un nouvel acteur de la régulation du sodium et de la pression artérielle

MÉDECINE-SCIENCES FLAMMARION/LAVOISIER – ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2010
(www.medecine.lavoisier.fr)
PENDRINE : UN NOUVEL ACTEUR DE LA RÉGULATION
DU SODIUM ET DE LA PRESSION ARTÉRIELLE
par
F. SOHET*, F. LEVIEL*,**, R. CHAMBREY* et D. ELADARI*,**
L’hypertension artérielle est la plus fréquente des maladies humaines. Elle
affecte près de 15 millions de personnes en France et plus d’un quart de la popula-
tion mondiale adulte. Les facteurs favorisant l’hypertension associent une prédis-
position génétique et des facteurs environnementaux. En particulier, l’alimentation
de la plupart des pays industrialisés représente un facteur de risque majeur du fait
de sa forte teneur en sel. Les études menées sur de grandes populations dans le
but d’identifi er des gènes de susceptibilité favorisant l’hypertension sont restées
assez décevantes. Par conséquent, les mécanismes moléculaires expliquant la
prédisposition d’un individu à cette maladie restent inconnus. En revanche, des
études ciblées visant à élucider les anomalies à l’origine de syndromes héréditaires
très rares caractérisés par une hyper- ou une hypotension ont permis de mettre
en évidence l’importance de certains mécanismes rénaux dans la régulation de la
pression artérielle. En particulier, ces études ont montré que toutes les anomalies
de la pression artérielle liées à une anomalie monogénique étaient dues à des
mutations de gènes codant des protéines participant à la réabsorption de sodium
dans le néphron distal. Par ailleurs, toutes les hypertensions secondaires à un excès
de minéralocorticoïdes résultent également d’une augmentation de la réabsorption
tubulaire de sodium dans le néphron distal. Toutes ces observations soulignent
l’importance de cette partie du néphron dans la régulation de la balance sodée,
* Université Paris-Descartes, Faculté de Médecine, Paris. INSERM UMRS 872, Centre de Recherche
des Cordeliers, Paris. ** Département de Physiologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris.
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du volume extracellulaire et de la pression artérielle. De plus, l’observation que
toutes les hypertensions monogéniques ou acquises résultent fi nalement du même
mécanisme a fait proposer que les patients susceptibles de développer une hyper-
tension artérielle essentielle pourraient avoir une anomalie de la réabsorption du
sodium dans le néphron distal, en accord avec l’hypothèse proposée par Arthur
Guyton il y a presque 20 ans, selon laquelle l’hypertension est une maladie rénale
affectant l’homéostasie du sodium [1].
L’idée que le sodium représente le composant responsable des effets hyperten-
seurs du sel de l’alimentation est largement répandue dans la littérature. Cependant,
le sodium alimentaire est quasiment intégralement ingéré sous forme de chlorure
de sodium et de nombreuses études ont démontré que le sodium devait être sous
forme de chlorure de sodium pour avoir un effet sur la pression artérielle. En 1929,
Berghoff et coll. [2] remarquent que la pression sanguine augmente chez sept sujets
hypertendus en réponse à un apport en chlorure de sodium mais qu’elle n’augmente
pas lorsque le chlorure de sodium est remplacé par du bicarbonate de sodium.
Cette observation a été depuis largement confi rmée, aussi bien chez des patients
hypertendus que dans des modèles animaux d’hypertension [3-8]. Certains auteurs
ont même suggéré que le fait de remplacer l’apport en NaCl par du bicarbonate de
sodium chez des individus dont la pression artérielle est normale ou élevée, pouvait
conduire à une diminution de la pression sanguine [9, 10]. Par ailleurs, des études ont
proposé qu’une altération isolée du transport du Cl dans le néphron distal pouvait
avoir des conséquences sur la pression artérielle [11-14]. L’ensemble de ces obser-
vations suggère que le transport rénal de chlore est un déterminant important de la
volémie et de la pression artérielle, et que certaines hypertensions sensibles au sel
pourraient être en fait des hypertensions sensibles au chlore.
