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L’approche est plutôt historique mais elle permet de saisir le
contexte et de comprendre le projet. Ce qui est intéressant est
de voir qu’un tel projet s’est réalisé à cette époque et dans ce
pays. On voit comment, entre autres, une géographie spéci-
que suggère et mène à des réseaux de communication par-
ticuliers. Le Chili n’était pas des plus développés en matière
informatique mais il t preuve du contraire, et surtout t preuve
de pouvoir réaliser un tel projet avec les moyens à disposition.
On est plutôt habitué à connaître l’histoire des technologies
à travers les inventions américaines, japonaises ou anglaises.
C’est donc un projet clé dans ce qu’on peut appeler l’histoire
des technologies de computation. C’est aussi relevant le fait
que c’était un projet qui enveloppait plusieurs domaines : in-
formatique, ingénierie, design industriel, économistes etc.
L’apport de chaque domaine rendit accessible et possible ce
système qui était censé faire renaître la solidarité entre travail-
leurs. Egalement Beer prévoyait de promouvoir son système
à travers tous les médias et, même s’il ne le réalisa pas, il y a
eu quelques chansons sur Cybersyn qui ont été composées
par des artistes traditionnels chiliens. Alors que le projet était
plutôt marginal et pas très connu, on voit comment un très
grand nombre de personnes et de métiers étaient concernés.
D’autre part, je trouve très intéressante cette application des
nouvelles technologies. C’est quelque chose que l’on est très
surpris de voir que d’imaginer un système économique contrôlé
par cybernétique. Il faut avouer que la première impression est celle
d’un système autoritaire dans lequel la population est contrôlée
par ordinateur. C’est notre culture qui nous a habitués à penser
que le terme de contrôle est inévitablement lié à l’autoritarisme et
à l’oppression. Avec des précédents comme celui de la Deuxième
Guerre Mondiale on associe très facilement l’Opsroom à un centre
de contrôle dictatoriale, et l’utilisation d’ordinateurs, à peine con-
nus, suscite plutôt la méance. Force est d’ailleurs de constater
que le système était en soi un mode de totalitarisme et que cette
première impression donnée par le concept ainsi que son esthé-
tique ne sont pas innocentes. Le but est certes de contrôler, et la
méthode reste questionnable, mais on ne peut nier que le désir
d’une transformation pacique, et de mettre les technologies en
faveur de ce changement est unique et reste un point à étudier par
rapport à l’actualité.
Ceci mène à un autre point important qui est celui de la
communication. Cybersyn, et par là, Stafford Beer, nous en livre
une vision particulière. Le gros travail de ce projet fut d’ailleurs
celui de pouvoir communiquer. Comment traduire des données
tout aussi variables comme la production, l’état des travailleurs,
les bénéces, en données binaires ? Comment rendre clair à toute
personne ce genre de données après avoir été analysées par un
ordinateur ? La cybernétique de Beer, et ses systèmes viables et
le travail de design (graphique et industriel) ont rendu cela possible.
L’essence était ainsi de communiquer, à l’intérieur de l’entreprise,
vers le centre de données, avec la CORFO, le tout si possible
en temps réel. Cette efcacité permettait donc de pouvoir être
préventif et d’agir immédiatement plutôt que de suivre les résultats
retardés de six mois comme ça l’est normalement.
Par ailleurs, Stafford Beer trouvait que l’ordinateur était fait
pour agir et prendre des décisions. Voilà une vision qui nous sem-
ble plutôt étrangère aujourd’hui dans le cas de l’économie d’un
pays. On ne pourrait s’imaginer quelque chose de pareil actuel-
lement. Pourquoi ? L’ordinateur tel qu’il est conçu aujourd’hui n’a
pas grande chose à voir avec les premiers ordinateurs. Comme le
dit Manovich dans Language of New Media, le but et la fonction
primaire d’un ordinateur est de processer des données. Voilà à
Clin d’oeil pour comparer la chaise de l’Opsroom et chaise tulip de Eero Saarinens (1956).