Inflammation : nouvelles pistes 585 IMMUNOMODULATION AU COURS DU SEPSIS C. Berton, C. Bernard, Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Lariboisière, 75010 Paris, France. INTRODUCTION La réaction inflammatoire au cours du sepsis est un phénomène complexe encore mal compris. 1. REACTION INFLAMMATOIRE 1.1. IMMUNITE INNEE C’est un système de défense ancestral présent dans tous les organismes multicellulaires. Il comprend des cellules et des molécules capables de reconnaître des motifs moléculaires communs à un large groupe de micro-organismes. Une avancée scientifique importante a été faite récemment concernant la reconnaissance de ces signaux d’alarme à l’infection. En effet, la découverte de la famille des récepteurs Toll (TLR) résout l’énigme de la voie de transmission intracellulaire du signal bactérien lors de la réponse immunitaire innée [1]. La molécule CD14 exprimée à la surface des monocytesmacrophages est capable de lier plusieurs ligands membranaires issus des bactéries, en particulier le lipopolysaccharide (LPS) des bacilles gram negatif (BGN), mais aussi certains motifs membranaires des cocci gram positif (CGP) et des mycobactéries. Le LPS se fixe dans le plasma à une protéine ou LPS-binding protein (LBP) et le complexe LPS-LBP se lie à CD14, aboutissant à l’activation monocytaire et à la sécrétion de cytokines. Cependant, CD14 ne possède pas de domaine de signalisation intracytoplasmique, mais présente les motifs bactériens en surface du monocyte aux TLR. Les TLR sont des protéines transmembranaires d’une même famille et ont été d’abord découverts chez la drosophile comme responsables de la production d’un peptide antifungique. Les TLR ont été identifiés chez l’homme par l’équipe de Janeway [1], sont au nombre de 5 et possèdent une portion cytoplasmique homologue au récepteur à l’IL-1. Ainsi, le LPS lie directement le TLR4 alors que les motifs des cocci gram+ (acide lipoteichoïque et peptidoglycanes) lient TLR2 après présentation au CD14 par une protéine plasmatique encore inconnue (Figure 1). 586 MAPAR 2001 LBP LPS CG+ LPS-LBP ? LBP-CD14 CD 14 TLR 2/4 CD14-TLR4 CD14-TLR2 Membrane NF-κB - Cytokines Figure 1 : Reconnaissance polyspécifique des bactéries Les cytokines sont des protéines le plus souvent induites et non constitutives, et ce, après activation transcriptionnelle sous le contrôle particulier du «nuclear factor kappa B» ou NFκB, facteur de transcription intracellulaire ubiquitaire [2]. NF-κB est composé d’un dimère de 2 sous-unités variables de la famille Rel et est présent dans le cyto-plasme sous une forme inactivée par liaison au facteur d’inhibition IκB. Les signaux d’activation cellulaire par les bactéries convergent vers la phosphorylation suivie de l’ubiquination (par l’ubiquitine) et la dégradation dans le protéasome (assemblage de protéases cytoplasmiques, lié à l’ubiquitine) de IκB, permettant la translocation nucléaire de NF-κB. NF-κB peut ainsi activer la transcription des nombreux médiateurs utilisés par le système immunitaire. La régulation cellulaire de ce système est néanmoins très fine, puisque NF-κB peut être induit, active lui-même la transcription d’IκB son facteur d’inactivation, et enfin le type de composition dimérique de NF-κB/Rel peut avoir des effets transcriptionnels différents. Selon Janeway [1], l’immunité innée est donc polyspécifique et adaptative. L’inhibition des TLRs pourrait être testée dans le traitement du choc septique, mais surtout, des agonistes des TLRs sous forme de vaccins pourraient servir d’adjuvants intéressants de l’immunité innée. 1.2. MOTIFS BACTERIENS Les motifs bactériens activent les différents acteurs cellulaires de la réponse immune innée : les monocytes-macrophages, les polynucléaires, les lymphocytes et les cellules de surface : épithéliales et vasculaires. Ces différentes cellules libèrent des médiateurs solubles peptidiques de petite taille : les cytokines [3]. Ces nombreuses molécules régulent les fonctions du système immunitaire sur un mode autocrine et paracrine, avec spécificité par liaison à des récepteurs spécifiques, et parfois synergie ou antagonisme, par communauté ou inhibition des voies de signalisation intracellulaire. Les cytokines pro-inflammatoires sont nombreuses et sont exprimées par les monocytes-macrophages selon une chronologie différente : TNF et IL-1 précoces, puis IL-6 et IL-8, IL-12 et IL-18 d’expression secondaire. Les arguments expérimentaux permettant d’incriminer le TNF dans la pathogénie du choc septique étaient essentiellement de 3 ordres [4] : Inflammation : nouvelles pistes 587 1- Le TNF est produit très précocement et en grande quantité par le macrophage en réponse au LPS in vitro, aboutissant à sa libération plasmatique dès 1 h après injection de LPS in vivo. 2- Le TNF recombinant en administration systémique chez l’animal reproduit la plupart des effets du LPS incluant la fièvre, les modifications hématologiques, l’état de choc avec défaillances viscérales pouvant évoluer jusqu’à la mort de l’animal. 3- Enfin, l’immunisation passive contre le TNF par des anticorps neutralisants protège l’animal des effets toxiques du LPS ou des BGN. TNF et IL-1 agissent en synergie au cours du sepsis et l’antagonisme d’action de l’IL-1 est également protectrice au cours du choc endotoxinique. La libération de TNF s’accompagne de la sécrétion en cascade de nombreuses autres cytokines et de médiateurs inflammatoires secondaires tels le monoxyde d’azote ou NO issu de la NO synthase inductible et des prostaglandines issus de la cyclo-oxygénase inductible. Deux nouvelles cytokines pro-inflammatoires d’expression monocytaire retardée ont été identifiées. Wang et al. [5] ont isolé la «high motility protein 1» (HMG-1) sécrétée par le macrophage après stimulation par le LPS de façon tardive. Ils ont ainsi montré que le blocage par des anticorps de HMG-1 diminue la létalité au choc endotoxinique, même si le traitement est démarré après le choc (24 h après). Par ailleurs, Calandra et al. [6] se sont intéressés au «macrophage migration inhibitory factor» (MIF), cytokine également d’expression retardée et dont le blocage est protecteur dans les modèles endotoxiniques et bactériens, mais aussi lorsque l’anticorps anti-MIF est administré après le début du sepsis. Un traitement anti-inflammatoire par blocage de certains médiateurs peut être efficace, même en administration retardée et dans les modèles septiques à bactéries vivantes. 1.3. REPERTOIRE DES MONOCYTES/MACROPHAGES Il s’inscrit en étroite connection avec celui des lymphocytes T et des lymphocytes NK («natural killer») sans même qu’une présentation antigénique plus spécifique soit engagée. En effet, IL-12 et IL-18 sont 2 cytokines pro-inflammatoires produites par les monocytes/macrophages et les cellules à capacité de présentation antigénique, après activation par les dérivés bactériens (LPS) [7]. IL-12 induit la production d’interférongamma (IFN-γ) par les lymphocytes T (CD4+, CD8+) et les NK, en costimulation avec TNF et IL-1 et surtout l’IL-18 («IFN-γ-inducing factor») que l’IL-12 est capable d’induire. L’IFN-γ est un des plus puissants activateurs des macrophages, permettant l’expression optimale des molécules du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH II) (HLADr étant d’expression majoritaire par les monocytes humains) servant à la présentation antigénique. In vivo, IL-12 et IL-18 agissent en synergie pour une production rapide et intense en IFN-γ au cours du choc endotoxinique participant aux effets toxiques du LPS. Cependant, l’IL-12 exerce un rôle protecteur essentiel, permettant une rapide clairance bactérienne du site infectieux, dans des modèles de péritonites à E. coli et de pneumopathies à K. pneumoniae où la neutralisation de l’IL-12 s’est montrée délétère [7]. Les lymphocytes T sont donc impliqués dans la réponse immune innée. 1.4. REPONSE INFLAMMATOIRE La réponse inflammatoire est complexe, nuancée et autorégulée : en effet, la production en excès de cytokines à activité pro-inflammatoire s’associe d’une réponse modulatrice concomitante des cytokines à activité anti-inflammatoire, comme les antagonistes naturels du TNF et de l’IL-1 : les récepteurs solubles au TNF, p55 et p75, l’antagoniste du récepteur à l’IL-1, mais aussi des cytokines dites anti-inflammatoires 588 MAPAR 2001 comme l’IL-10, l’IL-13 et le TGFβ [8]. Les souris n’exprimant pas l’IL-10 et le TFGβ présentent clairement un défaut de régulation endogène de la réponse inflammatoire, entraînant la mort de ces animaux par atteinte inflammatoire diffuse. A l’échelon cellulaire, le monocyte activé par le LPS est capable d’exprimer à la fois les médiateurs inflammatoires mais également des cytokines anti-inflammatoires désactivatrices : IL10, IL-13 et TGFβ [9], et les molécules antagonistes des actions de TNF et d’IL-1 : les récepteurs solubles au TNF et l’antagoniste endogène du récepteur à l’IL-1 (IL-1Ra). Ces molécules sont retrouvées à taux circulants élevés au cours du sepsis et leur expression semble même soutenue [10]. 