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Mais qui était Gaston Jèze ? Pour en avoir une première et fidèle image, il suffit de reprendre le
résumé de sa carrière universitaire :
Gaston Jèze naît à Toulouse en 1869. C’est dans la Ville Rose qu’il étudie le droit, puis qu’il obtient son
doctorat en 1892. Comme le veut alors l’usage, il soutient deux thèses, l’une en droit romain (« Les lois
agraires sous la République »), l’autre en droit civil (« L’interprétation de l’article 1408 du Code
Civil »). Il essuie deux échecs au concours d’agrégation de droit, en 1897 et en 1899. Il est finalement
reçu en 1901. Commence alors pour lui une brillante carrière d’universitaire qui s’étale sur plus d’un
demi-siècle, et dans laquelle le droit public et la science des finances tiennent une place centrale.
D’abord nommé à Lille comme chargé de cours, puis comme professeur en 1905, il intègre la faculté de
Paris en 1909. Enseignant essentiellement le droit public en 3e année (en fait, le droit administratif) et
les finances publiques, il y reste jusqu’en 1937.16
Plutôt que de reprendre tous les éléments du dossier politique, il suffit de rappeler que
Jèze fut l’un des rares professeurs de droit public à avoir défrayé la presse, en 1936, quand il
défendit devant la Société des Nations la cause du Négus et de l’Éthiopie envahie par l’Italie
mussolinienne. Il est alors vigoureusement attaqué par les étudiants nationalistes et royalistes
qui empêchent la tenue de ses cours à plusieurs reprises. L’affaire a été remarquablement
traitée par Marc Milet et il suffit d’y renvoyer le lecteur17. Elle est intéressante car elle pose le
problème de l’indépendance du professeur d’Université dans son activité de consultant qui peut
le mettre en porte-à-faux par rapport à l’État dont il est un des fonctionnaires18.
On se bornera ici, quitte à revenir un peu plus loin sur sa marginalité politique, à
évoquer la dimension scientifique de sa carrière. Il s’y illustre dans deux domaines distincts : le
droit administratif et les finances publiques. Concernant le droit administratif, il faut
mentionner deux ouvrages qui font encore autorité aujourd’hui : d’une part, les Principes
généraux du droit administratif, qui connaît trois éditions de 1904 à 1925, et qui passe d’un
16 David Maslarski, « La conception de l’État chez Gaston Jèze », Jus Politicum, n° 3 (revue électronique), p. 1.
Jèze est agrégé en 1901, après deux échecs au concours, par un jury présidé par Louis Renault et dans lequel
figuraient comme membres du jury Léon Duguit et Carré de Malberg. Chargé des fonctions d'agrégé à Paris en
1909, il est nommé professeur-adjoint en 1912 puis Professeur titulaire en 1918.
17 Cette affaire « fait suite à l’intervention du publiciste comme conseiller auprès du Négus dans la crise italo-
éthiopienne lors des discussions qui se tinrent au conseil de la SDN à Genève en septembre 1935 et à l’invasion de
l’Éthiopie par l’armée mussolinienne quelques semaines plus tard, les étudiants royalistes pourfendant, sous le
couvert d’un pacifisme qui dénonce les va-t-en-guerre (“Jéze sac-à-dos”), l’intervention d’un “professeur
dénationalisé”, de “l’anglo-éthiopien Jèze”, à l’encontre d’un “pays ami”, de celui qui a outrepassé ses droits et
oublié les devoirs inhérents à sa fonction. » M. Milet, Les professeurs de droit citoyens. Entre ordre juridique et
espace public, contribution à l’étude des interactions entre les débats et les engagements des juristes français
(1914-1995), thèse pour le doctorat de Science politique, Université Paris II, 2000, dactyl., p. 146.
18 Voir la présentation de ce débat par Marc Milet dans sa thèse précitée, p. 166-168.
O. Beaud : L'œuvre de Gaston Jèze...