18 • Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • mars 1998
Antécédents
Mme J. est une femme blanche de 69 ans qui présente des
symptômes de manque de mémoire. Elle a de la difficulté à se
souvenir des noms et de l'emplacement de certaines touches de
sa machine à écrire. Ses antécédents médicaux comprennent du
zona non compliqué et un traitement par prednisone pour
artérite temporale entre les âges de 65 et 67 ans, avec ostéo-
porose résiduelle. Par conséquent, elle prend des suppléments
calciques ainsi qu'une thyrothérapie substitutive à faible dose.
Parmi ses antécédents familiaux, nous notons la présence d'un
oncle maternel, âgé de plus de 90 ans, qui souffre de démence.
Le résultat d'un bilan biologique standard est négatif à l'excep-
tion d'une anémie isochrome bénigne. L'examen neurologique
révèle une apraxie bénigne se rapportant à un membre. Les
tests papier-crayon (MMSE et dessin de l'horloge ; voir
Alzheimer's Disease in Primary Care : Gauthier, Burns, Pettit;
Martin Dunitz; p. 15) de la fonction cognitive ne présentent
aucun signe particulier. Son pointage au mini-examen de l'état
mental de Folstein (MMSE) est de 27/30 (considéré comme
normal) et son dessin de l'horloge est parfait (figure 1). La pre-
mière impression diagnostique suppose une incertitude quant à
la bénignité des troubles cognitifs (de façon prédominante la
perte de la mémoire récente).
Vingt mois plus tard, Mme J. est réévaluée et elle
souligne que ses défauts de mémoire se sont aggravés au
point de l'«embarasser». Elle a cessé de travailler dans un
bureau et son mari constate qu'elle est rendue plus irritable et
nerveuse. L'examen neurologique révèle que l'apraxie touche
dorénavant la bouche et la langue en plus du membre. Elle a
maintenant de la difficulté à dessiner l'horloge, ayant inscrit
au moins 15 chiffres sans savoir où placer les aiguilles de
l'horloge. Le diagnostic de maladie d'Alzheimer (MA) précoce
est établie.
Un an plus tard, Mme J. est examinée par un spécialiste de
MA. Elle a maintenant de la difficulté à trouver certains mots
et a besoin de supervision pour s'occuper de ses finances et
d'aide pour préparer son repas. Son affect est décrit comme
étant triste, et elle a tendance à dormir davantage durant la
journée. Une consultation psychogériatrique exclut la dépres-
sion. Son pointage au MMSE est de 24/30 et elle a de la diffi-
culté à dessiner l'horloge. On confirme le diagnostic de MA, se
situant au stade 4 des 7 stades de l'échelle de détérioration glo-
bale (tableau 1).
Un an plus tard, Mme J. ne se souvient plus de communiquer
les messages téléphoniques bien que ceux-ci soient bien enre-
gistrés. Elle peut toujours composer des numéros de téléphone
familiers. En outre, elle a manifesté une désorientation spatiale
temporaire dans son appartement de Floride et après avoir visité
la maison de son frère. Elle ne cuisine plus, a peur du four et a
besoin d'une certaine supervision pour la sélection de ses vête-
ments. Elle peut toujours rester toute seule pendant plusieurs
heures à la fois, ce qui permet à son mari d'aller jouer au golf.
Néanmoins, elle éprouve de l'anxiété à l'idée de faire face à des
événements imminents. Son pointage au mini-examen de l'état
mental est de 20/30. Elle se situe au stade 5 de l'échelle de détéri-
oration globale. Son mari et ses enfants ont entendu parler des
nouveaux médicaments pour la maladie d'Alzheimer et espèrent
qu'une intervention médicamenteuse pourrait contrôler les symp-
tômes cognitifs de Mme J. Une visite de suivi est prévue.
Une étude de cas sur
la maladie d’Alzheimer
Par Serge Gauthier, M.D., FRCPC
Une femme de 69 ans se présente avec des symptômes de manque de mémoire qui semblent
s’aggraver avec le temps. Le médecin traitant doit donc décider du moment opportun pour poser
un diagnostic de maladie d’Alzheimer, quand la famille doit être mise au courant, et quelles sont
les ressources offertes aux aidants.
ÉTUDE DE CAS
Vingt mois plus tard, Mme J. est
réévaluée et elle souligne que ses
défauts de mémoire se sont aggravés
au point de l'«embarasser». Elle a
cessé de travailler dans un bureau.