LE NÉPHRON DISTAL
SENSIBLE À L’ALDOSTÉRONE
Comme indiqué précédemment, la zone fonctionnelle du rein responsable de la
régulation de la balance sodée et de la pression artérielle est la partie terminale du
néphron qui fait suite à l’anse de Henle. Cette partie du néphron est également le
site d’action de l’hormone aldostérone et, par conséquent, porte le nom de néphron
distal sensible à l’aldostérone ou ASDN (aldosterone sensitive distal nephron).
L’ASDN est composé du tubule contourné distal et du système collecteur comprenant
lui-même deux segments : le tubule connecteur (CNT) et le canal collecteur (CCD).
Contrairement au néphron proximal et à l’anse de Henle, l’ASDN est caractérisé
par des épithéliums de composition hétérogène comprenant trois principaux types
cellulaires distincts : les cellules du tubule distal initial et les cellules principales et
intercalaires retrouvées dans le tubule connecteur et le canal collecteur. Bien que les
cellules principales du canal collecteur et du tubule connecteur présentent des diffé-
rences fonctionnelles, au moins concernant le transport du calcium, elles partagent
les mêmes caractéristiques fonctionnelles concernant le transport de Na+, de K+, et
probablement de Cl. Par conséquent, nous ne les distinguerons plus dans la suite de
cette revue. Chez les humains et les rongeurs mais pas chez le lapin, un quatrième
type de cellules est présent dans le tubule distal tardif ; ces cellules présentent un
PENDRINE : UN NOUVEL ACTEUR DE LA RÉGULATION DU SODIUM 145
phénotype transitionnel (ou mixte) entre les cellules de la partie initiale du tube
contourné distal et les cellules principales.
L’hétérogénéité cellulaire de l’ASDN refl ète un degré élevé de spécialisation
fonctionnelle. En effet, les cellules du tubule distal effectuent une réabsorption
nette de NaCl, alors que les cellules principales réabsorbent du Na+ en échange
d’ions K+. Les cellules principales sont également responsables de la réabsorption
de l’eau via des canaux spécifi ques, les aquaporines. Ainsi, les cellules du DCT
et les cellules principales sont indispensables à la régulation de l’homéostasie de
l’eau, du NaCl (et par conséquent de la régulation de la volémie et de la pression
artérielle), mais elles participent également à la régulation « fi ne » de la sécrétion
de K+.
Jusqu’à récemment, les cellules intercalaires étaient connues pour jouer
exclusivement un rôle dans la régulation de l’équilibre acido-basique. Les
cellules intercalaires sont elles-mêmes hétérogènes et identifi ées comme étant de
type A (A-IC), de type B (B-IC) ou non-A non-B sur la base de l’expression de
l’échangeur Cl/HCO3 AE1 et de la localisation de la pompe H+-ATPase dans
la cellule [15-20] (fi g. 1). En effet, les cellules intercalaires de type A sécrètent
des protons via la pompe H+-ATPase vacuolaire [20]. Au cours d’une acidose
métabolique, la H+-ATPase est activée ce qui augmente la sécrétion d’ions H+
dans le fl uide urinaire, et permet une augmentation appropriée de l’excrétion
nette d’acide dans l’urine limitant l’acidose. Les cellules intercalaires de type B
sont fonctionnellement opposées aux cellules A. Elles expriment un échangeur
Cl/HCO3 électroneutre et indépendant du sodium à leur membrane apicale et
expriment la pompe H+-ATPase à leur membrane basolatérale [15, 17, 18, 20,
21]. Ces cellules sont inactivées lors de l’acidose. En revanche, l’ensemble des
transporteurs des cellules de type B est activé en réponse à une alcalose méta-
bolique, ce qui aboutit à une sécrétion nette de bicarbonate dans l’urine permet-
tant d’atténuer l’alcalose [22]. Les cellules non-A non-B expriment à la fois la
pompe à proton et l’échangeur Cl/HCO3 à la membrane apicale [20]. La fonc-
tion de ces cellules est à ce jour inconnue. Par simplifi cation, le terme cellule B
dans cette revue fera référence aux cellules B-IC et non-A non-B qui expriment
les mêmes molécules.
