154 J. MAMBWINI
KTVUILA-KIAKU
Contrairement à Cicéron, pour qui le thème de la recherche de la
gloire est devenu presqu'une obsession, tant il vrai qu'il le clame tout haut10,
Tacite a,
semble-t-il,
voulu rester discret et, du même coup, tenter d'élaborer
sa propre "philosophie de la gloire", laquelle devrait être mise en rapport
non seulement avec le "beau"11 mais aussi avec l'utile. Cependant, lorsqu'il
déclare sans ambages "nobis in arto et
inglorius
labor",
on est en droit de se
demander de quelle "gloire" il
s'agit.
Etant donné que l'idée comprise dans
cette déclaration trouve sa force et son explication dans un idéal capable de
le guider dans sa "labor" d'historien, un idéal d'humanité auquel obéit la
conception romaine de l'immortalité, l'on peut croire que la gloria à laquelle
aspire Tacite est celle définie par Cicéron, non pas dans ses Tusculanes III,
2,3,
mais dans le Songe de
Scipion12
et surtout dans son De officiis
11,9,31i3.
Une telle conception de la gloire est porteuse d'une exigence à la fois
politique, philosophique et morale dans la mesure où elle s'accompagne
du.
développement de ce que les Romains appellent
"pudor"14
et "delectatio" des
lecteurs, deux notions qu'on retrouve également au coeur de la "philosophie"
tacitéenne de
l'Histoire15.
10
Cfr. sa correspondance, par exemple
Adfam.,
V, 12,1 sq, Ad.
Ait.,
11,1,2.
11
Pour cette notion, outre A. Michel, Le
Dialogue...op.
cit., voir aussi
M.
Dufrenne,
Esthétique et Philosophie, Paris,
1967,
p. 17-27; J.-P de Crousaz,
Traité du Beau, Paris, Fayard,
1985.
12
Dans le De rep. VI, 23, 25 sq, Cicéron décrit ce qu'il appelle la vraie
gloire. Celle-ci n'est pas liée aux récompenses humaines, mais au véritable honneur,
à la vertu, au désir de l'éternité.
13
Cic, De off., II, 9,
31:
Summa
igitur et perfecta gloria constat ex tribus his:
si diligit multitudo,
sifidem
habet, si
cum admiratione quadam
honore dignos putat.
Ces trois conditions, Cicéron les expliquera dans la suite; attirer l'affection {De off.,
11,9,
32), inspirer confiance {De off., II, 9, 33-35) et susciter l'admiration {De off., II,
10,
36-37).
14
Pour cette notion, cf. Hellegouarc'h, Le vocabulaire latin des
relations
et
des partis politiques sous la République, Paris, 1972, p. 283. Nous connaissons, par
A. Michel, Le Dialogue..., op. cit., p. 190, la place immense que tient, chez Tacite,
la vertu de pudor. C'est elle, écrit-il, qui conduit peut-être aux choix de son style,
car, d'une part, elle oblige Tacite à critiquer les moeurs. Mais, ajoute-il, d'autre
part, elle le détourne d'en rire et, plus encore, de se laisser aller aux trivialités de
Juvénal et de Suétone.
15
Pour la philosophie de Tacite, voir, par exemple, A. Michel, "La causalité
historique chez Tacite",
R.E.A.,
LXI, 1-2, 1959, p. 96-106; Id., "Tacite
a-t-il
une
philosophie de l'histoire?, " Stud.clas., XII, 1970, p. 105-115;
Ibid.,
"Le style de