolutive. Cette molécule provient de la transformation d’une autre entité, l’acide ribonucléique (ARN), espèce charnière entre le monde des acides nucléiques et
celui des protéines, qui joue plusieurs rôles stratégiques dans le métabolisme contemporain.
On trouve de l’ARN dans toutes les cellules vivantes, et c’est également l’unique matériel génétique de nombreux virus, viroïdes et autres
espèces pathogènes ne s’exprimant qu’à l’intérieur de cellules hôtes.
Si l’on se replonge à nouveau dans le passé du vivant, il est tout à fait
concevable d’imaginer une phase d’incorporation, dans les nouvelles cellules en mutation, de cette matière génétique originelle, libre et formée
dans l’environnement. Des brins d’ARN ou des précurseurs de ces brins,
ancêtres de nos ARN cellulaires contemporains, auraient pénétré les
compartiments primordiaux, exactement comme le font les virus et les
viroïdes actuels. L’étape d’internalisation de ces objets, véritables petits
génomes mobiles se comportant comme des parasites, est aujourd’hui
obligatoire pour leur expression et leur duplication. Elle évoque la phagocytose des premiers éléments porteurs d’informations5…
01-Origines de la vie et sexualite.indd Sec1:22-Sec1:23
23
DE LA REPRODUCTION NON SEXUÉE
À LA SEXUALITÉ
Les premières formes cellulaires, datées d’environ 3,8 milliards d’années, ressemblaient aux procaryotes actuels et présentaient une forme
de sexualité archaïque, de la même façon que l’on parle aujourd’hui de
« sexualité bactérienne » (voir le chapitre 8). Il faudra attendre 2 milliards d’années pour que les compartiments primordiaux se différencient,
donnant naissance aux organismes eucaryotes. Ces entités, toujours
monocellulaires, comme le sont les ciliés et les paramécies, présentent
un comportement qui relève, comme nous le verrons, de la sexualité par
« accolement buccal ».
Un milliard d’années plus tard, ces eucaryotes se sont organisés en
colonies et ont appris les vertus de la vie en communauté, en collectivité, en société. Cette vie en commun a donné naissance à un nouveau
corps pluricellulaire, ouvrant la voie à la différenciation des cellules, à la
séparation du soma et du germen et à une sexualité basée sur l’existence
de deux sexes différents.
Les procaryotes sont des êtres unicellulaires simples, des bactéries,
qui ne présentent qu’un seul chromosome (environ 5 000 gènes), souvent accompagné de fragments d’ADN appelés plasmides, portant un
nombre limité de gènes qui remplissent des fonctions indispensables au
transfert du chromosome entre bactéries. C’est notamment grâce à ces
petits plasmides qu’ils ont pu traverser les âges, ces derniers leur conférant par exemple des capacités de résistance aux rayonnements UV, à
certains métaux lourds et à certains antibiotiques, ou encore la capacité
à utiliser des sources de carbone inhabituelles.
La « sexualité bactérienne » permet le transfert de gènes d’une cellule
donneuse vers une cellule receveuse. Qu’il s’agisse de transfert unilatéral d’ADN, provoquant la transformation de la cellule inoculée, ou de
transfert de gènes bactériens par l’intermédiaire de virus bactériophages – la transduction –, dans tous les cas le résultat conduit à la recombinaison des gènes entre bactéries. Cette recombinaison parasexuelle
a été bien étudiée en laboratoire. La conjugaison bactérienne, véritable
phénomène sexuel sans lien avec une reproduction, réalise un transfert
d’ADN orienté entre deux bactéries, l’une donneuse, l’autre réceptrice,
qui entrent en contact. La bactérie donneuse (F+) présente à sa surface
une excroissance tubulaire (le poil sexuel) qui sert de pont pour le transfert d’ADN, et en particulier pour le transfert du facteur sexuel F. Dans
ce cas, la cellule réceptrice peut devenir F+ ; c’est ce que l’on appelle la
sexduction.
