trame intervention sur diagnostic

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LES USAGES DU DIAGNOSTIC DANS LE CHAMP DE L’ANIMATION,
DE L’ACTION SOCIALE ET EDUCATIVE
Intervention de Joel Barthélémy
Commission Pédagogique DE JEPS, 5 novembre 2009
Qu’est ce qu’un diagnostic ? Qu’induit cette démarche comme vision du social ? Pourquoi l’usage de ce
type de démarche est-il si répandu aujourd’hui ? Quelles questions et quels problèmes pose ce type de
démarche aux praticiens et aux chercheurs, sachant que les deux dimensions y sont justement
intriquées ?
Qu’est ce qu’un diagnostic partagé ? Participation sociale, partage de l’expertise légitime ?
Qui formule les problèmes et les besoins d’une population ou d’un territoire ? Qu’est ce qui les
détermine ? Avec les habitants et destinataires des politiques publiques ? Dans quelle mesure ? Et qui
pilote la démarche ? Quelles instances ? Quelle place pour les habitants, usagers, destinataires ?
Un diagnostic : pour quoi faire, pour quels projets et quelles actions à la clef ? Pour changer quoi ?
Diagnostic : éléments de définition et théories implicites
Qu’est un diagnostic dans le champ de l’action sociale et territoriale ? Et quelles sont les théories
implicites sur lesquelles reposent fréquemment de telles démarches ?
Tout d’abord, on peut remarquer qu’il s’agit de la transposition d’une terminologie plutôt médicale au
champ de l’action sociale et éducative, et au niveau des politiques publiques territoriales.
Prise au pied de la lettre, cette terminologie induit qu’on peut soigner la société, comme on soigne un
corps, doté d’organes et de fonctionnalités bien déterminés.
Cette vision du social renvoie à l’organicisme, approche particulièrement controversée dans les sciences
sociales, dans la mesure où généralement, la société est plutôt considérée comme une construction
culturelle et non pas, comme une entité déterminée par des lois et des mécanismes naturels.
Mais sans aller jusqu’à l’organicisme, on peut d’emblée pointer que les démarches de diagnostics
sociaux et territoriaux reposent bien souvent sur des théories implicites de type fonctionnalistes et
systémistes.
Le fonctionnalisme est un courant de la sociologie américaine attaché aux noms de deux auteurs tout à
fait marquants que sont PARSONS et MERTON.
PARSONS a fait des systèmes et des sous systèmes, les unités d’analyse et d’observation du social.
Dans la filiation de la pensée d’Emile DURKHEIM, fondateur de l’école française de sociologie, le social
est considéré comme un ensemble de systèmes et de sous systèmes en interaction, formant un tout
relativement cohérent. L’action sociale y est institutionnellement construite. Elle représente un ensemble
de contraintes et de normes, qui influent sur les actions et les interactions des individus qui constituent la
société. Dans ces sociétés fortement structurées, les rôles sociaux (parentaux et professionnels par
exemple) fixent des critères de conduite et régentent les interactions. Et à tout rôle social, correspondent
des attentes de rôles. Les relations humaines sont conçues comme des anticipations réciproques qui
fonctionnent ou dysfonctionnent. La relation est dite fonctionnelle lorsque les valeurs auxquelles l’acteur
social se réfère sont adéquates au rôle social qu’il est censé jouer. Pour que les valeurs plus ou moins
partagées et les normes sociales nécessaires au bon fonctionnement du système soient produites ou
reproduites (il en va de la pérennité de l’ordre social), il faut des institutions (famille, église, école,
entreprises, associations, syndicats, partis politiques etc.). Ces institutions constituent en elles mêmes
des sous systèmes qui répondent à des nécessités fonctionnelles : d’où le terme de fonctionnalisme.
Dans un tel cadre théorique, la démarche de diagnostic social a tout à fait sa place, car elle vise à
détecter les dysfonctionnements sociaux, c'est-à-dire, les rôles non assurés, les fonctionnalités
défaillantes, et les sous systèmes qui se différencient des autres de manière excessive, mettant ainsi en
péril l’ordre et la cohésion sociales.
A la théorie dite structuro-fonctionnaliste de PARSONS, MERTON, son élève, substitue une visée plus
modeste. Il récuse sur certains aspects un schéma conceptuel quelque peu mécaniste, et clarifie les
concepts le plus centraux : ceux de fonction et de rôle.