FIG. 1. – Représentation schématique de la distribution des transporteurs d’ions dans les
différents types de cellules présentes dans le CCD.
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MÉCANISME DU TRANSPORT DE CHLORE
DANS LE NÉPHRON DISTAL SENSIBLE À L’ALDOSTÉRONE
Les mécanismes moléculaires responsables du transport de NaCl le long des
différents segments de l’ASDN sont différents. En effet, dans le tube contourné
distal, les ions Na+ et Cl sont cotransportés par le cotransporteur Na-Cl NCC qui est
codé par le gène SLC12A3 [23]. Des mutations de SLC12A3 inactivant NCC aussi
bien chez les humains [24] que chez les souris [24] sont responsables du syndrome
de Gitelman, une maladie héréditaire autosomique récessive caractérisée par une
hypotension artérielle en cas d’homozygotie ou d’hétérozygotie composite, ou par
une protection relative contre l’hypertension en cas de mutation hétérozygote [25].
NCC est également la cible de l’hydrochlorothiazide, un des plus anciens agents
diurétiques connu [26] qui reste cependant un des traitements de première intention
de référence dans l’hypertension artérielle non compliquée [27, 28]. À l’inverse,
l’activation excessive de NCC consécutive à des mutations de gènes codant des
kinases de la famille WNK entraîne le pseudohyperaldostéronisme de type II [29]
ou syndrome de Gordon, une maladie héréditaire très rare caractérisée par une
hypertension, une hyperkaliémie et une acidose métabolique. Toutes ces anomalies
sont extrêmement sensibles à de faibles doses de thiazidiques. NCC est également
une cible importante de l’aldostérone, l’hormone principale contrôlant le transport
rénal de Na+ [30]. Ainsi, le transport de Cl dépendant de NCC joue un rôle majeur
dans la régulation de la pression sanguine. Cependant, puisque les deux ions, Na+
et Cl, sont cotransportés par NCC, les effets de l’ion Cl sur la pression sanguine
dans le tubule contourné distal sont indissociables de ceux de l’ion Na+.
Contrairement à ce qui est observé dans le tubule contourné distal, le transport de
Na+ et celui de Cl dans le tube connecteur et le canal collecteur ne sont pas effectués
par un transporteur unique, et ne surviennent même pas dans les mêmes cellules.
La réabsorption de Na+ survient dans les cellules principales : le sodium entre dans
la cellule via le canal à sodium épithélial (ENaC) présent dans la membrane apicale
en raison du gradient continu entrant de Na+ créé par la pompe Na+/K+-ATPase
basolatérale. Le transport de Cl est médié par les cellules intercalaires de type B
et, du moins en théorie, à travers la voie paracellulaire. Des études ayant pour but
d’identifi er le mécanisme responsable de lentrée apicale du 36Cl dans les cellules
du canal collecteur cortical ont mis en évidence le rôle d’un échangeur électroneutre
d’anions pouvant fonctionner soit pour médier léchange de lion Cl contre lui-
même (auto-échange Cl/Cl), soit léchange dun ion Cl contre un ion bicarbonate
(échange Cl/HCO3) [31]. Ce dernier avait été détecté spécifi quement dans les
cellules intercalaires de type B [19, 31, 32] où il représente le mécanisme de trans-
port permettant la sécrétion de bicarbonates dans l’urine, une fonctioncessaire à
ladaptation à lalcalose. D’autres études ont par la suite con rmé que labsorption
tranpithéliale de Cl pouvait être effectuée par léchangeur apical Cl/HCO3 des
cellules intercalaires de type B fonctionnant en tandem avec une conductance basola-
térale au Cl [21] qui présente les mêmes caractéristiques que le canal ClC-KB [33].
Jusqu’à récemment, l’identité moléculaire de l’échangeur apical Cl/HCO3 des
cellules intercalaires de type B était inconnue. Il y a 10 ans, des scientifi ques cher-
chant à élucider la cause du syndrome de Pendred, une maladie héréditaire asso-
ciant une surdité de perception et un goitre hypothyroïdien, ont identifi é, par une
approche de clonage positionnel, le gène responsable qui a été appelé pendrine [34].