15/04/09 15:47:07
Origines de la vie et sexualité
24
Archées
Cyanobactéries
Eucaryotes
Bactéries
Algues brunes
01-Origines de la vie et sexualite.indd Sec1:24-Sec1:25
25
Les ciliés, tout comme les paramécies, sont des organismes unicellulaires eucaryotes qui se « conjuguent » également, mais cette fois-ci
dans un but reproductif. En s’accolant par la « bouche » (zone buccale),
ils échangent un de leurs noyaux qui évoluera dans l’un des conjugants
pour donner un noyau « mâle » mobile et un noyau « femelle » sédentaire. Le noyau « mâle » passe par le pont de conjugaison mis en place
et s’unit au noyau « femelle » de l’autre cilié. Deux catégories de noyaux
cohabitent, les uns voués à la gestion des affaires métaboliques, les autres
à la propagation des gènes.
Les voies sexuelles empruntées par les organismes vivants pour communiquer, échanger et se renouveler sont si nombreuses qu’il serait illusoire de vouloir les citer toutes. Les molécules attractives émises dans le
milieu environnant, le chimiotactisme, c’est-à-dire l’affinité chimique,
les poils et les ponts de conjugaison ne constituent que quelques-unes
des stratégies connues.
Les organismes animaux se seraient formés il y a plus d’un milliard
d’années à partir des ciliés. Il est probable que la dichotomie soma/germen, mise en évidence dans les années 1880 par le biologiste allemand
August Weismann, a été instaurée dès le début de l’évolution animale,
mais il n’est pas exclu qu’elle ait déjà existé chez les protozoaires, sous
la forme des deux catégories de noyaux, comme nous venons de le voir
chez les ciliés. L’acquisition de la mortalité cellulaire propre aux cellules somatiques représente une innovation évolutive cruciale en raison
de la taille des nouveaux organismes. « Les cellules reproductrices ne
peuvent perdre la faculté de se multiplier à l’infini, car autrement l’espèce s’éteindrait, expose August Weismann. […] Chez des animaux
unicellulaires, la mort normale n’a pu exister, parce que l’individu et
la cellule reproductrice sont une seule et même chose ; mais chez les
organismes multicellulaires, il y a eu une différenciation en cellules somatiques et en cellules reproductrices […] » (Weismann, 1892 ;
voir aussi Maurel, 1999). La séparation du soma différencié, créateur
et porteur de nouvelles fonctions et d’une lignée germinale immortelle,
a eu pour conséquence la prolongation à travers chaque individu de la
lignée d’êtres vivants qui se sont succédé sans interruption, tout en évoluant sans cesse, depuis près de 4 milliards d’années. Ainsi, avec Sandor
Ferenczi, « nous pourrions dire en résumé que l’acte sexuel vise et
réalise la satisfaction simultanée du soma et du germen » (Ferenczi, 1974).
Accumulation, conjugaison, recombinaison ont accompagné sans
interruption la naissance des premiers pas biologiques sur la Terre et
ont toujours été liées à des échanges de matière et d’énergie, prélude aux
différents stades de l’évolution du vivant.
15/04/09 15:47:07
Origines de la vie et sexualité
26
Les toutes premières étapes d’auto-organisation, de reproduction à
l’identique, ont permis l’installation de formes de vie initiales de façon
durable et pérenne, quoique ne disposant pas des ressorts nécessaires à
l’amplification et au développement dans un milieu changeant. La parthénogenèse, le cannibalisme, l’accolement et la séparation, la symbiose,
en introduisant l’intervention et/ou la présence d’un autre, différent et
distinct, sont les expressions contemporaines d’une sexualité archaïque
fondée sur le renouvellement de la matière première constitutive des
entités originelles chez lesquelles les sexes n’étaient pas séparés.
La sexualité primitive a construit son avenir dès l’instant où des structures, de type coacervats, se sont couplées, produisant un troisième objet
nouveau et différent, sujet soumis à son tour à une rencontre aléatoire
productrice d’un tiers encore distinct. Cette période indispensable de la
préhistoire du vivant a permis d’inscrire la succession dans la continuité,
qui deviendra la filiation généalogique.
