quels criteres de maitrise du risque de l`anesthesie chez

Questions pour des champions en anesthésie 175
QUELS CRITERES DE MAITRISE DU RISQUE DE
L’ANESTHESIE CHEZ LE CARDIAQUE?
P. Coriat, DAR C.H. Pitié-Salpétrière, 47-83 boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris
Cedex 13.
INTRODUCTION
La fréquence de survenue des complications coronaires chez les opérés à risque,
leurs effets délétères sur l’espérance de vie à court et à moyen terme des malades,
imposent de définir de façon prospective une démarche permettant d’assurer une pré-
vention efficace de ces complications. Cette démarche doit porter sur les trois temps de
la période opératoire. A chaque temps une stratégie adaptée assure une prévention effi-
cace des complications coronaires. C’est en fait une véritable démarche qualité qui
doit être suivie, puisqu’elle intègre des objectifs de soins et des indicateurs assurant
que la prise en charge de l’opéré coronarien a atteint son but : éviter tout dommage
myocardique péri-opératoire. En d’autres termes, s’assurer que l’opéré coronarien quitte
le milieu chirurgical avec une viabilité myocardique strictement identique à celle qu’il
avait avant l’intervention.
La stratégie thérapeutique doit être rationalisée. Elle conduit à modifier le traite-
ment cardiovasculaire pris au long cours par l’opéré, à instaurer en préopératoire certaines
thérapeutiques prophylactiques, à envisager dans certains cas une revascularisation
myocardique préopératoire, à assurer pendant l’anesthésie une parfaite stabilité hémo-
dynamique et à contrôler en postopératoire l’ensemble des facteurs qui compromettent
l’oxygénation myocardique pouvant être à l’origine d’un dommage myocardique
irréversible. La démarche proposée s’inscrit dans une perspective logique de réduction
du risque coronaire péri-opératoire.
1. NATURE DES COMPLICATIONS CORONARIENNES PERI-OPERATOIRES
Le dommage myocardique secondaire à un processus ischémique est la principale
des complications cardiaques postopératoires [1, 2]. Cette complication recouvre un
large spectre clinique allant de la nécrose de seulement quelques cellules cardiaques à
l’infarctus antérieur étendu. Le dosage postopératoire du taux de troponine Ic, mar-
queur hautement spécifique du dommage myocardique postopératoire permet de
quantifier l’étendue du territoire myocardique touché par un processus ischémique
irréversible pendant la période opératoire [3]. La viabilité des cellules myocardiques
étant le principal facteur qui conditionne l’espérance de vie des coronariens, plus le
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dommage myocardique péri-opératoire est important, plus l’espérance de vie de l’opér
é
coronarien est limitée. A cette morbidité postopératoire immédiate, il faut donc adjoin-
dre la mortalité à moyen terme élevée dans les deux à trois ans qui font suite à une
intervention chirurgicale.
Les études réalisées dans les années 1980 où l’infarctus du myocarde post-
opéra-toire est recherché par un électrocardiogramme réalisé toutes les 12 heures après
l’intervention suggéraient que cette complication survenait le deuxième ou le troisième
jour postopératoire. Des études plus récentes où les nécroses myocardiques post-
opératoires ont été détectées par un enregistrement continu de l’électrocardiogramme
pendant la période opératoire ou par des dosages répétés de troponine révèlent qu’en
fait, la survenue de l’infarctus du myocarde postopératoire est beaucoup plus précoce,
dans les 24 heures après la fin de l’intervention. Dans toutes ces études, l’infarctus du
myocarde est précédé par la survenue d’épisodes d’ischémie myocardique. Ainsi, la
nécrose myocardique aiguë postopératoire n’apparaît donc pas comme une fatalité du
troisième jour mais plutôt comme la conséquence d’épisodes d’ischémie myocardique
survenant pendant l’intervention ou dans les premiers jours postopératoires.
Le dosage de troponine I, a également permis de préciser l’incidence exacte du
dommage myocardique postopératoire chez les opérés à risque (qui se situe entre 3 et
6%). Le seuil du taux de troponine I à partir duquel on peut affirmer la constitution
d’une nécrose myocardique est fixée à 1,5 ng.mL-1 [4].
Le but de la prise en charge de lopéré coronarien est que le malade quitte
lhôpital avec le même nombre de cellules myocardiques viables présentes à len-
trée de lopéré dans le service : cest-à-dire avec un taux de troponine I égal à 0.