1.5. AUTRE FONCTION DE L’IMMUNITE INNEE Une autre importante fonction de l’immunité innée est d’orienter l’immunité acquise vers l’attaque sélective d’antigènes dangereux du «non soi», selon un répertoire de lymphocytes «T-helper» particulier [11]. Dans ce sens, 2 cytokines d’origine monocytaire/ macrophagique sont déterminantes : l’IL-12 et l’IL-10. Il est décrit schématiquement, au cours de la réponse immunitaire, une différenciation des cellules lymphocytaires auxiliaires CD4+ (ou Thelper : Th) en cellules sécrétant, soit l’IFN-γ et l’IL-2 (cellules dites Th1), soit l’IL-4, l’IL-5, l’IL-6, l’IL-10 et l’IL-13 (cellules dites Th2) à partir d’une population naïve dite Th0 [12]. Les effecteurs cellulaires de la réponse de type Th1 sont préférentiellement les macrophages et les NK, dont les cibles sont plutôt les pathogènes intracellulaires, et ceux de la réponse de type Th2 sont surtout les lymphocytes B à l’origine de l’immunité humorale spécifique contre les pathogènes extracellulaires. Les cytokines produites par les cellules Th1 et Th2 sont responsables d’inter-régulations négatives entre ces 2 populations : l’IFN-γ ayant des effets antagonistes sur l’activation des Th2, alors que l’IL-4 a des effets antagonistes sur l’activation des Th1, créant ainsi une balance Th1/Th2 en faveur de l’une ou l’autre des 2 souspopulations. On sait que ces cytokines d’origine Th1 ou Th2 exercent d’importants effets sur le niveau d’activation macrophagique, et donc sur la régulation endogène de la réponse inflammatoire : IFN-γ et IL-2 amplifient l’activation des macrophages, alors qu’IL-4, IL-10 et IL-13 l’inhibent (Figure 2). BACTERIES : LPS, LTA exotoxines Ly.Th2 IL-4 IL-6 IL-10 Ly.Th1 Ly.Th3 TGF β IL-13 - HSP PGE2 + PAF, C3a, C5a Mc IL-10 IL-1 IL-6 Figure 2 : Le monocyte est sous influences IL-2 IL-3 + IL-12 TGF β TNF IFN-γ Inflammation : nouvelles pistes 589 L’immunité acquise pourrait alors à son tour réguler l’immunité innée pour servir une non-destruction du soi. 1.6. CYTOKINES CIRCULANTES CHEZ L’HOMME Les taux circulants des cytokines exprimées au cours du sepsis sont très variables en pratique clinique. En fait, on détecte du TNF circulant dans moins de 10 % des patients en choc septique à BGN et les tableaux infectieux présentent de grandes variations, en terme de délais diagnostics, de causes bactériennes, de sites infectieux, de terrains sous-jacents, et restent loin des modèles animaux. Les profils d’expression plasmatique en cytokines pro- et anti-inflammatoires ont été observées au cours du choc septique fulminant à méningocoque : une élévation précoce et transitoire en TNF (et variablement d’IL-1) est suivie par celle plus soutenue d’IL-8 et IL-6 ; l’élévation d’IL-10 est également précoce et peut-être biphasique ; des élévations de l’IL-1Ra et des récepteurs solubles au TNF sont rapidement observées et restent soutenues [10]. On a tenté des corrélations entre les taux des cytokines circulantes et la mortalité avec des résultats variables. On s’oriente plutôt vers l’étude des ratios circulants de type «anti-/pro» : TNFRs/TNF, IL-10/TNF, de manière tout aussi discutable, si l’on ne sélectionne pas des patients septiques comparables et si l’on n’introduit pas le facteur dynamique du profil évolutif. 1.7. POLYMORPHISME GENETIQUE Il est bien connu chez l’animal que le niveau de résistance à l’infection bactérienne est un trait héréditaire contrôlé par des gènes multiples. Le génome humain comprend plus de 10 000 gènes. Plusieurs polymorphismes ont été retrouvés dans les clusters des gènes du TNF et des études récentes ont pu corréler le niveau de production du TNF avec des variations génétiques particulières [13, 14]. Des variants du promoteur du TNF ont pu être aussi associés à une balance plasmatique IL-10/TNF spécifique et le ratio IL-10/TNF <1 paraît un facteur de risque des formes sévères de paludisme. Chez des patients en sepsis sévère, l’état homozygote pour l’allèle TNF2 est associé à des taux sériques plus élevés de TNF et à la mortalité. Des polymorphismes des gènes d’IL-1, de l’IL-12, de l’antagoniste du récepteur à l’IL-1 , des récepteurs au TNF et de l’IL-10 sont en cours d’études [14].On peut penser que ces variations génétiques puissent s’associer pour aboutir à un phénotype particulier et à risque d’expression septique sévère. L’analyse génétique des récepteurs Toll a permis de découvrir une mutation du TLR4 responsable de la susceptibilité au LPS de certaines souches de souris, comme les C3H/HEJ. L’analyse chez l’homme semble confirmer l’existence d’un polymorphisme génétique de TLR4 aboutissant à une susceptibilité particulière à l’infection à BGN. 1.8. FREIN DES HORMONES DE STRESS De nombreuses études montrent que des animaux adrénalectomisés sont hautement susceptibles aux effets du LPS et que cette sensibilisation peut être réversée par une hormonothérapie substitutive par des corticostéroïdes. Les hormones glucocorticoïdes endogènes régulent la réponse inflammatoire en diminuant de façon basale la synthèse des cytokines : TNF, IL-1, IL-2, IL-6 et IL-8 mais aussi les médiateurs secondaires : NOSi et COX2. Les récepteurs pour les hormones stéroïdes (incluant les glucocorticoïdes, les œstrogènes et les androgènes) appartiennent à une grande famille : la superfamille des récepteurs aux stéroïdes. Ils se différencient remarquablement des récepteurs classiques ou membranaires du fait qu’ils sont intracellulaires et agissent de façon principale en régulant la transcription de l’ADN de nombreux gènes inductibles. Les actions mieux connues des glucocorticoïdes sont celles de la répression transcriptionnelle de plusieurs cytokines : TNF, IL-1, IL-2, IL-6, IL-8, Il-12 et IL-18. Les glucocorticoïdes peuvent 590 MAPAR 2001 aussi avoir une action transcriptionnelle positive qui est désormais mieux connue. Les glucocorticoïdes induisent la cytokine pro-inflammatoire MIF [6], sécrétée par les macrophages, les lymphocytes T et les cellules pituitaires et qui possède également une action antagoniste à l’action anti-inflammatoire des corticoïdes. De plus, les glucocorticoïdes favorisent le phénotype des lymphocytes Th2 aux dépens du phénotype Th1, en induisant l’expression des cytokines IL-4 et IL-10. La rythmicité diurne est une caractéristique des voies neuro-endocrines et influence aussi l’activité du système immunitaire. Ainsi, la production d’IFN-γ par du sang total humain ex vivo est augmentée durant la nuit et atténuée durant la journée et est corrélé négativement avec le cortisol circulant et positivement avec la mélatonine. Les catécholamines peuvent avoir des actions anti-inflammatoires. Les récepteurs adrénergiques (β-R) et dopaminergiques (D2-R) sont couplés à l’activation de l’adénylate cyclase intracellulaire, elle-même responsable d’une augmentation de production d’AMPc. L’AMPc par activation de la protéine kinase A régule négativement, à un niveau transcriptionnel (inactivation de NFκB par IκB dont la dégradation est inhibée) et post-transcriptionnel, l’expression de TNF et d’IL-6 et positivement l’expression d’IL-10. Les prostaglandines exercent de la même façon des actions anti-inflammatoires. L’axe neuroimmunoendocrinien est d’une importance cruciale en anesthésie-réanimation. La réponse hormonale, dite de stress, incluant glucocorticoïdes et catécholamines exerce une influence anti-inflammatoire synergique. 1.9. SURVIE DES CELLULES IMMUNES Les leucocytes sont issus des cellules souches médullaires et leur durée de vie dans la circulation est limitée, souvent moins de 24 h. Cette survie dépend de nombreux signaux, à la fois de mort et de survie. Ces leucocytes sanguins sont constamment renouvelés grâce à l’hématopoïèse médullaire. «Granulocyte-monocyte colony stimulating factor» (GM-CSF) et «granulocyte colony stmulating factor» (G-CSF) [15] sont des facteurs de croissance des monocytes et des polynucléaires, sécrétées par les leucocytes et leurs précurseurs médullaires, mais aussi les cellules endothéliales. G-CSF et GM-CSF sont des cytokines aux propriétés multiples : elles permettent, d’une part, la croissance des cellules souches médullaires, leur différenciation dans les lignées granulo-monocytaires, la maturation leucocytaire jusqu’aux formes adultes et leur libération dans la circulation. G-CSF et GM-CSF sont également des facteurs d’activation leucocytaire et des facteurs de survie ou antiapoptotiques. On sait maintenant que l’apoptose ou mort cellulaire programmée joue un rôle fondamental dans la réponse immune normale, puisque c’est par apoptose que sont éliminés les clones lymphocytaires autoréactifs (ou orientés contre des antigènes du soi). Au cours du sepsis sévère, 3 types cellulaires présentent une apoptose accélérée chez l’animal et chez l’homme : les cellules épithéliales des muqueuses intestinales, les cellules endothéliales et les lymphocytes T. L’apoptose pathologique de ces cellules a 2 conséquences majeures : l’augmentation de perméabilite des barrières intestinales et vasculaires, pouvant participer au syndrome de défaillance multiviscérale, et l’immunodépression cellulaire [16]. 