INTEGRATION ET SOLIDARITE : Émile DURKHEIM (1858

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Spécialité Terminales/Durkheim
Année scolaire 2009-2010
INTEGRATION ET SOLIDARITE : Émile DURKHEIM (1858-1917)
Indications du programme
On retiendra de Durkheim l’idée d’une division sociale du travail qui unit les individus dans des domaines aussi divers que l’économie, la famille, la
politique. On présentera pour cela les deux grandes formes de solidarité, “mécanique” et “organique”, les mécanismes qui expliquent le passage
de l’une à l’autre et les moyens de les repérer.
On insistera, à ce propos, sur l’importance du droit. On précisera les différentes situations dans lesquelles la division du travail selon Durkheim
cesse d’engendrer de la solidarité. On soulignera l’importance des groupes intermédiaires qui permettent de limiter la division du travail
anomique en définissant des règles et en contenant ainsi les égoïsmes individuels.
L’actualité des analyses de Durkheim et ses prolongements contemporains seront étudiés en s’interrogeant sur la relation entre l’intégration et
le travail comme dimension majeure du lien social. On remarquera l’importance d’un contexte caractérisé par un chômage durable et une mise en
question du salariat. On pourra également s’interroger sur le maintien, voire le renforcement des formes de solidarité mécaniques dans les
sociétés contemporaines.
=> Biographie et contexte : cf feuille distribuée aux élèves
Introduction
Contextualisation, problématique :
L'auteur et son contexte : cf biographie
Sociologue français (1858 – 1917) considéré comme un des fondateurs de la sociologie moderne en France.
Ouvrages majeurs :
De la Division du travail social (1893) => sa thèse
Les Règles de la méthode sociologique (1895)
Le Suicide (1897)
La thèse de Durkheim naît dans un contexte particulier de bouleversements économiques, sociaux et politiques :
- La révolution industrielle s’accompagne de l’émergence de la classe ouvrière et de la bourgeoisie capitaliste, de
révoltes ouvrières et de luttes sociales (constitution du syndicalisme).
- L’urbanisation conduit au déclin des communautés traditionnelles et développement de l’individualisme.
- La démocratie progresse (on passe à la 3ème république avec difficultés).
Émile Durkheim cherche à mieux comprendre ces évolutions et s'inquiète des conséquences sur la cohésion sociale.
Problématique :
Dans sa thèse De la Division du travail social, il analyse la transformation des formes du lien social quand on passe des sociétés
traditionnelles aux sociétés industrialisées et s'interroge sur les possibilités de concilier l'autonomie de l'individu et la cohésion
sociale dans les sociétés contemporaines.
=> Comment se fait-il que, tout en devenant plus autonome, l'individu dépende plus étroitement de la société ?
Comment les hommes forment-ils ensemble une société ?Autrement dit, comment maintenir une solidarité entre les individus ?
C'est la question centrale de la pensée de Durkheim qui traversera son oeuvre sous différentes formes.
Le lien social se renouvelle et change de nature, ce qui ne se fait pas toujours sans difficulté.
Cependant, chez Durkheim, le lien social est avant tout un lien moral (cf biographie polycopiée)
Selon lui la morale désigne « les règles qui président aux relations des hommes vivant en société » et qui « énoncent les
conditions fondamentales de la solidarité sociale » (De la DTS)
Idée : la morale est à la fois une contrainte et une représentation de l'idéal vers lequel l'individu doit tendre pour se
dépasser et s'attacher à un groupe social (les normes définissent ce qui est prescrit et proscrit dans un groupe ; les valeurs ce
qui est bien et mal).
« Est moral ce qui est source de solidarité, tout ce qui force l'homme à régler ses mouvements sur autre chose que les
impulsions de son égoïsme ».
La DT a un caractère moral chez Durkheim car elle demande à certains individus de se plier à certaines exigences pour
prendre leur place dans la vie sociale moderne.
Ainsi, doté d'une signification morale, le fait économique devient un fait social (la morale est un fait social).
Le 1er chapitre des Règles de la méthode sociologique définit le fait social à partir de deux critères : l'extériorité et la
contrainte.
« Est fait social toute manière, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure ».
