Croissance économique, emploi et pauvreté au Cameroun
Par
TALLA FOKAM Dieu Ne Dort (Étudiant en Ph.D). Faculté des Sciences Économiques et de
Gestion, Université de Dschang (Cameroun).
[email protected] , Tel : (+237) 695 15 62 48
FOTSO KOYEU Prevost Fourier (Étudiant en Ph.D). Faculté des Sciences Économiques et de
Gestion, Université de Dschang (Cameroun).
[email protected] , Tel : (+237) 694 20 20 99
Résumé : L’objectif de cette recherche est d’examiner l’importance du marché du travail (via
l’emploi) dans la transmission de la croissance économique à la réduction de la pauvreté au
Cameroun. A cet effet, nous calculons dabord lintensité en emploi de la
croissance économique ; ensuite, nous l’intégrons dans un modèle pour établir le lien entre cette
intensité en emploi de la croissance économique et l’évolution de la pauvreté. Les résultats
montrent que l’emploi est sensible à la croissance économique au Cameroun. Cependant, ces
emplois ne sont pas favorables à la réduction de la pauvreté. Les politiques de réduction de la
pauvreté doivent par conséquent veiller à la qualité des emplois.
Mots clés : Marché du travail, croissance économique, pauvreté, emploi
1. Introduction
La croissance économique reste un enjeu majeur de développement, même dans les nouvelles
théories de développement telles que la théorie Capacités/fonctionnement de Sen (1999),
l'accent est plus mis sur les opportunités qu'une société offre aux individus qu'au revenu
monétaire. Mais la connaissance des mécanismes par lesquels elle transite vers l'amélioration des
conditions de vie, notamment celles des populations pauvres est essentielle pour élaborer les
politiques économiques. Or ces mécanismes varient d'un contexte à un autre.
Dans certains contextes, la croissance économique se diffuse automatiquement au point
il est possible de prévoir le taux de variation de pauvreté suite à la variation de 1% du PIB
(Produit Intérieur Brut). De telles évidences ont été établies à partir des analyses des coupes
transversales entre pays (Dollar et Kraay, 2005), des séries temporelles (Ravallion et Datt, 2002),
ou des résultats d’enquêtes auprès des ménages (Bibi, 2005). Mais, on s’est vite rendu compte
que non seulement les effets de la croissance n’avaient pas la même ampleur d’un pays à un
autre, mais qu’il existe des pays où la pauvreté est absolument insensible à la croissance
économique (Dollar et Kraay, 2005). Le Cameroun appartient à cette dernière catégorie car il a
connu un taux de croissance de 5% en moyenne entre 2001 et 2007 et le taux de pauvreté est
resté presque constant sur la même période, passant de 40,2% à 39,9%.
La transmission par la réduction des inégalités fait suite à la relation triangulaire
croissance-inégalité-pauvreté développée par Bourguignon (2003). Le concept de croissance pro-
pauvre élaboré par Kakwani et Pernia (2000) traduit de façon algébrique cette relation. L'idée
générale est qu'une croissance permet de réduire la pauvreté si elle s’accompagne d’une
réduction des inégalités. Dans le contexte camerounais, les travaux de Baye (2006) ont appliqué
une variété des méthodes de décomposition (Shapley, 1954 ; Datt et Ravallion, 1992) pour
montrer qu’entre 1996 et 2007, la variation de la pauvreté a été essentiellement due à la
croissance économique comparée à l’effet distribution. Malgré son intérêt, le canal de
transmission par l’inégalité reste vague pour être transposé dans les politiques économiques car il
ne renseigne pas sur ce qui aura été à l’origine des variations des inégalités et/ou des revenus des
pauvres.
Le gouvernement camerounais accorde pour sa part une grande importance au marché du
travail pour transmettre les effets de la croissance, car c'est sur ce marché que les pauvres tirent
l'essentiel des ressources nécessaires à l'amélioration de leurs conditions de vie. C’est ainsi que
dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE), il entend ramener le taux
de pauvreté monétaire de 39,9% en 2007 à 28,7% en 2020 et à 10% en 2035. Pour réaliser cet
objectif, il ambitionne de porter le taux de croissance à environ 5,5% en moyenne annuelle au
cours de la période 2010-2020 et de ramener le sous-emploi de 75,8% à moins de 50% en 2020.
Afin d’accompagner le gouvernement dans la mise en œuvre de cette stratégie, la présente
recherche examine l’importance du marché du travail, via l’emploi, dans la transmission de la
croissance économique à la réduction de la pauvreté. Nous voulons de façon globale examiner
sur une même période de temps l’interaction croissance emploi pauvreté. À cet effet, deux
objectifs pratiques sont assignés à cette étude : (i) déterminer les intensités en emplois de la
croissance économique au niveau global et par secteurs d’activités, (ii) déterminer les
contributions de l’intensité en emplois dans les secteurs d’activités sur la variation de la pauvreté
monétaire. Ces objectifs seront réalisés notamment au moyen des méthodes du calcul de
l’intensité en emploi de la croissance économique de Kapsos (2005) et du modèle de Loayza et
Raddatz (2009) qui permet de faire le lien entre l’intensité en emploi de la croissance
économique (globale et sectorielle) et la réduction de la pauvreté.
Le reste du papier est articulé comme suit : la section 2 présente la revue de la littérature
sur les interactions entre la croissance, l’emploi et la pauvreté. La section 3 définit le cadre de la
recherche empirique. La section 4 est consacrée à la méthodologie. La section 5 présente les
résultats et les discute et la section 6 conclut en insistant sur les implications de politique
économique.
