UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE
FACULTE DE DROIT
LA CAUSALITE DANS LA RESPONSABILITE CIVILE
RECHERCHES SUR SES RAPPORTS AVEC LA CAUSALITE
SCIENTIFIQUE
THESE
POUR LE DOCTORAT DE L’UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE
4 juillet 2006
PAR
ROGER MISLAWSKI
DIRECTEUR DE THESE :
M. YVES-MARIE SERINET, PROFESSEUR A L’UNIVERSITE DE CERGY-
PONTOISE
Tome I
JURY
Mme H. GAUMONT-PRAT, Professeur à l’Université de Picardie-Jules Verne (Rapporteur)
M. P. GROSSER, Professeur à l’Université de Nancy 2 (Rapporteur)
Mme P. HAMMJE, Professeur à l’Université de Cergy-Pontoise
Mme J. REVEL, Professeur à l’Université de Paris X- Nanterre
M. Y.-M. SERINET, Professeur à l’Université de Cergy-Pontoise
Sommaire
Introduction
Première partie : La causalité, une relation objet de connaissance
Titre I : Un objet de connaissance spéculative
Chapitre I : La cause, moyen d’explication de la nature
Chapitre II : La cause est un agent qui produit un effet
Chapitre III : La cause est un agent externe suivi mécaniquement d’un effet
Titre II : Un objet de connaissance empirique
Chapitre I : Connaissance d’une loi de nature
Chapitre II : Compréhension par interprétation d’une activité humaine
Deuxième partie : La causalité, une relation objet de construction
Titre I : Les méthodes scientifiques comme modèles de construction
Chapitre I : La causalité reposant sur le modèle de l’expérience : l’équivalence des
conditions
Chapitre II : La causalité reposant sur le modèle de l’explication scientifique
Titre II : La connaissance statistique comme moyen de construction
Chapitre I : Le lien de dépendance comme relation de causalité
Chapitre II : Le lien de dépendance comme élément d’une relation de causalité
Troisième partie : La causalité, une relation fonctionnelle
Titre I : La causalité juridique : une unité de dénomination
Chapitre I : Dénomination et référent ne sont pas liés
Chapitre II : Un contenu dépendant des principes de la responsabilité civile
Titre II : La causalité juridique : une unité de nature
Chapitre I : Une relation instituée
Chapitre II : Une relation valide, mais non vraie
Conclusion générale
1
Introduction
1. La causalité juridique se définit comme une relation de cause à effet reliant un fait
générateur à un dommage. La notion se comprend intuitivement, mais dès qu’on veut
l’analyser elle se révèle rebelle, et les tentatives pour la cerner sont nombreuses et
parfois contradictoires1.
2. Un certain nombre de propositions doctrinales concernant la causalité juridique
sont individuellement admissibles à titre égal, mais leur mise en perspective se solde
par des antinomies qu’il est possible de regrouper en trois séries en fonction de leur
objet. La première est relative à la valeur de la causalité pour le droit de la
responsabilité. La causalité est considérée comme une notion essentielle, une
exigence de la raison et du bon sens2. En même temps elle est reconnue comme une
notion obscure3 dont il est difficile de donner une définition théorique4 alors qu’elle
doit être prouvée, certaine et directe5. La deuxième est relative à la résolution
contentieuse de la causalité. L’absence de définition théorique de la causalité
contraste avec la pratique qui ne fait pas de son indétermination un obstacle. Le juge
se montre pragmatique face aux difficultés qu’il peut rencontrer6 d’autant que la
justice ne pourrait être atteinte en s’enfermant dans une logique exclusive7. La
causalité devrait, dans un sens être définie, mais de l’autre, le besoin de justice
s’oppose à une approche rigide et conceptuelle de la causalité. La troisième est
relative à la nature de la causalité. La causalité juridique serait autonome8, et pourtant
elle est considérée comme désignant une cause réelle du dommage, c’est pourquoi
elle est une relation de cause à effet, car il paraît inconcevable qu’une personne soit
responsable d’un dommage qu’elle n’a pas causé9. Le droit serait donc, malgré ses
spécificités, producteur de connaissances sur le monde.
1 Ph. Le Tourneau (dir.), Responsabilité et contrats, Dalloz-Action, 2004, n° 1704 et 1713.
2 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, t.2, 6e éd., LGDJ, 1975, n° 1417.
3 J. Carbonnier, Les obligations, 22e éd., PUF, 2000, n° 213 – J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Le
fait juridique, 11e éd., A. Colin, 2005, n° 155.
4 G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité civile, 2e éd., LGDJ, 1998, n° 232.
5 Ph. Le Tourneau, op. cit., n° 1719.
6 Ph. Le Tourneau, op. cit., , n° 1717.
7 J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, op. cit., n° 161.
8 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 333 in fine.
9 J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, op. cit., n° 155 : « Un fait qui n’est que coïncidence n’est pas
causal » et n° 157 : « La causalité procède directement de l’observation des faits », n° 158 : « La
2
3. Un constat d’échec résulte de ces considérations10. Il débouche sur l’impression
qu’il est vain de vouloir éclaircir cette notion, toute tentative dans ce sens semblant,
loin de faire progresser la connaissance, ajouter à l’obscurité, ce qui peut expliquer
qu’il n’y ait guère eu d’études généralistes sur la causalité11.
