TROUBLES NON TRAUMATIQUES DU VITRÉ EN MILIEU CAMEROUNAIS (A propos de 64 patients étudiés à l’Hôpital Central de Yaoundé) : Aspects épidémiologiques et cliniques M. MOUSSALA*, A. KOUDA ZEH**, V. MBASSA***, T.E. Mc MOLI****, E. MOUKOURI**** RÉSUMÉ Dans le cadre d’une enquête descriptive transversale les auteurs se sont fixé pour but d’étudier les paramètres épidémiologiques de base des malades porteurs d’une opacité vitréenne non traumatique ainsi que les types morphologiques de troubles vitréens et leur causes physiopathologiques. 64 patients avec 109 yeux ont été inclus dans l’étude. La fréquence de la lésion en milieu hospitalier était estimée à 2,5% (n=25550) tandis que l’échantillon était composé essentiellement de jeunes et d’adultes (0 à 39 ans) pour 68,75%. La moyenne d’âge était de 30,67 ans. Les lésions ont été divisées en quatre groupes en fonction de leur aspect biomicroscopique : groupe I (Tyndall), groupe II (corps flottants, voiles vitréens), groupe III (organisation ou rétraction du vitré), Groupe IV (Hémorragie intravitréenne, abcès vitréen (Endophtalmie), panophtalmie, corps astéroïdes). Les lésions des groupes I et II étaient les plus fréquentes avec 88% de cas d’yeux. Les principales causes d’opacification du vitré étaient l’uvéite (32% des cas) les vascularites rétiniennes (12,8%) et les papillites (10%). Par ailleurs la cause était inapparente dans 34% des cas. La faible représentation du groupe III (9,2%) peut s’expliquer par la réversibilité des lésions des groupes I et II. Les uvéites et les vascularites sont les causes les plus accessibles à la thérapie. Les autres maladies associées (endophtalmie, panophtalmie, décollement rétinien) sont d’un pronostic difficile en milieu tropical à cause du diagnostic tardif, des moyens thérapeutiques limités ou absents, et des possibilités matérielles et financières réduites chez les patients. Mots clés : Troubles vitréen, Opacité vitrienne, Hyalite, Cameroun, Afrique, Aspects Biomicroscopiques, Cause. * Service d’Ophtalmologie. Hôpital Central Yaoundé. ** Unité de Médecine. Hôpital Central Yaoundé. Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (5) SUMMARY Non traumatic vitreous opacities in Cameroon : An epidemiologic and clinical study The authors, in a horizontal descriptive study, looded at the basic epidemiological parameters of patients with non traumatic vitreous opacities, the morphological types of that vitreous lesions and their pathophysiological causes. 64 patients with 104 eyes were included. The frequency in hospital practice was 2.5% (n=2250). The sample comprised essentially youngsters and adults, 68,5% being 0-39 years. The mean age was 30,67 years. Lesions were divided into 4 groups, in relation to their biomicroscopics aspects. Group I (Tyndall), Group II (Floating bodies, vitreous veils), Group III (vitreous organisation or retraction), Group IV (Vitreous haem o r rhages, vitreous abscess-endophtalmitis, panophthalmitis, asteroid bodies). Group I and II lesions were the most frequent, 88% of eyes. The main causes of vitreous opacities were : uvéitis (23%), r e t i n a l vasculitis (12,8%) and papillitis (10%). 34% cases did not have any obvious cause. The fact that group I and II lesions are reversible can explain the low percentage (9,2%) of group III lesions. Uveitis and vasculitis are most amenable to treatment. The other associated lesions (endophthalmitis, panophthalmitis, retinal detachment) have a more guarded prognosis in tropical practice because of late diagnosis, limited or non existent treatment facilities and the poor financial status of patients. Key words : Vitreous opacity, Vitreous, Cameroun, Africa, Biomicroscopics aspects, Cause. I. INTRODUCTION Le vitré est un gel transparent remplissant la cavité oculaire en arrière du cristallin (1). Il intervient par sa transparence *** Faculté de Médecine. Université de Yaoundé I. **** Service d’Ophtalmologie. Centre Hospitalier Universitaire. Yaoundé. TROUBLES NON TRAUMATIQUES… et son indice de réfraction dans la formation des images visuelles sur la rétine. L’âge et la myopie induisent des modifications du vitré caractérisées par sa liquéfaction (synérèse) et son décollement postérieur (2). Les opacités vitréennes traumatiques sont la conséquence du traumatisme oculaire malgré la variabilité des facteurs impliqués (hémorragie intravitréenne, infection intraoculaire ou inflammation post-traumatique). Les maladies et les lésions non traumatiques du voisinage (uvéites, papillites, vascularites rétiniennes, infection métastasique) peuvent être à l’origine d’un trouble vitréen par rupture de la barrière hémato-oculaire (2). L’opacité est dans ce cas un symptôme nécessitant la recherche d’une cause physiopathologique qui permettra un diagnostic étiologique. Ce travail avait pour buts : • Déterminer la fréquence des opacités vitréennes pathologiques non traumatiques en milieu hospitalier. • Définir le profil épidémiologique des patients présentant ce trouble. • Décrire les différents types morphologiques d’opacités. • Identifier les causes physio-pathologiques des troubles vitréens non traumatiques. II. MATÉRIELS ET MÉTHODES Il s’agit d’une étude descriptive transversale réalisée du 1er Octobre 1993 au 1er Octobre 1994 dans le service d’ophtalmologie de l’hôpital central de Yaoundé. Les patients ont été recrutés consécutivement, par convenance et par le même médecin. L’interrogatoire précisait l’identité du malade (nom, prénom, âge, sexe, profession), les plaintes, signes cliniques et antécédents personnels (ophtalmologiques et généraux). Chaque malade faisait l’objet d’un examen clinique général et ophtalmologique minutieux. Le bilan ophtalmologique comportait : • Une mesure de l’acuité visuelle à l’aide d’échelles d’optotypes (de loin et près) avec correction optique si possible. • Une biomicroscopie des segments antérieur et postérieur (lentille de VOLK 90 D, verre à triple miroir avec dépresseur scléral). 287 • La tonométrie oculaire au GOLDMANN ou au PERKINS. • Une échographie oculaire en mode B lors d’opacités denses empêchant l’examen détaillé vitréo-rétinien. Les patients retenus étaient des camerounais des deux sexes sans distinction d’âge venus consulter, chez qui un trouble d’origine pathologique non traumatique avait été constaté. Étaient exclus de l’étude les patients ayant les caractéristiques suivantes : • Les patients n’ayant pas d’opacités vitréennes pathologiques. • Les malades possédant des opacités post-traumatiques ou post-chirurgicales du vitré. • Les patients ayant des opacités liées à la synérèse sénile ou myope et débouchant sur un décollement postérieur du vitré. • Les malades atteints d’opacités cornéennes ou cristalliniennes empêchant un examen détaillé vitréo-rétinien. Les lésions étaient classées en trois groupes par ordre de gravité croissante, un quatrième groupe réunissant les opacités sévères d’un type particulier. Les groupes étaient les suivants : • Groupe I : Tyndall vitréen • Groupe II : Corps flottants, voiles vitréens • Groupe III : Organisation ou rétraction du vitré • Groupe IV : Hémorragie intravitréenne, abcès vitréen (endophtalmie), panophtalmie, corps astéroïdes. En cas de coexistence au sein d’un même oeil de plusieurs types d’opacités la plus sévère était retenue. Étaient enregistrés les paramètres épidémiologiques de base, l’aspect biomicroscopique des lésions et les causes des troubles vitréens. L’analyse a consisté en une comparaison des fréquences relatives ou des effectifs. III. RÉSULTATS 1. Fréquence Sur 2550 patients examinés, 64 présentaient un trouble non traumatique du vitré, soit une fréquence hospitalière de 2,51%. Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (5) M. MOUSSALA, A. KOUDA ZEH, V. MBASSA, T.E. Mc MOLI, E. MOUKOURI 288 2. Age et sexe des malades (figure 1) Les patients dont l’âge variait entre 0 et 39 ans représentaient 68,75% de l’échantillon. Le plus jeune patient avait 2 ans tandis que le plus âgé en avait 73. La moyenne d’âge de la population était de 30,67 ans. Figure I : Répartition des malades selon l’âge et le sexe 20 Nombre des malades La population étudiée comportait 35 hommes pour 29 femmes, soit un sex ratio de 35/29=7/6. 