2. EPIDEMIOLOGIE 2.1. SEPSIS OU SYNDROME SEPTIQUE Les termes Sepsis ou Syndrome septique ont longtemps fait l’objet de controverses, en raison de l’imprécision de ce qu’ils recouvraient et de l’absence vraie de définitions, ne permettant pas d’évaluer et de tester des thérapeutiques chez des malades comparables, encore moins de conduire des études épidémiologiques et de recueillir des Inflammation : nouvelles pistes 591 statistiques fiables de morbidité et de mortalité. Au début des années 1990, sous l’impulsion de Bone et après une réunion d’experts [17], il a été proposé une classification permettant de caractériser les différentes étapes de la réponse inflammatoire et les états cliniques qui leur sont associés (Tableau I). Tableau I Classification de l’ACCP/SCCM (Bone 1992) Terme Définition et critères 2. Bactériémie 3. SIRS (Systemic Inflammatory Response Syndrome) Réponse inflammatoire à la présence de micro-organismes ou à l'invasion de milieux normalement stériles par ceux-ci. Présence de micro-organismes dans le sang. 2 ou plus de critères suivants : - Température > C6 ou < 36°C - FR > 90 b/min. - FR > 20 C10 c/min ou PaCO 2 < 32 mmHg. - GB > 12 000/mm 3 ou < 4 000/mm 3. 4. Sepsis (=1 + 3) Réponse systémique à l'Infection. 5. Sepsis sévère Spesis, avec dysfonction d'organe, hypoperfusion (acidose lactique, oligurie, confusion menstale, p.e.) ou hypotension 6. Choc septique (= 5 + 7) Hypotension induite par le Sepsis, persistant malgré une expansion volémique adéquate, et accompagnée de signes d'hypoperfusion (cf 5). 7. Sepsis - Hypotention PA systolique < 90 mmHg, ou diminution de plus de 40 mmHg par rapport à l'état de base, en l'absence de toute autre cause d'hypotension. 1. Infection Les principes sous-tendant cette classification sont : • Les processus lésionnels infectieux et non infectieux induisent une réponse inflammatoire systémique commune, d’intensité variable, résultante de différentes voies physiopathologiques, expression et interaction de différents médiateurs humoraux et cellulaires et de cytokines ; • Sepsis et termes apparentés doivent être réservés aux processus infectieux. Cependant, bien que cette classification ait permis de conduire des études multicentriques, tant à visée épidémiologique que thérapeutique, sur des populations de malades ± comparables, un certain nombre de difficultés demeurent [18] : • Cette classification est en grande partie rétrospective, basée sur la documentation éventuelle d’une infection, et ne permet pas de prime abord chez un malade admis pour syndrome septique de savoir si cet état est bien en rapport avec un processus infectieux ou non. • L’approche graduelle du SIRS et des états septiques ne permet pas, en particulier pour les anesthésistes-réanimateurs, d’identifier les patients qui vont présenter les phases les plus sévères du syndrome septique, et ainsi de prendre en amont les mesures appropriées. 2.2. SIRS En ce qui concerne le SIRS et à sa corrélation avec le sepsis, l’étude la plus complète et la plus intéressante est celle de Rangel-Frausto en 1995 [19]. Cette étude, menée de manière prospective sur 9 mois, dans 3 unités de soins intensifs (réanimation médicale, chirurgicale et cardiovasculaire) et dans les 3 services d’hospitalisation conventionnelle correspondants, a mesuré l’incidence des SIRS, sepsis, sepsis sévère 592 MAPAR 2001 et choc septique, avec un suivi de 28 jours. En réanimation médicale ou chirurgicale, plus de 80 % des patients ont présenté un SIRS. Chez les patients présentant un SIRS, 26 % ont développé un sepsis, 18 % un sepsis sévère et 4 % un choc septique. L’intervalle médian entre SIRS et sepsis était inversement corrélé au nombre de critères de SIRS présentés par le patient [2, 3, ou 4]. Il existait une augmentation progressive de la mortalité, du SIRS au choc septique : 7 % pour le SIRS, 16 % pour le sepsis, 20 % pour le sepsis sévère et 46 % pour le choc septique. 2.3. SEPSIS SEVERE ET CHOC SEPTIQUE Le sepsis sévère et le choc septique sont les 2 stades qui concernent particulièrement l’anesthésiste-réanimateur. L’étude multi-centrique française a ainsi plus précisément étudié dans 170 réanimations, sur une période de 2 mois, l’incidence du sepsis sévère et du choc septique [20]. Sepsis sévère et choc septique représentaient 9 % de toutes les admissions en réanimation, et 71 % des épisodes étaient documentés bactériologiquement. 2.4. PEUT-ON IDENTIFIER DES FACTEURS DE RISQUE D’EVOLUTION VERS UN SYNDROME SEPTIQUE ? Le SIRS apparaît donc, selon Rangel-Frausto, comme un facteur de risque à l’infection secondaire jusqu’au sepsis sévère, surtout si le SIRS est à 3 critères : 50 % développent un sepsis, 35 % un sepsis sévère, 7 % un choc septique. La notion de continuum semble donc une réalité : SIRS-Sepsis-Sepsis sévère-Choc septique (Figure 3). D’autres facteurs de risque d’évolution vers le sepsis sévère [18], ou de survenue d’une bactériémie au décours d’un sepsis [21] ont été identifiés : • Infection localisée suspectée ou documentée, absence d’antibiothérapie, insuffisance hépatique, signes abdominaux, état de conscience altéré, pour la survenue d’une bactériémie au cours du sepsis [21]. • Age, sexe masculin, taille de l’hôpital (> 400 lits), admission en urgence, insuffisance hépatique, immuno-dépression ou maladie sous-jacente sévère, pour la survenue d’un sepsis sévère chez les patients de réanimation, que le sepsis soit bactériologiquement ou seulement «cliniquement» documenté [20]. • Age, foyers infectieux autres que l’arbre urinaire, cathéter intra-vasculaire, bactériémie «primaire», pour la survenue d’un sepsis sévère au décours d’une bactériémie [18]. La nature de l’agent infectieux en cause n’intervient pas, que ce soit comme facteur de risque de survenue du sepsis ou de survenue de la bactériémie [18]. 2.5. DE QUOI MEURT LE PATIENT SEPTIQUE ? La question est essentielle si l’on veut proposer des traitements pour qu’il ne meurt pas. En ce qui concerne la mortalité à court terme, comme le rapporte le suivi de 28 jours retenu dans la plupart des études, la classification graduelle des 3 états de sepsis (sepsis, sepsis sévère et choc septique) semble refléter une aggravation progressive du pronostic. Dans le travail de Rangel-Frausto [19], on retouvait des taux de mortalité à 28 jours, respectivement de 7 %, 16 %, 20 % et 46 % pour les SIRS, sepsis, sepsis sévère et choc septique. Dans les études concernant plus précisément les patients de réanimation, il était noté une mortalité à 28 jours de 55 % chez les patients ayant un sepsis avec bactériémie associée, dont 65 % évoluaient vers un sepsis sévère ou un choc septique [18]. Deux études ont alors plus précisément cherché s’il existait des facteurs prédictifs de mortalité à court terme chez les patients hospitalisés en ICU et présentant un sepsis sévère : index de Mac Cabe (Odds ratio OR = 1,5-2), bactériémie (OR = 1.7), choc (OR = 2.9), SAPS II ou APACHE II mesurés au début de l’épisode septique (OR = 1,03 par unité de score pour le SAPS II, OR = 8,4-9,4 pour l’APACHE II) [20]. Inflammation : nouvelles pistes 593 50 46 45 40 Mortalité (%) 35 30 25 20 20 17 16 15 10 10 5 7 3 0 S R SI RS SI 2 : RS :3 SI S IR :4 S IS S S EP S SI RE P SE EVE S C O CH Figure 3 : Le continuum «SIRS- Choc Septique» La plupart des études cliniques ont retenu la mortalité à court terme (< 1 mois ou 28 jours), ou la mortalité durant le séjour à l’hôpital, alors qu’elles ne sont pas la mortalité globale. En ce qui concerne la mortalité à long terme, il existe en effet peu d’études. Un seul travail a étudié spécifiquement l’impact du sepsis sur la morbidité et la mortalité à long terme [22]. Les auteurs ont suivi sur une période de 10 ans une cohorte de patients hospitalisés pour sepsis et inclus dans une étude clinique de traitement par corticoïdes, qu’ils ont comparée à un groupe contrôle de patients non septiques, dont les scores de gravité et les facteurs de mortalité avaient été ajustés. Après 1 an, près de 70 % des patients septiques étaient morts, et 82 % après 8 ans. La médiane de survie espérée dans l’étude des patients septiques était de 5 ans, alors qu’on relevait dans le groupe des patients septiques encore vivants à 30 jours une médiane de survie à 2,3 ans par rapport à 6,2 ans dans le groupe contrôle. Il apparaît bien que le sepsis affecte à long terme l’espérance de vie et la qualité de vie ultérieure (Figure 4). 