ÉTUDE DE CAS Une étude de cas sur la maladie d’Alzheimer Par Serge Gauthier, M.D., FRCPC Une femme de 69 ans se présente avec des symptômes de manque de mémoire qui semblent s’aggraver avec le temps. Le médecin traitant doit donc décider du moment opportun pour poser un diagnostic de maladie d’Alzheimer, quand la famille doit être mise au courant, et quelles sont les ressources offertes aux aidants. Antécédents Mme J. est une femme blanche de 69 ans qui présente des symptômes de manque de mémoire. Elle a de la difficulté à se souvenir des noms et de l'emplacement de certaines touches de sa machine à écrire. Ses antécédents médicaux comprennent du zona non compliqué et un traitement par prednisone pour artérite temporale entre les âges de 65 et 67 ans, avec ostéoporose résiduelle. Par conséquent, elle prend des suppléments calciques ainsi qu'une thyrothérapie substitutive à faible dose. Parmi ses antécédents familiaux, nous notons la présence d'un oncle maternel, âgé de plus de 90 ans, qui souffre de démence. Vingt mois plus tard, Mme J. est réévaluée et elle souligne que ses défauts de mémoire se sont aggravés au point de l'«embarasser». Elle a cessé de travailler dans un bureau. Son mari constate qu'elle est rendue plus irritable et nerveuse. Le résultat d'un bilan biologique standard est négatif à l'exception d'une anémie isochrome bénigne. L'examen neurologique révèle une apraxie bénigne se rapportant à un membre. Les tests papier-crayon (MMSE et dessin de l'horloge ; voir Alzheimer's Disease in Primary Care : Gauthier, Burns, Pettit; Martin Dunitz; p. 15) de la fonction cognitive ne présentent aucun signe particulier. Son pointage au mini-examen de l'état mental de Folstein (MMSE) est de 27/30 (considéré comme normal) et son dessin de l'horloge est parfait (figure 1). La première impression diagnostique suppose une incertitude quant à la bénignité des troubles cognitifs (de façon prédominante la perte de la mémoire récente). Vingt mois plus tard, Mme J. est réévaluée et elle souligne que ses défauts de mémoire se sont aggravés au point de l'«embarasser». Elle a cessé de travailler dans un bureau et son mari constate qu'elle est rendue plus irritable et nerveuse. L'examen neurologique révèle que l'apraxie touche dorénavant la bouche et la langue en plus du membre. Elle a maintenant de la difficulté à dessiner l'horloge, ayant inscrit au moins 15 chiffres sans savoir où placer les aiguilles de l'horloge. Le diagnostic de maladie d'Alzheimer (MA) précoce est établie. Un an plus tard, Mme J. est examinée par un spécialiste de MA. Elle a maintenant de la difficulté à trouver certains mots et a besoin de supervision pour s'occuper de ses finances et d'aide pour préparer son repas. Son affect est décrit comme étant triste, et elle a tendance à dormir davantage durant la journée. Une consultation psychogériatrique exclut la dépression. Son pointage au MMSE est de 24/30 et elle a de la difficulté à dessiner l'horloge. On confirme le diagnostic de MA, se situant au stade 4 des 7 stades de l'échelle de détérioration globale (tableau 1). Un an plus tard, Mme J. ne se souvient plus de communiquer les messages téléphoniques bien que ceux-ci soient bien enregistrés. Elle peut toujours composer des numéros de téléphone familiers. En outre, elle a manifesté une désorientation spatiale temporaire dans son appartement de Floride et après avoir visité la maison de son frère. Elle ne cuisine plus, a peur du four et a besoin d'une certaine supervision pour la sélection de ses vêtements. Elle peut toujours rester toute seule pendant plusieurs heures à la fois, ce qui permet à son mari d'aller jouer au golf. Néanmoins, elle éprouve de l'anxiété à l'idée de faire face à des événements imminents. Son pointage au mini-examen de l'état mental est de 20/30. Elle se situe au stade 5 de l'échelle de détérioration globale. Son mari et ses enfants ont entendu parler des nouveaux médicaments pour la maladie d'Alzheimer et espèrent qu'une intervention médicamenteuse pourrait contrôler les symptômes cognitifs de Mme J. Une visite de suivi est prévue. 