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Tout d’abord, il se démarque du postulat par lequel il y aurait une unité fonctionnelle de la société. C'està-dire qu’il considère que tous les usages sociaux ne sont pas fonctionnels, et que, par conséquent,
toutes les fonctions existantes socialement ne sont pas absolument nécessaires. Elles peuvent être
substituables les unes aux autres. Selon MERTON, il y a des fonctions manifestes, créées
consciemment et volontairement par les êtres humains, dans un contexte historique donné, et d’autres,
dites latentes, qui répondent à des désirs d’élévation ou de consolidation des statuts sociaux. Par
exemple, les grands partis politiques remplissent à la fois des fonctions manifestes (exercer le pouvoir,
décider) et latentes (clientélisme et promotion de certains individus).
De la même manière, il distingue les statuts sociaux ou positions sociales des rôles sociaux. Et il
introduit de la tension, de la conflictualité et de la dynamique entre les rôles et les positions sociales.
Ces tensions, conflits et dynamiques sociales participent par la même de la survie et de la reproduction
de l’ordre social en provoquant des ajustements permanents. C’est quand les ajustements ne se
produisent pas,
c'est-à-dire, quant les rôles et les positions tendent à se figer, qu’il y a
dysfonctionnement. Prenant appui sur le concept de bureaucratie emprunté à Max WEBER, fondateur
de l’école allemande de sociologie, MERTON observe que la bureaucratisation des organisations et des
institutions aboutit à des dysfonctionnements sociaux.
En France, Michel CROZIER et de nombreux sociologues des organisations sont plus ou moins
directement inspirés par le fonctionnalisme de MERTON, plus que par celui de PARSONS. L’objet des
diagnostics sociaux et organisationnels se trouve ainsi déplacé du côté des phénomènes de
bureaucratisation et de ses effets. Mais dans tous les cas, il s’agit toujours de soigner la société en
provoquant des ajustements et des réformes, pour garantir la pérennité de l’ordre et de la cohésion
sociales, mais en jouant sur les dynamiques de changement et non pas sur la conservation des
traditions.
Les approches dites systémistes inspirées par la théorie générales des systèmes de Ludwig VON
BERTANLANFY (1966), vulgarisées par notamment Joël DE ROSNAY, reprises dans le champ des
sciences sociales de façon différente par des auteurs tels que Edgar MORIN ou Yves BAREL, doivent
aussi être prises en considération au titre des théories implicites sur lesquelles prennent souvent appui
les démarches de diagnostic.
Elles s’apparentent au fonctionnalisme voire à l’organicisme, chez certains vulgarisateurs.
Mais elles sont originellement extérieures à la sociologie. Elles transcendent les frontières entre
sciences sociales et humaines, biologie, physique, cybernétique, thermodynamique, écologie etc.
Il s’agit d’une manière générale d’étudier des systèmes et éco-systèmes vivants qui produisent les
entités humaines ainsi que les systèmes technologiques qui sont eux-mêmes produits par les hommes.
Les caractéristiques communes qui sont établies pour rendre compte du fonctionnement de ces
différents types de systèmes proviennent d’un raisonnement analogique. Ainsi, en découle une
controverse autour de la spécificité des systèmes sociaux et culturels humains par rapport aux systèmes
biologiques, physiques et technologiques.
Les approches systémistes reposent sur une vision circulaire des relations entre les différents éléments
qui composent les systèmes, que désigne le concept de réseau. Ces relations sont ainsi qualifiées
d’interactions dynamiques : actions, rétroactions ou feed back.
Cette vision circulaire, horizontale et dynamique est assortie d’un principe : le système est plus que la
somme des éléments et des parties qui le constitue. Toute compréhension et toute explication ne
peuvent par conséquent s’opérer que par l’appréhension de la globalité des systèmes et non par la
décomposition des parties qui les constituent.
Pour survivre, le système doit être finalisé, en projet, ouvert sur son environnement, en interaction avec
lui, en transformation, en construction, en dynamique, c'est-à-dire, une succession de phases
d’équilibres et de déséquilibres, de stabilisation et de changement, de régulation et de dérégulation :
stabilité dynamique et équilibre dans le mouvement.
