EC ERC Maria Lùcia ARAUJO SADALA - Professeur Assistante Département des soins infirmiers Faculté de Médecine UNESP - BOTUCATU Sao Paulo - BRESIL Iranilde MESSIAS MENDES - Professeur Assistante Ecole d’infirmière de USP - Ribeirao Preto Sao Paulo - BRESIL LES PATIENTS ATTEINTS D’HYPERTENSION ARTERIELLE : APPROCHE DE LEUR VECU* RÉSUMÉ SUMMARY L’étude a pour objet d’explorer le vécu des patients atteints d’hypertension artérielle, d’analyser les difficultés qu’ils évoquent et d’essayer de générer des similitudes. The study aims at exploring the experience of the patients suffering from high blood pressure, analysing the difficulties they evoke and trying to generate similarities. L’étude est qualitative, basée sur la méthode phénoménologique. Lt is a qualitative study, based on the phenomenological method. Les entretiens mettent en évidence que les patients ne s’intéressent qu’aux symptômes de l’hypertension. The interviews highlight the fact that the patients are preoccupied only by the symptoms of high blood pressure. Ils montrent aussi que la maladie est vécue de façon très affective et engendre des sentiments de frustration, de stress, d’anxiété et d’impuissance chez tous les patients. They also show that all the patients live through the disease with a lot of emotions, with feelings of frustration, stress, anxiety and helplessness. Une meilleure compréhension du vécu des patients doit permettre aux infirmières d’avoir des actions mieux ciblées. A better understanding of the patients’ experience must enable the nurses to have better targeted actions. Mots clés : patient - hypertendu - vécu - aide - prévention Keywords : patient, hypertension, experience, help, prevention * Cette recherche a été présentée lors du congrès international des infirmières en juin 1997 à Vancouver (CANADA). Recherche en soins infirmiers N” 55 - Décembre 1998 ECHERCHE LES PATIENTS ATTEINTS D’HYPERTENSION AR TERIELLE APPROCHE DE LEUR VECU INTRODUCTION Pour mener ces investigations, nous avons choisi la recherche qualitative, fondée sur la phénoménologie existentielle de MERLEAU-PONTY, 1945. Les patients atteints d’hypertension artérielle qui connaissent bien leur pathologie et qui, de ce fait, non seulement maîtrisent leur traitement mais aussi préviennent les complications, sont au centre des préoccupations des professionnels de santé qui travaillent dans des programmes de contrôle de l’hypertension (TAYLOR, 1983 ; PINTO, 1984; WILLIAM, 1987; MARANHAO et RAMIRES, 1988). METHODE La méthode phénoménologique sert à décrire I’expérience vécue, la réalité, le sens des événements du point de vue de ceux qui les vivent. Ici, l’étude consistera à recueillir le point de vue des patients atteints d’hypertension artérielle et de les laisser exprimer leur expérience de la maladie. L’analyse et la compréhension de ces discours doivent permettre au personnel de soins d’affiner leur procédé d’éducation afin de le rendre plus efficace et mieux ancré dans la réalité. L’adhésion du patient à son traitement est considérée comme fondamentale pour l’efficacité et la réussite de ce dernier. Un des objectifs majeurs des programmes d’éducation des patients hypertendus consiste à établir une communication efficace entre le personnel de santé et le patient afin de le stimuler à participer activement à la prise en charge de son hypertension (CAMPOS et LEITE, 1990; RICES ET CANDEIAS, 1989). La description (sans influence et sans interprétation) est l’élément de base de la méthode phénoménologique. Encourager et stimuler les patients impliquent que les professionnels aient accès aux représentations que les patients ont de leur maladie, de leur santé, de leur conception de la vie, autant de données que seul le patient lui-même peut dire et évaluer (NOBRE, 1995). La question posée aux sujets enquêtés a été : «que signifie pour vous être hypertendu » ? A partir du discours, en utilisant une méthode d’analyse de contenu, nous dégagerons des unités significatives. L’analyse de ces unités doit permettre de dégager le sens que le sujet donne à son expérience (MARTINS, 1993). On peut faire des rapprochements entre les études menées sur la participation des patients à leur traitement et les concepts de soins sur la promotion de la santé (PEPLAU, 1952 ; SUNDEEN, 1985 PATERSON et ZDERAD, 1988). Les unités significatives font référence aux concepts développés par MERLEAU PONTY (1945) dans la phénoménologie existentielle SUNDEEN, (19851, décrit les facteurs qui ont une influence sur l’adhésion du patient à son traitement : l’évaluation de sa capacité à adopter de telles mesures, la relation de confiance établie avec l’équipe de soins. la perspective, le champ, l l’horizon qui concernent la structure spatio-temporelle de la perception humaine. l la subjectivité explicitée (raisonnement du sujet), qui concerne l’approche affective que