Cette donnée doit servir de référentiel pour la démarche qualité que doit être la
prise en charge de ces opérés à risque.
Toute élévation même minime du taux de troponine I, révèle la survenue d’un dom-
mage myocardique péri-opératoire d’origine ischémique. Des valeurs de troponine I
comprises entre 0 et 1 ng.mL-1, traduisent une évolutivité de la maladie coronaire qu’il
s’agisse d’une ischémie coronaire avec lésion myocardique, ou d’une nécrose
myocardique
sous endocardique d’étendue limitée. Un taux de troponine de 1 ng.mL-1, révèle une
nécrose myocardique qui retentira sur l’espérance de vie à moyen terme de l’opéré.
Le dosage de troponine I permettant avec une haute spécificité la mise en évidence
d’une évolutivité de la maladie coronaire pendant la période opératoire, il faut deman-
der le dosage de troponine I chaque fois que l’on a un doute sur le développement d’un
processus ischémique pendant la période opératoire. En pratique le dosage de troponine I
s’avère indispensable :
Dans les heures précédant l’intervention chirurgicale lorsque l’état clinique du malade,
la symptomatologie qu’il décrit, une modification même minime de son électrocar-
diogramme de repos fait craindre une évolutivité de la maladie coronaire. Le dosage
de troponine I doit également être recommandé chez les coronariens dont le traite-
ment de la maladie coronaire a été modifié dans le cadre de la période opératoire. Il
s’agit essentiellement des coronariens traités au long cours par aspirine chez qui le
traitement a du être arrêté en raison de l’intervention chirurgicale.
En postopératoire il est fondamental de demander un dosage de troponine I chaque
fois qu’apparaît un doute sur le développement d’un processus ischémique. En prati-
que, le dosage doit être réalisé en postopératoire devant toute instabilité tensionnelle,
modification de l’électrocardiogramme ou trouble des fonctions cognitives de l’opéré
.
Dès qu’un dommage myocardique postopératoire est suspecté sur l’évaluation du
taux de troponine I, il faut maintenir l’opéré en unité de soins intensifs et contrôler
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l’ensemble des déterminants de la balance énergétique du myocarde afin de limiter
l’étendue de la lésion myocardique. On envisagera l’administration de bêtabloquants
pour ralentir la fréquence cardiaque, et l’administration d’une héparinothérapie à la se-
ringue électrique si la nature de l’intervention chirurgicale le permet. Si l’infarctus du
myocarde postopératoire paraît étendu (sous décalage du segment ST dans plusieurs terri-
toires, taux élevé de Troponine I) ou si des signes de gravité apparaissent (dégradation de
l’état circulatoire, subœdème pulmonaire, extrasystoles ventriculaires nombreuses ou
multifocales, hypotension artérielle prolongée, sus décalage du segment ST), il ne faudra
pas hésiter à envisager une revascularisation myocardique par dilatation coronaire.
2. STRATEGIE THERAPEUTIQUE AU COURS DES DIFFERENTS TEMPS
DE LA PERIODE OPERATOIRE
La prise en charge d’un opéré à risque cardiovasculaire par le médecin anesthésiste
comporte plusieurs étapes : les temps préopératoire, peropératoire et postopératoire.
Au cours de ces vingt dernières années, l’importance relative de chacun de ces temps
s’est modifiée, chaque temps à tour de rôle étant considéré comme le plus important
pour l’opéré coronarien.
2.1. TEMPS PEROPERATOIRE
Dans les années quatre-vingt, une attention presque exclusive était portée à la période
opératoire, c’est-à-dire à la conduite de l’anesthésie. Il était fortement recommandé, de
maintenir la pression artérielle et d’éviter les accélérations de fréquence cardiaque.
L’apparition de médicaments d’anesthésie, qu’ils soient intra-veineux ou volatils,
ayant un effet dépresseur myocardique négligeable, de nouveaux solutés de remplis-
sage, une utilisation rationnelle des vasopresseurs et des bêtabloquants permettent
actuellement d’assurer une parfaite stabilité circulatoire chez les opérés aux réserves
cardiovasculaires les plus limitées.
Les médicaments d’anesthésie ayant un effet de plus en plus modéré sur l’équilibre
circulatoire, il est alors apparu que les modifications tensionnelles de l’anesthésie, étaient
essentiellement secondaires aux interactions entre les médicaments cardiovasculaires
pris par l’opéré qui interfèrent avec les deux systèmes de régulation de la pression
artérielle.