2. Revue de la Littérature
Dans le cadre de la revue de littérature, nous cherchons les réponses aux deux questions
suivantes : (i) pourquoi les secteurs connaissent-ils des taux de croissance différents dans une
même économie ? et (ii) pourquoi les croissances sectorielles ont-elles des effets différents sur la
pauvreté ?
Par rapport à la première question, la plupart de modèles de croissance (Barro, 1991)
envisagent une agrégation de la croissance au niveau national. Cette orientation ne convient pas à
la poursuite de nos objectifs car le marché du travail est souvent segmenté (Mark et Vallée, 1996)
et ses différents secteurs croissent aux taux différents pour des raisons explicitées par trois types
de modèles. Le premier type est constitué par les modèles de l'économie dualiste qui ne
reconnaissent que deux secteurs économiques dont les taux de croissance dépendent des phases
de développement. Au premier stade, le secteur agricole a un taux de croissance très élevé parce
qu'il doit fournir des capitaux au secteur industriel. Au second stade, les taux de croissance des
deux secteurs s'inversent car l'agriculture joue un rôle subsidiaire. Le fait de considérer
seulement ces deux secteurs réduit la portée de ces modèles. De plus les études empiriques,
même dans les pays africains tels que la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Zimbabwe ont plutôt établi
des interactions à court terme et une relation de long terme entre la croissance agricole et la
croissance industrielle (Blunch and Verner, 1999). Ce qui est contraire aux hypothèses de
l'économie dualiste. Le second type est constitué par les modèles multisectoriels de croissance
postkeynésiens (Kaldor, 1956), où la distribution des revenus détermine la demande qui est
l'élément essentiel de la croissance à travers l'épargne et l'investissement. Une désagrégation de
ces variables macro-économiques dans le cadre d'un modèle multisectoriel par Araujo et Teixeira
(2010) montre que le taux de croissance de chaque secteur d'activité est essentiellement
déterminé par le taux de croissance de sa demande, de ses profits et de ses investissements. Le
troisième type est constitué par les modèles de croissance multisectoriels néo-classiques qui
considèrent que toutes les branches d'une économie peuvent être regroupées en trois secteurs
dont le secteur agricole, manufacturier et des services par souci d'homogénéité. La croissance de
la production de chaque secteur est guidée par le principe de rationalité des producteurs qui ont
la rentabilité de la production à maximiser et les coûts des facteurs à minimiser. Terry et al.
(2009) expliquent davantage que la rentabilité de la production de chaque secteur dépend de la
maximisation de la fonction d'utilité des consommateurs sous la contrainte de leur budget et des
prix. Mais elle dépend aussi des prix extérieurs pour l'agriculture et la manufacture qui exportent
leurs produits. Malgré tout, les résultats les plus détaillés sont ceux de Jensen et Larsen (2004)
par application du système d'équilibre walrasien sur la fonction de production CES (Constant
Elasticity of Substitution). Ils démontrent que la croissance d'un secteur dépend de deux types de
facteurs. Les facteurs exogènes que sont : l'investissement, la croissance de la population, de la
productivité et de la demande y compris la demande extérieure et la demande gouvernementale.
Les facteurs endogènes comprennent notamment l'élasticité de substitution entre le capital et le
travail et la productivité des facteurs.
Par rapport à la seconde interrogation qui porte sur le différentiel de transmission des
effets des croissances sectorielles à la réduction de la pauvreté, la revue de littérature propose
que, cette transmission puisse se faire par le revenu ou par l'emploi. Suivant la transmission par
le revenu, trois types d'explications existent : selon l'approche par la maximisation des profits, les
salaires sont inversement proportionnels à la productivité marginale du travail; car lorsque celle-
ci augmente, cela signifie qu'il y a baisse de demande de travail et les salaires baissent aussi
(Gary, 2004). Selon l'approche par le progrès technique, le modèle multisectoriel d'Aghion
(2002) montre que la croissance des secteurs est liée à leurs innovations respectives. Celles-ci
déterminent la productivité des facteurs et on peut avoir des modifications de l'inégalité des
revenus inter ou intra-travailleurs selon qu'ils sont qualifiés ou non. Selon les modèles du salaire
d'efficience (Kugler, 2002), les salaires sont déterminés par la productivité totale des facteurs et
le tur-over du personnel ; de sorte que les postes il y a une grande rotation du personnel sont
les plus rémunérés. Malgré son intérêt, la transmission de la croissance par le canal des salaires
est difficilement mesurable, étant donné que plusieurs facteurs autres que ceux liés à la
rationalité influent sur les salaires. C'est pourquoi ce canal n'est pas retenu dans cette recherche.
La transmission des croissances sectorielles sur la pauvreté par l'emploi est le canal le plus
pertinent et a deux types d'explications. Dans l'optique de la croissance endogène au sens de
Schumpeter, Aghion et Howitt (1992) montrent que lorsque la croissance est essentiellement
portée par le progrès technique, le processus peut générer un haut niveau de chômage durant les
périodes les nouvelles technologies remplacent les anciennes. Mais à long terme, la
croissance est favorable à l’emploi (Ericksson, 1997). À l'aide d'un modèle multisectoriel de
croissance la productivité totale des facteurs diffère suivant les secteurs, Ngai et pissarides
(2005) démontrent que la croissance entraîne une restructuration de l'économie avec deux types
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