Son mari constate qu'elle est rendue
plus irritable et nerveuse.
Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • mars 1998 • 19
Questions et
commentaires
sur la MA
Questions :
S'agit-il de signes avant-coureurs de MA?
Dans ce cas, quelle suite donneriez-vous à votre soupçon
de MA précoce?
Quand faut-il poser un diagnostic de MA?
Commentaires :
Dans le dépistage de la démence, le médecin de première ligne
a divers tests pratiques à sa disposition pour l'aider à distinguer
les changements cognitifs reliés au vieillissement normal de la
perte de la cognition, signe d'une démence au stade précoce. Le
mini-examen de l'état mental de Folstein est un outil standard
de dépistage cognitif, mais est limité par le niveau d’éducation.
L'administration en série du mini-examen de l'état mental est
utile pour faire un tracé chronologique de la perte de la cogni-
tion. En outre, le test de dessin de l'horloge est sensible à la
démence précoce et, tout comme le mini-examen de l'état men-
tal, offre une occasion de documenter les changements cogni-
tifs pendant l'évolution de la démence. Ces évaluations cogni-
tives en série, en plus des évaluations fonctionnelles, font partie
intégrante du dossier clinique que doit garder un médecin et qui
est nécessaire pour le traitement proactif, le traitement du
patient à domicile et l'entrée en institution à des stades plus
avancés de la démence. À ce stade-ci, le médecin doit être pru-
dent lorsqu'il soupçonne une MA, ou à la première visite, vue
l'incertitude du diagnostic de démence et le risque que cela
provoque une dépression réactionnelle. Il faut exclure tout
autre trouble médical concomitant qui pourrait causer une
baisse cognitive ou y contribuer. Malgré les progrès de nos con-
naissances de l'étiologie de la maladie d'Alzheimer (MA),
même de nos jours il n'y a aucun test diagnostique suffisam-
ment sensible et précis pour établir un diagnostic ferme de MA
à ce stade très précoce. Des protocoles portant sur l'imagerie
cérébrale en série grâce à la tomographie par émission de posi-
tons ou de simple photon sont en cours de préparation, tout
comme des batteries de tests neuropsychologiques étudiant la
mémoire retardé d'évocation et la facilité d'élocution. Une
étude a démontré des changements électroencéphalographi-
ques pendant le sommeil qui peuvent mener à un indicateur de
diagnostic précoce.
Tableau 1
Échelle d’évaluation de la détérioration
globale de Reisberg
Stade Caractéristiques cliniques
1—
2 Pertes de mémoire subjectives, mais résultats
normaux à l’examen
3 Difficultés au travail, troubles de la parole,
difficultés de navigation dans des endroits non
familiers; ces difficultés sont perçues par les
proches du patient; déficit discret de la mémoire
révélé par l’examen
4 Voyager, compter, se rappeler des événements
courants posent des difficultés croissantes.
5 Le patient a besoin d’aide pour choisir ses
vêtements; il est désorienté par rapport au temps
et au lieu; il se rappelle difficilement du nom de
ses petits-enfants.
6 Le patient a besoin de supervision pour s’alimenter
et faire sa toilette; parfois incontinent; désorienté
par rapport au temps et au lieu, et parfois aussi
par rapport aux personnes.
7 Perte marquée de la parole; incontinence et rigidité
motrice.
Reisberg B, Ferris SH, DeLeon MJ, et coll.: The global dete-
rioration scale for assessment of primary degenerative
dementia. American Journal of Psychiatry 1982; 139:1136-9.
Figure 1
Dessins d’un cadran tracés par quatre patients
à divers stades de la maladie d’Alzheimer
MMSE 28 MMSE 27
MMSE 24 MMSE 13
Gauthier S, Burns A, Pettit W: Alzheimers Disease in
Primary Care. Martin Dunitz, London, 1997, p.15.
L'administration en série du mini-
examen de l'état mental est utile pour
faire un tracé chronologique de la
perte de la cognition. En outre, le test
de dessin de l'horloge est sensible à la
démence précoce et, tout comme le
mini-examen de l'état mental, offre
une occasion de documenter les
changements cognitifs pendant l'évo-
lution de la démence.
20 • Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • mars 1998
Questions :
Comment posez-vous un diagnostic de MA?
Comment annoncez-vous à la famille que le patient
souffre de MA?