50 % 30 % 6 mois J7 J 28 Figure 4 : Mortalité du choc septique 1 an 594 MAPAR 2001 2.6. QUELLES LEÇONS RETENIR DE CES ETUDES EPIDEMIOLOGIQUES POUR DES TRAVAUX ULTÉRIEURS SUR LE SEPSIS ? • Le SIRS est un critère trop peu spécifique, pour être utilisé comme critère d’inclusion dans des études cliniques. • Il est fondamental, en particulier dans les études concernant le sepsis sévère, de «stratifier» les patients, en fonction de la présence ou non d’un choc, des scores de gravité et de dysfonction d’organe. • Bien que nous ayons avancé dans la connaissance de la physiopathologie du sepsis, en particulier depuis 20 ans, la mortalité due au choc septique a peu évolué, avec un taux oscillant autour de 55 %, comme le rapportait la revue de Friedman [23], dans une méta-analyse des travaux publiés sur choc septique et mortalité depuis 1958. • S’est-on posé les bonnes questions ? Les facteurs prédictifs de mortalité issus des dernières études épidémiologiques mettent en avant l’importance de la pathologie sous-jacente et du score de dysfonction d’organe. La mortalité à 28 jours des patients septiques graves n’est pas la mortalité globale. De quoi meurt donc le patient septique grave ? De choc septique irréversible dans les 3 premiers jours, de défaillance d’organes dans les premières semaines, d’infection nosocomiale dans les 3 premiers mois, de maladies sous jacentes ensuite et de ??? Il n’existe pas de critère pour identifier parmi les patients en SIRS ceux à risque de sepsis sévère. Il faut essayer d’avancer dans ce sens. 3. TENTATIVES ANTI-INFLAMMATOIRES 3.1. TRAITEMENTS ANTI-INFLAMMATOIRES Les traitements anti-inflammatoires à base de neutralisation de différents médiateurs sont donc partis du concept que «trop d’inflammation conduit au décès dans le cadre du sepsis » et de l’hypothèse qu’antagoniser une molécule médiatrice de l’hôte ou une molécule bactérienne pouvait améliorer la mortalité à 28 jours [24]. En effet, en expérimentation animale, le bénéfice de l’antagonisation d’un médiateur reposait sur l’existence d’une synergie entre les cytokines pro-inflammatoires. Dans cette optique, plusieurs études cliniques ont été menées, avec pour objectif de suivre les effets de cette neutralisation sur la morbidité et la mortalité des patients septiques à 28j. Ces travaux cliniques, qu’il s’agisse de l’administration d’anticorps anti-LPS, d’anticorps monoclonaux anti-TNF ou anti-IL-1, de récepteur soluble au TNF, d’antagoniste du récepteur à l’IL-1 mais aussi d’antagoniste du PAF, des inhibiteurs de NO, ont tous été des échecs, malgré plus de 10 000 patients enrôlés dans toutes ces études [24, 25]. 3.2. ECHEC DE CETTE APPROCHE THERAPEUTIQUE ANTI-INFLAMMATOIRE Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer l’échec de cette approche thérapeutique «anti-inflammatoire» [26] : • L’analyse des modèles animaux n’était pas complète : l’administration d’anti-TNF prévenait efficacement le choc septique induit par l’administration unique de LPS ou d’une bactérie, mais n’apportait aucun bénéfice dans le cas de modèles septiques de péritonite, où l’infection peut être prolongée. • Le traitement en clinique arrive trop tard alors que la cascade inflammatoire est largement engagée. • L’efficacité de neutralisation de certains anticorps comme les anti-LPS est inconstante in vitro. Cependant, les anti-TNF ont montré leur efficacité dans certaines maladies inflammatoires chroniques telles que la polyarthrite rhumatoïde et les colites inflammatoires. Inflammation : nouvelles pistes 595 • Les cytokines visées ne sont pas toujours présentes à taux détectables dans le sang au moment de l’inclusion des patients : détection de TNF circulant chez moins de 10 % des patients inclus dans l’étude INTERSEPT. • La concentration sérique d’un médiateur inflammatoire ne reflète pas automatiquement sa «bio-disponibilité» tissulaire, particulièrement au site de l’infection. • Des cytokines pro- mais aussi anti-inflammatoires ont été détectées au même moment dans le sérum et les liquides biologiques de patients septiques, démontrant la complexité de la réponse inflammatoire, complexité encore accrue par le fait que la courte demi-vie des cytokines mesurées rend difficile l’interprétation des résultats . • Il existe une grande hétérogénéité des patients septiques, à la fois en termes de germes BGN et CGP, et en termes de réponses immuno-inflammatoires. • Les patients septiques non survivants et dont la mortalité est évaluée à 28 jours ne sont pas morts, pour beaucoup, de l’attaque initiale pro-inflammatoire. De nouveaux espoirs se sont développés néanmoins autour de l’antagonisation des plusieurs étapes de la réponse inflammatoire : l’inhibition de la liaison aux Toll récepteurs, l’inhibiton de NF-κB, l’antagonisation des cytokines pro-inflammatoires retardées : HMP-1 et MIF. L’efficacité d’antagonisation de ces nouvelles cibles et leur nocivité restent à évaluer dans le cadre des modèles infectieux à bactéries vivantes [3]. 4. HYPOTHESES DE BONE ET DOCKE 4.1. MODELE PHYSIOPATHOLOGIQUE Suite aux échecs de l’immunothérapie anti-inflammatoire, le groupe de Bone [27] et celui de Döcke [28] ont porté en exergue la notion que le modèle physiopathologique exclusivement «pro-inflammatoire» du sepsis était trop simplifié, et ont proposé le modèle suivant. Au cours du sepsis, il existe plusieurs phases, dont : 1-Une phase précoce pro-inflammatoire, avec libération accrue de médiateurs et d’importantes quantités de cytokines ; cette phase précoce est de courte durée et pourrait rendre compte de la mortalité précoce par choc septique. 2-Une phase secondaire, mettant en cause une contre-régulation, appelée par Bone Compensatory Anti-inflammatory Response Syndrome ou CARS ; cette phase «antiinflammatoire» entraîne une dépression des fonctions immunitaires («immunodepression, immunoparalysis») et prédomine durant les phases ultérieures du sepsis, où elle pourrait rendre compte de la mortalité différée au cours du choc septique (Figure 5). PHASE PRO-INFLAMMATOIRE IMMUNODEPRESSION Choc mortalité précoce Réponse anti-inflammatoire secondaire Réponse inflammatoire appropriée Immunodépression Mortalité différée Figure 5 : Phases de la réponse inflammatoire post-agressive 596 MAPAR 2001 Il a été montré que les fonctions monocytaires étaient déprimées chez les patients septiques [29]. Dans ce sens, Döcke et al. élaborent le concept de «monocyte deactivation» ou désactivation monocytaire voire «immunoparalysis» [30], caractérisée par une diminution de l’expression monocytaire du complexe majeur d’histocompatibilité HLADR in vivo, et par une diminution de la capacité à sécréter des cytokines pro-inflammatoires (TNF, IL-1, IL-6, IL-2, IFN-γ) [31], observée ex vivo, lors de cultures de cellules isolées (monocytes ou cellules mononuclées circulantes) provenant de patients en SIRS ou septiques. L’intensité de la désactivation monocytaire basée sur la diminution de l’HLA-DR monocytaire est corrélée au pronostic des patients en SIRS : à la mortalité secondaire chez les patients septiques, mais également au risque infectieux nosocomial des patients polytraumatisés [32,33]. 4.2. DEFICIT ACQUIS DE L’IMMUNITE CELLULAIRE Néanmoins, ce concept de désactivation monocytaire pourrait rentrer dans un cadre plus global de déficit acquis de l’immunité cellulaire [34] : il est aussi décrit une altération des fonctions des neutrophiles et des fonctions lymphocytaires dans le cadre du SIRS ou du sepsis. En effet, une anergie aux tests cutanés d’hypersensibilité retardée est décrite depuis plus de 20 ans chez les patients graves de réanimation [35], et de nombreux auteurs rapportent une diminution de l’expression lymphocytaire du complexe majeur d’histocompatibilité HLA-DR et une diminution de la sécrétion d’IL-2, IL-3 et d’Interférons [36-38]. 4.3. INTERROGATIONS PHYSIOPATHOLOGIQUES RESTANT EN SUSPENS 4.3.1. QUELS SONT LES MECANISMES DE CETTE HYPOREACTIVITE ? La chronologie d’installation de l’hyporéactivité monocytaire est troublante puisqu’elle est précoce, dès le diagnostic de sepsis, ce qui nuance l’hypothèse de Bone d’une succession de SIRS à CARS ou MARS. Ce n’est pas en soi un «switch» vers un répertoire anti-inflammatoire stricto sensu puisque la capacité de production d’IL-10 in vitro est aussi diminuée. Ce n’est pas une réelle désactivation ou paralysie, puisque certaines fonctions ne sont pas déprimées : aussi bien l’IL-18 pro-inflammatoire que l’IL-1Ra antiinflammatoire. L’apoptose monocytaire et lymphocytaire semble être favorisée. La capacité désactivatrice du plasma de patients septiques montre que l’IL-10 circulant est un facteur important de réorientation fonctionnelle des monocytes [39]. De plus, l’IL-10 pourrait être induit par les catécholamines selon une cinétique d’expression très rapide [40]. Il existe une inactivation du facteur NF-κB, par augmentation de l’expression de son facteur inhibiteur IκB et/ou la baisse de sa dégradation. 