Dépressions chez les séniors : quelques pièges diagnostics Prof E. Constant UCL, Bruxelles Pourquoi la dépression gériatrique n’estelle pas toujours reconnue et traitée ? ! Overlap avec le vieillissement normal pensée sur la mort, fatigue, perte de libido, sommeil réduit ! Différences par rapport aux dépressions du jeune âge : - moins : humeur franchement déprimée (idées suicidaires, dépression dite majeure) - plus : dépression anxieuse, plaintes somatiques, insomnie, hypochondrie, irritabilité, nervosité, ralentissement psycho-moteur, déficits cognitifs Pourquoi la dépression gériatrique n’estelle pas toujours reconnue et traitée ? ! Facteurs « patients » - manque de connaissance au sujet de la dépression comme étant une maladie traitable - évitement de divulguer des symptômes « honteux » (symptômes physiques sont plus faciles à aborder) ! Facteurs « médecins » - Croyances sur le vieillissement . Souffrance légitime à cet âge . Problèmes de traitement à cet âge (interactions médicamenteuses,…) . Personne âgée ne peut pas changer - Focalisation sur la présentation somatique Cas clinique ! Monsieur C, âgé de 85 ans, se plaint de fatigue, appétit diminué, perte de 2 kg en 6 mois, mémoire à court terme diminuée. Peur d’avoir un cancer, insomnie. Habituellement il marche 3 km par jour avec des amis du Rotary. Il ne le fait plus depuis quelques mois et reste chez lui, souvent allongé sur son lit. Il ne profite plus des visites de ses petits-enfants le WE. Il n’a pas d’idées suicidaires ! Antécédents : HTA et hypercholestérolémie ! R/ simvastatine, losartan ! MMSE : 28/30 Dépression majeure du sénior ! La dépression affecte 15 à 20 % des personnes de plus de 65 ans ! Femmes > Hommes (10.4 % versus 6.5%) ! Conséquences : - atteinte du fonctionnement habituel - mauvaise nutrition - isolement social - risque de suicide augmenté - altération du devenir de mutliples affections chroniques (arthrite, asthme, cancer, diabète, obésité, maladies cardiovasculaires) ! Diagnostic est difficile, en présence de comorbidités, souvent symptômes atypiques Traiter la dépression du sénior en MG ! Environ 10% des visites en MG sont concernées par la dépression ! Les MG voient autant de patients déprimés que les psychiatres ! Le choix de tel ou tel AD n’est pas aussi important que le fait de suivre un plan rationnel : - donner un AD à dose adéquate et pendant un temps adéquat - surveiller l’amélioration symptomatique et les effets secondaires en ajustant le traitement - switch ou augmenter le traitement Screening rapide ! Demander au patient 2 questions : - durant le mois précédent, vous êtes-vous senti(e) déprimé(e), sans espoir ? - durant le mois précédent, avez-vous ressenti une perte d’intérêt ou de plaisir à faire les choses ? ! Si OUI aux 2 questions, investiguer davantage Symptômes souvent atypiques ! Peu de plaintes de tristesse spontanée mais hypocondrie et préoccupation somatique ! Mémoire subjective affaiblie ! Symptômes névrotiques: anxiété marquée, symptômes obsessionnels-compulsifs, motivation pauvre ! Symptômes somatiques ou psychiatriques ? (ou les deux) - anorexie - perte de poids - énergie diminuée Dépression majeure du sénior Frank C., Canadian Family Physician, 121-126,Vol 60, 2014 Diagnostic différentiel avec l’apathie ! L’apathie est définie comme un état d’indifférence à l’émotion, la motivation ou la passion. ! Elle résulte d’une diminution de motivation ou volition ! Spectre entre la motivation un peu diminuée et le mutisme akinétique ! Plus fréquent chez le sénior ! Importance des voies dopaminergiques pour la motivation ! L’augmentation sérotoninergique (ex: SSRI) va aggraver la diminution de motivation et le syndrome apathique Diagnostic différentiel avec l’apathie ! La dépression est un trouble de l’humeur; l’apathie est un trouble de la motivation : - est-ce que le patient a une tristesse accue ? - est-ce que le patient jouit moins des choses qu’il aime faire habituellement ? ! Traitement de l’apathie (sans trouble de l’humeur) : - enlever les médicaments qui diminuent la dopamine ou augmentent la sérotonine - stimulants (rilatine) - médicaments dopaminergiques (pramipexole, bromocriptine) - inhibiteurs de la cholinesterase - bupropion But du traitement pharmacologique ! Phase