Dans un tel cadre théorique, la démarche de diagnostic social, nourrie des notions de globalité et de
complexité, viserait à détecter à la fois les risques de sclérose et de fermeture des systèmes sociaux et
à identifier les ressources en terme de dynamique et de changement et ce, toujours dans un soucis
d’assurer la survie et la pérennisation dynamique dudit système.
Parler de théorie implicite nous amène donc à pointer un défaut d’explicitation courant dans la pratique
des diagnostics. A l’inverse, nous soutenons que les pilotes, animateurs ou opérateurs de diagnostics
sociaux, organisationnels ou territoriaux, ne sont pas dispensés d’être au clair sur leurs références
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théoriques, de les expliciter et éventuellement, de les interroger, dans une optique plus ou moins
pluraliste, compte tenu de la multiplicité des niveaux de diagnostic possibles.
Partant d’un tel postulat, et écartant toute tentation organiciste, nous proposons une définition élargie du
diagnostic dans le champ qui nous concerne, en tant qu’ensemble de méthodes d’analyse,
d’observations et d’enquête, sans enjeu clinique systématique, et au service de démarches de
changement social, limités et finalisés.
Pourquoi le succès et la généralisation de telles démarches ?
Une première raison nous semble résider dans un processus de technicisation des métiers du travail
social et de l’animation qui va de paire avec leur institutionnalisation, dans une période qui va des
années cinquante aux années quatre vingt du siècle dernier, avec une accélération à partir de cette
décennie.
Ce processus de technicisation accéléré a pour corollaires les mouvements de territorialisation et de
décentralisation de l’action sociale et publique, qui s’accompagnent d’un changement des méthodes de
travail, marqué notamment par les logiques de projet, les exigences d’évaluation et de formalisation des
pratiques, le tout combiné à une recherche permanente de limitation des dépenses publiques que
traduisent les notions d’efficacité des dépenses sociales et d’efficience.
Plus paradoxalement, on assiste à un double mouvement de professionnalisation et de déprofessionnalisation, variable selon les milieux professionnels qui constituent le champ de l’action
sociale. Ce double mouvement est en grande partie impulsé par les pouvoirs publics. Il se traduit par un
la recherche d’un partenariat élargi entre les professionnels du social et de multiples opérateurs et
décideurs (professionnels extérieurs au champ des professions sociales et éducatives, bénévoles
associatifs, élus locaux…). Il se traduit aussi par l’injonction à impliquer les habitants et les usagers qui
sont sommés de ne plus tout attendre de l’Etat. Ainsi, l’action sociale ne doit plus être que la seule
affaire des professionnels, lesquels doivent travailler à l’autonomie individuelle et collective des usagers,
acteurs et entrepreneurs de leur vie : le modèle du travailleur social développeur.
Cette façon de faire a toujours été plus ou moins présente dans l’animation, même si elle a été opposée,
au début des années quatre vingt, aux logiques de gestion d’équipements distributeurs de salles et de
prestations socio-culturelles. Pour d’autres professionnels du social et de l’éducation, elle a sans doute
introduit d’avantage de repositionnement.
Les notions d’ingénierie et d’expertise sociales qui émergent il y a maintenant une vingtaine d’années,
symbolisent assurément la technicisation accrue des métiers du social, combinée, on vient de le voir, à
un double mouvement de professionnalisation et de déprofessionnalisation. Elles représentent
indéniablement la transposition dans le social d’un langage d’entreprise industrielle et marchande.
Mais leur généalogie apparaît complexe, entre la filiation conservatrice et paternaliste de LE PLAY
(courant du XIXe siècle) et l’apport beaucoup plus récent des mouvements du développement social et
du développement local qui ont cristallisé des aspirations à un développement qualitatif, ascendant et
participatif de la société, résultant d’une critique intellectuelle et sociale de l’étatisme autoritaire. Dans ce
mouvement démocratique et anti-autoritaire, les mouvements d’éducation populaire ont assurément joué
un rôle pour impulser et mettre en œuvre des changements sociaux sur le terrain.
Frédéric LE PLAY (1806, 1882) était polytechnicien et ingénieur des mines. Il fut un des pionniers de la
sociologie, auteur d’enquêtes sur le monde ouvrier. Il réalisa notamment plusieurs enquêtes pour le
gouvernement de Napoléon III.