4. Des tentatives pour échapper aux affres de la causalité ont été faites12, soit en
l’éliminant de certains régimes - telle a été la démarche qui a justifié la loi sur les
accidents de la circulation13 - soit en envisageant des notions de remplacement, mais
sans succès14. La causalité, malgré tout, demeure solidement inscrite dans le droit de
la responsabilité civile avec son cortège de difficultés, bien que certaines aient été
toutefois aplanies par la création de régimes spéciaux que le législateur a
multipliés15. Si le contentieux relatif à la qualification du lien de causalité n’est pas
numériquement marquant, avec des fluctuations par période16, il peut se révéler
d’une grande importance par son retentissement. Les incertitudes sur le concept
peuvent avoir des conséquences quant à la légitimité des décisions de justice. Tel a
été le cas dans la célèbre affaire Perruche17 qui a été un véritable défi en matière de
causalité pour le monde du droit.
5. Les enjeux, ceux de la naissance d’un enfant handicapé dont la mère n’avait pu
procéder à un avortement du fait d’une erreur médicale et qui demandait réparation
au profit de celui-ci, étaient de première importance et nécessitaient une réponse
théorie de l’équivalence des conditions repose sur la prise en compte du fait dans la production du
dommage, de son efficience ».
10 J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, op. cit., n° 162 – G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 334 et s.
11 Il y a deux thèses classiques en France : celle de P. Marteau, La notion de lien de causalité dans la
responsabilité civile, Marseille, 1914 et celle de J. Favier, La relation de cause à effet dans la
responsabilité quasi-délictuelle, Paris, 1951.
12 P. Esmein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964, chron. p. 205.
13 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 990 : même dans ces tentatives de refouler la causalité au profit
d’une notion plus simple, elle ne peut être totalement éliminée et subsiste sous forme d’une
présomption de liaison du dommage à l’accident, appelée imputabilité : ibidem, n° 999.
14 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 336.
15 F. Leduc, L’œuvre du législateur moderne : vices et vertus des régimes spéciaux, in, La
responsabilité civile à l’aube du XXIe siécle, Resp. civ. assur., hors série, juin 2001, p. 50.
16 Ainsi le contentieux du fait des accidents de la circulation était important jusqu’à la loi de juillet
1985 qui l’a à peu près tari. F. Leduc, L’état actuel du principe général de responsabilité délictuelle
du fait des choses, in. F. Leduc (sous la direction de), La responsabilité du fait des choses. Réflexions
autour d’un centenaire, Economica, 1997, p. 35.
17 Ass. plén. 17 nov. 2000 : JCP. G. 2000, II, 10438, rapp. P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note F.
Chabas.
3
adaptée et forte. Celle-ci s’est heurtée à l’obstacle que peut constituer la causalité
juridique qui, dans ce cas, a eu bien du mal à s’imposer, écartelée entre une
connaissance scientifique pour une fois indiscutable et des constructions juridiques
au fondement mal assuré divisant la doctrine. Aucune solution juridique ne semblait
indiscutable et des oppositions, sur fond éthique particulièrement sensible, se sont
fait jour. La Cour de cassation a vu sa décision contestée de façon virulente, il a
même été dit qu’elle se serait trompée18. La plupart des juristes spécialisés, qui en
droit des personnes, qui en droit de la responsabilité, certains en tant que magistrats,
d’autres en tant que savants ou avocats, ont donné leur analyse de l’arrêt litigieux.
6. Les conclusions des uns et des autres ont été nettes, opposées, sans concession.
Pour certains, il fallait se plier à la conception biologique de la causalité et nier le
lien juridique19. Pour d’autres, il fallait affirmer l’autonomie du droit et le retenir20.
Pour les derniers, la causalité n’était pas problématique21. Quant aux justifications de
ces différentes propositions, elles étaient diverses et n’avaient rien de critiquable
individuellement, en particulier la dignité des handicapés a été invoquée aussi bien
au soutien qu’au rejet de la solution de la Cour régulatrice. Considérer la vie comme
un préjudice est une atteinte à la dignité humaine 22 ; abandonner un handicapé sans
aucune aide est aussi une atteinte à sa dignité23. Quels que soient les arguments
invoqués, aucun n’apportait de réelle satisfaction dans la mesure où il ne semblait
pas y avoir de moyen de trancher la question en vérité, tant en ce qui concerne le
rejet du point de vue scientifique que son remplacement par un lien juridique bien
fuyant.
7. Cette seule affaire incite à reprendre la question de la causalité ce qui nous ramène
vers les antinomies dont il a été fait état. Pour comprendre leur origine, il faut
examiner le cadre intellectuel qui leur a donné naissance et chercher s’il n’y a pas
18 G. Cancelier, La tentation du néant, RGDM. 2000, n° spécial, La recherche sur l’embryon ;
qualification et enjeux, p. 92.
19 D. Mazeaud, Réflexions sur un malentendu, D. 2001, p. 332.
20 L. Mayaux, Naissance d’un enfant handicapé : la Cour de cassation au péril de la causalité,
RGDA 2001, p. 13.
21 J.-.L. Aubert, Indemnisation d’une existence handicapée qui selon le choix de la mère n’aurait pas
dû être, D. 2001, p. 489.
22 D. Fenouillet, Pour une humanité autrement fondée, Dr. fam. 2001, chron. 7.
23 P. Sargos, art. précit., n° 48.
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