3 la paralysie de la IVe paire crânienne

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LES PARALYSIES OCULOMOTRICES
DOSSIER
3 La paralysie de
la IVe paire crânienne
Diagnostic et prise en charge
Dr Pierre Lebranchu1, Pr Alain Péchereau1
Introduction
Le muscle oblique supérieur est
le seul muscle innervé par le nerf
trochléaire. C’est un muscle abaisseur et incyclotorteur, son champ
d’action maximale s’exerçant dans
le regard en bas et en dedans.
Sa paralysie entraîne des conséquences variables d’un patient à
l’autre, restant longtemps insidieuse
dans les formes congénitales ou,
au contraire, ayant une expression
bruyante dans les formes acquises.
Elle est souvent révélée par une diplopie, un torticolis ou une hypertropie. Lorsqu’elle est nécessaire, sa
prise en charge chirurgicale donne
d’excellents résultats, permettant
d’obtenir une zone de vision simple
dans les principaux champs du regard.
Signes fonctionnels
de la paralysie
Le patient peut se plaindre d’inconfort visuel ou de diplopie,
surtout dans les activités sollicitant le champ inférieur du regard. Elle est typiquement ressentie comme verticale, parfois
torsionnelle. Elle est souvent
exprimée de manière aiguë dans
les formes acquises, restant insidieuse voire ignorée dans les
1 Service d’ophtalmologie, CHU de Nantes.
formes congénitales. Parfois
la symptomatologie est plus
frustre, le patient ressentant un
inconfort lors de la lecture ou la
descente des escaliers, ou bien
ne s’adaptant pas à ses verres
progressifs.
Diagnostic clinique
Le torticolis
Il est parfois le seul signe d’appel, mais n’est souvent pas remarqué par le patient (qui n’en
a pas conscience) ou son entourage. Il permet de diminuer
au maximum la diplopie, le patient adoptant un port de tête
qui l’éloigne au maximum du
champ d’action de l’oblique supérieur paralysé :
• tête penchée sur l’épaule opposée à la paralysie ;
• menton abaissé.
Classiquement, ce torticolis disparaît lors de l’occlusion d’un
œil, mais ce signe dépend en général de l’ancienneté de la paralysie. L’étude des photographies
du patient permet parfois de révéler son caractère ancien.
lysé (déviation primaire), alternant avec une hypotropie de
l’œil sain (déviation secondaire).
Classiquement cette hypertropie diminue ou disparaît dans la
position de torticolis (abduction
de l’œil paralysé). Elle augmente
dans l’adduction de l’œil paralysé (élévation en adduction) et diminue lors de l’abduction (Fig. 1).
L’étude des versions met parfois
en évidence une hypertropie
constante dans tous les champs
du regard vers le bas, pouvant révéler une contracture du muscle
droit supérieur associée.
Le test de Bielschowsky
Cette manœuvre consiste à mesurer la déviation en position
primaire d’abord tête droite,
puis en l’inclinant sur l’une puis
l’autre épaule. Le patient doit
fixer son regard au loin. L’écran
est alterné, de façon à décompenser au maximum l’angle de
déviation. Il est maintenu devant un œil lors de l’inclinaison,
afin d’éviter toute fusion. Cette
manœuvre est positive si l’hypertropie augmente lorsque la
tête est penchée du côté paralysé (Fig. 2).
L’examen sous écran
Le patient peut ne montrer aucune déviation en position primaire au début de l’examen. Il
faut alors rompre la fusion entre
les deux yeux (écran unilatéral
puis alterné) pour démasquer
une hypertropie de l’œil para-
Pratiques en Ophtalmologie • Mai 2011 • vol. 5 • numéro 44
La mesure de l’amplitude
de fusion verticale
Ce test doit être réalisé en début d’examen, avant que le patient ne voie double. Il consiste à
mesurer le nombre de dioptries
verticales qui peuvent être inter121
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posées devant un œil avant de
déclencher une diplopie. Classiquement les formes congénitales développent une importante amplitude de fusion (≥ 6
dioptries), alors que les formes
acquises sont incapables de fusionner.