PENDRINE : UN NOUVEL ACTEUR DE LA RÉGULATION DU SODIUM 147
L’observation initiale décrivait curieusement que l’expression des ARN messagers
de la pendrine était quantitativement la plus importante dans le rein, alors qu’aucune
anomalie rénale évidente n’était connue dans le syndrome de Pendred. L’analyse
in silico de la structure du gène prédisait que le gène PDS (SLC26A4) codait une
protéine présentant des similarités structurelles avec le transporteur de sulfate Sat-1
[34] mais il fut rapidement démontré que la pendrine n’était pas un transporteur
de sulfate. En effet, c’est en fait un échangeur Cl/anion peu spécifi que pouvant
fonctionner comme un échangeur Cl/iodure, Cl/formate ou Cl/HCO3 [35-38].
Lors d’une étude des souris invalidées pour le gène Slc26a4 [39], Royaux et coll.
ont confi rmé que la pendrine est fortement exprimée dans le néphron distal et que
son expression est restreinte à la membrane apicale des cellules intercalaires de type
B. Cette localisation a été confi rmée par d’autres études [40, 41]. Comme décrit
précédemment, l’échangeur apical de Cl/HCO3 était connu pour jouer un rôle
dans l’excrétion de base en réponse à une alcalose métabolique. Comme preuve
supplémentaire que la pendrine représente l’échangeur apical de Cl/HCO3 des
B-IC, Royaux et coll. ont démontré que l’invalidation du gène Slc26a4 abolissait la
sécrétion de bicarbonate mesurée par micro-perfusion in vitro de CCD isolés [39].
Enfi n, l’inactivation de la pendrine a pour autre conséquence d’abolir l’absorption
transépithéliale de Cl [42], ce qui démontrait pour la première fois que le transport
de Cl dans le canal collecteur n’était pas passif par la voie paracellulaire mais était
bien un phénomène transcellulaire médié par des transporteurs spécifi ques.
RÔLE DE LA PENDRINE DANS LA RÉGULATION
DE LA PRESSION SANGUINE
De nombreux groupes ont étudié la régulation de la pendrine lors de traitements in
vivo perturbant l’état acide-base. Il a ainsi été mis en évidence que l’expression de la
pendrine est fortement diminuée lors d’une charge en NH4Cl provoquant une acidose
métabolique [43-45] ou lors d’une acidose respiratoire [46]. Inversement la pendrine
est augmentée en réponse à une charge alcaline [43, 45]. Ces observations sont en
accord avec le fait que la sécrétion de bicarbonate par les B-IC est impliquée dans
la réponse rénale à des perturbations de l’état acide-base. Cependant notre équipe a
également observé une diminution inattendue de l’expression de la pendrine en réponse
à une charge en NaCl [47]. Afi n de tester la possibilité que la pendrine soit sensible
aux variations en apport de chlore urinaire, l’expression de la protéine a été quantifi ée
lors de modifi cations chroniques des apports alimentaires en Cl. Ainsi, des rats ont été
soumis à une charge en NaCl, NH4Cl, NaHCO3, KCl, ou KHCO3 pendant 6 jours, ou
à une restriction en NaCl [48]. En réponse à ces traitements nous avons démontré une
corrélation inverse entre l’expression de la pendrine mesurée par immuno-empreintes
et l’excrétion urinaire de chlore. De plus nous avons montré que cet effet était indé-
pendant du cation administré avec le Cl ou de l’équilibre acide-base [47].
Comme décrit précédemment, un aspect important du transport ionique dans le
CNT et le CCD est l’absence de couplage direct entre les fl ux de Na+ et Cl. En
effet, l’existence de deux voies distinctes pour le transport de Na+ et Cl à travers des
cellules différentes, suggère que la réabsorption de Cl et celle de Na+ sont régulées
par des mécanismes ou des médiateurs indépendants. La régulation de la pendrine
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