Service médias Travail.Suisse édition du 19 janvier 2015
Consultation sur la 2ème étape de l’ouverture du marché de l’électricité :
Pas d’ouverture complète du marché sans une CCT de
branche !
L’ouverture complète du marché de l’électricité renforcera la concurrence dans la branche
électrique, ce qui peut mettre en péril la sécurité de l’approvisionnement et péjorer les condi-
tions de travail et salariales. Malheureusement, rien n’est prévu pour atténuer ces effets né-
gatifs. C’est pourquoi, une ouverture complète du marché de l’électricité n’est envisageable
qu’avec l’instauration d’une convention collective de travail (CCT) pour la branche de l’élec-
tricité et des mesures d’accompagnement pour le personnel de la branche.
Denis Torche, Responsable de la politique environnementale, Travail.Suisse
Dans l’économie électrique, les restructurations sont à l’ordre du jour. Les grands groupes élec-
triques n’ont pas su anticiper le virage des énergies renouvelables ; ils doivent revoir leur modèle de
développement commercial, accordant plus de poids aux services dans un contexte difficile marqué
par des prix de l’électricité très bas, en raison de surcapacités de l’offre face à la demande sur le
marché européen. Dans l’hydraulique, des projets d’investissements sont abandonnés, faute de ren-
tabilité suffisante. Une remontée des prix n’est pas attendue avant plusieurs années.
A cela s’ajoute de nouvelles exigences, justifiées sur le plan écologique, prévues dans la stratégie
énergétique 2050, obligeant les entreprises d’approvisionnement en électricité par un système de
bonus/malus à réduire la consommation d’électricité de leurs clients. Mais sur le plan économique,
cela aura des coûts pour ces entreprises qui vendront moins d’électricité. D’où une marge de ma-
nœuvre diminuée pour investir et le risque que l’on répercute sur le personnel la dégradation de la
situation financière avec des diminutions de salaire ou la réduction des postes de travail.
De toute façon, l’importance croissante des énergies renouvelables et la nécessité d’adapter les ré-
seaux de distribution en conséquence auront des répercussions importantes sur le plan de la forma-
tion et de la formation continue. Les entreprises devront développer fortement les activités de con-
seil énergétique, ce qui implique une offensive de formation pour le personnel de la branche.
Contexte conjoncturel et structurel déjà difficile pour l’économie électrique
Dans ce contexte déjà difficile tant sur le plan conjoncturel que structurel pour la branche de l’électri-
cité, une ouverture complète du marché de l’électrici va péjorer encore plus la situation actuelle.
En effet, il en résultera une concurrence accrue qui entraînera une érosion des marges des entre-
prises d’approvisionnement en électricité ; car pour garder ou compenser la perte de clients sur un
marché entièrement libéralisé, des coûts de marketing importants sont à prévoir. Sans parler des
frais administratifs supplémentaires pour gérer le départ et l’arrivée des clients. Pour les petites en-
treprises d’approvisionnement en électricité, il y a aussi le risque que la perte d’un important client
ne puisse être compensée, ce qui met en danger même leur existence propre.
Plus généralement, il faut considérer que l’électricité est un bien public au même titre que l’eau et
d’autres infrastructures publiques. L’approvisionnement en électricité et sa sécurité revêtent donc
une fonction stratégique et une logique de service public. Près de 80 pourcent des entreprises de
production et de distribution d’électricité sont d’ailleurs en mains publiques. Le marché partiellement
ouvert et régulé fonctionne bien et la sécurité de l’approvisionnement est assurée. Louverture com-
plète du marché de l’électricité remet en cause cette logique de service public donnant plus de poids
à la rentabilité à court terme au détriment des investissements nécessaires et de la sécurité.
Avantages peu convaincants de l’ouverture complète du marché
Le projet soumis à consultation tait les risques de l’ouverture et ne produit pas d’analyse potentielle
de l’ouverture complète du marché sur l’économie électrique. Il met en exergue seulement les avan-
tages attendus de l’ouverture du marché de l’électricité qui sont la possibilité de conclure un accord
avec l’UE sur l’électricité, la transparence et l’efficacité supposée accrues avec la possibilité de
changer de fournisseur. Toutefois, il faut bien reconnaître que le rapport n’est pas en mesure de
fournir la preuve de ces avantages. Ils ne suffisent donc de loin pas à contrebalancer les risques
que la libéralisation complète du marché fait peser sur la sécurité de l’approvisionnement in globo et
les conditions salariales et de travail de la branche.
Il y a donc de solides raisons de dire tout simplement non à l’ouverture complète du marché. Néan-
moins, il faut aussi reconnaître que les mutations structurelles auxquelles la branche de l’électricité
est confrontée sont déjà en cours en particulier avec le développement d’un approvisionnement
décentralisé et basé sur les énergies renouvelables, indépendamment de l’ouverture du marché. Il
est aussi pertinent de penser qu’à moyen terme un accord sur l’électricité avec l’UE sera nécessaire
si la Suisse veut maintenir son rôle de plaque tournante dans les échanges d’électricité avec l’UE et
éviter la discrimination des entreprises suisses dans l’accès au marché européen. Il y a aussi un
énorme besoin d’investissement dans les infrastructures électriques en Europe, et si notre pays
n’arrive pas à régler de façon satisfaisante son intégration au grand marché de l’électricité européen
en voie d’unification, le développement des grands réseaux électriques pourrait contourner la
Suisse. Or, il est très vraisemblable que la Suisse ne pourra pas obtenir un accord sur l’électricité
avec l’UE satisfaisant sans ouverture complète du marché.
Ainsi, plutôt que de dire non d’emblée à l’ouverture complète du marc, il est préférable de poser
des conditions pour une meilleure régulation et encadrement du processus d’ouverture. La position
de Travail.Suisse dépendra en fin de compte de la prise en considération ou non de ces conditions,
dont voici les principales :
Principales conditions pour une ouverture complète du marché de l’électricité
Une convention collective de travail (CCT) étendue à l’ensemble de la branche de l’économie
électrique devient impérative en cas d’ouverture complète du marché. Il en va du maintien
des conditions de travail et de salaires et de la gestion participative des restructurations, en
raison de la concurrence accrue qui résultera de la libéralisation complète du marché entraî-
nant une érosion des marges des entreprises électriques. La Loi sur l’approvisionnement en
électricité (LApEL) doit inclure le principe d’une CCT, ce qui permettra aux partenaires so-
ciaux d’avoir une base solide pour négocier le contenu de la CCT.
L’ouverture complète du marché de lélectricité va accélérer les mutations structurelles de la
branche de l’électricité, avec des conséquences sur l’employabilité du personnel de la
branche. Des compétences, voire des métiers disparaissent au détriment de nouvelles com-
pétences ou même nouveaux métiers, en particulier en lien avec l’évolution vers les services.
Il faut donc que la LApEL prévoie un article encourageant la formation, la formation continue
et les possibilités de reconversion du personnel de la branche de l’électricité. La branche de-
vrait créer un fonds de formation et cela pourrait être réglé dans la CCT. Le fonds serait géré
paritairement par les partenaires sociaux.
Il est difficile de prédire l’effet de l’ouverture complète du marché sur le prix de l’électricité
pour le petit consommateur. Le projet est insatisfaisant en l’état car la régulation protège les
petits consommateurs qui ne voudront pas aller sur le marché libre que contre des prix exces-
sifs. Or, la notion de prix excessif n’est pas précisée dans la loi. Il faudra donc créer la trans-
parence à ce sujet. Il s’agira dès lors de connaître le prix de l’électricité que l’entreprise d’ap-
provisionnement facture aux clients sur le marché libre et fixer un écart maximum admissible
entre le prix du marché et le prix demandé au petit consommateur qui privilégie la sécurité. A
ce sujet, il ne faut pas oublier que le prix de l’électricité, en tant que bien de service public,
doit rester abordable et équitable pour le petit consommateur ou la petite entreprise privilé-
giant la sécurité de l’approvisionnement.
Travail.Suisse, Hopfenweg 21, 3001 Berne, tél. 031 370 21 11, inf[email protected]h, www.travail-
suisse.ch
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