le sujet donne aux événements et aux choses. l l Nous pouvons donc penser que l’efficacité du traitement de l’hypertension artérielle est en grande partie dépendante de la qualité de I’intéraction qui existe entre le patient et l’équipe de soins. Pour qu’il y ait qualité, le personnel doit connaître le patient et ses représentations afin de cerner sa personnalité et de l’amener à changer de comportement et même de manière de vivre, pour gérer sa pathologie. Pour cet auteur, la science se construit aussi à partir de l’expérience du monde vécu. LE PROCESSUS DE RECHERCHE Qui est ce patient ? Que pense-t-il de sa maladie ? Quelle place lui laisse-t-il dans sa vie ? Que pense-t-il du traitement ? Est-il prêt à modifier des habitudes de vie etc ? 21 patients adultes hypertendus ont fait partie de cette étude, assistés par le « programa de saùde do adulto », programme de santé de l’adulte. En essayant de répondre à ces questions, cette étude se propose de rechercher le sens que le malade attribue à sa pathologie. Des entretiens individuels ont été réalisés, enregistrés et postérieurement retranscrits. L’agrément des patients et les mesures de confidentialité ont été respectés. 51 Recherche en soins infirmiers No 55 - Décembre 1998 Le dépouillement des données a permis d’identifier les unités de signification qui ont fait émerger l’analyse idéographique, c’est-à-dire le sens que le sujet donne à sa maladie. Puis, nous avons recherché l’analyse monothétique, c’est-à-dire les convergences des unités de signification pour comprendre le point de vue des patients hypertendus. RESULTATS 1 - LA PERCEPTION DES HYPERTENDUS PAR RAPPORT A LEUR MALADIE Les sujets évoquent leur hypertension en se référant à un vécu qu’ils évoquent par des termes : voir, sentir, vivre, insérés dans leur contexte personnel. Cependant, on peut dégager de ce discours des similitudes. + Aucun patient n’essaye de définir ou de dire ce qu’est réellement l’hypertension. II semble que la compréhension du phénomène leur échappe. + Tous les patients abordent la maladie par les symptômes qu’elle entraîne : vertiges, céphalées, malaise, nervosité, arythmie, cyanose, trouble de la mémoire, confusion mentale, transpiration, altération visuelle, mauvaise digestion, mauvais goût dans la bouche, difficulté de locomotion. «quand je m’énerve, ma tension s’élève; quand je me sens blessée, ma tension monte». «quand j’éprouve de la haine, j’ai de la tension ». «je ne sais pas pourquoi, j’ai de la tension mais je suis très nerveux ». + Les patients évoquent l’hypertension non pas comme une pathologie en soi, mais comme la conséquence d’une autre pathologie : «j’ai des problèmes cardiaques, mon cœur est agrandi, très agrandi, alors j’ai de la tension ». «si le diabète ne va pas bien, la tension monte aussi». «j’avais une bonne tension quand j’étais jeune; maintenant, j’ai vieilli, j’ai commencé à grossir, j’ai de la tension ». + Les patients ne parlent pas de la prévention mais de contrôle et de traitement : contrôle de la tension, des médicaments, du régime, des émotions. Ce contrôle est perçu comme assez difficile, pas toujours agréable, mais nécessaire pour que la tension artérielle reste dans des valeurs acceptables. Le contrôle est perçu comme rigoureux. + L’irrégularité de la tension tantôt haute, tantôt basse, engendre de l’anxiété et une incompréhension encore plus grande du phénomène : «ma tension est arrivée à 27/10, c’est anormal, çà me préoccupe; à un moment, elle monte puis elle descend, je me fais du souci ». + Les patients associent les symptômes à une élévation de la tension, ce qui les pousse à consulter un médecin. + La médication est vécue comme une contrainte : «si je ne prends pas le médicament le soir, le lendemain elle est très élevée ». ((je trouve désagréable de prendre tous les jours le médicament pour que ma tension ne monte pas ». + L’apparition des symptômes est décrite comme soudaine, rapide, brutale : «on se sent bien et brutalement les jambes mollissent.. . ». « la bouche devient sèche rapidement ». « il suffit de manger et je sais que la tension est élevée; j’ai une sensation étrange dans la bouche ». «je sens un goût dans la bouche, je sais que ma tension est élevée ». 