4.3.2. EST - CE QUE CETTE MODULATION PHENOTYPIQUE EST SIMILAIRE A LA TOLERANCE AU LPS ? Le modèle de tolérance au LPS in vitro est une manière intéressante d’approcher les mécanismes dits de désactivation [41]. Après un pré-traitement par une première dose de LPS, une seconde stimulation par le LPS des cellules monocytaires entraîne une réduction marquée de la production des cytokines : TNF, IL-1, IL-6, IL-8, IL-12, mais aussi IL-10, et la production des radicaux oxydés et du NO, ainsi que l’expression des molécules du CMH II. Il a été montré in vitro que plusieurs facteurs à action autocrine sont à l’origine de cette modulation phénotypique : la prostaglandine PGE2, l’IL-10 et le TGFβ. La tolérance au LPS s’accompagne in vitro d’un défaut de présentation anti- Inflammation : nouvelles pistes 597 génique et d’une baisse de la réponse lymphocytaire T avec diminution de la prolifération et de la production d’IFN-γ et d’IL-2. Cependant, l’étude des monocytes in vitro exclue les multiples interactions cellulaires et autres influences humorales s’opérant in vivo. 4.3.3. EST-CE QUE CES CELLULES PRESENTANT UN REPERTOIRE ANTI-INFLAMMATOIRE SONT LES MEMES QUE CELLES QUI ONT PRODUIT DES CYTOKINES PROINFLAMMATOIRES ? Les monocytes circulants testés de façon séquentielle chez le même patient sont tous différents, puisque la demi-vie du monocyte circulant semble de moins de 24 h. L’HLA-Dr est exprimé en % des cellules l’exprimant. 4.3.4. EST-CE QUE CET ETAT EST RESERVE AU COMPARTIMENT SANGUIN, QUE L’ON ETUDIE PREFERENTIELLEMENT, OU EXISTE T-IL AUSSI AU NIVEAU TISSULAIRE ? Pour Pugin [42], reprenant la proposition de Bone de l’existence d’un état mixte pro- et anti- ou «MARS, l’état «pro-inflammatoire» est localisé au site de l’infection, alors qu’ au niveau systémique (circulation sanguine), l’état prédominant est plutôt «anti-inflammatoire». Il ne s’agit plus de considérer le modèle SIRS-CARS uniquement dans le temps, mais cette fois-çi dans l’espace. L’analyse physiopathologique du sepsis doit prendre en compte les dimensions «Espace/Temps». La réponse cytokinique pro-inflammatoire joue un rôle fondamental dans la défense anti-bactérienne au niveau des tissus. TNF et IL-1 ont un rôle anti-bactérien direct ; ils induisent des facteurs chimiotactiques nécessaires pour le recrutement des leucocytes sanguins au site de l’infection, des molécules d’adhésion servant à l’adressage de ces leucocytes, des enzymes critiques pour la vaso-régulation comme la NOsynthase inductible. L’IL-6, sécrétée en réponse au TNF et à l’IL-1, est un déterminant majeur de la synthèse des protéines de la phase aiguë à activité anti-bactérienne [42]. Il semble donc que la réponse pro-inflammatoire soit absolument nécessaire pour circonscrire l’infection et prévenir un sepsis sévère. Le compartiment circulant n’est pas l’endroit physiologique pour une réponse proinflammatoire. Afin de garder la réponse pro-inflammatoire localisée, l’organisme met en place une réponse anti-inflammatoire systémique très importante, capable de contrôler les molécules pro-inflammatoires atteignant le compartiment vasculaire : récepteurs solubles (sTNFR I et II, sIL-1R), antagonistes de récepteurs (IL-1RA), cytokines désactivant les leucocytes comme IL-4 et IL-10 [42], et permettant ainsi d’éviter une réponse inflammatoire systémique «explosive». Dans un travail récent, chez des patients en détresse respiratoire aiguë, Pugin et collaborateurs ont ainsi pu démontrer que l’activité pro-inflammatoire était circonscrite au niveau tissulaire et que les cytokines du compartiment vasculaire n’avaient pas de pouvoir d’activation des cellules cibles [43]. Ils ont également montré que le plasma des malades septiques regorgeait d’inhibiteurs de cytokines, toujours présents en excès par rapport à leurs ligands TNF et IL-1, et que l’activité plasmatique nette était antiinflammatoire. 5. TRAITEMENTS PRO-INFLAMMATOIRES 5.1. INTERVENTIONS THERAPEUTIQUES Suite à ces observations, des interventions thérapeutiques, en contraste aux essais anti-inflammatoires précédents, et visant à stimuler la réponse monocytaire ont été mises en place au cours du SIRS. Ainsi, l’IFN-γ est proposé pour restaurer la réponse monocytaire des patients septiques et des patients en SIRS d’origine traumatique [44,45]. 598 MAPAR 2001 IFN-γ * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *p<0,05 vs jour 1 0 2 4 6 8 10 12 14 TEMPS (jours) Figure 6 : Immunothérapie stimulante par IFN-γ au cours du sepsis 25-26 * 21-22 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 17-18 HLA-DR (%) Les résultats de l’étude portant sur un grand nombre de patients polytraumatisés, traités par IFN-γ versus placebo, restent décevants en terme pronostiques : ni la durée d’hospitalisation ni la mortalité ne sont diminuées par le traitement par l’IFNγ, même si une faible diminution de la mortalité secondaire à l’infection nosocomiale est rapportée [46]. De plus, les études animales montrent que, même si l’IFN-γ peut rétablir au moins partiellement la réponse pro-inflammatoire monocytaire au LPS, c’est au prix d’une augmentation de la mortalité de ces animaux par choc endotoxinique. L’équipe de Döcke en 1997 [47] a cependant sélectionné 10 patients septiques sévères et porteurs des signes d’immunodépression définie par un bas niveau d’expression monocytaire d’HLA-Dr et une diminution de la capacité de sécrétion en TNF par les monocytes testés ex vivo. Ils ont traité ces patients par l’IFN-γ par voie parentérale permettant une amélioration de l’expression d’HLA-Dr et de la production de TNF, alors que 8 sur 10 des patients ont survécu à 28 jours. Ces résultats restent préliminaires et l’étude n’était pas contrôlée. Pour les auteurs, la mesure de l’expression de l’HLA-DR est un bon marqueur du CARS, et quand ce critère est retenu pour identifier les patients en phase d’immunodépression post-agressive, un traitement par INFγ à faible dose est une stratégie thérapeutique efficace (Figure 6). Le message est tempéré par les auteurs eux-mêmes, qui reconnaissent qu’il faut être prudent, car chez des patients en phase pro-inflammatoire, voire en phase «mixte», associant SIRS et CARS, et dénommée par Bone Mixed Anti-inflammatory Response Syndrome ou MARS [27], l’administration d’INF-γ peut entraîner, en synergie avec le TNF, un choc septique. 5.2. STRATEGIE THERAPEUTIQUE «STIMULATRICE» Une autre stratégie thérapeutique «stimulatrice», comme l’administration du G-CSF déjà utilisée chez les patients granulopéniques en cancérologie, pouvait être proposée chez les patients septiques, dans le but de stimuler l’activité et les fonctions des neutrophiles et monocytes [48]. Des patients non neutropéniques, présentant une pneumonie communautaire, ont été traités avec succès par G-CSF, avec une diminution significative des défaillances d’organe secondaires [49]. De plus, l’administration préventive de G-CSF chez des patients «à haut risque septique» de réanimation chirurgicale pouvait diminuer l’incidence du sepsis postopératoire [15]. Inflammation : nouvelles pistes 599 6. COMMENT TRAITER ET SELON QUEL MONITORAGE ? Il paraît encore prématuré de dire selon quels critères et comment il faut traiter. 6.1. TRAITEMENTS ANTI-INFLAMMATOIRES Les traitements anti-inflammatoires pourraient être proposés, dans le sepsis sévère et choc septique en phase aiguë, diagnostiqué précocement, chez des patients porteurs d’allèles particuliers (hauts répondeurs en TNF, haute affinité des Toll-R) ou à activité NF-κB élevée, ayant pour but d’atténuer la réponse inflammatoire et d’atténuer de surcroît l’immunodépression qui en résulte, avec pour moyens : anti-TNF, anti-MIF, anti-HMP1, anti-NFκB, anti-TollR4/2. Cette stratégie anti-inflammatoire implique que l’on développe des moyens diagnostics précoces du sepsis sévère. 6.2. TRAITEMENTS PRO-INFLAMMATOIRES Les traitements pro-inflammatoires [50] pourraient être proposés pour les patients en SIRS 3/4 non infectieux (et les sepsis sévères en phase de résolution de l’infection ?), les patients chirurgicaux à haut risque, présentant de façon soutenue un bas niveau d’expression d’HLA-Dr monocytaire, avec pour but de reverser l’immunodépression post-agressive et réduire le risque d’infection nosocomiale, avec pour moyens : G-CSF, IFN-γ et peut-être un vaccin agoniste des TLRs. Cette stratégie pro-inflammatoire implique que l’on puisse identifier les patients à haut risque de sepsis sévère. Ceci peut peut-être se faire en joignant des données démographiques (polytraumatisme, chirurgie majeure, admission en réanimation), cliniques (anergie aux tests cutanés) et biologiques (HLA-Dr monocytaire, génotype). En attendant, il faudrait d’abord envisager un traitement immunopréservateur 7. IMMUNOMODULATION INDIRECTE OU QUELQUES SUGGESTIONS POUR IMMUNOPRESERVER Avant d’appliquer de nouvelles immunothérapies directes pro- ou anti-inflammatoires, intéressons-nous à des éléments de notre pratique courante en anesthésie-réanimation, qui sont par ailleurs d’importants facteurs d’immunomodulation. Essayons-donc d’immunopréserver les patients à risque : maintenir les patients normothermes, assurer une oxygénation tissulaire suffisante, éviter la transfusion, traiter et prévenir la dénutrition, rétablir un équilibre hormonal, éviter ou minorer les divers stress. 