L’examen de la sensorialité
Dans les formes congénitales,
la déviation est en général bien
compensée en position primaire
dans les premières années de
vie. L’amblyopie est donc rare.
Cependant si une hypertropie
apparaît dans la plupart des positions du regard, le jeune patient peut être amené à neutraliser (mécanisme antidiplopique),
entraînant une altération progressive de sa vision binoculaire.
Figure 1 - Paralysie de la IVe paire crânienne gauche (notez l’élévation de l’œil gauche
lors de son adduction).
La mesure de la déviation
Le test de Hess-Weiss permet un
relevé coordimétrique de la déviation, mais dépend de la coopération (et de la sensorialité) du
patient. Typiquement il retrouve
une hypoaction de l’oblique supérieur parésié associée à des
hyperactions de l’oblique inférieure homolatérale et du droit
inférieur controlatéral (Fig. 3). Les
tracés des deux yeux seront sensiblement de la même taille dans
les formes progressives.
L’examen de la torsion apporte
de précieuses informations.
L’examen du fond d’œil ou
des rétinophotographies peut
mettre en évidence une excyclotorsion, parfois bilatérale
même en cas de paralysie isolée (Fig. 4) (1). L’examen subjectif
de la torsion peut être réalisé à
la double baguette de Maddox,
aux verres de Bagolini ou encore
par l’inclinaison de la torche lors
du test de Hess-Weiss. Il sera au
mieux réalisé par une mesure
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Figure 2 - Test de Bielschowsky positif lorsque la tête est penchée sur l’épaule gauche.
Figure 3 - Test de Lancaster dans une paralysie de la IVe paire crânienne gauche.
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L’examen en imagerie par résonance magnétique (IRM) sera
demandé en cas d’atypie, en
particulier lorsque la paralysie
semble acquise sans diagnostic
évident. Les coupes orbitaires
peuvent mettre en évidence une
atrophie du corps musculaire de
l’oblique supérieur (Fig. 5), qui, s’il
confirme le diagnostic de paralysie de l’oblique n’oriente pas sur
son origine congénitale ou acquise (2). Les coupes encéphaliques permettent d’orienter la
recherche étiologique.
DOSSIER
sur l’écran tangentiel de Harms,
qui permet d’objectiver une augmentation de l’excyclotorsion
lorsque le regard se porte en bas
et en dedans.
Figure 4 - Excyclotorsion bilatérale prédominant à gauche dans le cadre d’une paralysie de la IVe paire crânienne.
Diagnostic
étiologique
Les paralysies du IV sont dominées par deux principales étiologies: congénitale et traumatique
(Tab. 1).
Les atteintes congénitales sont
initialement bien compensées,
et peuvent être de révélation
tardive. Elles sont alors diagnostiquées au cours d’un examen
fortuit, ou parce que l’entourage
a noté l’élévation d’un œil en adduction. Cependant une fois les
mécanismes compensateurs dépassés elles peuvent mimer une
atteinte aiguë. L’ancienneté du
torticolis, l’existence d’une asymétrie faciale et/ou d’un trouble
de l’articulé dentaire, l’importante amplitude de fusion verticale ou l’absence de vision binoculaire sont des signes en faveur
d’une origine congénitale.
La principale étiologie des paralysies acquises est traumatique
mais le traumatisme initial peut
parfois se révéler ancien. Les
autres étiologies (vasculaire,
Figure 5 - Atrophie du corps musculaire de l’oblique supérieur droit visualisé sur une
coupe coronale en IRM.
infectieuse ou inflammatoire)
nécessitent un bilan neurologique et radiologique. La plupart
des atteintes microvasculaires
régressent dans les 3 premiers
mois, ce qui n’est pas le cas des
autres étiologies (3).