LE PLAY était un catholique fervent, conservateur, paternaliste, défenseur d’un ordre social traditionnel
mais aussi partisan de réformes sociales pour améliorer les conditions de vie morales et matérielles de
la classe ouvrière, avec pour visée politique d’empêcher les explosions sociales. (A. SAVOYE, 1998,
2008)
V. DE GAULEJAC., M. BONETTI, J. FRAISSE (1989) actualisent considérablement le concept
d’ingénierie sociale en le rattachant aux démarches de développement social et local. Ils mettent en
valeur les composantes associatives qui ont porté ces démarches, dont les mouvements d’éducation
populaire, avec des principes d’action spécifiques : approche globale, associer les habitants et les
usagers, les faire participer à la gestion de ce à quoi ils ont été associés, décloisonner le travail social,
adapter la gestion des organisations et institutions à ces démarches. Les Centres Sociaux par exemple
se situent tout à fait dans ce mouvement.
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Plus largement, le développement social et local s’inscrit dans un ensemble d’aspirations sociales et
politiques, que soutien une théorie telle que celle d’HABERMAS (philosophe et sociologue allemand
contemporain), à propos de ce qu’il appelle une communication inter-compréhensive. Cette forme de
communication, à valoriser dans les pratiques sociales et politiques, vise à un accord et à un
assentiment rationnellement partagés entre les citoyens. Elle est donc à la source des démarches de
démocratie participative qui s’opposent à des démarches autoritaires ou de manipulation renvoyant à
des formes de communication stratégiques.
Un numéro de la revue POUR de 1988 porte précisément sur les concepts d’ingénierie et d’expertise
sociales. J. DONZELOT y évoque l’entrée en politique de l’action sociale qui s’accompagne de nouvelles
méthodes de travail, dans le cadre de la décentralisation, avec un rôle déterminant des élus locaux et la
valorisation d’une action sociale moins spécialisée et plus collective. Pour sa part L. DUBOUCHET
englobe sous le vocable « technologies sociales », le partenariat, la contractualisation, la gestion
prévisionnelle, l’évaluation, la méthodologie de projet, le diagnostic social et local, les démarches
d’entreprises sociales etc.
Des principes méthodologiques spécifiques
Dans les démarches de diagnostic, il s’agit de déterminer des objets et des leviers sur lesquels il est
possible de produire de la connaissance pour agir, avec les populations et les groupes sociaux les plus
directement concernés, à des échelles qui restent à définir. Se pose donc d’emblée la question des
limites de telles démarches.
Nous pouvons en premier lieu, établir une proximité certaine entre diagnostic, monographie et
recherche-action
La recherche-action a pour objectif de susciter, chez des acteurs sociaux, une prise de conscience des
conditions du changement ou de l’innovation (J. GUIBERT, G. JUMEL, 1997). Pour ce faire, ces acteurs
sociaux sont appelés à participer à la recherche menée et à se former. Les modalités de la recherche
sont donc définies collectivement et non pas par le seul chercheur, ce que désigne la notion de
chercheur collectif (R. BARBIER, 1996). Le chercheur est donc engagé dans la démarche de
changement et il est, en même temps, garant d’une certaine objectivité ou objectivation ainsi que d’une
qualité scientifique de la démarche.
Les différentes modalités de la recherche-action sont, selon R. BARBIER l’expérimentation,
l’action/formation et l’évaluation.
La monographie renvoie à l’étude approfondie d’une entité sociale restreinte (famille, organisation,
activité, territoire restreint…) sous différents aspects. Elle repose sur une méthode empirique.
L’objectif consiste à comprendre la totalité d’un système. Chez LE PLAY, cette démarche s’inscrivait
dans une perspective d’aide à la décision politique, dans une double optique de contrôle social et de
réforme sociale.
Le diagnostic combine plus ou moins les caractéristiques de ces deux types de recherche. Il peut être
qualifié de « partagé » lorsque les problèmes (organisationnels, sociaux, politiques, territoriaux,
économiques…) sont formulés collectivement par la confrontation organisée de différents points de vue,
émanant de décideurs, d’acteurs professionnels et bénévoles, de représentants des habitants et des
usagers, en mettant en place les espaces et les instances adéquats. Ces différents points de vue
d’acteurs sont eux-mêmes confrontés à un recueil de données résultant de travaux d’enquêtes
documentaires, statistiques, ethnographiques, par entretiens etc.