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Le fait social est l'objet d'étude que Durkheim assigne à la sociologie
Approfondissement :
* l'extériorité renvoie à une dimension temporelle : ils préexistent à la naissance de chacun d'entre nous et perdurent
après notre mort, ils constituent un cadre extérieur que nous n'avons pas créé nous-mêmes (ex : parler la langue du pays)
Ils sont le produit de la vie du groupe => les représentations collectives débordent chacune des consciences individuelles => la
société existe en dehors des individus qui la composent => holisme méthodologique.
* La contrainte a plusieurs significations :
elle fait référence à la notion de sanction (le non respect des règles de conduites entraîne des sanctions de la
part de la société
le non respect de certaines règles de comportement peut entraîner l'échec des actions de celui qui les
entreprend (ex : l'individu qui ne parlera pas la langue de son pays ne sera pas compris)
elle évoque également la pression exercée par le groupe sur chaque individu
certaines normes sont intériorisées à travers le processus de socialisation
Ces deux caractéristiques sont liées. L’individu, pour exister socialement, doit se conformer à des règles qui existent en
dehors de lui et qu’il n’a pas choisies.
Cela implique une méthode d'analyse sociologique particulière :
- il faut traiter les faits sociaux comme des choses (cad de la même manière que les phénomènes naturels, éviter les
jugements spontanés, les prénotions)
- il faut expliquer un fait social par un autre fait social
Document 1 (bac 2008)
Quand je m'acquitte de ma tâche de frère, d'époux ou de citoyen, quand j'exécute les engagements que j'ai contractés, je
remplis des devoirs qui sont définis, en dehors de moi et de mes actes, dans le droit et dans les mœurs. Alors même qu'ils sont
d'accord avec mes sentiments propres et que j'en sens intérieurement la réalité, celle-ci ne laisse pas d'être objective ; car ce
n'est pas moi qui les ai faits, mais je les ai reçus par l'éducation. De même, les croyances et les pratiques de sa vie religieuse, le
fidèle les a trouvées toutes faites en naissant ; si elles existaient avant lui, c'est qu'elles existent en dehors de lui. Voilà donc
des manières d'agir, de penser et de sentir qui présentent cette remarquable propriété qu'elles existent en dehors des
consciences individuelles. Non seulement ces types de conduite ou de pensée sont extérieurs à l'individu, mais ils sont doués
d'une puissance impérative et coercitive en vertu de laquelle ils s'imposent à lui, qu'il le veuille ou non. [...]
Voilà donc un ordre de faits qui constituent une espèce nouvelle et c'est à eux que doit être donnée et réservée la qualification
de sociaux. Elle leur convient ; car il est clair que, n'ayant pas l'individu pour substrat, ils ne peuvent en avoir d'autre que la
société.
Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Flammarion, coll. « Champs », [1895], 1988
1) Quelles sont les caractéristiques du fait social selon Durkheim ?
2) Donnez en les justifiant deux exemples de faits sociaux, différents de ceux du texte.
Exemples de faits sociaux :
le suicide
Dans le sens commun il apparaît comme un acte individuel mais Durkheim montre qu'il existe des circonstances qui sont
régulièrement à l'origine de ce phénomène (« régularités sociales »).
la manière de manger, les codes élémentaires de politesse, l’obligation scolaire, la mode vestimentaire, les goûts
musicaux ou littéraires propres à un groupe d’âge, les choix politiques ….
la division du travail
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PLAN DU CHAPITRE
DOCS
Introduction : Éléments biographiques et contextuels
I. L'ANALYSE
A. La DT créé du lien social et de la solidarité...
1/ La DT unit les individus dans des domaines divers
a) Rôle et fonction de la DT
b) La DT se manifeste dans divers domaines
2/ Le développement de la DT explique le passage d'une solidarité mécanique à
une solidarité organique
a) Une analyse des types de droit permet de repérer les formes de solidarité
b) Le lien social change de forme à mesure que la DT se développe
c) Le passage d'une forme de solidarité à une autre s'explique par des
mécanismes
B. ...Elle peut cependant avoir des formes pathologiques
1/ La DT peut être anomique
2/ Des groupes intermédiaires sont nécessaires afin de la limiter
II.
ACTUALITÉ ET PROLONGEMENTS CONTEMPORAINS
OBJECTIFS DE SAVOIRS
Lien social = lien moral
Fait social
Prénotion
Division du travail social
Solidarité
mécanique/organique
Densité morale/matérielle
Anomie
Conscience collective
Cohésion sociale
Exclusion sociale
Intégration par le travail
I. L'ANALYSE
La DT a un caractère moral : en ce sens, elle est source de solidarité et créé donc du lien social.