La réitération de ces étapes a engendré une dynamique nouvelle, créatrice de diversités, habitant, cultivant et colonisant la Terre des origines.
La sélection naturelle a alors imposé un nouveau rythme provoquant le
« tri sélectif » dans la transmission de matière héréditaire au cours de
l’évolution biologique.
Le passage de l’auto-organisation à l’alter-organisation a probablement marqué les débuts de la sexualité. La vie ayant toujours développé graduellement ces processus, sans jamais renier les constructions
précédentes tirant parti de l’existant, c’est donc l’entièreté de la matière
propre à la génération qui est désormais mise à contribution. On peut
encore le dire autrement, la matière génétique qui participe à la transmission des caractères héréditaires, à savoir la genesis, excède la simple molécule d’ADN, quelles que soient les extraordinaires propriétés
de celle-ci. Il y a ainsi, à chaque génération, transmission de matière
première.
L’hérédité cytoplasmique et le microchimérisme, c’est-à-dire le passage de cellules fœtales chez la mère et de cellules maternelles chez l’enfant au cours de la gestation, nous obligent à modifier notre compréhension de la sexualité comme agent de la transmission héréditaire. D’autres
continents, d’autres concepts restent à explorer.
La sexualité, qui joue un rôle d’une ampleur exceptionnelle dans
l’évolution biologique et dans l’évolution culturelle, a connu au fil des
temps diverses interprétations scientifiques et idéologiques. Du fait de
son poids et de son impact culturel, sans doute y a-t-il surinterprétation
de ses différentes caractéristiques et une tendance à les décrire selon
un modèle unique et excédant la réalité. De là à penser, comme le propose Sandor Ferenczi, qu’un « inconscient biologique » est à l’œuvre qui
01-Origines de la vie et sexualite.indd Sec1:26-Sec1:27
27
nous permet de lire l’ontogenèse de la sexualité et son développement au
cours de l’histoire du vivant, il n’y a qu’un pas.
Notre « inconscient biologique » représente cette partie du biologique qui ne s’exprime que de manière cachée, ou par intermittence.
S’il importe de nous intéresser aussi bien à l’évolution biologique qu’à
« l’ontogenèse qui récapitule la phylogenèse », toute cette part cryptique,
archéologique, est encore à défricher. La notion d’inconscient biologique
fait également référence à la part d’interprétation subjective des phénomènes caractérisant le vivant, à cette part inconnue, non élucidée à ce
jour, sorte d’instinct de vie qui fait que la matière devint vivante. C’est ce
qui nous permet d’inscrire l’histoire dans l’Histoire.
Si nous suivons le précepte de Diderot – « Voyez-vous cet œuf ? c’est
avec cela que l’on renverse toutes les écoles de théologie et tous les temples de la terre » (Diderot, 1875) –, nous serons en mesure de défaire la
« théologie biologique » et de construire une métabiologie afin de faire
émerger de nouveaux concepts.
1. Herbert Spencer, qui ne connaissait pas l’hypothèse ainsi formulée, parlait en son
temps de l’« instabilité de l’homogène ».
2. Schrödinger parlait, en 1944, de « cristal apériodique » pour désigner les fragments
déterminés que sont les gènes.
3. Bases azotées qui constituent les nucléotides de l’ADN. A : adénine ; T : thymine ; G :
guanine ; C : cytosine. (U : uracile remplace T dans l’ARN.)
4. La biologie s’est enrichie d’un nouveau champ d’investigation, l’épigénétique, qui
désigne et étudie l’ensemble des modifications héritables qui ne sont pas basées sur des
changements de la séquence A, T, G, C. Ces modifications sont sensibles à des effets environnementaux, et l’on observe ainsi que ni la séquence ni le nombre de gènes ne suffisent
à expliquer la complexité d’un organisme vivant.
5. On connaît aussi, chez des virus de bactéries nommés bactériophages, des phénomènes qualifiés de « parasexuels » parce qu’ils correspondent à des croisements entre trois
parents différents.
15/04/09 15:47:08
Téléchargement