Inflammation : nouvelles pistes 585
IMMUNOMODULATION AU COURS DU SEPSIS
C. Berton, C. Bernard, Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Lariboisière,
75010 Paris, France.
INTRODUCTION
La réaction inflammatoire au cours du sepsis est un phénomène complexe encore
mal compris.
1. REACTION INFLAMMATOIRE
1.1. IMMUNITE INNEE
C’est un système de défense ancestral présent dans tous les organismes multicellu-
laires. Il comprend des cellules et des molécules capables de reconnaître des motifs
moléculaires communs à un large groupe de micro-organismes. Une avancée scientifi-
que importante a été faite récemment concernant la reconnaissance de ces signaux
d’alarme à l’infection. En effet, la découverte de la famille des récepteurs Toll (TLR)
résout l’énigme de la voie de transmission intracellulaire du signal bactérien lors de la
réponse immunitaire innée [1]. La molécule CD14 exprimée à la surface des monocytes-
macrophages est capable de lier plusieurs ligands membranaires issus des bactéries,
en
particulier le lipopolysaccharide (LPS) des bacilles gram negatif (BGN), mais aussi
certains motifs membranaires des cocci gram positif (CGP) et des mycobactéries.
Le LPS se fixe dans le plasma à une protéine ou LPS-binding protein (LBP) et le
complexe LPS-LBP se lie à CD14, aboutissant à l’activation monocytaire et à la sécré-
tion de cytokines. Cependant, CD14 ne possède pas de domaine de signalisation
intracytoplasmique, mais présente les motifs bactériens en surface du monocyte aux
TLR. Les TLR sont des protéines transmembranaires d’une même famille et ont été
d’abord découverts chez la drosophile comme responsables de la production d’un pep-
tide antifungique. Les TLR ont été identifiés chez l’homme par l’équipe de Janeway [1],
sont au nombre de 5 et possèdent une portion cytoplasmique homologue au récepteur à
l’IL-1. Ainsi, le LPS lie directement le TLR4 alors que les motifs des cocci gram+
(acide lipoteichoïque et peptidoglycanes) lient TLR2 après présentation au CD14 par
une protéine plasmatique encore inconnue (Figure 1).
MAPAR 2001586
Les cytokines sont des protéines le plus souvent induites et non constitutives, et ce,
après activation transcriptionnelle sous le contrôle particulier du «nuclear factor kappa
B» ou NFκB, facteur de transcription intracellulaire ubiquitaire [2]. NF-κB est
composé d’un dimère de 2 sous-unités variables de la famille Rel et est présent dans le
cyto-plasme sous une forme inactivée par liaison au facteur d’inhibition IκB. Les si-
gnaux d’activation cellulaire par les bactéries convergent vers la phosphorylation suivie
de l’ubiquination (par l’ubiquitine) et la dégradation dans le protéasome (assemblage
de protéases cytoplasmiques, lié à l’ubiquitine) de IκB, permettant la translocation nu-
cléaire de NF-κB. NF-κB peut ainsi activer la transcription des nombreux médiateurs
utilisés par le système immunitaire. La régulation cellulaire de ce système est néan-
moins très fine, puisque NF-κB peut être induit, active lui-même la transcription d’IκB
son facteur d’inactivation, et enfin le type de composition dimérique de NF-κB/Rel
peut avoir des effets transcriptionnels différents.
Selon Janeway [1], l’immunité innée est donc polyspécifique et adaptative. L’inhi-
bition des TLRs pourrait être testée dans le traitement du choc septique, mais surtout,
des agonistes des TLRs sous forme de vaccins pourraient servir d’adjuvants intéres-
sants de l’immunité innée.
1.2. MOTIFS BACTERIENS
Les motifs bactériens activent les différents acteurs cellulaires de la réponse im-
mune innée : les monocytes-macrophages, les polynucléaires, les lymphocytes et les
cellules de surface : épithéliales et vasculaires.
Ces différentes cellules libèrent des médiateurs solubles peptidiques de petite taille :
les cytokines [3]. Ces nombreuses molécules régulent les fonctions du système immu-
nitaire sur un mode autocrine et paracrine, avec spécificité par liaison à des récepteurs
spécifiques, et parfois synergie ou antagonisme, par communauté ou inhibition des
voies de signalisation intracellulaire. Les cytokines pro-inflammatoires sont nombreu-
ses et sont exprimées par les monocytes-macrophages selon une chronologie différente :
TNF et IL-1 précoces, puis IL-6 et IL-8, IL-12 et IL-18 d’expression secondaire. Les
arguments expérimentaux permettant d’incriminer le TNF dans la pathogénie du choc
septique étaient essentiellement de 3 ordres [4] :
Figure 1 : Reconnaissance polyspécifique des bactéries
CG+
CD14-TLR2
TLR 2/4
?
Membrane NF-κB - Cytokines
CD 14
LPS
LPS-LBP
CD14-TLR4
LBP
LBP-CD14
Inflammation : nouvelles pistes 587
1- Le TNF est produit très précocement et en grande quantité par le macrophage en
réponse au LPS in vitro, aboutissant à sa libération plasmatique dès 1 h après injec-
tion de LPS in vivo.
2- Le TNF recombinant en administration systémique chez l’animal reproduit la plu-
part des effets du LPS incluant la fièvre, les modifications hématologiques, l’état de
choc avec défaillances viscérales pouvant évoluer jusqu’à la mort de l’animal.
3- Enfin, l’immunisation passive contre le TNF par des anticorps neutralisants protège
l’animal des effets toxiques du LPS ou des BGN. TNF et IL-1 agissent en synergie
au cours du sepsis et l’antagonisme d’action de l’IL-1 est également protectrice au
cours du choc endotoxinique. La libération de TNF s’accompagne de la sécrétion en
cascade de nombreuses autres cytokines et de médiateurs inflammatoires secon-
daires tels le monoxyde d’azote ou NO issu de la NO synthase inductible et des
prostaglandines issus de la cyclo-oxygénase inductible.
Deux nouvelles cytokines pro-inflammatoires d’expression monocytaire retardée
ont été identifiées. Wang et al. [5] ont isolé la «high motility protein 1» (HMG-1) sécré-
tée par le macrophage après stimulation par le LPS de façon tardive. Ils ont ainsi montré
que le blocage par des anticorps de HMG-1 diminue la létalité au choc endotoxinique,
même si le traitement est démarré après le choc (24 h après).
Par ailleurs, Calandra et al. [6] se sont intéressés au «macrophage migration inhibi-
tory factor» (MIF), cytokine également d’expression retardée et dont le blocage est
protecteur dans les modèles endotoxiniques et bactériens, mais aussi lorsque l’anti-
corps anti-MIF est administré après le début du sepsis. Un traitement anti-inflammatoire
par blocage de certains médiateurs peut être efficace, même en administration retardée
et dans les modèles septiques à bactéries vivantes.
1.3. REPERTOIRE DES MONOCYTES/MACROPHAGES
Il s’inscrit en étroite connection avec celui des lymphocytes T et des lymphocytes
NK («natural killer») sans même qu’une présentation antigénique plus spécifique soit
engagée. En effet, IL-12 et IL-18 sont 2 cytokines pro-inflammatoires produites par les
monocytes/macrophages et les cellules à capacité de présentation antigénique, après
activation par les dérivés bactériens (LPS) [7]. IL-12 induit la production d’interféron-
gamma (IFN-γ) par les lymphocytes T (CD4+, CD8+) et les NK, en costimulation avec
TNF et IL-1 et surtout l’IL-18 («IFN-γ-inducing factor») que l’IL-12 est capable
d’induire. L’IFN-γ est un des plus puissants activateurs des macrophages, permettant
l’expression optimale des molécules du Complexe Majeur d’Histocompatibilité
(CMH II) (HLADr étant d’expression majoritaire par les monocytes humains) servant
à la présentation antigénique. In vivo, IL-12 et IL-18 agissent en synergie pour une
production rapide et intense en IFN-γ au cours du choc endotoxinique participant aux
effets toxiques du LPS. Cependant, l’IL-12 exerce un rôle protecteur essentiel, permet-
tant une rapide clairance bactérienne du site infectieux, dans des modèles de péritonites
à E. coli et de pneumopathies à K. pneumoniae où la neutralisation de l’IL-12 s’est
montrée délétère [7].
Les lymphocytes T sont donc impliqués dans la réponse immune innée.
1.4. REPONSE INFLAMMATOIRE
La réponse inflammatoire est complexe, nuancée et autorégulée : en effet, la pro-
duction en excès de cytokines à activité pro-inflammatoire s’associe d’une réponse
modulatrice concomitante des cytokines à activité anti-inflammatoire, comme les anta-
gonistes naturels du TNF et de l’IL-1 : les récepteurs solubles au TNF, p55 et p75,
l’antagoniste du récepteur à l’IL-1, mais aussi des cytokines dites anti-inflammatoires
MAPAR 2001588
comme l’IL-10, l’IL-13 et le TGFβ [8]. Les souris n’exprimant pas l’IL-10 et le TFGβ
présentent clairement un défaut de régulation endogène de la réponse inflammatoire,
entraînant la mort de ces animaux par atteinte inflammatoire diffuse. A l’échelon cellu-
laire, le monocyte activé par le LPS est capable d’exprimer à la fois les médiateurs
inflammatoires mais également des cytokines anti-inflammatoires désactivatrices : IL-
10, IL-13 et TGFβ [9], et les molécules antagonistes des actions de TNF et d’IL-1 : les
récepteurs solubles au TNF et l’antagoniste endogène du récepteur à l’IL-1 (IL-1Ra).
Ces molécules sont retrouvées à taux circulants élevés au cours du sepsis et leur expres-
sion semble même soutenue [10].
1.5. AUTRE FONCTION DE L’IMMUNITE INNEE
Une autre importante fonction de l’immunité innée est d’orienter l’immunité acquise
vers l’attaque sélective d’antigènes dangereux du «non soi», selon un répertoire de lym-
phocytes «T-helper» particulier [11]. Dans ce sens, 2 cytokines d’origine monocytaire/
macrophagique sont déterminantes : l’IL-12 et l’IL-10. Il est décrit schématiquement, au
cours de la réponse immunitaire, une différenciation des cellules lymphocytaires
auxi-
liaires CD4+ (ou Thelper : Th) en cellules sécrétant, soit l’IFN-γ et l’IL-2 (cellules
dites Th1), soit l’IL-4, l’IL-5, l’IL-6, l’IL-10 et l’IL-13 (cellules dites Th2) à partir
d’une population naïve dite Th0 [12]. Les effecteurs cellulaires de la réponse de type
Th1 sont préférentiellement les macrophages et les NK, dont les cibles sont plutôt les
pathogènes intracellulaires, et ceux de la réponse de type Th2 sont surtout les lympho-
cytes B à l’origine de l’immunité humorale spécifique contre les pathogènes
extracellulaires. Les cytokines produites par les cellules Th1 et Th2 sont responsables
d’inter-régulations négatives entre ces 2 populations : l’IFN-γ ayant des effets antago-
nistes sur l’activation des Th2, alors que l’IL-4 a des effets antagonistes sur l’activation
des Th1, créant ainsi une balance Th1/Th2 en faveur de l’une ou l’autre des 2 sous-
populations. On sait que ces cytokines d’origine Th1 ou Th2 exercent d’importants
effets sur le niveau d’activation macrophagique, et donc sur la régulation endogène de
la réponse inflammatoire : IFN-γ et IL-2 amplifient l’activation des macrophages, alors
qu’IL-4, IL-10 et IL-13 l’inhibent (Figure 2).
Figure 2 : Le monocyte est sous influences
BACTERIES : LPS, LTA
exotoxines
Mc
TNF IL-1
IFN-γ
IL-2
IL-3
Ly.Th3
TGF
β
TGF
β
IL-10 IL-12
HSP
PGE2
PAF, C3a, C5a
Ly.Th1
Ly.Th2
+
-
+
IL-6
IL-4
IL-6
IL-10
IL-13
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L’immunité acquise pourrait alors à son tour réguler l’immunité innée pour servir
une non-destruction du soi.
1.6. CYTOKINES CIRCULANTES CHEZ L’HOMME
Les taux circulants des cytokines exprimées au cours du sepsis sont très variables
en pratique clinique. En fait, on détecte du TNF circulant dans moins de 10 % des
patients en choc septique à BGN et les tableaux infectieux présentent de grandes varia-
tions, en terme de délais diagnostics, de causes bactériennes, de sites infectieux, de
terrains sous-jacents, et restent loin des modèles animaux. Les profils d’expression
plasmatique en cytokines pro- et anti-inflammatoires ont été observées au cours du
choc septique fulminant à méningocoque : une élévation précoce et transitoire en TNF
(et variablement d’IL-1) est suivie par celle plus soutenue d’IL-8 et IL-6 ; l’élévation
d’IL-10 est également précoce et peut-être biphasique ; des élévations de l’IL-1Ra et
des récepteurs solubles au TNF sont rapidement observées et restent soutenues [10].
On a tenté des corrélations entre les taux des cytokines circulantes et la mortalité avec
des résultats variables. On s’oriente plutôt vers l’étude des ratios circulants de type
«anti-/pro» : TNFRs/TNF, IL-10/TNF, de manière tout aussi discutable, si l’on ne
sélectionne pas des patients septiques comparables et si l’on n’introduit pas le facteur
dynamique du profil évolutif.
1.7. POLYMORPHISME GENETIQUE
Il est bien connu chez l’animal que le niveau de résistance à l’infection bactérienne
est un trait héréditaire contrôlé par des gènes multiples. Le génome humain comprend
plus de 10 000 gènes. Plusieurs polymorphismes ont été retrouvés dans les clusters des
gènes du TNF et des études récentes ont pu corréler le niveau de production du TNF
avec des variations génétiques particulières [13, 14]. Des variants du promoteur du TNF
ont pu être aussi associés à une balance plasmatique IL-10/TNF spécifique et le ratio
IL-10/TNF <1 paraît un facteur de risque des formes sévères de paludisme. Chez des
patients en sepsis sévère, l’état homozygote pour l’allèle TNF2 est associé à des taux
sériques plus élevés de TNF et à la mortalité. Des polymorphismes des gènes d’IL-1, de
l’IL-12, de l’antagoniste du récepteur à l’IL-1 , des récepteurs au TNF et de l’IL-10 sont
en cours d’études [14].On peut penser que ces variations génétiques puissent
s’associer pour aboutir à un phénotype particulier et à risque d’expression septique
sévère. L’analyse génétique des récepteurs Toll a permis de découvrir une mutation du
TLR4 responsable de la susceptibilité au LPS de certaines souches de souris, comme les
C3H/HEJ. L’analyse chez l’homme semble confirmer l’existence d’un polymorphisme
génétique de TLR4 aboutissant à une susceptibilité particulière à l’infection à BGN.
1.8. FREIN DES HORMONES DE STRESS
De nombreuses études montrent que des animaux adrénalectomisés sont hautement
susceptibles aux effets du LPS et que cette sensibilisation peut être réversée par une
hormonothérapie substitutive par des corticostéroïdes. Les hormones glucocorticoïdes
endogènes régulent la réponse inflammatoire en diminuant de façon basale la synthèse
des cytokines : TNF, IL-1, IL-2, IL-6 et IL-8 mais aussi les médiateurs secondaires :
NOSi et COX2. Les récepteurs pour les hormones stéroïdes (incluant les glucocorticoï-
des, les œstrogènes et les androgènes) appartiennent à une grande famille : la superfamille
des récepteurs aux stéroïdes. Ils se différencient remarquablement des récepteurs clas-
siques ou membranaires du fait qu’ils sont intracellulaires et agissent de façon principale
en régulant la transcription de l’ADN de nombreux gènes inductibles. Les actions mieux
connues des glucocorticoïdes sont celles de la répression transcriptionnelle de plusieurs
cytokines : TNF, IL-1, IL-2, IL-6, IL-8, Il-12 et IL-18. Les glucocorticoïdes peuvent
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