Dans De la DTS, Durkheim s'intéresse aux transformations des formes de ce lien : le lien social change de forme à
mesure que la DT se développe.
Cependant, son analyse lui permet également d'identifier des formes pathologiques de la DT.
A. La division du travail créé du lien social et de la solidarité...
1/ La DT unit les individus dans des domaines divers
a) Rôle et fonction de la DT
Document 2 : Division du travail et solidarité
Mais si la division du travail produit la solidarité, ce n'est pas seulement parce qu'elle fait de chaque individu un échangiste,
comme disent les économistes; c'est qu'elle crée entre les hommes tout un système de droits et de devoirs qui les lient les uns
aux autres d'une manière durable. De même que les similitudes sociales donnent naissance à un droit et à une morale qui les
protègent, la division du travail donne naissance à des règles qui assurent le concours pacifique et régulier des fonctions
divisées. Si les économistes ont cru qu'elle engendrait une solidarité suffisante, de quelque manière qu'elle se fît, et si, par
suite, ils ont soutenu que les sociétés humaines pouvaient et devaient se résoudre en des associations purement économiques,
c'est qu'ils ont cru qu'elle n'affectait que des intérêts individuels et temporaires. Par conséquent, pour estimer les intérêts en
conflit et la manière dont ils doivent s'équilibrer, c'est-à-dire pour déterminer les conditions dans lesquelles l'échange doit se
faire, les individus seuls sont compétents; et comme ces intérêts sont dans un perpétuel devenir, il n'y a place pour aucune
réglementation permanente. Mais une telle conception est, de tous points, inadéquate aux faits. La division du travail ne met pas
en présence des individus mais des fonctions sociales. Or la société est intéressée au jeu de ces dernières : suivant qu'elles
concourent régulièrement ou non, elle sera saine ou malade. Son existence en dépend donc, et d'autant plus étroitement qu'elles
sont plus divisées. C'est pourquoi elle ne peut les laisser dans un état d'indétermination, et d'ailleurs elles se déterminent
d'elles-mêmes. Ainsi se forment ces règles dont le nombre s'accroît à mesure que le travail se divise et dont l'absence rend la
solidarité organique ou impossible ou imparfaite.
Émile Durkheim, De la division du travail social, PUF, 1991 (1893).
1) Quelle est la fonction principale de la division du travail.
Division du travail social = fait social qui repose sur la répartition et la différenciation des rôles et fonctions (politiques,
économiques, religieuses etc.) entre les membres de la société.
La DT a une fonction sociale : elle produit de la solidarité entre les membres d'une société.
Solidarité = sentiment d'appartenance à une communauté conduisant à faire cause commune avec ses membres.
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Durkheim rejette ainsi les analyses libérales qui fondent le lien social sur la recherche de l'intérêt individuel et sur le marché ;
contrairement aux économistes classiques, il considère que le marché ne peut durablement rassembler les hommes.
2) Expliquez et distinguez les effets économiques et les effets moraux de la division du travail.
On peut distinguer deux effets de la division du travail.
Les effets économiques : La productivité et la création de richesse ont déjà été mis en évidence par A. Smith. Durkheim
ne conteste pas cela, bien sur, mais il met en évidence un autre aspect de la division du travail qui pour lui est plus fondamental
encore.
Les effets moraux : La division du travail est à l'origine d'une solidarité d'un nouveau type. Cet effet "moral"
caractérise le type de société, détermine des liens sociaux particuliers et s'impose aux individus évoluant dans la société.
Durkheim s'intéresse avant tout aux effets moraux de la division du travail, qui détermine des liens sociaux particuliers.
Smith privilégie plutôt la dimension économique.
Donc la DT a un effet moral. Cela signifie qu'elle construit la solidarité organique:
Deux raisons:
- contrainte et règles à respecter ET
- complémentarité.
Durkheim la conçoit comme un fait social qui repose sur le partage de fonctions jusque là communes à tous les individus et qui va
générer du lien social.
En impliquant une diversification des activités et en spécialisant les individus, elle favorise l'échanges des compétences et les
relations d'interdépendance.
Les individus deviennent complémentaires => création du lien social.
La DTS contribue donc à créer de la solidarité, elle est facteur d'intégration sociale et de cohésion sociale.
b) La DTS se manifeste dans divers domaines
Selon Durkheim, la DTS unit les individus dans des domaines aussi divers que l'économie, la famille, le politique etc. :
le cas des relations amicales
au sein de la famille, le cas des rapports de couples : division sexuelle crée de la complémentarité => solidarité conjugale
au niveau politique : complémentarité des ministres
A retenir : La division du travail exerce un rôle déterminant dans le maintien de la cohésion sociale et de l'ordre social
par son caractère moral tout d’abord, car elle oblige en effet chacun à se conformer à des règles précises. Le respect
de ces règles et de ces contraintes permet de prendre place dans la vie sociale (en premier lieu dans la sphère professionnelle)
et ainsi d’assurer une certaine cohésion : la spécialisation dans une fonction passe ainsi par le respect de règles « administratives
» (le contrat de travail définit clairement, pour une activité donnée, les fonctions à assumer).
Le respect de ces règles est indispensable pour pouvoir occuper un statut professionnel donné; elle suppose aussi le respect de
règles professionnelles et techniques spécifiques (on ne s’improvise pas «professeur» sans l’obtention de compétences certifiées
par exemple...) ;
par la complémentarité qu’elle crée entre les individus, ensuite, puisque chacun est dépendant de l’autre une fois
spécialisé dans une activité donnée.
2/ Le développement de la DTS explique le passage d'une solidarité mécanique à une solidarité organique
a) Une analyse des types de droit permet de repérer les formes de solidarité
Le lien social ne peut être directement observé ; toutefois, une partie de la morale de la société est objectivée dans les normes
juridiques.
Document 3 :
Il faut surtout déterminer dans quelle mesure la solidarité que [la division du travail] produit contribue à l'intégration générale
de la société: car c'est seulement alors que nous saurons jusqu'à quel point elle est nécessaire, si elle est un facteur essentiel
de la cohésion sociale, ou bien, au contraire, si elle n'en est qu'une condition accessoire et secondaire. [...]
Mais la solidarité sociale est un phénomène tout moral qui, par lui-même, ne se prête pas à l'observation exacte ni surtout à la
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mesure. Pour procéder tant à cette classification qu'à cette comparaison, il faut donc substituer au fait interne qui nous
échappe un fait extérieur qui le symbolise et étudier le premier à travers le second. Ce symbole visible, c'est le droit.
Il convient donc de classer les règles juridiques d'après les différentes sanctions qui y sont attachées.
Il en est de deux sortes. Les unes consistent essentiellement dans une douleur, ou, tout au moins, dans une diminution infligée à
l'agent; elles ont pour objet de l'atteindre dans sa fortune, ou dans son honneur, ou dans sa vie, ou dans sa liberté, de le priver
de quelque chose dont il jouit. On dit qu'elles sont répressives ; c'est le cas du droit pénal. [ ... ] Quant à l'autre sorte, elle
n'implique pas nécessairement une souffrance de l'agent, mais consiste seulement dans la remise des choses en état, dans le
rétablissement des rapports troublés sous leur forme normale, soit que l'acte incriminé soit ramené de force au type dont il a
dévié, soit qu'il soit annulé, c'est-à-dire privé de toute valeur sociale. On doit donc répartir en deux grandes espèces les règles
juridiques, suivant qu'elles ont des sanctions répressives organisées, ou des sanctions seulement restitutives.
La première comprend tout le droit pénal; la seconde, le droit civil, le droit commercial, le droit des procédures, le droit
administratif et constitutionnel, abstraction faite des règles pénales qui peuvent s'y trouver.
Émile DURKHEIM, De la division du travail social. PUF, 1991 [1893]
Il est nécessaire de partir de la distinction des deux types de droit afin de montrer la méthode utilisée par Durkheim.
Commencer par développer le modèle théorique que sont les deux types de solidarité pourrait réduire, pour les élèves, la
sociologie à un discours général sur la société.
1) Sur quel critère observable se fonde la distinction entre deux types de droit ?
La distinction entre deux types de droit se fonde sur le critère observable de type sanction.
2) En quoi consistent ces types de droit ?
Dans le droit répressif, la sanction a pour fonction de faire expier le criminel qui a froissé la conscience collective.
Dans le droit restitutif, la sanction a pour fonction de rétablir la situation telle qu’elle aurait dû être.
