LES PARALYSIES OCULOMOTRICES
DOSSIER
Pratiques en Ophtalmologie • Mai 2011 • vol. 5 • numéro 44 121
SIGNES FONCTIONNELS
DE LA PARALYSIE
Le patient peut se plaindre d’in-
confort visuel ou de diplopie,
surtout dans les activités solli-
citant le champ inférieur du re-
gard. Elle est typiquement res-
sentie comme verticale, parfois
torsionnelle. Elle est souvent
exprimée de manière aiguë dans
les formes acquises, restant in-
sidieuse voire ignorée dans les
1 Service d’ophtalmologie, CHU de Nantes.
formes congénitales. Parfois
la symptomatologie est plus
frustre, le patient ressentant un
inconfort lors de la lecture ou la
descente des escaliers, ou bien
ne s’adaptant pas à ses verres
progressifs.
DIAGNOSTIC CLINIQUE
Le torticoLis
Il est parfois le seul signe d’ap-
pel, mais n’est souvent pas re-
marqué par le patient (qui n’en
a pas conscience) ou son en-
tourage. Il permet de diminuer
au maximum la diplopie, le pa-
tient adoptant un port de tête
qui l’éloigne au maximum du
champ d’action de l’oblique su-
périeur paralysé :
tête penchée sur l’épaule op-
posée à la paralysie ;
• menton abaissé.
Classiquement, ce torticolis dis-
paraît lors de l’occlusion d’un
œil, mais ce signe dépend en gé-
néral de l’anciennede la para-
lysie. L’étude des photographies
du patient permet parfois de -
véler son caractère ancien.
L’examen sous écran
Le patient peut ne montrer au-
cune déviation en position pri-
maire au début de l’examen. Il
faut alors rompre la fusion entre
les deux yeux (écran unilatéral
puis alterné) pour démasquer
une hypertropie de l’œil para-
lysé (déviation primaire), alter-
nant avec une hypotropie de
l’œil sain (déviation secondaire).
Classiquement cette hypertro-
pie diminue ou disparaît dans la
position de torticolis (abduction
de l’œil paralysé). Elle augmente
dans l’adduction de l’œil paraly-
lévation en adduction) et di-
minue lors de l’abduction
(Fig. 1)
.
Létude des versions met parfois
en évidence une hypertropie
constante dans tous les champs
du regard vers le bas, pouvant ré-
véler une contracture du muscle
droit supérieur associée.
Le test de BieLschowsky
Cette manœuvre consiste à me-
surer la viation en position
primaire d’abord tête droite,
puis en l’inclinant sur l’une puis
l’autre épaule. Le patient doit
fixer son regard au loin. Lécran
est alterné, de façon à décom-
penser au maximum l’angle de
déviation. Il est maintenu de-
vant un œil lors de l’inclinaison,
afin d’éviter toute fusion. Cette
manœuvre est positive si l’hy-
pertropie augmente lorsque la
tête est penchée du côté para-
lysé
(Fig. 2)
.
La mesure de L’ampLitude
de fusion verticaLe
Ce test doit être réalisé en dé-
but d’examen, avant que le pa-
tient ne voie double. Il consiste à
mesurer le nombre de dioptries
verticales qui peuvent être inter-
Le muscle oblique supérieur est
le seul muscle innervé par le nerf
trochléaire. C’est un muscle abais-
seur et incyclotorteur, son champ
d’action maximale s’exerçant dans
le regard en bas et en dedans.
Sa paralysie entraîne des consé-
quences variables d’un patient à
l’autre, restant longtemps insidieuse
dans les formes congénitales ou,
au contraire, ayant une expression
bruyante dans les formes acquises.
Elle est souvent révélée par une di-
plopie, un torticolis ou une hypertro-
pie. Lorsqu’elle est nécessaire, sa
prise en charge chirurgicale donne
d’excellents résultats, permettant
d’obtenir une zone de vision simple
dans les principaux champs du re-
gard.
Introduction
3 La paralysie de
la IVe paire crânienne
Diagnostic et prise en charge
Dr Pierre Lebranchu1, Pr Alain Péchereau1
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posées devant un œil avant de
déclencher une diplopie. Clas-
siquement les formes congéni-
tales développent une impor-
tante amplitude de fusion ( 6
dioptries), alors que les formes
acquises sont incapables de fu-
sionner.