7.1. TEMPERATURE L’hypothermie est une complication fréquente de l’anesthésie et de la chirurgie, puisque l’hypothermie modérée de moins 1 à 1,5°C survient chez près de 70 % des patients opérés. Kurz et al. [51] ont montré dans une étude prospective portant sur 200 patients subissant une chirurgie colorectale que le maintien d’une normothermie péri-opératoire réduisait significativement l’incidence des infections postopératoires et de façon associée la durée d’hospitalisation. En effet, l’hypothermie prédispose à l’infection par ses nombreux effets immunosuppresseurs. Les effets indirects passent par l’hypoxie tissulaire induite par la vasoconstriction thermorégulatrice, ayant pour conséquence une baisse des mécanismes oxydatifs de défense des phagocytes, mais aussi par la sécrétion accrue en hormones de stress telles que le cortisol anti-inflammatoire. Les effets immunodépresseurs directs de l’hypothermie comprennent une baisse du chimiotactisme, de la phagocytose et de la capacité sécrétoire en radicaux oxydés et nitrés et en cytokines par les monocytes, granulocytes et lymphocytes. Une baisse de la production d’anticorps par les lymphocytes B mis en condition d’hypothermie modérée a 600 MAPAR 2001 aussi été rapportée. A l’inverse, n’oublions pas que la fièvre est un moyen de défense archaïque du règne mammifère, l’hyperthermie étant associée par opposition à l’hypothermie, à l’augmentation de l’expression des molécules pro-inflammatoires. 7.2. OXYGENATION TISSULAIRE Les moyens oxydatifs de bactéricidie utilisés par les polynucléaires et les macrophages tissulaires représentent une première ligne de défense anti-infectieuse. La production de radicaux oxydés catalysée par la NADPH oxydase dépend étroitement de la pression partielle en oxygène du milieu ambiant in vitro mais également in vivo. Ainsi, la résistance à l’infection du site opératoire dépend étroitement de la teneur locale en oxygène de la peau et des muscles. Greif et al. [52] ont alors testé chez l’homme l’hypothèse que la résistance à l’infection dépendait étroitement de la pression partielle en oxygène tissulaire et ont pu montrer que l’apport péri-opératoire supplémenté en oxygène permettait de réduire l’incidence des infections du site opératoire. En effet, parmi les 250 patients recevant un apport en O2 à 80 % de fraction inspirée, 5 % développent une infection postopératoire, contre 11 % chez les 250 patients ne recevant qu’une fraction inspirée de 30 % d’O2. Il existe même une corrélation inverse entre la pression partielle en O2 tissulaire et le taux d’infections postopératoires. Kotani et al. [53] observent qu’une fraction inspirée en O2 élevée (100 % vs 30 % d’O2) augmente de façon marquée l’expression des cytokines pro-inflammatoires (TNF et IL-8), en particulier des macrophages alvéolaires et prévient le déclin de leur activité antimicrobienne observé au cours de l’opération. In vitro, l’hyperoxie induit et amplifie l’expression de cytokines pro-inflammatoires et de molécules d’adhésion par les macrophages, effet transcriptionnel médié par l’activation de NF-κB. Certes, cette immunostimulation de l’hyperoxie pourrait jouer un rôle délétère dans certains cas de lésions tissulaires inflammatoires non infectieuses, mais son utilisation préventive en péri-opératoire paraît intéressante chez des sujets à haut risque d’infections postopératoires. 7.3. NUTRITION ET STATUT GLYCEMIQUE Le glucose est un nutriment essentiel mais aussi un facteur de régulation de l’expression de certains gènes. De façon remarquable, les animaux rechargés en glucose deviennent hautement sensibles au choc endotoxinique par rapport à des animaux soumis à un jeûne, et ceci en corrélation avec l’augmentation de la libération plasmatique en TNF [54]. On peut penser que cet effet de sensibilisation au LPS soit dû aussi bien à la recharge calorique des cellules de la réaction inflammatoire, qu’à son rôle direct de régulateur de l’expression de gènes, en particulier de certains médiateurs inflammatoires. Deux études cellulaires confortent cette dernière hypothèse : la teneur croissante en glucose du milieu de culture favorise la sécrétion de l’IL-1 par les macrophages activés par le LPS. Une large variété d’études cliniques ont montré que des nutriments spécifiques comme l’arginine, la glutamine, les acides gras polyinsaturés oméga-3 et les nucléotides pouvaient améliorer les fonctions immunitaires. L’arginine la glutamine et les nucléotides stimulent les fonctions lymphocytaires alors que les acides gras poly-insaturés diminuent la production de cytokines pro-inflammatoires par les monocytes. L’utilisation, chez les patients de réanimation, de deux préparations enrichies en ces nutriments a été étudiée dans une méta-analyse récente [55]. Cette immunonutrition entérale s’avère bénéfique, en particulier chez le patient chirurgical, permettant une réduction nette des complications infectieuses nosocomiales et une réduction significative de la durée d’hospitalisation. Inflammation : nouvelles pistes 601 7.4. TRANSFUSION De nombreuses observations mettent en évidence l’effet immunodépresseur de la transfusion allogénique homologue. Elle peut augmenter la survie de greffons rénaux et cardiaques, mais également augmenter le taux d’infections postopératoires et le taux de récurrence de certains cancers, et favoriser la réactivation de certains virus latents [56]. Il persiste de grandes controverses concernant les infections postopératoires et les récidives cancéreuses. Les patients SIDA polytransfusés souffrent cependant d’un nombre accru d’infections et d’une progression virale accélérée. Il est reconnu que la transfusion sanguine dépriment certaines fonctions immunitaires, telles que les réactions d’hypersensibilité retardée, l’activité NK, le ratio CD4/CD8, la production d’IL-2 [57]. Les lymphocytes transfusés jouent un rôle important dans les effets immunomodulateurs de la transfusion. Les lymphocytes transfusés peuvent circuler durablement (parfois plus d’un an) et développer une réponse lymphoïde mixte in vivo sans toxicité chez des patients traumatiques ou chirurgicaux. Des leucocytes transfusés immunocompétents peuvent être à l’origine d’une maladie du greffon contre l’hôte. Certes, la déplétion leucocytaire des produits transfusés réduit la mortalité postopératoire de patients de chirurgie cardiaque, en partie par le fait d’un nombre diminué d’infections postopératoires. D’autres candidats non cellulaires sont cependant associés aux effets immunmodulateurs, comme des cytokines produites pendant le stockage des produits sanguins ou des virus dits non pathogènes. Une étude majeure, d’origine canadienne, conduite de façon prospective et regroupant plus de 800 patients [58], a pu montrer que la transfusion au-dessus de 7 G % d’hémoglobine chez des malades de réanimation est associée à une mortalité plus importante, ce qui permet de proposer une politique transfusionnelle plus restrictive. 7.5. SOLUTES DE REMPLISSAGE De façon intéressante, parmi les facteurs influençant l’incidence des infections postopératoires, on retrouve la présence ou non d’hypovolémie. Sans nul doute s’agitil de facteurs intriqués. Cependant, certains solutés non dérivés du sang possèdent des propriétés immunomodulatrices marquées. Ainsi, le sérum salé hypertonique augmente l’activité lymphocytaire T in vitro et in vivo [59] : la prolifération lymphocytaire est stimulée via l’augmentation de la production d’IL-2 et les réactions d’hypersensibilité retardée sont augmentées chez les animaux traités par du sérum salé hypertonique. La production monocytaire d’IL-1 est également augmentée et ces effets cellulaires sont médiés par l’activation d’osmorécepteurs et de molécules de signalisation telles que la MAPkinase p38. La réanimation volémique par du sérum salé hypertonique d’animaux en choc hémorragique prévient l’immunodépression post-agressive évaluée par des tests d’hypersensibilité retardée et de prolifération lymphocytaire ex vivo. De plus, si l’on induit une péritonite chez ces animaux ayant subi un choc hémorragique, la survie des animaux traités au sérum salé hypertonique est meilleure et s’associe à une diminution des bactériémies [59]. 7.6. HEMOSTASE Il existe des interrelations fonctionnelles archaïques entre la coagulation et la réponse immune innée, puisque les espèces invertébrées possèdent un système de défense anti-infectieuse ou les médiateurs cellulaires et humoraux mêlent les fonctions de coagulation et d’inflammation [60]. Le crabe dit «limulus polyphemus» possède une haute sensibilité au LPS et réagit par la formation d’un caillot. Cette réaction a 2 intérêts : 1- Circonscrire l’attaque infectieuse et éradiquer l’agent infectieux. 2- Permettre la cicatrisation tissulaire. 602 MAPAR 2001 Cette réaction de gélification est utilisée pour le dosage du LPS. La cascade de la coagulation par le système contact et le facteur tissulaire et la cascade des cytokines inflammatoires sont activés par les mêmes stimuli bactériens [60]. D’une part, les cytokines pro-inflammatoires orientent vers un état pro-coagulant. En effet, TNF et IL-1 induisent l’expression du facteur tissulaire par les macrophages et les cellules endothéliales, et inhibent le système anticoagulant endogène de la protéine C : par baisse de l’expression du récepteur à la protéine C endothéliale et de la thrombomoduline. Réciproquement, les facteurs de la coagulation augmente la réponse inflammatoire : la thrombine augmente l’adhésion leucocytaire alors que les anticoagulants endogènes sont anti-inflammatoires : la protéine C anticoagulante inhibe l’adhésion leucocytaire et l’activation monocytaire et l’héparine sulfate exprime par les cellules vasculaires fixe avec haute affinité le TNF pouvant ainsi le détourner de ces récepteurs cellulaires spécifiques a l’origine d’une notion courante que l’héparine est anti-inflammatoire. Des études cliniques [61] proposent l’administration d’antithrombine III, et plus récemment de protéine C activée, dans le traitement du choc septique chez l’homme. Le traitement des patients septiques semble diminuer leur mortalité, et ce, de façon associée à la diminution plasmatique de l’IL-6 [62]. 7.7. HORMONES La corticothérapie dite substitutive semble favoriser une réversion de l’état de choc avec diminution des besoins en catécholamines chez des patients septiques [63]. Ces effets bénéfiques sont rapportés actuellement plus à la régulation positive des glucocorticoïdes sur les récepteurs adrénergiques α et β, qu’à des effets anti-inflammatoires. Par contre, les fortes doses de glucocorticoïdes n’ont pas montré d’efficacité dans le traitement du choc septique chez l’homme. Les effets bénéfiques du transport supranormal en oxygène retrouvés uniquement chez les patients chirurgicaux à haut risque pourraient être mis sur le compte des actions anti-inflammatoires des catécholamines, puisqu’ils ne sont associés ni à la réversion, ni à la prévention de l’hypoxie tissulaire. Les récepteurs adrénergiques (β-R) et dopaminergiques (D2-R) sont couplés à l’activation de l’adénylate cyclase intracellulaire, elle-même responsable d’une augmentation de production d’AMPc et de l’activation de la protéine kinase A. L’AMPc régule négativement à un niveau transcriptionnel et post-transcriptionnel l’expression de TNF et d’IL-6. 7.8. EFFETS IMMUNOPRESERVATEURS Pourquoi ne pas envisager aussi les effets immunopréservateurs des mesures encore plus simples mais essentielles, de prémédication, d’information, d’encouragement, de soins quotidiens, de présence attentive, qui font souvent défaut ? En effet, l’immunodépression cellulaire des états psychiatriques dépressifs est un état fort bien documenté même s’il ne correspond pas à notre culture médicale courante. Pour se rapprocher de ce que nous connaissons, la dysimmunité induite par l’exercice physique intense et soutenu du type «course de marathon», là encore très étudié, est étonnamment proche de celle induite par le sepsis : comprenant à la fois une part pro-inflammatoire à expression systémique et une part d’immunodépression postagressive. Donc, mettre en confiance, informer, rassurer et soigner (le soin quotidien) et toutes les mesures anti-stress sont probablement des facteurs aidant à préserver notre fonction immunitaire... Et pourquoi ne pas proposer en complément, la luminothérapie, la musicothérapie, la kinésithérapie de relaxation, les séances de sophrologie et de méditation, et l’haptonomie (l’art du toucher affectif), pour les sujets fragiles et à risque ? Inflammation : nouvelles pistes 603 Finalement, si l’on intégrait un peu de médecine holistique de base dans notre programme de santé : les connections neuro-immuno-endocriniennes en des termes moléculaires (cytokines, hormones, neurotransmetteurs) nous l’enseignent ! Il est donc temps de se rapprocher du chaos! 8. ELEMENTS POUR UNE NOUVELLE ATTITUDE A VENIR La réponse inflammatoire est un système complexe non linéaire et dynamique, et nous devons nous rapprocher de la théorie du chaos pour l’étude du sepsis sévère [64]. La réponse de l’hôte au polytraumatisme, à la chirurgie majeure, au choc hémorragique, au sepsis, se comporte comme un système complexe non linéaire comprenant un grand nombre de variables et de systèmes de variables : la cascade inflammatoire, la cascade de la coagulation, la cascade du complément, la réponse neuroendocrinienne au stress. 8.1. EVALUATION DE LA REPONSE IMMUNE L’évaluation de la réponse immune séparée de la réponse métabolique, nerveuse, endocrinienne ignore à tort les données qui s’accumulent montrant les interactions étroites entre ces différents systèmes. Par exemple, TNF, IL-1, IL-6 activent l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, alors que les cellules immunes expriment les récepteurs pour la substance P, le CRF, les opioïdes et l’innervation sympathique du tissu lymphoïde a des effets immunomodulateurs divers : comme la potentialisation de la sécrétion d’IgM par les lymphocytes B. La psychoneuroimmunologie s’attache à l’étude de ces interactions. 8.2. SYSTEME IMMUNITAIRE Le système immunitaire lui-même s’apparente à un réseau autoréactif non linéaire complexe. Il est capable à la fois de reconnaître des antigènes du soi et des antigènes étrangers. Les anticorps développés contre les antigènes du soi sont stables au cours de la vie, alors qu’un vaste répertoire anticorps contre les antigènes étrangers se diversifie. En outre, des boucles de régulation sont apportées par des anticorps anti-idiotypes (anticorps contre des motifs d’immunoglobulines produites par le soi) et le degré d’autoréactivité est régulé par les lymphocytes T. Ce réseau d’immunoglobulines autoréactives est altéré au cours du sepsis sévère. 8.3. REPONSE INFLAMMATOIRE La réponse inflammatoire, elle-même, est de nature complexe non linéaire. Le concept qui présente les cytokines anti-inflammatoires contre-régulant les cytokines pro-inflammatoires est encore trop simpliste. Au cours du sepsis, il y activation quasiparallèle des 2 réponses. Par exemple, chez des patients en choc septique, les taux plasmatiques d’IL-10 sont positivement corrélés à ceux du TNF. En fait, même les concentrations plasmatiques des patients septiques fluctuent de jour en jour et sont peu corrélées à d’autres variables physiologiques. 8.4. VARIABILITE DE LA FREQUENCE CARDIAQUE La variabilité de la fréquence cardiaque a été largement étudiée en cardiologie et c’est la réduction de cette variabilité qui est associée à certains états pathologiques : la réduction de la variabilité de la fréquence cardiaque est associée à la mortalité au décours de l’infarctus du myocarde, étant même un meilleur facteur prédictif que la fraction d’éjection ventriculaire pour les arythmies post-infarctus. Des technologies d’évaluation rapide de la connectivité et de la variabilité des réseaux neuro-immuno-endocriniens doivent être développées pour l’étude du sepsis. 