Transition : Une analyse des types de droit permet donc d'étudier les formes de solidarité :
au droit répressif va correspondre une solidarité mécanique
au droit restitutif va correspondre une solidarité organique
b) Le lien social change de forme à mesure que la DT se développe
Cela correspond au passage d'une solidarité mécanique à une solidarité organique.
Document 4
[...] Nous reconnaîtrons deux sortes seulement de solidarités positives que distinguent les caractères suivants :
1. La première relie directement l'individu à la société sans aucun intermédiaire. Dans la seconde, il dépend de la société, parce
qu'il dépend des parties qui la composent.
2. La société n'est pas vue sous le même aspect dans les deux cas. Dans le premier, ce que l'on appelle de ce nom, c'est un
ensemble plus ou moins organisé de croyances et de sentiments communs a tous les membres du groupe : c'est le type collectif.
Au contraire, la société dont nous sommes solidaires dans le second cas est un système de fonctions différentes et spéciales
qu'unissent des rapports définis. Ces deux sociétés n'en font d'ailleurs qu'une. Ce sont deux faces d'une seule et même réalité,
mais qui ne demandent pas moins à être distinguées.
3. De cette seconde différence en découle une autre qui va nous servir à caractériser et à dénommer ces deux sortes de
solidarités.
La première ne peut être forte que dans la mesure où les idées et les tendances communes à tous les membres de la société
dépassent en nombre et en intensité celles qui appartiennent personnellement à chacun d'eux. Il y a dans chacune de nos
consciences, avons-nous dit deux consciences : l'une, qui nous commune avec notre groupe tout entier qui, par conséquence, n'est
pas nous-même, mais la société vivant et agissant en nous; l'autre qui ne représente au contraire que nous dans ce que nous
avons de personnel et de distinct, dans ce qui fait de nous un individu. La solidarité qui dérive des ressemblances atteint son
maximum quand la conscience collective recouvre exactement notre conscience totale et coïncide de tous points avec elle : mais,
à ce moment notre individualité est nulle.
Les molécules sociales qui ne seraient cohérentes que de cette seule manière ne pourraient donc se mouvoir avec ensemble que
dans la mesure où elles n'ont pas de mouvements propres, comme font les molécules des corps inorganiques. C'est pourquoi nous
proposons d'appeler mécanique cette espèce de solidarité. Ce mot ne signifie pas qu'elle soit produite par des moyens
mécaniques et artificiellement. Nous ne la nommons ainsi que par analogie avec la cohésion qui unit entre eux les éléments des
corps bruts, par opposition à celle qui fait l'unité des corps vivants. Ce qui achève de justifier cette dénomination, c'est que le
lien qui unit ainsi l'individu à la société est tout à fait analogue à celui qui rattache la chose à la personne.
Il en est tout autrement de la solidarité que produit la division du travail. Tandis que la précédente implique que les individus se
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ressemblent, celle-ci suppose qu'ils diffèrent les uns des autres. La première n'est possible que dans la mesure où la
personnalité individuelle est absorbée dans la personnalité collective; la seconde n'est possible que si chacun a une sphère
d'action qui lui est propre, par conséquent une personnalité. Il faut donc que la conscience collective laisse découverte une
partie de la conscience individuelle, pour que s'y établissent ces fonctions spéciales qu'elle ne peut pas réglementer; et plus
cette région est étendue, plus est forte la cohésion qui résulte de cette solidarité. En effet, d'une part, chacun dépend
d'autant plus étroitement de la société que le travail est plus divisé, et, d'autre part, l'activité de chacun est d'autant plus
personnelle qu'elle est plus spécialisée. Sans doute, si circonscrite qu'elle soit, elle n'est jamais complètement originale; même
dans l'exercice de notre profession, nous nous conformons à des usages, à des pratiques qui nous sont communes avec toute
notre corporation. Mais, même dans ce cas, le joug que nous subissons est autrement moins lourd que quand la société tout
entière pèse sur nous, et il laisse bien plus de place au libre jeu de notre initiative. Ici donc, l'individualité du tout s'accroît en
même temps que celle des parties; la société devient plus capable de se mouvoir avec ensemble, en même temps que chacun de
ses éléments a plus de mouvements propres. […] Nous proposons d'appeler organique la solidarité qui est due a la division du
travail.
Émile DURKHEIM, De la division du travail social. PUF, 1991 [1893]
Caractérisez les deux formes de solidarités mises en évidence par Durkheim en complétant le tableau ci-dessous :
SOLIDARITÉ
SOLIDARITÉ
MÉCANIQUE
ORGANIQUE
Types de société
Traditionnelles, communautaire
Modernes (industrielles)
Type de droit
Répressif
Restitutif
Division du travail forte ou
faible ?
Faible DT
Forte DT
Nature des relations entre
individus
Semblables, Substituables
Complémentaires, dépendants
Liens entre individu et
société
Individu soumis au groupe
Autonomie de la conscience individuelle
Place des normes collectives
Forte => poids important de la conscience
collective
Autonomie de la conscience individuelle,
libre arbitre
Place de la religion
Forte
Perte du sacré
Type de propriété
Collective
Individuelle (Privée)
Remarques :
Conscience collective = ensemble des croyances et des sentiments qui sont communs à la moyenne des membres de la
société. Elle n’existe que par les sentiments et croyances présents dans chaque conscience individuelle ; ainsi la société vit en
chacun de ses membres.
Attention : Il ne faut pas confondre individualisme et égoïsme
Le progrès de l’individualisme caractérise la modernité.
La modernité conduit à valoriser l’individu, à le faire « émerger » du collectif : il devient un sujet, libre de faire des choix,
émancipé des anciennes tutelles que représentaient la religion, les traditions ou le pouvoir absolu.
Nous vivons dans une société d’individus, pas forcément dans une société d’égoïstes. Cela signifie que, de plus en plus, les
individus peuvent choisir leurs comportements, leurs idées, se différencier des groupes constitués.
- la conscience collective ne disparaît pas dans les sociétés modernes (la solidarité mécanique demeure =>
ex : associations)
c) Le passage d'une forme de solidarité à l'autre s'explique par des mécanismes
Autrement dit, on s'intéresse aux causes du développement de la division du travail.
Document 5 :
La division du travail progresse d'autant plus qu'il y a plus d'individus qui sont suffisamment en contact pour pouvoir agir et
réagir les uns sur les autres. Si nous convenons d'appeler densité dynamique ou morale ce rapprochement et le commerce actif
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qui en résulte, nous pourrons dire que les progrès de la division du travail sont en raison directe de la densité morale ou
dynamique de la société.
Mais ce rapprochement moral ne peut produire son effet que si la distance réelle entre les individus a elle-même diminué. La
densité morale ne peut donc s'accroître sans que la densité matérielle s'accroisse en même temps, et celle-ci peut servir à
mesurer celle-là. [ ... ] Si la condensation de la société produit ce résultat, c'est qu'elle multiplie les relations intra-sociales.
Mais celles-ci seront encore plus nombreuses si, en outre, le chiffre total des membres de la société devient plus considérable.
[...]
Nous pouvons donc formuler la proposition suivante : La division du travail varie en raison directe du volume et de la densité des
sociétés, et si elle progresse d'une manière continue au cours du développement social, c'est que les sociétés deviennent
régulièrement plus denses et très généralement plus volumineuses. [ ... ]
Nous disons, non que la croissance et la condensation des sociétés permettent, mais qu'elles nécessitent une division plus grande
du travail. Ce n'est pas un instrument par lequel celui-ci se réalise ; c'en est la cause déterminante. [ ... ]
Si le travail se divise davantage à mesure que les sociétés deviennent plus volumineuses et plus denses, [ ... ] c'est que la lutte
pour la vie y est plus ardente. [ ... ] On voit combien la division du travail nous apparaît sous un autre aspect qu'aux économistes.
Pour eux, elle consiste essentiellement à produire davantage. Pour nous, cette productivité plus grande est seulement une
conséquence nécessaire, un contrecoup du phénomène. Si nous nous spécialisons, ce n'est pas pour produire plus, mais c'est pour
pouvoir vivre dans les conditions nouvelles d'existence qui nous sont faites.
Émile DURKHEIM, De la division du travail social. PUF, 1991 [1893]
1) Que sont la densité morale, la densité matérielle et le volume de la société ?
Densité morale : les contacts et les échanges entre les individus.
Densité matérielle : densité géographique de la population, compte tenu de la surface habitable.
Volume : nombre d’habitants.
Exode rural +
urbanisation
Hausse densité matérielle
(population + nombreuse
sur une surface donnée
Hausse densité morale
(intensification des
échanges)
Lutte pour
la survie
DT
Son rôle est de rendre
les individus plus
solidaires
Exemple : la ville
2) Pourquoi la division du travail doit-elle nécessairement s'accroître quand la densité et le volume de la société augmentent ?
« La lutte pour la vie y est plus ardente » : perspective darwinienne. L’augmentation de la densité morale rend nécessaire la
spécialisation des individus afin qu’ils trouvent leur place dans la société, en tissant des liens d’interdépendance.
Il est nécessaire de se spécialiser pour des raisons sociales : La concurrence entre personnes semblables est toujours plus forte
à mesure que la densité morale s’accroît. La spécialisation permet de sortir de cette confrontation directe et de développer une
complémentarité source de solidarité. Seule la complémentarité des fonctions permet la poursuite de la vie en commun ; les
individus deviennent interdépendants. La division du travail a donc une fonction intégratrice.
Important : l'explication donnée par Durkheim se distingue de celle de Smith
Pour Smith, la division sociale du travail résulte de l’intérêt individuel d’augmenter la productivité afin d’augmenter le pouvoir
d’achat. Pour Durkheim, la division du travail social résulte des contraintes nées de l’augmentation de la densité des sociétés.
C’est donc un fait social (idée de contrainte et d’extériorité) qui a des conséquences économiques (hausse de la productivité, qui
permet de faire vivre une population plus nombreuse sur un même territoire) mais surtout sociales : le changement de nature du
lien social.
La division du travail n’est pas à l’origine de la société, elle est le produit d’une évolution de la société.
Transition : La DT peut toutefois cesser d'engendrer de la solidarité : elle peut avoir des formes pathologiques;
B. ...Mais peut avoir des formes pathologiques
La DT peut avoir des formes pathologiques et risque de ne plus produire de la solidarité quand les contacts entre
individus ou groupes sont insuffisants ou mal coordonnés => anomie.
Mais la DT est également pathologique lorsqu'elle est contrainte.
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1/ La DT peut être anomique
Document 6 :
Pour que la solidarité organique existe, il ne suffit pas qu'il y ait un système d'organes nécessaires les uns aux autres et qui
sentent d'une façon générale leur solidarité, mais il faut encore que la manière dont ils doivent concourir, sinon dans toute
espèce de rencontres, du moins dans les circonstances les plus fréquentes, soit prédéterminée. [...] Ce qui est certain, c'est que
ce défaut de réglementation ne permet pas l'harmonie régulière des fonctions. [...] Dans tous ces cas, si la division du travail ne
produit pas la solidarité, c'est que les relations des organes ne sont pas réglementées, c'est qu'elles sont dans un état d'anomie.
[ ... ]
Un premier cas de ce genre nous est fourni par les crises industrielles ou commerciales, par les faillites qui sont autant de
ruptures partielles de la solidarité organique; elles témoignent en effet que, sur certains points de l’organisme, certaines
fonctions sociales ne sont pas ajustées les unes aux autres. Or, à mesure que le travail se divise davantage, ces phénomènes
semblent devenir plus fréquents, au moins dans certain cas.
L’antagonisme du travail et du capital est un autre exemple, plus frappant, du même phénomène. A mesure que les fonctions
industrielles se spécialisent davantage, la lutte devient plus vive, bien loin que la solidarité augmente.
On a souvent signalé dans l’histoire des sciences une autre illustration du même phénomène. Jusqu’à des temps assez récents, la
science, n’étant pas très divisée, pouvait être cultivée presque tout entière par un seul et même esprit. Aussi avait-on un
sentiment très vif de son unité. Les vérités particulières qui la composaient n’étaient ni si nombreuses, ni si hétérogènes qu’on
ne vit facile¬ment le lien qui les unissait en un seul et même système. Les méthodes, étant elles-mêmes très générales,
différaient peu les unes des autres, et l’on pouvait apercevoir le tronc commun à partir duquel elles divergeaient insensiblement.
Mais, à mesure que la spécialisation s’est introduite dans le travail scientifique, chaque savant s’est de plus en plus renfermé,
non seulement dans une science particulière, mais dans un ordre spécial de problèmes.
La division du travail contrainte est donc le second type morbide que nous reconnaissons. Mais il ne faut pas se tromper sur le
sens du mot. [.,,] La contrainte ne commence que quand la réglementation, ne correspondant plus à la nature vraie des choses et,
par suite, n'ayant plus de base dans les mœurs, ne se soutient que par la force.
Émile DURKHEIM, De la division du travail social. PUF, 1991 [1893]
Rappel : des règles sont nécessaires pour qu'existe la solidarité organique
1) Qu'est-ce que l'anomie ? Illustrez votre réponse.
➔
1ère source de pathologie : l'anomie
Parfois la division du travail n’entraîne pas cette instauration de règles qui prolonge mais aussi favorise une régularité des
rapports entre fonctions. Durkheim parle alors d’anomie.
➢
Dans De la division du travail social (1893), Durkheim explique que l’anomie caractérise l’une des pathologies de la
division du travail. Il s’agit d’une situation où « la division du travail ne produit pas la solidarité [car] les relations des
organes ne sont pas réglementées » en raison du manque de contiguïté ou de contact entre ces organes,
Cela peut donc correspondre à une insuffisance de régulation sociale, une perte de repère pour les individus => désorganisation
sociale
=> Il y a alors rupture de la solidarité. Durkheim parle de pathologie des société modernes.
➢ L'anomie peut aussi résulter d'un excès de réglementation.
Une division trop poussée du travail se traduit par une mauvaise coordination des fonctions.
=> Le travail finit par perdre tout son sens pour le travailleur (« travail en miette » selon l'expression de G.
FRIEDMANN qui correspond à l'aliénation chez Marx))
Remarque : Dans Le Suicide, en 1897, Durkheim déplacera quelque peu le sens du terme pour privilégier l’absence de régulation
des passions et des désirs, dans le cadre familial par exemple (il parlera du « mal de l'infini que l'anomie apporte partout avec
elle »).
2) En quoi la division contrainte du travail constitue une « forme pathologique de la division du travail» ?
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2ème source de pathologie : la DT contrainte
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Spécialité Terminales/Durkheim
Année scolaire 2009-2010
La division du travail contrainte n'est pas tant due à l'excès de règles qu'à leur caractère injuste => Durkheim relève 2 sources
d'injustices :
les fonctions occupées par chacun n'ont pas été librement choisies et ne correspondent pas au mérite => inégalité des
chances aujourd'hui
La solidarité entre fonctions est alors le résultat d’une force contraignante qui assigne l’individu à une fonction déterminée ou
l’empêche de réaliser ce qu’il pourrait faire.
le prix des biens n'est pas nécessairement en rapport avec la peine qu'ils coûtent et le service qu'ils rendent => les
individus risquent de ne pas se sentir engagés dans des contrats qu'ils jugent léonins.
Remarque : À ce compte, on peut se demander si la division du travail « normale », en particulier dans le domaine du salariat, n’est
pas en grande partie « pathologique » du fait de règles impératives auxquelles l’individu doit se soumettre.
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3ème source de pathologie à laquelle Durkheim n'accorde qu'une faible attention : situation dans laquelle le travail est
excessivement divisé sans que pour autant chaque travailleur soit suffisamment occupé par sa tâche => c'est « la division
bureaucratique du travail » selon Philippe Besnard
2/ Des groupes intermédiaires sont nécessaires afin de limiter la DT anomique
Ils sont nécessaires car ils définissent des règles et en contenant les égoïsmes individuels.
A faire : Différences entre un syndicat et une corporation
Idée : la corporation (ou groupe professionnel) peut constituer un remède à la DT anomique.
Plutôt que de faire descendre un système de règles uniformes d’un pouvoir central, mieux vaut selon Durkheim que les divers
groupements professionnels correspondant à la division du travail élaborent et fassent partager à leurs membres des règles
adaptées à leur vie professionnelle spéciale.
Cette morale professionnelle fonctionnera comme une conscience collective par rapport au groupement, elle aura une fonction
intégratrice et régulatrice. Le fait que ces règles soient en rapport étroit avec les conditions d’existence des travailleurs leur
donnera un pouvoir d’influence qui peut seul contrecarrer la tendance à l’anomie.
Remarque : On comparera utilement cette idée « corporative » au rôle que Tocqueville voulait voir jouer aux associations pour
contenir les effets de l’individualisme.
II. ACTUALITE ET PROLONGEMENTS
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