2 - LA TOLERANCE AUX TRAITEMENTS C’est un thème qui a été évoqué par l’ensemble des personnes enquêtées. + Pour les patients, le traitement signifie essentiellement les médicaments. Ils le vivent comme une obligation. + Le retour à une tension normale engendre souvent une sensation de malaise «quand ma tension baisse, mes jambes ne me conduisent plus » «je suis fatiguée quand elle baisse » Cependant, certains patients «jouent » avec le traitement. Ils ne prennent les médicaments qu’à I’apparition de symptômes ou encore à la veille d’aller chez le médecin pour un contrôle. + L’hypertension et ses fluctuations sont décrites le plus souvent comme un malaise indéfinissable : «j’ai des vertiges, je me sens mal ». «je ne sens rien, pas de douleur, mais je me sens mal » . Certains patients «obéissent » au médecin : ((je prends le traitement parce que le médecin m’a dit que je dois le prendre, sinon c’est dangereux ». + Les patients reconnaissent globalement l’efficacité des traitements : «si je ne le prends pas, la tension monte » «il est efficace si je le prends tous les jours, je ne peux passer aucun jour 8. + Les causes de la maladie interrogent les patients -aux causes médicales : âge, obésité, maladie associée, alimentation inadaptée - ils associent des causes liées à leur vie : agitation, difficultés familiales, émotions, stress, nervosité, irritabilité. 52 Recherche en soins infirmiers No 55 - Décembre 1998 LES PATIENTS ATTEINTS D’HYPERTENSION ARTERIELLE : APPROCHE DE LEUR VECU + L’équilibre du dosage est une préoccupation pour les patients : «j’ai pris le médicament et ma tension a continué à monter » «on a augmenté régulièrement les doses jusqu’à ce que ma tension baisse ». «si on a une trop grosse dose, le corps molli, on est obligé de rester au lit ». + Pour certains patients, le traitement est trop onéreux : « une fois, j’étais sans argent pour acheter les médicaments, ma tension a monté; alors j’ai pris des feuilles de «chu-chu » (légume du Brésil) ». 3 - LA MALADIE ET LES LIENS AVEC LA VIE QUOTIDIENNE Les sentiments dominants sont l’impuissance, la tristesse, l’anxiété, la peur, car ils ne maîtrisent pas la situation dans laquelle ils se trouvent; ils ne la contrôlent pas. La régulation vient du médecin et des médicaments desquels ils sont dépendants. Comme nous l’avons vu, la pathologie est appréhendée par ses symptômes, par son traitement obligatoire. Elle est perçue comme quelque chose de mauvais qui effraie et qui varie suivant les aléas de la vie puisque très liée à leur vie affective. Lorsque le patient parle de son hypertension, il parle de sa vie. Les 2 sont indissociables. Nous noterons que les patients n’ont jamais abordé les aspects préventifs de leur traitement et qu’ils n’ont fait que très rarement allusion à des projets ou à l’avenir. Tous les patients associent étroitement leur hypertension, leur traitement à leur vie quotidienne, en particulier avec leurs difficultés : agitation, soucis économiques, activités sociales, physiques, contrariétés etc. : « quand les choses vont bien, la tension est bien ». «quand j’arrive à faire de la marche, la tension est bien » . «j’ai mon fils qui boit, c’est beaucoup de soucis pour moi, je fais de la tension ». «la tension élevée, çà vient du système nerveux; c’est mon cas quand j’ai des préoccupations ». CONSEQUENCES DE CETTE ETUDE POUR LES INFIRMIERES QUI SOIGNENT DES PATIENTS HYPERTENDUS Cette étude, qui apporte quelques clés de lectures intéressantes sur la façon dont les patients vivent leur hypertension, doit amener les infirmières à réfléchir sur les stratégies d’aide à développer pour aider les patients à dépasser leurs perceptions et à améliorer leur état. 4 - LEUR VECU AFFECTIF PAR RAPPORT A LA MALADIE Plusieurs points peuvent être soulignés : Les sentiments dominants dans le discours des patients sont la tristesse et la frustration car ils doivent se priver des choses qui leur donnaient du plaisir (nourriture, sport etc.). * Une sensibilisation sur l’origine et les causes exactes de l’hypertension artérielle afin qu’ils ne subissent plus les symptômes mais qu’ils les préviennent. Mais ce qui est exprimé avec le plus de douleur est leur impuissance devant cette maladie. Ils pensent ne plus vivre leurs émotions dans leur plénitude; ils doivent sans cesse se contrôler. Le sentiment d’impuissance les rend fragile : «j’ai très peur que ma tension monte la nuit ». + Un travail sur le sens de la maladie dans leur vie : sur leurs limites, leurs ressources, leurs possibilités et l’impact réel ou fantasmé de la maladie. + L’ouverture d’un vrai dialogue avec les patients pour qu’ils puissent exprimer ce qu’ils ressentent. On peut même penser à des rencontres avec plusieurs patients. L’expérience des uns pourraient profiter aux autres. SYNTHESE DES ENTRETIENS L’analyse nous permet de mettre en évidence que I’affectivité des personnes joue un rôle important dans la maladie. Les sentiments de négation et de révolte n’ont pas été retrouvés (KYES et HOFLING, 1985) car il s’agit ici de patients chroniques qui savent qu’ils devront vivre définitivement avec leur pathologie même si ils l’ont plus ou moins bien acceptée. * Aider le patient et sa famille à réintroduire dans leur vie la notion de projet et de futur. Pour les infirmières, c’est non plus une action de soins curatifs qui est en cause mais une action de santé publique axée vers la prévention et la qualité de vie des patients hypertendus. 53 Recherche en soins infirmiers No 55 - Décembre 1998