Comment suivez-vous l'évolution de la maladie?
Commentaires :
Les critères du manuel DSM-IV pour la démence sont :
trouble de la mémoire; aphasie, apraxie, agnosie et/ou
trouble des fonctions exécutives;
déclin du fonctionnement professionnel ou social;
déclin par rapport au niveau précédent de fonctionnement.
Afin d'établir un diagnostic de démence, il est essentiel que
le déficit cognitif du patient ait un impact fonctionnel, ce qui
devient clairement évident avec le temps. Dans l'histoire
naturelle de la démence, la perte de l'indépendance fonction-
nelle signifie un tournant pour la maladie. Deux outils pour
évaluer le statut fonctionnel — le questionnaire sur les activités
fonctionnelles (FAQ) et l'échelle d'évaluation de l'autonomie
en matière d'hygiène personnelle (PSMS) — facilitent l’évalu-
ation. À ce stade précoce, les fonctions exécutives supérieures
seront fort probablement affectées. Il faudrait adresser l’aidant
au bureau local de la Société Alzheimer pour les points sui-
vants : éducation continue de la famille, information sur les
ressources locales et soutien à l’aidant. Les médecins se préoc-
cupent actuellement de la sécurité du patient à la maison, de sa
capacité de conduire un véhicule, et des directives anticipées
pour les stades plus avancés de la MA.
Question :
À quel moment soupçonnez-vous des troubles de
l’humeur?
Commentaires :
Il faut soigneusement éliminer la dépression dans la MA pré-
coce. Cependant, elle peut nécessiter l’envoi chez un spécialiste
s’il y a incertitude quant au diagnostic. La dépression peut
cacher une démence précoce; par conséquent, il faut suivre les
personnes déprimées présentant une atteinte cognitive et faire
une évaluation cognitive plus poussée doit être documentée dès
la résolution des symptômes de dépression. Quand les antidé-
presseurs sont indiqués, ils devraient être choisis en fonction de
l’innocuité, de la tolérance et du profil d’interaction médica-
menteuse. La détermination du stade de la MA nécessite une
bonne compréhension des domaines symptomatiques multiples
de la démence. La gravité des symptômes reliés à la dépression
et à l’anxiété dans la phase précoce de la MA a tendance à
diminuer à mesure que la compréhension devienne progressive-
ment plus limitée. Il y a une perte progressive des fonctions cog-
nitives supérieures et de l’indépendance fonctionnelle (d’habi-
tude en commençant avec les activités instrumentales de la vie
quotidienne), suivie de l’apparition de symptômes neuropsychi-
atriques, qui s’apaisent éventuellement alors que les change-
ments moteurs de type parkinsonien suppriment tout comporte-
ment. Bien que les variations dans la progression de la MA ne
soient pas rares, la détermination du stade (sept stades) au
moyen d’outils comme l’échelle de détérioration globale offre
une chronologie clinique du progrès de la démence. C’est dans
les stades 3, 4 et 5 que la plupart des médicaments pour la MA
ont été évalués dans des essais cliniques.
Question :
Quel type de soutien peut-on donner à l’aidant?
Commentaires :
La charge de l’aidant augmente progressivement avec la perte
de l’autonomie fonctionelle de la patiente. L’anxiété d’être seul
aurait pu limiter la disponsibilité en temps libre du mari et
affecter sa santé psychologique. Comme mesure préventive, le
médecin peut arranger un répit ou des soins durant la journée.
Se sensibliser aux besoins de santé et au bien-être de l’aidant
est un élément clé du traitement en soins primaires de la MA,
et il est nécessaire de connaître les programmes d’appoint com-
munautaires formels pour y référer correctement. Il est essen-
tiel de planifier l’entrée en institution dans les stades plus
avancés de la maladie, ce qui est facilité par les contacts du
médecin et de la famille avec les services sociaux locaux.
ÉTUDE DE CAS
Cette étude de cas est publiée dans le cadre d’un programme de formation médicale continue (FMC) sur des études de
cas de la maladie d’Alzheimer; ce programme est parrainé par Pfizer Canada. Pour obtenir de l’information sur les
activités de ce programme dans votre région, veuillez communiquer avec votre délégué médical Pfizer.
Afin d'établir un diagnostic de démence,
il est essentiel que le déficit cognitif du
patient ait un impact fonctionnel.
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !