Siège social et usine Centre de Recherche Parc d’activités du Moulin d’Ecalles 76750 BUCHY FRANCE Technopôle du Madrillet Avenue de l’Université – BP 12 76801 ST. ETIENNE DU ROUVRAY FRANCE Tél. : +33 (0)2 35 61 62 97 Fax : +33 (0)2 35 61 67 13 www.lifco-industrie.com [email protected] Tél. : +33 (0)2 32 95 50 79 Fax : +33 (0)2 32 95 50 79 La Lettre de LIFCO Industrie - Numéro 5 Technique d'analyse par effet de champ : Le Microscope Ionique Stéphane DUVAL (Docteur de l'Université de Rouen) Sommaire : 1. Introduction 2. La Microscopie Ionique a. L'Effet De Pointe b. Le Principe Du Microscope Ionique 3. Quelques Applications a. Ordre Chimique Et Parois D'Antiphase b. Défauts Linéaires (Dislocations) 4. Conclusion 5. Bibliographie 1 1. Introduction La science des matériaux est née de la nécessité d'acquérir la maîtrise du comportement des matériaux. Cette science a pour objectif d'établir les relations existantes entre la composition et l'organisation atomique ou moléculaire, la microstructure et les propriétés macroscopiques des matériaux. Pour comprendre le comportement des matériaux, il existe des moyens d'investigations plus ou moins sophistiqués qui permettent d'établir la liaison entre des phénomènes qui se déroulent à l 'échelle microscopique et les propriétés des matériaux. Dans le cas des métaux ou alliages métalliques, il est important de déterminer la composition chimique, l'état structural, les propriétés mécaniques et parfois la tenue à la corrosion. L'analyse chimique des métaux, par des procédés physiques, chimiques ou physico-chimiques, donne généralement des teneurs globales qui ne tiennent pas compte des formes sous lesquelles chaque élément peut exister (exemples : l'oxygène dissout peut provenir d'oxydes formant des inclusions, le carbone dissous peut venir des précipités sous forme de carbures). L'examen de l'état structural se révèle donc indispensable. Il a pour objet l'étude de la forme, de l'identité, de la quantité et de la répartition des différents composants d'un métal dont la teneur global peut être obtenue par l'analyse chimique. Cet examen de la structure du matériau peut être réalisé à plusieurs échelles, comme le montre l'animation page suivante. 2 Depuis la fin du XIXe siècle et la découverte des rayons X par Rœntgen, la plupart de nos connaissances sur la structure de la matière ont été acquises par des méthodes basées sur les interactions rayonnement-matière. Le rayonnement peut être soit électromagnétique (RX) soit corpusculaire (électrons, neutrons, ions). En collectant avec des détecteurs appropriés les faisceaux réfléchis ou transmis issus de l'interaction rayonnement-matière, il est possible de remonter à des informations sur la structure cristalline et sur la nature des éléments présents dans les diverses phases en présence dans l'échantillon analysé. 3 2. La Microscopie Ionique Dans les années 50, une application intéressante du champ électrique extrêmement élevé a permis à un physicien, Edwin Muller, de créer un autre type de microscope qui ne fait appel à aucune interaction rayonnementmatière. Ce microscope est fondé sur le principe de l'effet de champ. Pour la première fois, il devint possible d’observer les atomes présents à la surface d’un matériau. Utilisé dans un premier temps pour des problèmes liés à la physique des surfaces et à la cristallographie, la technologie fut rapidement améliorée pour devenir une technique d’investigation à part entière dans la science des matériaux. La technique se révéla par ailleurs complémentaire aux autres techniques de microscopie. a) L’effet de pointe Si nous chargeons un conducteur qui n'est pas une sphère, mais qui a la forme d'une pointe, le champ au voisinage de la pointe est beaucoup plus grand que le champ dans d'autres régions. Le moyen le plus simple de le vérifier théoriquement est de considérer la combinaison d'une petite sphère avec une grosse sphère reliée entre elles par un fil conducteur comme le montre le schéma ci-dessous. Considérons la combinaison de 2 sphères reliées par un fil conducteur. Le fil est la pour maintenir les 2 sphère au même potentiel : Vr = Vt 4 Et pour le champ électrique : Le champ est donc plus grand à la surface de la petite sphère. Cette combinaison de 2 sphères idéalise le comportement du champ à la surface d’une pointe. Ce résultat est techniquement important car l'air peut cesser d'être isolant si le champ électrique est intense (30 à 50 V/nm) à la surface d'un échantillon. En introduisant un gaz image, il est possible d'imager les positions atomiques à la surface d'un matériau en ionisant les atomes de gaz présent à l'apex de l'échantillon. b) Le principe du microscope ionique L'échantillon est préparé sous la forme d'une fine aiguille de faible rayon de courbure (50 à 100 nm). La méthode d'amincissement dépend de la nature de l'échantillon. L'échantillon initialement découpé sous la forme d'une "allumette" de section carrée (0,2 ou 0,3 mm) est plongé dans le bêcher d'électrolyte (voir schéma ci-dessous). 