
Pour une économie du bien commun 
Le prix Nobel d’économie Jean Tirole explique ce qu’est l’économie – elle s’intéresse au 
bien commun – et pourquoi il est nécessaire que les citoyens s’approprient cette pensée 
Jean Tirole, Revue des deux mondes, 1er février 2017 
« L’économie du bien commun est avant tout une ambition, celle de faire en sorte que nos 
institutions économiques contribuent à l’intérêt général. » 
1. L’économie, comme toute autre science humaine et sociale, a plusieurs finalités. Son premier 
objet est descriptif. Elle décrit les comportements des individus, des groupes sociaux, des pays 
;  pour  cela,  elle  collecte  des  données  historiques  et  crée  de  nouvelles  données  à  travers  des 
expériences en laboratoire ou sur le terrain. Elle en tire alors des corrélations et des prédictions 
(…).  PS :  L’économie  décrit  aussi  les  comportements  des  agents  via  des  « modèles » :  des  cadres 
théoriques (ou cadres de pensée) qui  sont  des représentations simplifiées de la réalité complexe. 
Nous en avons vu deux à ce stade : la parabole de la ferme et le dilemme du prisonnier. 
2. Le second objet de l’économie est prescriptif-normatif. Elle utilise un cadre théorique (un 
cadre de  pensée), obtient empiriquement des relations de causalité (« c’est A qui génère B, et 
non  la  causalité  inverse,  ou  une  absence  de  causalité  –  A  et  B  étant  juste  dus  à  un  facteur 
commun,  mais  n’ayant  pas  d’effet  l’un  sur  l’autre  »),  et  en  tire  des  conclusions  de  politique 
publique. L’analyse permet d’expliquer les phénomènes, elle ouvre une fenêtre sur le monde, elle 
permet de proposer des politiques. Et c’est là que le bien commun entre en jeu.  
3. Qu’est-ce que l’économie ? L’économie du bien commun est avant tout une ambition, celle de 
faire  en  sorte  que  nos  institutions  économiques  contribuent  à  l’intérêt  général.  Il  s’agit  donc 
d’analyser  les  situations  où  l’intérêt  individuel  entre  en  conflit  avec  l’intérêt  collectif  [de  la 
société  tout  entière],  et  d’étudier  comment  mettre  en  musique  ces  intérêts  individuels  pour 
qu’ils remettent au centre l’intérêt général.  
La main invisible (le marché) et la main plus visible (l’État) sont complémentaires : l’État corrige 
les nombreuses défaillances du marché. Les Français ont une vision étrange du libéralisme. Le 
libéralisme n’est pas du tout le laisser-faire, mais la responsabilisation des acteurs économiques 
pour  les  inciter  à  œuvrer  au  bien  commun  –  sans  se  substituer  à  eux,  mais  en  corrigeant  si 
nécessaire leurs incitations. Donnons-en deux exemples. 
4. Le climat et l’efficacité sociale. L’intérêt individuel pousse à utiliser des énergies carbonées, 
moins  chères.  Or  l’on  sait  que  si  notre  inaction  en  matière  de  lutte  contre  le  réchauffement 
climatique  continue,  ce  dernier  sera  violent.  Il  faut  mettre  les  acteurs  (ménages,  entreprises, 
administrations)  devant  leurs  responsabilités,  c’est-à-dire  les  responsabiliser  pour  leurs 
émissions à travers la taxation suffisante des consommations d’énergies carbonées, et accepter 
de perdre quelques points de produit intérieur brut (PIB). (…) 
5. La solidarité face à la santé : une question d’équité. Les individus ne sont pas responsables 
de leurs gènes. Le marché de l’assurance, s’il n’est pas régulé, va à l’encontre de la solidarité. Les 
assureurs offrent alors de très bonnes conditions aux individus en bonne santé ; la contrepartie 
bien sûr est que ceux qui le sont moins sont contraints de verser des primes d’assurance très 
élevées. [Une régulation est donc nécessaire (…)] 
6. C’est le rôle de l’État d’œuvrer pour le bien commun, mais parfois l’État va à l’encontre du bien 
commun  :  par  exemple,  en  laissant  aux  générations  futures  non  seulement  le  réchauffement 
climatique mais aussi la dette publique et les retraites non financées, le chômage, une éducation 
pas toujours à la hauteur (…).