15 Hommes Série1 3. Localisation de l’atteinte Série2 Femmes L’atteinte était bilatérale chez 45 patients (70,3%). Ce travail a ainsi porté sur 64 patients correspondant à 109 cas d’yeux. 10 5 0 4. Aspect biomicroscopique des lésions (tableau 1) 0-19 20-39 40-59 Age des malades 60-79 La distribution des différentes lésions est rapportée au tableau 1. Les jeunes et adultes représentent la majorité de l’échantillon. Tableau 1 : Aspects biomicroscopiques des lésions vitréennes (selon le nombre de cas d’yeux) Aspects biomicroscopiques des lésions vitréennes Nb de cas (N=109) % Tyndall 43 39,4 Voiles vitréens 31 28,4 Corps flottants 16 14,7 Organisation ou rétraction du vitré 10 9,2 Abcès vitréen (endophtalmie) 3 2,7 Hyalite infectieuse (panophtalmie) 2 1,8 Hémorragie intravitréenne 2 1,8 Persistance du vitré primitif 1 0,9 Corps astéroïdes 1 0,9 109 100 Total Les lésions des groupes I et II représentent 82,6% de la série. Les groupes III et IV occupent une place marginale. Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (5) TROUBLES NON TRAUMATIQUES… 289 5. Causes des troubles vitréens Le tableau 2 nous expose les différentes causes d’opacités et leurs fréquences respectives. Tableau 2 : Causes des troubles vitréens non traumatiques Causes Nombres de cas (N=109) % Uvéites 35 32,1 Vascularites rétiniennes 14 12,8 Papillites 11 10 Décollement rétinien 3 2,7 Endophtalmie 3 2,7 Panophtalmie 2 1,8 Retinoschisis juvénile 2 1,8 Corps astéroïdes 1 0,9 Persistance du vitré primitif 1 0,9 Cause inapparente 37 34 Total 109 100 Certaines causes sont relativement rares (Endophtalmie, Panophtalmie, Rétinoshisis,...) Il existe un grand nombre de patients dont la cause n’est pas décelable avec les moyens d’investigation de l’étude. IV. DISCUSSION Avec une fréquence de 2,5% de consultations ophtalmologiques (n=55) le trouble vitréen non traumatique est une lésion rare en milieu hospitalier. Il nous interpelle néanmoins par la nécessité de l’identification d’une probable cause physiopathologique située dans le voisinage (choroïde, rétine) qui pourrait suggérer l’étiologie trouvable (3). Ce trouble se rencontre en majorité chez les jeunes et les adultes (figure 1). Ce fait pourrait trouver son explication en partie dans l’espérance de vie qui est faible dans les pays du tiers monde. La relative prédominance masculine ne présente qu’un caractère contingent, vu que le sex-ratio varie selon l’âge des patients, les tableaux cliniques et les causes des troubles vitréens. Les opacités des groupes I et II marquent les stades initiaux de l’infiltration du vitré par les cellules et produits inflammatoires du voisinage. La faible proportion des cas d’organisation ou de rétraction vitréenne (III) qui concerne 9,2% de l’échantillon peut s’expliquer par la réversibilité des lésions des groupes I et II (4). Les indications potentielles de la vitrectomie pourraient se rencontrer dans les groupes III et IV, soit environ 17,3% des cas (4-7). Les uvéites et les vascularites rétiniennes qui sont la première et la deuxième cause sont en général accessibles du point de vue thérapeutique. Mais on se heurte au problème des étiologies difficiles à déterminer (8,9). Les autres affections (Décollement rétinien, Endophtalmie, Panophtalmie) sont d’un pronostic pessimiste à cause de la gravité des atteintes liée à un diagnostic tardif. Le diagnostic précoce dans ces cas n’exclut pas les difficultés matérielles pouvant grever l’accès des patients à la thérapeutique. Il pourrait exister éventuellement des types particuliers de lésion de la barrière hemato-oculaire caractéristiques au milieu tropical, dans la mesure où l’opacité vitréenne n’est pas identifiable dans 34% des cas. BIBLIOGRAPHIE 1. H. SARRAUX, C. LEMASSON, H. OFFRET, G. RENARD. Anatomie et Histologie de l’oeil. Edition Masson, Paris, 1982, 181. 2. D. CHAUVAUD. Vitré. In «Précis d’ophtalmologie, POULIQUEN Y». Edition Masson, Paris, 1984, 303-314. 3. F. HOLLWICH. Ophthalmology. Thieme Werlag, Stuttgart, 1985, p 140. 4. J.F. KOROBELNIK. Les indications de la vitrectomie. Ophtalmo-Actualités, 1994, 4, 1. 5. P.A. CIBIS. Vitreoretinal pathology and surgery in retinal detachement. CV Mosby Co, St-Louis, 1965. 6. W.V. Jr. DELANEY. Astéroid hyalitis (benson’s disease) and rétinal separation. Br. J. Ophthalmol, 1975, 80, 2. 7. F. NEWELL. Ophthalmology : principles and concepts. CV Mosby Co, St-Louis (fifth edition), 1982, 313. 8. R.CAMPINGHI, J.P. FAUR, E. BLOCH-MICHEL, J. HAUT. L’uvéite : phénomènes immunologiques et allergiques. Soc. Fr. Ophthalmol. Masson Ed. Paris, 1970, 752-761. 9. M. ALLAGUI, C. MONIN. Vascularites rétiniennes. L’Ophtalmologie en questions. Laboratoires CHAUVIN, 1993, 23 : 3. Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (5)