5 1 2 3 Au commencement du polissage, il est nécessaire de déplacer périodiquement l'échantillon de haut en bas. Ce mouvement favorise la formation d'un col au niveau de l'interface électrolyte-air. On laisse ensuite évoluer le système jusqu'à la rupture du col. La pointe est ensuite placée dans une enceinte à vide (10-8 Pa) et est porté à un potentiel positif de quelques kilovolts (5 à 20 kV). Un champ électrique intense est alors produit à l'extrémité de l'échantillon (effet de pointe) qui permet d'ioniser les atomes de gaz (H, He ou Ne), introduit dans l'enceinte sous une faible pression (10-3 Pa). Les atomes de gaz ionisés près de la surface du matériau sont alors accélérés jusqu'à un écran de visualisation. C'est l'effet d'ionisation par effet de champ. On observe alors sur l'écran une image agrandie des modulations du champ électrique au voisinage de la surface de l'échantillon. Cette image est en définitive une projection stéréographique de la surface de la pointe résolue à l'échelle de l'atome. Les caractéristiques de ce microscope à projection, 6 grandissement (quelques millions de fois) et pouvoir séparateur (résolution atomique) ne dépendent que de la nature même de l'échantillon et non pas d'une optique dont on devrait corriger les aberrations. De nombreux facteurs interviennent dans la définition de l'image, comme la température de l'échantillon (entre 15 et 80 K), le champ électrique, la nature du gaz, le type de plan imagé. Malgré cela, la résolution atomaisue est souvent atteinte. 3. Quelques Applications Le microscope ionique permet d'observer la surface d'un échantillon avec une résolution proche de l'atome. Dans le cas d'un échantillon cristallin, l'intersection des plans réticulaires avec l'extrémité hémisphérique de la pointe conduit à la formation de terrasses successives. Puisque les modulations du champ électrique reflètent les variations de la surface de l'échantillon à l'échelle de l'atome, les bords de terrasses en protubérance sont le siège d'un champ électrique intense et le champ d'ionisation des atomes y est en premier lieu obtenu. Ainsi, l'empilement des plans dans les différentes directions cristallographiques donne lieu sur les micrographies ioniques à un contraste de pôle (cercles concentriques sur la figure cidessous). Micrographie de Tungstène (E. Muller) a) Ordre Chimique et parois d’antiphases. Généralement dans les alliages, un seul type d'atomes est imagé ce qui confère aux images ioniques d'alliages ordonnés à longue distance une caractéristique frappante. La répartition des spots brillants sur l'écran de visualisation est régulière de sorte que chaque pôle cristallographique est bien développé comme pour un métal pur. En revanche, dans un alliage désordonné, la distribution des spots est plus aléatoire. Cette caractéristique des images ioniques permet d'estimer qualitativement le degré d'ordre existant dans le matériau comme le montre les deux images ci-dessous. 7 (a) Image ionique de l'alliage Cu3Au dans l'état parfaitement ordonné (traitement thermique de mise en ordre 24 h à 350°C). (b) Image ionique de l'alliage Cu3 Au dans un état partiellement ordonné (20 mn à 350 °C). Les premiers développements des études de l'ordre en émission de champ ont profité de l'existence d'un contraste entre constituants. L'empilement des plans de surstructure dont la composition chimique est différente donne alors lieu au niveau du pôle à l'alternance d'anneaux sombres et brillants. Ainsi, les premières observations des parois d'antiphase à l'échelle atomique furent possibles. En effet, l'intersection d'une paroi d'antiphase avec un pôle de surstructure se manifeste par une discontinuité des anneaux comme le montre la micrographie ci-dessous. Micrographie ionique de Cu3Au dans un état complètement ordonné. Le contraste de l’image est contrôlé par les atomes d’or de sorte que seuls les plans riches en or sont imagés. Le contraste de pôle (cercles concentriques) est crée par l’intersection entre la forme hémisphérique de la pointe avec les plans cristallographiques. L’émergence d’une paroi d’antiphase sur un pôle de surstructure type (101), (001), (011) se traduit par l’observation de demi-cercles brillants (plans riches en Au) faisant face à des demi-cercles sombres (plans riches en Cu). 