L’examen de La sensoriaLité
Dans les formes congénitales,
la déviation est en général bien
compensée en position primaire
dans les premières années de
vie. L’amblyopie est donc rare.
Cependant si une hypertropie
apparaît dans la plupart des po-
sitions du regard, le jeune pa-
tient peut être amené à neutrali-
ser (mécanisme antidiplopique),
entraînant une altération pro-
gressive de sa vision binoculaire.
La mesure de La déviation
Le test de Hess-Weiss permet un
relevé coordimétrique de la dé-
viation, mais dépend de la coo-
pération (et de la sensorialité) du
patient. Typiquement il retrouve
une hypoaction de l’oblique su-
périeur parés associée à des
hyperactions de l’oblique infé-
rieure homolatérale et du droit
inférieur controlatéral
(Fig. 3)
. Les
tracés des deux yeux seront sen-
siblement de la me taille dans
les formes progressives.
Lexamen de la torsion apporte
de précieuses informations.
Lexamen du fond d’œil ou
des rétinophotographies peut
mettre en évidence une excy-
clotorsion, parfois bilatérale
même en cas de paralysie iso-
lée
(Fig. 4)
(1). Lexamen subjectif
de la torsion peut être réalisé à
la double baguette de Maddox,
aux verres de Bagolini ou encore
par l’inclinaison de la torche lors
du test de Hess-Weiss. Il sera au
mieux réalisé par une mesure
Figure 1 - Paralysie de la IVe paire crânienne gauche (notez l’élévation de l’œil gauche
lors de son adduction).
Figure 2 - Test de Bielschowsky positif lorsque la tête est penchée sur l’épaule gauche.
Figure 3 - Test de Lancaster dans une paralysie de la IVe paire crânienne gauche.
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sur l’écran tangentiel de Harms,
qui permet d’objectiver une aug-
mentation de l’excyclotorsion
lorsque le regard se porte en bas
et en dedans.
Lexamen en imagerie par réso-
nance magnétique (IRM) sera
demandé en cas d’atypie, en
particulier lorsque la paralysie
semble acquise sans diagnostic
évident. Les coupes orbitaires
peuvent mettre en évidence une
atrophie du corps musculaire de
l’oblique supérieur
(Fig. 5)
, qui, s’il
confirme le diagnostic de paraly-
sie de l’oblique n’oriente pas sur
son origine congénitale ou ac-
quise (2). Les coupes encépha-
liques permettent d’orienter la
recherche étiologique.
DIAGNOSTIC
ÉTIOLOGIQUE
Les paralysies du IV sont domi-
nées par deux principales étiolo-
gies: congénitale et traumatique
(Tab. 1)
.
Les atteintes congénitales sont
initialement bien compensées,
et peuvent être de révélation
tardive. Elles sont alors diagnos-
tiquées au cours d’un examen
fortuit, ou parce que l’entourage
a noté l’élévation d’un œil en ad-
duction. Cependant une fois les
mécanismes compensateurs dé-
passés elles peuvent mimer une
atteinte aiguë. L’ancienneté du
torticolis, l’existence d’une asy-
métrie faciale et/ou d’un trouble
de l’articulé dentaire, l’impor-
tante amplitude de fusion verti-
cale ou l’absence de vision bino-
culaire sont des signes en faveur
d’une origine congénitale.
La principale étiologie des para-
lysies acquises est traumatique
mais le traumatisme initial peut
parfois se révéler ancien. Les
autres étiologies (vasculaire,
infectieuse ou inflammatoire)
nécessitent un bilan neurolo-
gique et radiologique. La plupart
des atteintes microvasculaires
régressent dans les 3 premiers
mois, ce qui n’est pas le cas des
autres étiologies (3).
FORME CLINIQUE :
LES PARALYSIES
BILATÉRALES
Elles ont une expression particu-
lière. Les patients se présentent
avec un port de tête menton ren-
tré dans le sternum. A l’examen,
il n’existe souvent que peu de
déviation en position primaire,
avec l’apparition d’une hyper-
tropie droite en version gauche
et d’une hypertropie gauche en
version droite. Un double signe
de Bielschowsky est observé,
Figure 4 - Excyclotorsion bilatérale prédominant à gauche dans le cadre d’une paraly-
sie de la IVe paire crânienne.
