L`histoire saisie par le management. Entre pratiques du passé et

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UNIVERSITE DE PARIS IV — SORBONNE
Ecole doctorale Concepts et Langages
Celsa
Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information et de la Communication
THESE
pour obtenir le grade de
Docteur de l’Université de Paris IV — Sorbonne
en Sciences de l’Information et de la Communication
sous la direction de Mme Véronique RICHARD.
soutenue publiquement le 17 mars 2008 par
Julien TASSEL
L’histoire saisie par le management.
Entre pratiques du passé et exercice du pouvoir managérial.
L’exemple du Groupe Caisse d’Epargne.
devant le jury composé de :
M. Pascal GRISET — Université de Paris IV — Sorbonne,
M. François HARTOG — Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales — Paris,
Mme Sophie PENE — Université de Paris V — René Descartes,
Mme Véronique RICHARD — Université de Paris IV — Sorbonne,
M. Jacques WALTER — Université Paul Verlaine — Metz.
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Julien Tassel
Université Paris IV—Sorbonne.
Celsa.
Lhistoire saisie par le management.
Entre pratiques du passé et exercice du pouvoir.
Lexemple du Groupe Caisse dEpargne.
Position de thèse en Sciences de lInformation et de la Communication.
Sous la direction de Madame le Professeur Véronique Richard.
Lentreprise contemporaine entretient avec son passé une relation ambiguë. Si
lhistoire intéresse lorganisation comme instrument de connaissance et la séduit
comme objet de représentation, si elle apparaît comme un capital exploitable quil
convient de préserver, denrichir et de transmettre, la tentation demeure forte pour
lorganisation de la disqualifier et de la reléguer par métonymie à ce quelle considère
être son domaine détude, le passé, dont elle souhaite sinon faire table rase, du
moins se distinguer. Dans cette perspective, lhistoire ne concernerait lentreprise
que de très loin et constituerait, au gré des critiques, un savoir bien trop érudit pour
être utile ou un divertissement incapable de servir la stratégie de lentreprise. Dans
tous les cas, lhistoire serait indigne dêtre sollicitée par le management.
De nombreuses entreprises se sont néanmoins risquées à se pencher sur leur
histoire, ou à accepter quon sy penche. Lexistence de champs de recherche
universitaire consacrés à lhistoire des entreprises et des institutions, celle de
sociétés de conseils spécialisées dans la recherche historique ou la gestion des
archives, la création de comités dhistoire au sein dautres entreprises témoignent de
cette possibilité et soulignent lapparent paradoxe dune entreprise qui décide de
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fonder une activité, de consacrer du temps et de largent à faire ou à faire faire
son histoire.
Lobjet de cette thèse est danalyser ce qui se joue dans ce geste peu évident dune
attention portée au passé et à la durée, dune production organisationnelle ou
managériale de lhistoire.
Cette volonté implique de sintéresser à ce que les entreprises qualifient elles-
mes comme relevant du domaine de lhistoire et aux pratiques qui y sont liées.
Ceci oblige à considérer des activités diverses, hétérones, dont le caractère
historique nest pas avéré par lhistoriographie académique et dont il sagit de
restituer les enjeux.
Dès lors, pour tenir cette posture, il faut admettre que la définition de lhistoire
adoptée dans ce doctorat ne soit ni ontologique elle ne prétend pas définir ce que
lhistoire « est » ni normative elle ne dit pas ce que lhistoire « doit être »
mais dordre pragmatique. Est défini comme histoire ce que, dans leurs pratiques, les
acteurs étudiés dont lactivité est effectivement de se consacrer à la production
dune histoire managériale posent comme tel. La définition adoptée est également
différentielle : lorsque sont distinguées une « histoire académique » et une « histoire
managériale », chaque terme vaut par rapport à lautre comme manière de qualifier
des formes différentes de
prétention
à être de lhistoire.
En conséquence, lanalyse se concentre sur lendroit précis cette pratique de
lhistoire en entreprise est rendue la plus problématique. Elle se consacre à la
pratique managériale de lhistoire et non à la pratique académique même si les
managers travaillent avec les historiens.
La volonté détudier ces dimensions a rencontré la spécificité dun terrain denquête
lorsque jai eu la possibilité danalyser ce qui était à lœuvre dans le Groupe Caisse
dEpargne. Héritier dune longue histoire la première caisse dépargne fraaise
est créée en 1818 —, le Groupe Caisse dEpargne paraissait propice à la vérification
de ces hypothèses par une enquête de terrain ethnographique approfondie. Les
métamorphoses que vivait cette organisation mont amené à observer des pratiques
de lhistoire plus spécifiquement liées à ce contexte de transformation. La découverte
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dun comité dhistoire a entraî la focalisation de la recherche sur ce lieu
dinstitutionnalisation pouvant illustrer le paradoxe évoqué.