La restitution des résultats de ces diverses confrontations et objectivations est élargie, participative et
soumise au débat public, le tout, en vue d’un projet partagé, censé répondre à ce qui ressort de ce
diagnostic partagé. Par conséquent, le diagnostic fait bel et bien parti de l’action. Il s’agit de produire de
la connaissance tout en construisant un système d’action et d’intervention et donc, en repérant et en
mobilisant les ressources d’une organisation ou d’un territoire pour agir sur des problèmes identifiés en
commun. Et qui dit diagnostic partagé dit expertise partagée, y compris, par les destinataires des projets
et des actions. Ce qui n’enlève en rien la nécessité d’un garant scientifique extérieur, mais lequel ne
détient pas le monopole de l’expertise légitime.
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Problèmes et besoins constitutifs de la démarche
Identifier un problème ou en ensemble de problèmes, passer de constats plus ou moins partagés à une
démarche de formulation de problèmes, mobiliser des savoirs pour les comprendre et les expliquer :
ainsi peuvent être caractérisées différentes opérations constitutives des démarches de diagnostic. D’où
la nécessité d’expliciter les modèles théoriques de référence et de situer les problèmes dûment formulés
et éclairés, dans différents registres: sociaux, culturels, psychologiques, organisationnels, institutionnels
etc.
Ce qui renvoie au travail de catégorisation et de classification. Il s’agit aussi, par là même, de
réinterroger les catégorisations politico-administratives qui déterminent les critères de ciblage des
territoires et des populations, avec tous les effets que cela produit.
Le diagnostic apparaît donc comme un processus de recherche participative à visée opérationnelle qui
va de constats de départ plus ou moins partagés, aux questionnements de fond, en passant par une
phase de problématisation, jusqu’aux hypothèses d’action.
Dans ce type de démarche, les besoins (de populations) constituent souvent la base de construction
d’une problématique de recherche et d’action.
Mais de quels besoins parle-t-on, comment les définir et les hiérarchiser, qui les définit, les hiérarchise et
aussi, les crée, les oriente, les structure ?
Ce qui implique d’emblée de ne pas tomber dans l’attitude naïve qui consisterait à réduire les besoins à
l’état de nature et à une quelconque expression spontanée.
Parler de besoins renvoie là aussi à certains modèles théoriques qui visent à les classifier, à en
comprendre et en expliquer les ressorts, dans les champs de la psychologie et de la psychologie sociale
notamment.
Dans sa dimension d’étude de besoins, et aussi, à d’autres niveaux de problématisation et d’action, le
diagnostic peut être considéré comme partie prenante d’un travail de conscientisation, c'est-à-dire, aider
des populations à prendre conscience de besoins nouveaux ou émergents, par comparaison notamment
à d’autres contextes, et à les traduire en actes, c'est-à-dire, à passer des besoins potentiels à une
demande effective.
Mais dans le travail de formulation et d’éclairage de problèmes et de besoins que constitue la démarche
de diagnostic, dans un contexte donné, ne se heurte-t-elle pas aux cadres hyper-normatifs que
représentent parfois les appels d’offre et les divers cahiers des charges ? Quelle démarche heuristique
et quelle créativité collective restent possibles dans de tels cas de
figure ?
Délimitation et dimensions du diagnostic
Les diagnostics dont il est question ici portent sur des populations, des organisations et des territoires.
Dans tous les cas, ils prennent en compte les politiques publiques, ou, en d’autres termes,
l’environnement politique et institutionnel ainsi que les milieux professionnels et d’une façon générale,
les réseaux d’acteurs.
Des méthodes d’investigation plus ou moins spécifiques vont devoir être utilisées selon les dimensions,
les registres et les objets des diagnostics.
Par exemple, sur les populations, il sera question de caractéristiques socio-démographiques et socioéconomiques « objectives », à exploiter, de pratiques culturelles, à observer et à objectiver, par
méthodes d’entretiens ou d’observation ethnographique, de données médicales, psychologiques ou
cognitives, qui résultent de catégories pré-construites à réinterroger, de parcours et d’histoires
d’individus à recueillir.