2.1.1. STABILITE TENSIONNELLE PEROPERATOIRE
Le système nerveux sympathique et le système rénine-angiotensine sont les deux
principaux systèmes régulateurs de la pression artérielle. Alors que le système nerveux
sympathique est surtout impliqué dans la physiopathogénie des élévations de pression
artérielle et de fréquence cardiaque secondaires aux contraintes nociceptives de la chi-
rurgie et de la période postopératoire, le système rénine-angiotensine est activé par toute
baisse du retour veineux, qu’elle résulte d’une hypovolémie ou des effets sur le système
capacitif d’une anesthésie générale et péridurale. De ce fait, le système rénine-angioten-
sine joue un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre tensionnel péri-opératoire.
Plusieurs études ont souligné que la poursuite du traitement bêtabloquant jusqu’à
l’intervention limite les accélérations de fréquence cardiaque, les élévations de pres-
sion artérielle et de pression artérielle pulmonaire d’occlusion ainsi que l’incidence des
épisodes d’ischémie myocardique contemporains des stimulis nociceptifs péri-
opératoires. Les interférences médicamenteuses entre les bêtabloquants et les agents
d’anesthésie sont plus bénéfiques que délétères car ces agents diminuent le retentis-
sement circulatoire des contraintes de la période opératoire sans majorer les effets
hypotenseurs de l’anesthésie générale [5].
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Par contre les interférences entre les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les
inhibiteurs de l’angiotensine sont plus délétères que bénéfiques. L’effet veino-
dilatateur de ces médicaments doit être souligné car il joue un rôle important dans les
effets circulatoires de ces agents [6]. Chez l’opéré hypertendu ou insuffisant cardiaque,
l’arrêt d’un traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion n’expose pas à un effet
rebond. Aucun risque d’accès hypertensif, d’insuffisance ventriculaire gauche conges-
tive ou d’accident ischémique n’est à craindre dans les jours qui suivent l’arrêt d’un
traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion.
Lorsque le traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion est poursuivi
jusqu’au matin de l’intervention, les opérés n’en tirent aucun bénéfice en termes de
stabilité hémodynamique. La poursuite du traitement ne limite pas les élévations de
pression artérielle induites par les stimulis nociceptifs de l’intubation et de la chirurgie
et n’assure pas la prévention des accès hypertensifs postopératoires. En revanche, la
poursuite du traitement par IEC majore de façon significative les effets hypotenseurs
de l’anesthésie générale, exposant dans certains cas à la survenue d’un collapsus à
l’induction ou pendant l’acte chirurgical. Ces épisodes d’hypotension artérielle résul-
tent essentiellement d’un effondrement de la précharge [6].
L’effet hypotenseur est particulièrement marqué chez les opérés qui reçoivent l’IEC
pour le traitement d’une hypertension artérielle, en raison de l’altération de la com-
pliance ventriculaire gauche associée à la cardiopathie hypertensive. Par contre, chez
les opérés souffrant d’une insuffisance ventriculaire gauche congestive, l’effet hypo-
tenseur de l’anesthésie est limité par le couplage ventriculo-artériel [6].
Il faut également souligner que la poursuite du traitement par IEC, prive le rein d’un
mécanisme compensateur essentiel mis en jeu face à une baisse de pression artérielle :
la vasoconstriction de l’artériole efférente qui maintient la pression de perfusion glo-
mérulaire si la pression artérielle diminue. Ainsi en cas de blocage du système rénine
angiotensine toute baisse de la pression artérielle expose à une dégradation post-
opératoire de la fonction rénale.
Une attention toute particulière doit être apportée aux antagonistes des récepteurs
de l’angiotensine II, qui inhibent de façon efficace et profonde le système rénine angio-
tensine [7, 8]. La poursuite d’un traitement par les antagonistes de l’angiotensine expose
avec une fréquence très élevée à la survenue d’épisodes d’hypotension artérielle dès
l’induction, qui peuvent compromettre l’équilibre circulatoire et qui se répètent
fréquemment pendant l’anesthésie. Ces épisodes apparaissent plus marqués que ceux
rapportés chez les malades recevant un inhibiteur de l’enzyme de conversion.
2.2. TEMPS PREOPERATOIRE
Alors que le problème du contrôle circulatoire de la période opératoire trouvait une
solution, une attention toute particulière a été portée à la période préopératoire. Cette
période est alors devenue le temps essentiel pour limiter le risque opératoire.
Elle permet en effet une évaluation du risque opératoire et la préparation des malades
à l’intervention. Les progrès de la cardiologie interventionnelle qui ont, dans un
premier temps, laissé croire que l’angioplastie était un traitement efficace, non invasif
et sans risque de la maladie coronaire ont conduit plusieurs équipes à proposer aux
opérés à risque un bilan préopératoire invasif dans le but non pas d’évaluer le risque
opératoire, mais de dépister d’éventuelles sténoses coronaires pour leur proposer une
revascularisation myocardique préopératoire. La dilatation coronaire était supposée
assurer de façon efficace la prévention des complications coronaires postopératoires.
En fait, comme nous le reverrons les bienfaits de cette attitude ne se sont pas révélés
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fondés. Ces données ont conduit à limiter les indications de la coronarographie préopé-
ratoire et à faire de l’évaluation du risque opératoire le but essentiel du temps
préopératoire.
2.2.1. EVALUATION DU RISQUE OPERATOIRE
Le temps préopératoire est une étape particulièrement importante de la prise en
charge des opérés coronariens. Pour être rationnelle, elle doit prendre en compte plu-
sieurs données que nous envisagerons successivement, qui guident de façon précise
l’examen clinique préopératoire, la prescription d’examens complémentaires, le recours
à une coronarographie dans le but de porter l’indication d’une revascularisation myo-
cardique préopératoire.
Première étape : l’examen clinique et l’électrocardiogramme de repos.
Il est indispensable de rechercher une symptomatologie coronarienne, et d’évaluer la
tolérance aux efforts de la vie quotidienne. Toute pathologie coronarienne instable
impose de reporter l’intervention chirurgicale et d’en faire un bilan précis. Une éva-
luation coronarienne est également indispensable chez les opérés symptomatiques.
Il faut également relever les signes cliniques qui ont été identifiés par des études de la
littérature comme étant des facteurs prédictifs indépendants de la survenue de
complications coronaires postopératoires : l’âge de plus de 65 ans, l’existence d’un
antécédent d’infarctus du myocarde, un diabète, une mauvaise tolérance aux efforts
de la vie quotidienne. En l’absence de signes d’insuffisance coronaire symptoma-
tique qui impose, quelle que soit la pathologie vasculaire de l’opéré, le recours à une
évaluation coronaire invasive, la suite de la démarche préopératoire impose une fois
l’évaluation clinique faite, de prendre en compte l’incidence des complications de
l’intervention chirurgicale.
Deuxième étape : prendre en compte la morbidité postopératoire de la chirurgie
vasculaire dans l’institution.
Ainsi, la stratégie préopératoire impose de prendre en compte la symptomatologie
coronarienne (stable vs instable, symptomatique vs asymptomatique), la tolérance aux
efforts de la vie quotidienne et le risque spécifique lié à l’intervention chirurgicale. La
relation qui existe entre le risque opératoire et un score de gravité préopératoire dépend
largement du risque moyen associé à l’intervention chirurgicale. Prenons l’exemple
d’un malade de 70 ans, diabétique ayant souffert d’une nécrose myocardique aiguë
5ans auparavant. Chez ce malade, la probabilité de voir apparaître une récidive de
nécrose myocardique aiguë ou un décès postopératoire d’origine cardiaque est de 6 %
pour une intervention chirurgicale dont le risque cardiaque moyen est de 2 % (chirurgie
digestive lourde) et de 20 % pour une chirurgie d’anévrysme de l’aorte abdominale
dont le risque cardiaque moyen est de 6 %.
Le caractère très limité des examens complémentaires demandés s’inscrit dans une
logique économique mais également médicale, puisque ces examens ne doivent être
réalisés que lorsqu’ils ont une incidence thérapeutique directe. Ceci n’est le cas que
lorsque les malades sont adressés pour des interventions dont le risque cardiaque est
supérieur à 3 %. En pratique, seule la chirurgie de l’anévrysme de l’aorte abdominale et
la chirurgie carcinologique fortement hémorragique ont une morbidité ou une mortalité
cardiaque péri-opératoire supérieure à 3 %.
La fréquence de survenue des complications postopératoires dans l’institution doit
être prise en compte, en raison du théorème établi par Bayes il y a trois siècles : «les
résultats d’un score de gravité et/ou d’un test prédictif dépendent de la prévalence d’une
pathologie et de l’incidence des complications dans la population testée».
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