8 Agrandissement de la marque d'une paroi d'antiphase sur un pole de surtructure. En fait, l'intérêt de la microscopie ionique réside dans la possibilité de mesurer l'ordre dans un très petit volume. Il est par exemple possible de distinguer si la transformation ordre-désordre se fait par germination croissance de domaines ordonnés dans une matrice désordonnée ou par une transformation continue pour laquelle l'ordre s'établit graduellement dans chaque région et simultanément dans tout le cristal. En outre, il faut noter que les mesures de degré d'ordre effectuées en microscopie ionique ne coïncident pas toujours avec celles effectuées en diffraction des RX ou en microscopie électronique. Ces techniques sont sensibles à l'ordre chimique moyen du cristal, représentatif du volume global de matière analysé alors qu'en émission de champ, l'observation se fait localement sur des régions de faible dimension. b) Défauts Linéaires (Dislocations) L’arrangement atomique du cristal réel s’écarte localement de la structure du cristal idéal. La microscopie ionique permet d'observer tout types de défauts. Nous avons vu précédemment les défauts plans (type parois d'antiphase). Il est possible d'étudier les défauts ponctuels (type lacune ou interstitiel) et les défauts linéaires (type dislocations). Lorsque l’on applique une contrainte à un métal, ses différents cristaux se déforment plastiquement par glissement des plans atomiques denses les uns sur les autres. Les plans denses glissent, grâce au mouvement de lignes de dislocations. La présence de ces défauts permet donc la déformation plastique des métaux et des matériaux en général. Leur mobilité conditionne la ductilité des métaux. Pour durcir un matériau cristallin, il suffit de s’opposer au mouvement des dislocations, en leur créant des obstacles. La microscopie ionique permet de mettre aisement en évidence la présence d'une dislocation au sein du matériau. Une dislocation qui possède un vecteur de Burger normal à la surface de l'échantillon transforme la figure habituelle du cercle concentrique en une spirale (voir l'image ci-dessous.) 9 Micrographie ionique : (a) Le contraste de pôles (cercles concentriques) est la représentation d'un plan atomique intercepté par la surface hémisphérique de l'échantillon. (b) En survolant l'image avec la souris, apparaît la forme en spirale des anneaux témoignant de la présence d'une dislocation. Une augmentation du potentiel appliqué à la pointe permet d'atteindre un champ électrique suffisant pour arracher les atomes de l'extrémité de l'échantillon. Ce phénomène d'évaporation des atomes par effet de champ, couche atomique par couche atomique, permet d'explorer l'échantillon en volume. L'observation des défauts (lacunes, parois d'antiphase, interface ordre-désordre) est alors possible. A ce sujet, une méthode permettant de déterminer la nature des plans cristallographiques où siègent les parois d'antiphase visibles en microscopie ionique a pu être développé. 4. Conclusion Très vite, compte tenu de la complexité des alliages étudiés, la microscopie ionique se trouva limité dans ses investigations. Si, dans le cas d'un matériau pur ou d'un binaire, il est possible d'identifier les atomes que l'on observe, cela est impossible dès que l'alliage contient plus de trois éléments. Généralement, la présence de phase de nature différente par leur composition chimique fait apparaître en microscopie ionique un contraste de phase. Ce contraste est lié à une différence de champ d'évaporation entre elles. Ainsi, un constraste dans un alliage biphasé visualisé à l'image ionique, peut permettre une détermination de la distribution en taille et de la densité de petites particules. 10 L'image ci-dessous présente trois types contraste liés à trois phases différentes (phase cristalline, phase amorphe, composé intermétallique) Micrographie ionique d'un alliage Al-4Ni-8Sm rapidement solidifié recuit à 225°C pendant 60 min. L'image est obtenue à partir d'un mélange de gaz image (Ne et He). Les régions sombres représentent l'aluminium CFC. Les régions claires sont la matrice amorphe enrichie en Ni et Sm.Puisque la matrice est amorphe, il n'y a pas de répartition régulière des spots lumineux (ne retrouve pas l'image habituelle des cercles concentriques). Les régions claires très intenses sont la marque de particules de composés intermétalliques. (c) T. Gloriant, D. H. Ping and K. Hono, 1998. Il devint rapidement indispensable de pouvoir connaître la nature des atomes observés en microscopie ionique, notamment pour mesurer la composition chimique des phases en présence. Le problème fut résolu en 1967 quand E. W. MÜLLER eut l'idée d'associer un spectromètre de masse à temps de vol à un microscope ionique : la sonde atomique était née. Le spectromètre de masse sensible à une particule permet d'identifier la nature chimique des ions évaporés d'une région préalablement repérée en microscopie ionique. La description de cette technique expérimentale fera l'objet d'une prochaine lettre. 11 5. Bibliographie BLAVETTE D, MENAND A; Annales de Chimie Fr.; 11; (1986); p 321 MÜLLER E. W; Z. Physik; 131, 136; (1951) MÜLLER E. W, PANITZ J. A, MC LANE S. B; Rev. Phys. Instr; 39, 83; (1968); MILLER M. K, SMITH G. D. W; Atom-probe microanalysis : principles and applications to materials problems; Materials Research Society; PITTSBURG USA; (1990) S. DUVAL, S. CHAMBRELAND, D. BLAVETTE; 3 D reconstruction of antiphase boundaries in Cu3Au from field ion images. Applied Surface Science, vol 87/88 (1995), 284 - 290. 12