Figure 5 - Atrophie du corps musculaire de l’oblique supérieur droit visualisé sur une
coupe coronale en IRM.
• Myasthénie
• Maladie de Basedow
Paralysie de la IIIe paire crânienne
Anomalie orbitaire
(fracture, tumeur, myosite…)
Skew deviation
Tableau 2 - Principaux dia-
gnostics différentiels d’une
hypertropie.
Etiologie de Fréquence
la paralysie
Congénitale 38,3 %
Traumatique 29,3 %
Microvasculaire 23,3 %
Indéterminée 7,5 %
ou autre
Tableau 1 - Etiologies des
paralysies unilatérales
de l’oblique supérieur de
l’adulte (étude rétrospective
sur 150 patients).
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avec une hypertropie gauche
vers l’épaule gauche et une hy-
pertropie droite vers l’épaule
droite. Par rapport à une paraly-
sie unilatérale, l’excyclotorsion
est majeure dans le champ in-
férieur (supérieure à 10°), s’as-
sociant parfois à une ésotropie
dans le regard en bas et à un syn-
drome alphabétique en V. Elle
est secondaire à un traumatisme
dans la moitié des cas.
DIAGNOSTIC
DIFFÉRENTIEL D’UNE
HYPERTROPIE
Il est résumé dans le
tableau 2
.
PRISE EN CHARGE
LE TRAITEMENT MÉDICAL
La correction optique doit être
prescrite, en évitant les verres
progressifs chez le patient non
compensé. L’amblyopie devra
être dépistée chez les plus jeune,
et traitée ou prévenue. La pres-
cription de prisme peut parfois
compenser une petite hauteur,
mais ne résout pas le problème
torsionnel (4). L’occlusion mo-
noculaire chez l’enfant peut per-
mettre de diminuer le torticolis
en attendant une éventuelle
prise en charge chirurgicale.
2. LE TRAITEMENT CHIRURGICAL
Il est souvent la cdu traitement
des paralysies. Il faut savoir y
penser lorsque la diplopie de-
vient gênante (en particulier lors
de l’adaptation aux verres pro-
gressifs) ou le torticolis perma-
nent. Chez l’enfant, l’altération
de la vision binoculaire est un
signe de l’aggravation de la para-
lysie, justifiant sa prise en charge
chirurgicale.
Le protocole chirurgical dépend
de la clinique et des contrac-
tures musculaires associées. Il
est guidé par les tests de laxité li-
gamentaire pre-opératoires réa-
lisés sous anesthésie générale.
On pourra ainsi associer selon
les modalités un recul grad
du muscle oblique inférieur, un
renforcement gradué du muscle
oblique supérieur (dans sa to-
talité ou dans sa portion anté-
rieure), parfois un recul du droit
supérieur. Un geste complé-
mentaire sur l’œil controlatéral
se discutera en deuxième inten-
tion.
Les résultats chirurgicaux s’avè-
rent satisfaisants, permettant
d’éliminer la diplopie en posi-
tion primaire et dans le regard en
bas chez la très grande majorité
des patients (5, 6)
CONCLUSION
La paralysie de la IVe paire crâ-
nienne est un diagnostic fré-
quent, mais qui peut être long-
temps ignoré en raison de la
normalité de l’examen clinique
initial. Il faut savoir l’évoquer
dans des circonstances parti-
culières (trouble visuel dans le
regard en bas, torticolis) et la
rechercher par des manœuvres
spécifiques de décompensation.
Une fois son diagnostic affirmé,
le médecin doit s’attacher à en
rechercher l’origine (congéni-
tale ou acquise) et adapter la
prise en charge. Devant une pa-
ralysie non solutive, une solu-
tion chirurgicale donne souvent
d’excellents résultats. n
1. Lefevre F, Pechereau A. Study of optic nerve head-fovea angle with reti-
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2. Ozkan SB, Aribal ME, Sener EC,et al. Magnetic resonance imaging in
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BiBliographie
Mots-clés :
Paralysie de la IVe paire crânienne,
Torticolis, Nerf trochléaire, Extorsion
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