Portrait de Femme

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Portrait de Femme
François Ozon s’empare d’un mélo muet de Lubitsch pour un (nouveau) fascinant
portrait de femme à la fois victime, entêtée et forte
Frantz est l’adaptation “libre” d’un film réalisé par Ernst Lubitsch en 1931, Broken Lullaby
(L’homme que j’ai tué), adapté de la pièce de théâtre homonyme écrite en 1925 par Maurice
Rostand, le fils d’Edmond. L’homme que j’ai tué raconte l’histoire d’un jeune ancien combattant
français qui, au sortir de la Première Guerre mondiale, rongé de remords, se rend en
Allemagne pour rencontrer la famille d’un soldat allemand qu’il a tué dans une tranchée. Mais
fragile, victime de symptômes posttraumatiques dus à la guerre, il n’a d’abord pas le courage
de leur révéler la vérité et préfère se faire passer pour un ami d’avant-guerre de leur fils.
Les parents, d’abord rétifs, considèrent bientôt le jeune homme comme un second fils et
poussent la jeune femme à refaire sa vie avec lui, au grand dam du reste de la population du
bourg. Cette pièce pacifiste et de réconciliation émut énormément le public européen des
années 1920. Le film hollywoodien de Lubitsch est magnifique et déchirant mais ne connut pas
les faveurs du public. Le cinéaste berlinois se tourna définitivement vers la comédie – et
personne ne saurait aujourd’hui s’en plaindre.
La jeune femme allemande devient le personnage central de l’histoire
La première partie de Frantz de François Ozon reprend plutôt fidèlement le film. On reconnaît
certaines scènes du Lubitsch (notamment celle où le vieux père – joué alors par Lionel
Barrymore – se fâche contre ses amis dans une auberge, parce qu’ils lui reprochent d’avoir
sympathisé avec un Français).
Le filmage en noir et blanc accentue l’effet de reconnaissance, même si l’image rappelle plutôt
celle d’un épisode inédit de Heimat, la série d’Edgar Reitz (l’histoire d’une famille allemande sur
une centaine d’années). Mais, légère différence, Ozon fait désormais de la jeune femme
allemande, Anna (Paula Beer, une superbe découverte), le personnage central de l’histoire – et
non plus Adrien (Pierre Niney, très sobre).
Anna, une femme victime des hommes
La deuxième partie poursuit le récit du matériau dramatique d’origine pour le subvertir. Adrien
retourne en France. Sans nouvelles, inquiète, amoureuse, Anna débarque à Paris pour le
retrouver. Et le mélo se retourne contre la jeune femme, qui va découvrir à la fois que la vision
qu’elle avait d’Adrien, mais aussi celle de Frantz, n’étaient pas tout à fait conformes à la
réalité…
Le récit devient d’une cruauté insoupçonnable, quasiment sadien, laissant Anna seule, sans
soutien moral (impossible de raconter la vérité aux parents de Frantz sans les tuer), faisant du
personnage d’Anna une femme victime des hommes de plus dans l’œuvre d’Ozon (comme
dans Sous le sable, Jeune et jolie, Angel, etc.). C’est assez retors, mais aussi brillant et très
émouvant, grâce notamment au talent de Paula Beer..
Jean-Baptiste Morain
© Les Inrocks
2 septembre 2016
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