La pratique du terrain ethnographique sest déroulée de janvier 2003 à juin 2007. Elle
ma permis dobserver un certain nombre de lieux et de situations, de la union
daccueil de nouveaux arrivants à la séance de formation, du colloque sur lhistoire
des caisses dépargne européennes à une galette des rois de bienvenue après une
fusion, de réunions de travail à la « grand messe » médiatique, de luniversité
dentreprise au quotidien des bureaux. Elle ma amené à investir plusieurs espaces,
à Paris, en Île-de-France et en province (Grenoble, Tours, Amiens…) et a permis,
par la réalisation dentretiens sous forme de récits de carrière et la collecte de
documents, de situer les enjeux liés à la production dune histoire managériale.
Dans linterrogation de cette histoire, plusieurs perspectives ont été dessinées :
La première montre que la pratique managériale de lhistoire est paradoxale. Parce
quelle ne répond pas uniquement aux enjeux qui sont ceux de lhistoire académique,
elle fait entrer en tension les objectifs propres quelle se fixe en termes de
management ou de politique dentreprise et les modèles historiographiques
académiques qui définissent habituellement ce qu « est » lhistoire. Lhistoire
produite, comme résultat de cette pratique, entre quant à elle en contradiction avec
les définitions académiques de lhistoire, comme savoir « objectif » sur les hommes
dans le temps. anmoins, la pratique managériale de lhistoire ne peut exister sans
pratique académique, soit que celle-ci lautorise, soit que les managers fondent leur
propre pratique sur celle des universitaires. Une première hypothèse pose ainsi que
lhistoire étudiée est paradoxale. Comme pratique ou comme résultat de cette
pratique, lhistoire en entreprise diffère de lhistoire académique. Ainsi, cette
hypothèse engage sur la distance couverte par cette thèse un travail de définition et
de comparaison entre histoire académique et histoire managériale.
En prenant acte de cette relation, la deuxième perspective tente de décrire ce qui est
à lœuvre entre ces deux univers. A travers lévocation concrète du mode de
fonctionnement dun comité dhistoire propre à lorganisation étudiée, ce sont les
relations entre le monde acamique et celui de lentreprise autour de lobjet
« histoire », qui seront décrites. Dans la restitution de lenquête, le point de vue des
managers est privilégié, dans la mesure il est apparu que de nombreux articles et
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ouvrages de méthodologie ou dhistoriographie posaient déjà, du point de vue des
historiens, les difficultés des partenariats avec les entreprises. Une deuxme
hypothèse montre ainsi que cette histoire est un outil de management manié lui-
me de manière paradoxale. Il sagira dinterroger la manière dont les managers
rencontrés transforment lhistoire et les institutions chargées de la produire en
instruments productifs, au service de lorganisation.
La troisme perspective interroge ce quil advient de lhistoire dans lespace de
lentreprise. Elle tente de pondre à la question de son utilité, dans cet espace
finalisé. Une dernière hypothèse, plus directement issue du travail de terrain, pose
que cette histoire est saisie par les managers comme instrument de changement.
Plus quune interrogation sur « lhistoire
d
entreprise », en tant que genre historique,
mode managériale ou mouvement social, ou quun questionnement sur « lhistoire
de
lentreprise » comme production scientifique des faits qui ont constitué lentreprise,
ce travail entend interroger la place de lhistoire
en
entreprise. Il tente de cerner ce
qui se passe lorsque lhistoire est saisie par le management. Quon sen empare
comme on saisit un territoire ou quon la comprenne comme on saisit une idée, quon
sen saisisse pour la mieux maîtriser ou quelle nous saisisse et nous obsède, il nest
pas dacception qui ne pose la question des transformations que cet acte opère à la
fois sur lobjet saisi et sur celui qui sen saisit. Aussi la question sous-jacente est-elle
celle des rapports de force à lorigine de la production du savoir. Dans cette mesure,
faire de lhistoire en entreprise, nest-ce pas pour les managers exercer une forme de
pouvoir ?
Cette approche demande de construire un cadre théorique qui emprunte aussi bien à
lhistoriographie quà lanthropologie, à la philosophie quaux sciences de
linformation et de la communication.
A lhistoriographie, il emprunte en particulier la notion dopération historique et
lattention portée à linscription du savoir historique et scientifique dans un lieu
(Michel de Certeau). Des questionnements plus spécifiques liés à lhistoire
dentreprise ont également été mobilisés, quil sagisse de saisir les débats que celle-
ci a soulevés (Henry Rousso, Olivier Dumoulin), les opportunités quelle offre (Guy
Thuillier, Félix Torrès) ou les enjeux quelle soulève en termes de production de
lhistoire ou de relation avec lunivers de lentreprise (Florence Descamps).
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