604 MAPAR 2001 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Medzhitov R, Janeway C. Innate immune recognition: mechanisms and pathways. Immunol Rev 2000;173:89-97 [2] Abraham E. NF-κB activation. Crit Care Med 2000;28:N100-N104 [3] Oberholzer A, Oberholzer C, Moldawer L. Cytokine signaling-regulation of the immune response in normal and critically ill states. Crit Care Med 2000;28:N3-N12 [4] Tracey K, Cerami A. Tumor necrosis factor: A pleiotropic cytokine and therapeutic target. Ann Rev Med 1994;45:491-503 [5] Wang H, Bloom O, Zhang M, Vishnubhakat J, Ombrellino M, Che J. HMG-1 as a alte mediator of endotoxin lethality in mice. Science 1999;285:248-51 [6] Calandra T, Echtenacher B, Le Roy D, Pugin J, Metz C, Hültner L, Heumann D, Mannel D, Bucala R, Glauser M. Protection from septic shock by neutralization of macrophage migration inhibitory factor. Nature Med 2000;6:164-170 [7] Lauw F, Van Deventer S, Van der Poll T. The role of Interleukin-12 and IL-18 during endotoxemia and bacterial infection. In: JL V, eds. Update in emergency medicine and intensive care. Springer-Verlag, 2000: [8] Opal S, DePalo V. Anti-inflammatory cytokines. Chest 2000;117:1162-1172 [9] Bogdan C, Nathan C. Modulation of macrophage function by transforming growth factor ß, interleukin4 and interleukin-10. Annals New York Acad Sci 1993;685:713-39 [10] Van der Meer JW, van Deuren M, Kullberg BJ. The interplay of pro-inflammatory cytokines and antiinflammatory mediators during severe infection. In: Vincent JL, eds. Yearbook of Intensive Care and Emergency Medicine. Springer-Verlag, 1995: 377-384 [11] Huston D. The biology of the immune system. JAMA 1997;278:1804-1814 [12] Mosmann TR, Coffman RL. Th1 and Th2 cells: different patterns of lymphokines secretion lead to different functional properties. Annu Rev Immunol 1989;7:145-173 [13] Bernal W, Donaldson P, Wendon J. Proinflammatory cytokine polymorphism and critical illness. Springer Verlag, 1999 [14] Van Deventer S. Cytokine and cytokine receptor polymorphisms in infectious disease. Intensive Care Med 2000;26:S98-S102 [15] Weiss M, Moldawer L, Schneider M. Granulocyte colony-stimulating factor to prevent the progression of systemic nonresponsiveness in systemic inflammatory response Syndrome and sepsis. Blood 1999;93:425-439 [16] Mahidarah R, Billiar T. Apoptosis in sepsis. Crit Care Med 2000;28:N105-N113 [17] Bone RC. Toward an epidemiology and natural; history of SIRS (systemic inflammatory response syndrome). JAMA 1992;268:3452-3455 [18] Brun-Buisson C. The epidemiology of the systemic inflammatory response. Intensive Care Med 2000;26:S64-S74 [19] Rangel-Frausto S, Pittet D, Costignan M, Hwang T, Davis C, Wenzel R. The natural history of the systemic inflammatory response syndrome. JAMA 1995;273:234-240 [20] Brun-Buisson C. Définitions, épidémiologie, pronostic. In: Masson, eds. Etats infectieux graves. Paris: Carlet J Martin C. Offenstadt, G, 1995: 3-16 [21] Sands K, Bates D, PN L. Epidemiology of sepsis syndrome in 8 academic medical centers. JAMA 1997;277:234-240 [22] Quartin A, Schein R, Peduzzi P. Magnitude and duration of the effects of sepsis on survival. JAMA 1997;277:1058-1063 [23] Friedman G, Silva E, Vincent J. Has the mortality of septic shock changed with time? Crit Care Med 1998;26:2078-2086 [24] Abraham E. Cytokine modifiers. Chest 1998;113:224S-227S [25] Marshall J. Clinical trials of mediator-directed therapy in sepsis: what have we learned? Intensive Care Med 2000;26:S75-S83 [26] Abraham E. Why immunomodulatory therapies have not worked in sepsis. Intensive Care Med 1999;25:556-566 [27] Bone RC, Grodzin CJ, Balk RA. Sepsis: a new hypothesis for pathogenesis of the disease process. Chest 1997;112:235-43 Inflammation : nouvelles pistes 605 [28] Kox W, Volk T, Kox S, Volk H. Immunomodulatory therapies in sepsis. Intensive Care Med 2000;26:S124-S128 [29] Muñoz C, Carlet J, Fitting C, Misset B, Blériot J, Cavaillon J-M. Dysregulation of in vitro cytokine production by monocytes during sepsis. J. Clin. Invest. 1991;88:1747-1754 [30] Volk HD, Reinke P, Krausch D, Zuckerman H, Asadullah K, Muller JM, Docke WD, Kox WJ. Monocyte deactivation-rationale for a new therapeutic strategy in sepsis. Intensive Care Med 1996;22:S474-S481 [31] Ertel W, Kremer J, Kenney J, Steckholzer U, Jarrar D, Trentz O, Shildberg F. Down-regulation of proinflammatory cytokine release in whole blood from septic patients. Blood 1995;85:1341-1347 [32] Faist E, Baue AE, Schildberg FW. The immune consequences of trauma, shock and sepsis - Mechanisms and therapeutic approaches. Lengerich, Germany: PABST, 1996 [33] Hershman MJ, Cheadle WG, Davidson PF, Polk HC. Monocyte HLA-DR antigen expression characterizes clinical outcome in the trauma patient. Br J Surg 1990;77:204-207 [34] Hensler T, Hecker H, Heeg K, Heidecke CD, Bartels H, Barthlen W, Wagner H, Siewert JR, Holzmann B. Distinct mechanisms of immunosuppression as a consequence of major surgery. Infection and Immunity 1997;65:2283-2291 [35] Christou N. Host-defence mechanisms in surgical patients: a correlative study of the delayed hypersensitivity skin test response , granulocyte function and sepsis. Can J Surg 1985;28:39-47 [36] Abraham E. Effect of critical illness on macrophage, T and B cell function. In: JL Vinvent, eds. Yearbook of intensive care and emergency medicine. Springer-Verlag, 1993: 35-48 [37] Mack VE, McCarter MD, Naama H A, Calvano SE, Daly JM. Dominance of T-helper 2-type cytokines after severe injury. Arch Surg 1996;131:1303-09 [38] Sherwood E, Koutrouvelis A. trauma-induced immunosuppression. In: JL Vincent, eds. SpringerVerlag, 1999:51-62 [39] Brandtzaeg P, Osnes L, Ovstebo R, Joo GB, Westvik A-B, Kierulf P. Net inflammatory capacity of human septic shock plasma evaluated by monocyte-based targed cell assay: identification of interleukin10 as a major functional deactivator of human monocytes. J Exp Med 1996;184:51-60 [40] Woiciechowsky C, Asadullah K, Nestler D, Eberhardt B, Platzer C, Schöning B, Glöckner F, Lanksch W, Volk H, Döcke W. Sympathetic activation triggers systemic interleukin-10 release in immunodepression induced by brain injury. Nature Med 1998;4:808-813 [41] Ziegler-Heitbrock H. Molecular mechanism in tolerance to lipopolysaccharide. J Inflammation 1995;45:13-26 [42] Pugin J. Chronologie et compartimentalisation de la réponse inflammatoire au cours du choc septique et du syndrome de détresse respiratoire de l’adulte. Réanim Urg 2000;9:613-620 [43] Pugin J. Sepsis and the immune response. Intensive Care Med 1999;25:1027-28 [44] Kox W, Bone R, Krausch D, al e. Interferon-γ in the treatment of the compensatory anti-inflammatory response syndrome (CARS)-a new approach: proof of principle. Arch Intern Med 1997;157:389-93 [45] Murray HW. Current and future clinical applications of interferon-γ in host antimicrobial defense. Intensive Care Med 1996;22:S456-461 [46] Dries DJ. Interferon-γ in trauma-related infections. Intensive Care Med 1996;22:S462-67 [47] Döcke W-D, Randow F, Syrbe U, Krausch D, Asadullah K, Reinke P, Volk H-D, Kox W. Monocyte deactivation in septic patients: Restoration by IFN-γ treatment. Nature Medicine 1997;3:678-681 [48] Van Der Poll T. The use of granulocyte colony-stimulating factor in critically ill patients. Crit Care Med 2000;28:3758-3759 [49] Nelson S, Belknap S, Carlson R. A randomized controlled trial of filgrastim as an adjunct to antibiotics for treatment of hospitalised patients in community-acquired pneumonia. J Infect Dis 1998;178:1075-1080 [50] Volk H, Reinke P, Döcke W. Immunological monitoring of the inflammatory process: which variables? when to assess? Eur J Surg 1999;584:70-72 [51] Kurz A, Sessler D, Lehnhardt R. Perioperative normothermia to reduce the incidence of surgicalwound infection and shorten hospitalization. N Engl J Med 1996;334:1209-1215 [52] Greif R, Akça O, Horn E, Kurz A, Sessler D. Supplemental perioperative oxygen to reduce the incidence of surgical-wound infections. N Engl J Med 2000;342:161-167 [53] Kotani N, Hashimoto H, Sessler D, Muraoka M, Hashiba E, Kubota T, Matsuki A. Supplemental intraoperative oxygen augments antimicrobial and proinflammatory responses of alveolar macrophages. Anesthesiology 2000;93:15-25 606 MAPAR 2001 [54] Losser M-R, Bernard C, Beaudeux J-L, Pison C, Payen D. Glucose modulates hemodynamic, metabolic and inflammatory responses to lipopolysaccharide in rabbits. J Appl Physiol 1997 [55] Beale R, Bryg D, Bihari D. Immunonutrition in the critically ill: a systematic review of clinical outcome. Crit Care Med 1999;27:2799-2805 [56] Klein H. Immunomodulatory aspects of transfusion. Anesthesiology 1999;91:861-865 [57] Wheatley T, Veitch P. Effect of blood transfusion on postoperative immunocompetence. Br J Anaest 1997;78:489-491. [58] Hebert P, Wells G, Blajchman M, Marshall J, Martin C, Pa gliarello G, Tweeddale M, Schweitzer I. A multicenter, randomized, controlled clinical trial of transfusion requirements in critical care. N Engl J Med 1999;340:409-417 [59] Junger W, Coimbra R, Liu F, Herdon-Remelius C, Junger W, Junger H, Loomis W, Hoyt D, Altman A. Hypertonic saline resuscitation: a tool to modulate immune function in trauma patients. Shock 1997;8:235-241 [60] Opal S. Phylogenetic and functional relationships between coagulation and the innate immune response. Crit Care Med 2000;28:S77-S80 [61] Lee W, Downey G. Coagulation inhibitors in sepsis and disseminated intravascular coagulation. Intensive Care Med 2000;26:1701-1706 [62] Bernard G, Vincent J, PF L, LaRosa S, Dhainaut J, Lopez-Rodriguez A, Steingrub J, Garber G, Helterbrand J, Ely W, Fischer C. Efficacy and safety of recombinant human activated protein C for severe sepsis. N Engl J Med 2001 [63] Ahmed N, Marshall J. Corticosteroid therapy in critical illness: a changing paradigm. 2000;175-186 [64] Seely A, Christou N. Multiple organ dysfunction syndrome: exploring the paradigm of complex nonlinear systems. Crit Care Med 2000;28:2193-2200