Sur les organisations et les institutions, on procédera plutôt, dans le recueil de données, par analyse
documentaire, entretiens et observations sur des registres historiques, légaux, fonctionnels, relationnels.
Parmi les différentes modalités de diagnostics, le diagnostic territorial apparaît relativement spécifique. Il
représenterait en quelque sorte un condensé de toutes les dimensions, registres et méthodes définis
précédemment. Il pose particulièrement un problème de délimitation, dans la mesure où un territoire
résulte d’une construction plus ou moins arbitraire, mais qui peut être ancrée historiquement et
socialement vécue et partagée. La délimitation peut passer notamment par le croisement d’un thème
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(relatif à une population ou une activité sociale et économique particulière) et d’un contexte territoriale
dans lequel l’objet précis d’observation se situe. Mais il existe aussi des diagnostics territoriaux globaux
qui porte sur toutes les dimensions (populations, tissu économique, institutions, environnement
physique, réseaux d’acteurs etc.). Le risque serait alors d’appeler diagnostic un inventaire aboutissant
tout de même à identifier les points forts et les points faibles, les difficultés et les atouts du territoire.
Ce qui nous amène à pointer qu’un diagnostic, quel qu’il soit, ne porte pas seulement sur ce qui va mal.
Mais a vouloir traiter les problèmes par tous les bouts à la fois, ne risque-t-on pas d’aboutir à la fois à la
prétention excessive et en définitive, à l’impuissance opérationnelle ?
Qui trop embrasse mal étreint !
Différents paramètres entrent habituellement en compte dans la construction d’une problématique, dans
le cadre d’une démarche de diagnostic territorial. Ce que l’on a vu précédemment à propos des
différentes dimensions et de différents registres des démarches de diagnostic en général peut tout à fait
y être mobilisé et condensé.
Mais quelques paramètres peuvent être pris en compte plus spécifiquement :
- territoire = espace possible de ressources
- territoire = entité à géométrie variable
- territoire = processus et configuration (et donc, histoire)
- territoire = tissus organisationnel et système d’acteurs
- territoire = une certaine morphologie (caractéristiques géographiques, spatiales et sociales
particulières)
- territoire : à comparer avec d’autres
De multiples données (dont statistiques) y sont donc mobilisées, émanant de sources diverses et de
multiples opérations de recherche à réaliser (cf. démarche de type monographique). Elles sont
réinvesties en quelque sorte, après lecture, exploitation, analyse, dans le débat public et dans l’action.
Nous pouvons remarquer au passage que les données statistiques sont souvent accessibles,
aujourd’hui, sur de multiples sites internet. Ceci facilite bien évidemment le travail. Mais les sources
tendent à se multiplier, à s’émietter, dans un jeu de concurrence ou en tout cas, de non coordination,
entre bases de données. Ce qui rend les recoupements difficiles voire parfois impossibles, de même
pour les analyses longitudinales et diachroniques.
Une autre remarque pourrait porter sur la modélisation et la formalisation des dispositifs de pilotage et
de suivi des diagnostics territoriaux, sur la place des habitants, dans ces dispositifs formels et sur la
prise en compte de la spécificité et la singularité de chaque territoire.
Dans ces cadres parfois lourds et rigides, le pouvoir des professionnels, des habitants militants hyperformés (toujours les mêmes) et des technostructures administratives, pèse fortement. Et la tendance est
bien souvent au verrouillage des démarches sous couvert de rigueur méthodologique. Ce qui renvoie
aussi à la contradiction entre démarches ascendantes, émanant des acteurs de terrain avec les
populations qui vivent dans les territoires, et démarches descendantes, normalisés et standardisées,
émanant des élites administratives et politiques (« top down » versus « bottom-up »).
Dans ce registre du diagnostic territorial global, la modélisation « systémique » des démarches inscrites
dans le cadre des politiques françaises et européennes de développement territorial, social et
« durable », tend à imposer d’emblée un cadre théorique, méthodologique et aussi, politique et
idéologique, qui contraint les opérateurs. Nous sommes là dans le domaine des bonnes pratiques et de
la bonne gouvernance territoriale. Dans ce cadre normalisé, les bonnes réponses ne risquent-elles pas
déjà d’être formulées avant les bonnes questions ?
Joël BARTHELEMY
Novembre 2009
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Bibliographie
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Paris,
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Internationales
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