18 • Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • mars 1998 Questions et commentaires sur la MA Tableau 1 Échelle d’évaluation de la détérioration globale de Reisberg Stade 1 2 Questions : • • • 3 S'agit-il de signes avant-coureurs de MA? Dans ce cas, quelle suite donneriez-vous à votre soupçon de MA précoce? Quand faut-il poser un diagnostic de MA? Commentaires : 4 5 Dans le dépistage de la démence, le médecin de première ligne a divers tests pratiques à sa disposition pour l'aider à distinguer les changements cognitifs reliés au vieillissement normal de la perte de la cognition, signe d'une démence au stade précoce. Le mini-examen de l'état mental de Folstein est un outil standard de dépistage cognitif, mais est limité par le niveau d’éducation. L'administration en série du mini-examen de l'état mental est utile pour faire un tracé chronologique de la perte de la cognition. En outre, le test de dessin de l'horloge est sensible à la démence précoce et, tout comme le mini-examen de l'état mental, offre une occasion de documenter les changements cognitifs pendant l'évolution de la démence. Ces évaluations cognitives en série, en plus des évaluations fonctionnelles, font partie 6 7 Caractéristiques cliniques — Pertes de mémoire subjectives, mais résultats normaux à l’examen Difficultés au travail, troubles de la parole, difficultés de navigation dans des endroits non familiers; ces difficultés sont perçues par les proches du patient; déficit discret de la mémoire révélé par l’examen Voyager, compter, se rappeler des événements courants posent des difficultés croissantes. Le patient a besoin d’aide pour choisir ses vêtements; il est désorienté par rapport au temps et au lieu; il se rappelle difficilement du nom de ses petits-enfants. Le patient a besoin de supervision pour s’alimenter et faire sa toilette; parfois incontinent; désorienté par rapport au temps et au lieu, et parfois aussi par rapport aux personnes. Perte marquée de la parole; incontinence et rigidité motrice. Reisberg B, Ferris SH, DeLeon MJ, et coll.: The global deterioration scale for assessment of primary degenerative dementia. American Journal of Psychiatry 1982; 139:1136-9. Figure 1 Dessins d’un cadran tracés par quatre patients à divers stades de la maladie d’Alzheimer L'administration en série du miniexamen de l'état mental est utile pour faire un tracé chronologique de la perte de la cognition. En outre, le test de dessin de l'horloge est sensible à la démence précoce et, tout comme le mini-examen de l'état mental, offre une occasion de documenter les changements cognitifs pendant l'évolution de la démence. intégrante du dossier clinique que doit garder un médecin et qui est nécessaire pour le traitement proactif, le traitement du patient à domicile et l'entrée en institution à des stades plus avancés de la démence. À ce stade-ci, le médecin doit être prudent lorsqu'il soupçonne une MA, ou à la première visite, vue l'incertitude du diagnostic de démence et le risque que cela provoque une dépression réactionnelle. Il faut exclure tout autre trouble médical concomitant qui pourrait causer une baisse cognitive ou y contribuer. Malgré les progrès de nos connaissances de l'étiologie de la maladie d'Alzheimer (MA), même de nos jours il n'y a aucun test diagnostique suffisamment sensible et précis pour établir un diagnostic ferme de MA MMSE 28 MMSE 27 MMSE 24 MMSE 13 Gauthier S, Burns A, Pettit W: Alzheimer’s Disease in Primary Care. Martin Dunitz, London, 1997, p.15. à ce stade très précoce. Des protocoles portant sur l'imagerie cérébrale en série grâce à la tomographie par émission de positons ou de simple photon sont en cours de préparation, tout comme des batteries de tests neuropsychologiques étudiant la mémoire retardé d'évocation et la facilité d'élocution. Une étude a démontré des changements électroencéphalographiques pendant le sommeil qui peuvent mener à un indicateur de diagnostic précoce. Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • mars 1998 • 19 ÉTUDE DE CAS Questions : • • • Comment posez-vous un diagnostic de MA? Comment annoncez-vous à la famille que le patient souffre de MA? Comment suivez-vous l'évolution de la maladie? Commentaires : Les critères du manuel DSM-IV pour la démence sont : • trouble de la mémoire; aphasie, apraxie, agnosie et/ou trouble des fonctions exécutives; • déclin du fonctionnement professionnel ou social; • déclin par rapport au niveau précédent de fonctionnement. Afin d'établir un diagnostic de démence, il est essentiel que le déficit cognitif du patient ait un impact fonctionnel, ce qui devient clairement évident avec le temps. Dans l'histoire naturelle de la démence, la perte de l'indépendance fonctionnelle signifie un tournant pour la maladie. Deux outils pour évaluer le statut fonctionnel — le questionnaire sur les activités fonctionnelles (FAQ) et l'échelle d'évaluation de l'autonomie en matière d'hygiène personnelle (PSMS) — facilitent l’évaluation. À ce stade précoce, les fonctions exécutives supérieures seront fort probablement affectées. Il faudrait adresser l’aidant au bureau local de la Société Alzheimer pour les points suivants : éducation continue de la famille, information sur les ressources locales et soutien à l’aidant. Les médecins se préoccupent actuellement de la sécurité du patient à la maison, de sa capacité de conduire un véhicule, et des directives anticipées pour les stades plus avancés de la MA. menteuse. La détermination du stade de la MA nécessite une bonne compréhension des domaines symptomatiques multiples de la démence. La gravité des symptômes reliés à la dépression et à l’anxiété dans la phase précoce de la MA a tendance à diminuer à mesure que la compréhension devienne progressivement plus limitée. Il y a une perte progressive des fonctions cognitives supérieures et de l’indépendance fonctionnelle (d’habitude en commençant avec les activités instrumentales de la vie quotidienne), suivie de l’apparition de symptômes neuropsychiatriques, qui s’apaisent éventuellement alors que les changements moteurs de type parkinsonien suppriment tout comportement. Bien que les variations dans la progression de la MA ne soient pas rares, la détermination du stade (sept stades) au moyen d’outils comme l’échelle de détérioration globale offre une chronologie clinique du progrès de la démence. C’est dans les stades 3, 4 et 5 que la plupart des médicaments pour la MA ont été évalués dans des essais cliniques. Afin d'établir un diagnostic de démence, il est essentiel que le déficit cognitif du patient ait un impact fonctionnel. Question : • Quel type de soutien peut-on donner à l’aidant? Question : • À quel moment soupçonnez-vous des troubles de l’humeur? Commentaires : Il faut soigneusement éliminer la dépression dans la MA précoce. Cependant, elle peut nécessiter l’envoi chez un spécialiste s’il y a incertitude quant au diagnostic. La dépression peut cacher une démence précoce; par conséquent, il faut suivre les personnes déprimées présentant une atteinte cognitive et faire une évaluation cognitive plus poussée doit être documentée dès la résolution des symptômes de dépression. Quand les antidépresseurs sont indiqués, ils devraient être choisis en fonction de l’innocuité, de la tolérance et du profil d’interaction médica- Commentaires : La charge de l’aidant augmente progressivement avec la perte de l’autonomie fonctionelle de la patiente. L’anxiété d’être seul aurait pu limiter la disponsibilité en temps libre du mari et affecter sa santé psychologique. Comme mesure préventive, le médecin peut arranger un répit ou des soins durant la journée. Se sensibliser aux besoins de santé et au bien-être de l’aidant est un élément clé du traitement en soins primaires de la MA, et il est nécessaire de connaître les programmes d’appoint communautaires formels pour y référer correctement. Il est essentiel de planifier l’entrée en institution dans les stades plus avancés de la maladie, ce qui est facilité par les contacts du médecin et de la famille avec les services sociaux locaux. Cette étude de cas est publiée dans le cadre d’un programme de formation médicale continue (FMC) sur des études de cas de la maladie d’Alzheimer; ce programme est parrainé par Pfizer Canada. Pour obtenir de l’information sur les activités de ce programme dans votre région, veuillez communiquer avec votre délégué médical Pfizer. 20 • Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • mars 1998