Forme clinique :
les paralysies
bilatérales
Elles ont une expression particulière. Les patients se présentent
avec un port de tête menton rentré dans le sternum. A l’examen,
il n’existe souvent que peu de
déviation en position primaire,
avec l’apparition d’une hypertropie droite en version gauche
et d’une hypertropie gauche en
version droite. Un double signe
de Bielschowsky est observé,
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Tableau 1 - Etiologies des
paralysies unilatérales
de l’oblique supérieur de
l’adulte (étude rétrospective
sur 150 patients).
Etiologie de Fréquence
la paralysie
Congénitale
38,3 %
Traumatique
29,3 %
Microvasculaire
23,3 %
Indéterminée
7,5 %
ou autre
Tableau 2 - Principaux diagnostics différentiels d’une
hypertropie.
• Myasthénie
• Maladie de Basedow
•P
aralysie de la IIIe paire crânienne
• Anomalie orbitaire
(fracture, tumeur, myosite…)
• Skew deviation
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DOSSIER
avec une hypertropie gauche
vers l’épaule gauche et une hypertropie droite vers l’épaule
droite. Par rapport à une paralysie unilatérale, l’excyclotorsion
est majeure dans le champ inférieur (supérieure à 10°), s’associant parfois à une ésotropie
dans le regard en bas et à un syndrome alphabétique en V. Elle
est secondaire à un traumatisme
dans la moitié des cas.
Diagnostic
différentiel d’une
hypertropie
Il est résumé dans le tableau 2.
Prise en charge
Le traitement médical
La correction optique doit être
prescrite, en évitant les verres
progressifs chez le patient non
compensé. L’amblyopie devra
être dépistée chez les plus jeune,
et traitée ou prévenue. La prescription de prisme peut parfois
compenser une petite hauteur,
mais ne résout pas le problème
torsionnel (4). L’occlusion monoculaire chez l’enfant peut permettre de diminuer le torticolis
en attendant une éventuelle
prise en charge chirurgicale.
2. Le traitement chirurgical
Il est souvent la clé du traitement
des paralysies. Il faut savoir y
penser lorsque la diplopie devient gênante (en particulier lors
de l’adaptation aux verres progressifs) ou le torticolis permanent. Chez l’enfant, l’altération
de la vision binoculaire est un
signe de l’aggravation de la paralysie, justifiant sa prise en charge
chirurgicale.
Le protocole chirurgical dépend
de la clinique et des contractures musculaires associées. Il
est guidé par les tests de laxité ligamentaire pre-opératoires réalisés sous anesthésie générale.
On pourra ainsi associer selon
les modalités un recul gradué
du muscle oblique inférieur, un
renforcement gradué du muscle
oblique supérieur (dans sa totalité ou dans sa portion antérieure), parfois un recul du droit
supérieur. Un geste complémentaire sur l’œil controlatéral
se discutera en deuxième intention.
Les résultats chirurgicaux s’avèrent satisfaisants, permettant
d’éliminer la diplopie en position primaire et dans le regard en
bas chez la très grande majorité
des patients (5, 6)
Conclusion
La paralysie de la IVe paire crânienne est un diagnostic fréquent, mais qui peut être longtemps ignoré en raison de la
normalité de l’examen clinique
initial. Il faut savoir l’évoquer
dans des circonstances particulières (trouble visuel dans le
regard en bas, torticolis) et la
rechercher par des manœuvres
spécifiques de décompensation.
Une fois son diagnostic affirmé,
le médecin doit s’attacher à en
rechercher l’origine (congénitale ou acquise) et adapter la
prise en charge. Devant une paralysie non résolutive, une solution chirurgicale donne souvent
d’excellents résultats.
n
Mots-clés :
Paralysie de la IVe paire crânienne,
Torticolis, Nerf trochléaire, Extorsion
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