182 CHAPITRE 5 Les liaisons chimiques
L
a liaison chimique est au cœur de la chimie. Comme l’exprime si bien le philosophe des
sciences Karl Popper, les théories de la liaison (des modèles qui prédisent comment
lesatomes se lient) que nous nous apprêtons à étudier sont des filets lancés pour
comprendre le monde. Dans ce chapitre et les deux suivants, nous étudierons divers modèles
qui vous permettront de comprendre les phénomènes physiques et chimiques reliés aux
substances. Nous commencerons par nous intéresser aux substances métalliques et
auxsubstances ioniques formées respectivement de métaux uniquement ou d’une combi-
naison de métaux et de non-métaux. Chacune de ces catégories de substances possède des
propriétés particulières qui sont bien décrites dans la théorie de la mer d’électrons et dans
celle du réseau ionique. Les théories de la liaison de valence et des orbitales moléculaires
(lathéorie des orbitales moléculaires traite plus les électrons à la manière de la mécanique
quantique) permettent quant à elles d’analyser les substances covalentes. Laquelle de ces
théories est « correcte » ? Rappelez-vous que les théories sont des modèles qui nous aident à
comprendre et à prédire un comportement. Ces quatre théories sont toutes extrêmement utiles ;
tout dépend de l’aspect exact de la liaison chimique que nous voulons prédire ou comprendre.
5.1 Molécules contre le sida
En 1989, des chercheurs ont utilisé la cristallographie aux rayons X (une technique dans
laquelle les cristaux de la molécule d’intérêt provoquent la dispersion des rayons X) pour
déterminer la structure d’une molécule appelée protéase du VIH. Synthétisée par le virus
de l’immunodéficience humaine (VIH), cette protéase est une protéine (une molécule
gigantesque aussi appelée macromolécule) aux propriétés enzymatiques particulières et
qui jouent un rôle essentiel dans la capacité du virus de se multiplier suffisamment pour
causer le syndrome de l’immunodéficience acquise, ou sida, qui est la phase aiguë de la
maladie. Sans protéase, le virus est incapable de se propager dans l’organisme humain,
parce qu’il ne peut pas se répliquer. Autrement dit, sans la protéase du VIH, le sida ne
peut pas se développer.
Après la découverte de la structure de la protéase du VIH, l’industrie pharmaceu-
tique s’est employée à créer une molécule qui désactive la protéase en se fixant à son site
actif. Le site actif est une région où s’effectue la réaction chimique catalysée par une
enzyme. Dans le cas de la protéase du VIH, l’enzyme permet de rendre fonctionnelles des
molécules permettant au virus d’entrer dans les cellules. Si on bloque l’accès à son site
actif, on empêche les nouvelles particules virales d’être infectieuses. Afin de concevoir
une molécule capable d’inactiver cette protéase, les chercheurs ont eu recours aux théo-
ries de la liaison afin de simuler par ordinateur la forme des molécules de médicaments
potentiels et de déterminer comment elles interagiraient avec la protéase. Au début des
années 1990, ces compagnies ont mis au point plusieurs molécules douées d’une effica-
cité thérapeutique. Étant donné que ces molécules inhibent l’action de la protéase du VIH,
on les appelle des inhibiteurs de protéase. Dans les essais cliniques chez les humains, les
inhibiteurs de protéases, lorsqu’ils sont administrés en combinaison avec d’autres médi-
caments, ont diminué la charge virale chez des individus infectés par le VIH jusqu’à des
niveaux indétectables. Bien que les inhibiteurs de protéases ne permettent pas de guérir
le sida à proprement parler, de nombreux patients sidéens sont encore vivants aujourd’hui
grâce à ces médicaments.
Les théories de la liaison sont fondamentales en chimie parce qu’elles expliquent
comment les atomes forment des substances. Grâce à elles, nous savons pourquoi cer-
taines combinaisons d’atomes sont stables, alors que d’autres ne le sont pas. Ainsi, les
théories de la liaison expliquent pourquoi le sel de table est NaCl et non NaCl2 et pour-
quoi l’eau est H2O et non H3O. Elles expliquent également les formes des molécules (un
sujet abordé dans le prochain chapitre) qui, à leur tour, déterminent un grand nombre de
leurs propriétés physiques et chimiques. Les théories de la liaison que nous étudierons
dans le présent chapitre découlent du modèle de Lewis, proposé par le chimiste étasunien
G. N. Lewis (1875-1946). Dans ce modèle, on symbolise les électrons de valence par des
points et on utilise les structures de Lewis (ou notation de Lewis) pour représenter
les atomes et les molécules. Ces structures, assez simples à écrire, possèdent un
▲ Gilbert Newton Lewis