aigue : vise la rémission des symptômes (et pas seulement l’amélioration symptomatique !) – le patient est son contrôle ! Phase de continuation : vise la prévention des rechutes du même épisode ! Phase de maintenance (prophylaxie): vise la récurrence d’un nouvel épisode Cas clinique ! Monsieur C, accepte de commencer un R/ antidépresseur ! Fixer les objectifs du R/ : - amélioration du sommeil - retourner aux activités du Rotary - recommencer à marcher - profiter de la visite de ses petits-enfants Question Les antidépresseurs sont moins efficaces chez les patients âgés que chez les patients jeunes VRAI FAUX Choix de l’antidépresseur ! Efficacité similaire des AD par rapport aux patients plus jeunes ! Comorbidités fréquentes : maladie cardiaque, diabète, cancer, démence; autant de facteurs de risque de dépression ! Les comorbidités ne diminuent pas l’efficacité des AD ! ! Choix de l’AD selon : - réponse à un épisode dépressif précédent - comorbidités (ex : éviter les plus anticholinergiques – paroxétine - si hypertrophie de la prostate) - type de dépression (ex : si psychotique : AD + AP) - interactions avec d’autres médications - certains symptômes (ex : duloxetine si douleur ; mirtazapine si anxiété) Autres médicaments ! Psychostimulants : peuvent induire de l’agitation et de l’insomnie ! Benzodiazépines : - problème d’accoutumance - attention si idées suicidaires ! ! Antipsychotiques : - d’emblée AD + AP si dépression psychotique (risperdal 1 mg – aripiprazole 5 mg – olanzapine 5 mg) - en thérapie d’augmentation si dépression résistante Effets secondaires ! Habituels : nausées, constipation ou diarrhée, vertiges, céphalées, insomnie ou somnolence, dysfonction sexuelle ! Tricycliques : - atteinte cognitive - anomalies de conduction cardiaque - nortriptyline (Nortrilen) : le moins anticholinergique ! Hyponatrémie : - 8% sous SSRI ou venlafaxine (SIADH) - réversible, faire PS un mois après initiation AD ! Suicide : pas d’association suicide et prescription SSRI chez les séniors ! Prolongation espace QT : - attention si > 20 mg citalopram ou 10 mg d’escitalopram chez sénior - si autres agents qui augmentent le QT - suivi ECG Quel(s) neurotransmetteur(s) cibler ? ! Sérotonine : - humeur, anxiété, appétit, sommeil, régulation de la T° - nausée, fonction plaquettaire, fonction sexuelle ! Noradrénaline : - attention, anxiété, humeur - éveil, énergie ! Dopamine : -motivation, plaisir, récompense - fonctionnement moteur Quel(s) neurotransmetteur(s) cibler ? Question Les antidépresseurs doivent idéalement être commencés à la moitié de la dose chez les séniors par rapport aux patients plus jeunes VRAI FAUX Question Les antidépresseurs doivent être prescrits chez les séniors à une dose finale maximale d’environ la moitié de la dose des patients les plus jeunes VRAI FAUX Titration et monitoring ! Commencer à une posologie 2 fois moindre que chez les patients les plus jeunes ! Augmenter graduellement la dose jusque la dose habituelle ! « Start low, and go slow, … but go ! » ! Vérifier la compliance ! Envisager de modifier le R/ si : - non réponse après 4 semaines - réponse partielle après 8 semaines Cas clinique ! Monsieur C, commence 10 mg de citalopram et expérimente de faibles nausées ! Après 10 jours : la dose est augmentée à 20 mg et bien tolérée ! Après 2 semaines : petite amélioration du sommeil et de l’anxiété. Il continue de passer ses journées à la maison…. ! Après 1 mois : - vérification du sodium sérique : normal - ECG : QT inchangé (< 450 msc) ! Augmentation dose à 30 mg de citalopram ! Après 2 mois : nouvelle estimation symptomatique Question Quels sont les antidépresseurs qui augmentent leur efficacité antidépressive en augmentant leur dose ? Stratégies d’augmentation ! Environ 10 à 20% des patients développent une dépression chronique, et 25 à 30% ne répondent pas à l’AD initial !! ! Le patient est son contrôle ! ! Augmenter la dose de l’AD : citalopram – escitalopram – (sertraline) – venlafaxine – tricycliques ! Switch de l’AD : vers un AD de la même classe ou d’une classe différente en commençant par une faible dose ! Ajouter une faible dose d’AP atypique Cas clinique ! Monsieur C rapporte une amélioration partielle des symptômes : il retourne se promener mais moins souvent qu’avant, il ne profite toujours pas des visites de ses petitsenfants ! Décision de diminuer le citalopram à 20 mg tout en ajoutant la venlafaxine à 37,5 mg. ! Augmentation de la dose de venlafaxine toutes les 2 semaines jusqu’à 150 mg ! Meilleur sommeil, disparition de l’anhédonie ! Il demande combien de temps il doit continuer le traitement…. Divers Antidépresseurs ! SSRI : - Fluoxétine : - à éviter car longue demi-vie (norfluoxétine : 9 jours) et bcp d’interactions (inbiteur 2D6) - le plus activateur des SSRI - Paroxétine : - à éviter car bcp d’effets secondaires (bouche sèche, constipation, prise de poids) - très courte demi-vie et syndrome de discontinuation - bcp d’interactions : inbiteur 2D6 (plus que fluoxétine) - Sertraline : - activateur (un agoniste dopaminergique) - peu d’inhibition 2D6 - absorption maximale demande un estomac rempli - Citalopram: - un peu sédatif - peu d’interactions - prolongation espace QT au dessus de 40 mg - Escitalopram : - peu d’interaction - neutre (ni sédation ni activation) - Fluvoxamine : - très courte demi-vie - inbiteur puissant 1A2 et 2C19 Divers Antidépresseurs ! SNRI : - Venlafaxine: - est un SSRI jusqu’à 112.5 mg !! - adrénergique à partir de 150 mg -activateur (> 150 mg) - Duloxetine : - actif sur la douleur - activateur ! Mirtazapine : - intérêt : sommeil, stimule appétit, - anticholinergique : prise de poids, rétention urinaire, bouche sèche - plus sédatif à faible dose, plus activateur à forte dose ! Combinaison Venlafaxine + Mirtazapine : rocket fuel !! ! Buproprion : - voies dopaminergiques et noradrénergiques - pas de prise de poids et peu d’effets sexuels - CI : épilepsie ! - Peut causer anxiété, agitation et insomnie ! Tricycliques : - nortriptyline a le moins d’effets secondaires anticholinergiques Question Les séniors ont tendance à rechuter plus souvent que les patients les plus jeunes à l’arrêt du traitement VRAI FAUX Question La durée minimale recommendée du traitement de continuation est de 6 mois chez les séniors (après rémission complète des symptômes) VRAI FAUX Traitement de continuation et de maintenance ! Rechutes plus fréquentes chez les séniors à l’arrêt de l’AD ! Durée recommandée de traitement minimum : 12 mois après rémission ! A l’arrêt : diminuer la dose sur plusieurs mois en monitorant le risque de rechute ! Décision de traitement de maintenance à plus long terme : - si dépression sévère - si dépression récurrente - si rémission partielle des symptômes - si nécessite ECT (risque nutritionnel, idéation suicidaire réfractaire, dépression psychotique réfractaire) Cas clinique ! Après un an de rémission, on discute avec Monsieur C de l’arrêt de l’AD mais il est réticent car a peur des rechutes ! Après 18 mois, il acepte d’arrêter la venlafaxine trouvant qu’il prend trop de médicaments ! On diminue progressivement son traitement sur 4 mois et 6 mois plus tard, il n’y a pas de récurrence symptomatique Evolution vers la démence des personnes âgées avec dépression majeure Alexopoulos GS., Présenté au « American College of Neuropsychopharmacology », 2004 Evaluation de la plainte mnésique SUSPECT BANAL Age > 65 ans Age 50 – 65 ans Entourage plus plaintif que le patient Plainte spontanée, bien appuyée TYPE D’ OUBLIS TYPE D’OUBLIS - Oublis répétés des faits récents - Tendance à être répétitif (pose les mêmes questions) - Désorientation dans le temps/espace ATTITUDE DU PATIENT - Plainte spontanée vague - - minimise - - rationalise (c’est l’âge,…) - change de sujet - devient irritable - “trous” de mémoire (j’oublie tout) - “distractions” - - concentration déficitaire - besoin de tout noter, tout vérifier - - bafouillage ou perte du fil en conversation ATTITUDE DU PATIENT - présente de manière précise ses plaintes - - très concerné, inquiet - - peur de la maladie d’Alzheimer - peur que les autres ne remarquent - « j’ai toujours eu une excellente mémoire » Illustration d’un cas clinique • Monsieur G.R., 67 ans, est arrêté par la police dans un arrêt d’autobus car il est en train de se masturber et des passants ont appelé la police. Serait-ce un pervers ? • Conduit dans un hôpital général pour une expertise pychiatrique à la demande du procureur, on apprend qu’il aurait été suivi ces 5 dernières années pour « maniaco-dépression » mais qu’il ne suivait pas son traitement et n’allait pas régulièrement chez son psy... • Afin d’éviter une mesure de mise en observation (soins sous la contrainte), le patient accepte d’être hospitalisé • Il paraît indifférent et continue de se masturber sans arrêt dans sa chambre et se promène nu dans les couloirs... • On le neuroleptise et progressivement, son comportement de masturbation disparaît • Il sera transféré dans notre service de psychiatrie pour avis... Illustration d’un cas clinique • Le diagnostic de « maniaco-dépression » ne me paraît pas probable car : - le début du comportement de désinhibition commence vers 62 ans et non avant - il n’y a pas d’humeur euphorique qui accompagne la désinhibition • Lorsqu’on interroge le patient sur les faits dans l’arrêt d’autobus, il semble indifférent, ne donne pas d’explication et ne semble pas minimiser les faits ni essayer de trouver une explication convaincante qui pourrait l’excuser (comme le ferait le pervers par exemple) • Sa seule plainte, c’est sa mémoire qui commence à être moins bonne • Nous réalisons un bilan complémentaire • IRM : normale, en particulier pas d’atrophie des hippocampes (comme cela peut se voir dans la maladie d’Alzheimer) • Bilan neuropsychologique : « ton patient n’est pas dément » - légère faiblesse en mémoire à long terme - fonctions exécutives normales PETscan : hypométabolisme du cortex orbito-frontal Illustration d’un cas clinique • Hétéro-anamnèse : - mon mari est « persona non grata » des restaurants - notre fille ne peut plus recevoir des amies à la maison - il a toujours été porté sur le « sexe » • Diagnostic : début de démence fronto-temporale intéressant le cortex orbito-frontal La dépression du sénior en résumé… ! Si antécédents : utiliser l’antidépresseur qui a marché précédemment ! Commencer à faibles doses ! Attendre au moins 4 semaines avant d’augmenter la dose ! Ne pas hésiter à augmenter la dose avant de switcher ! ! Sélectionner les médications avec le moins d’effets anticholinergiques et hypotenseurs ! La patience est une vertu : cela prend plus de temps pour un patient âgé de répondre à un traitement antidépresseur, spécialement s’il a des antécédents dépressifs ! Traitement antidépresseur de maintenance capital surtout si antécédents dépressifs Merci pour votre attention ! Cas clinique ! Madame T.R. , 67 ans ! Antécédents personnels : - encéphalite à l’âge de 2 ans - un état dépressif majeur il y a 15 ans - HTA ! En 1997 (67 ans): - plaintes : oublier des détails de conversation, oublier le noms de nouvelles connaissances, oublier où elle dépose un objet, manque de mot, hésiter sur l’orthographe - fatigue, être plus triste, dormir moins bien, appétit correct - Bilan neuropsy : MMSE : 30/30 ; mémoire intacte; langage intact ; légers signes dysexécutifs (Stroop) - EEG, CTscan, Scinti : normaux ! Dépression : R/ SSRI pdt 1 an ; évolution favorable ! En 1999 (69 ans): - plaintes : - oubli du contenu des livres, impression de fonctionner au ralenti, doit tout noter, être distraite, difficultés pour se concentrer - instabilité émotionnelle, humeur triste, fatigabilité surtout matinale, anhédonie, sommeil perturbé - Bilan neuropsy : très légère " de mémoire verbale mais restant dans les normes - CTscan et Scinti : normaux ! Dépression : R/ SSRI ! En 2001 (71 ans) : - plaintes : - oublie des noms propres, se demander où elle doit aller lorsqu’elle sort de la maison - fatigue, sommeil correct avec somnifères, humeur variable, irritable, est toujours sous R/ SSRI - Bilan neuropsy : - MMSE : 27/30 - bilan reste dans les normes même si péjoration de la mémoire de travail, mémoire à long terme verbale, dissociation aux fluences en défaveur de la sémantique ! renforcement R/ SSRI ( # dose) puis switch SNRI ! En 2003 (73 ans) : - Plaintes : mémoire fonctionne moins bien, difficultés pour s’exprimer - Bilan neurpsy : - MMSE : 27/30 - déficit net en mémoire verbale ainsi qu’aux épreuves langagières; ralentissement à la flexibilité - IRM : atrophie diffuse, sans lésion vasculaire - Scinti : importante hypofixation corticale de l’hémisphère gauche ! compatible avec démence Alzheimer ! En 2004 (74 ans) : MMSE : 20/30 ! En 2005 (75 ans) : MMSE : 16/30 ! En 2006 (76 ans) : MMSE : 12/30