Mors 6 mm Mors 4 mm 6 mm N° 28 - Février 2013 Parcours client, parcours patient : l’expérience de service Mors Sous la direction de Xavier Pavie Mors Avenue Bernard-Hirsch BP 50105 95 021 Cergy-Pontoise Cedex France Tel. +33 (0)1 34 43 28 29 essec-serviceinnovation.com ESSEC Asia-Pacific 100 Victoria Street National Library Building # 13-02 Singapore 188064 [email protected] Tel. +65 6884 9780 Fax +65 6884 9781 www.essec.edu 70, rue Cortambert 75 016 Paris innovationandsociety.com Parcours client, parcours patient : l’expérience de service The Institute for Strategic Innovation and Services ISIS, The Institute for Strategic Innovation and Services, est un centre de recherche et d’animation scientifique de l’ESSEC Business School à Paris et Singapour. Créé en janvier 2004, ISIS a pour vocation de faire émerger, stimuler et promouvoir l’innovation dans l’économie de la connaissance et des services du XXIe siècle, et cela en vue de contribuer à la croissance responsable et à la compétitivité des organisations. L’institut instruit les mécanismes d’innovation, capitalise sur les bonnes pratiques, accompagne les changements organisationnels et managériaux et élabore des instruments de mesure de la performance et de la capacité créatrice des équipes. ISIS anime un réseau international de partenaires économiques et universitaires tournés vers un objectif commun de développement de connaissances concrètes et de savoir-faire structurés. Au travers d’échanges continus avec les responsables économiques, une communauté se construit autour de la réflexion, de la diffusion et du partage d’expériences. Les « Matins de l’Innovation » ainsi que d’autres manifestations permettent à cette communauté de se réunir et de participer à une construction commune autour des enjeux et des méthodes de l’innovation dans l’économie des services. essec-serviceinnovation.com L’association Innovation & Société a pour objet d’encourager et de pratiquer l’étude de la responsabilité sociale de l’innovateur, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale. Pour ce faire, elle réunit des chercheurs, enseignants, responsables économiques, représentants des pouvoirs publics et représentants de la société civile dans son ensemble autour d’un travail collectif de réflexion et d’animation scientifique sur les différentes composantes de l’innovation, sur les mécanismes de stimulation de l’innovation, sur l’évaluation des conséquences économiques, sociales et sociétales de l’innovation, sur la recherche et la formation à l’innovation, parmi d’autres. innovationandsociety.com Parcours client, parcours patient : l’expérience de service Sous la direction de Xavier Pavie Sous la direction de Xavier Pavie Xavier Pavie enseigne à l’ESSEC où il est également directeur de l’Institute for Strategic Innovation and Services (ISIS). Diplômé de sciences de gestion, il est aussi docteur en philosophie. Il est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages en management et philosophie, notamment L’Innovation responsable, stratégie et levier de croissance pour les organisations (Eyrolles, 2012). L’ISIS tenait à remercier Hubert Joseph-Antoine, directeur du service aux patients et de la communication à l’AP-HP, Arnaud Masson, directeur marketing de la Générale de Santé, et Gwenaël Meneux, directeur Customer Excellence chez AstraZeneca, pour leurs contributions sur le thème « Parcours client, parcours patient : l’expérience de service ». Ainsi que Sophie Jacolin, www.voyelles.net, pour sa collaboration à ce cahier. Ce cahier est issu de la série « les Portes de l’Innovation » Sommaire INTRODUCTION ........................................................................................ 7 Définir le parcours client ................................................................................................. 7 Du patient à la patientèle ............................................................................................... 9 Des leviers de satisfaction médicaux et non médicaux ................................. 10 POURQUOI LA NOTION DE CLIENT DEVIENT-ELLE INCONTOURNABLE DANS LA SANTÉ ? ............................................. 15 Le client, notion longtemps taboue en santé ...................................................... 15 Le marketing des services est né à l’hôpital ! ............................................ 17 Un secteur en mutation qui cherche de nouveaux relais de croissance ............................................................................................................ 19 AU-DELÀ DU PATIENT, CONNAITRE LE CLIENT POUR ENRICHIR SON EXPÉRIENCE .................................................................................. 25 De la culture patient à la culture client ....................................................... 25 Les techniques du marketing s’invitent à l’hôpital ................................ 27 Les spécificités du service à l’hôpital ........................................................... 28 Les spécificités de la relation laboratoire-prescripteur ..................... 30 INNOVER DANS L’OFFRE DE SERVICE ET LE PARCOURS CLIENT ...................................................................................................... 33 Segmentation de la clientèle et lignes de services ............................... 33 Des parcours clients fluides et efficaces ................................................... 34 Innover dans les modes de communication avec le client ............... 36 Une approche globale de la qualité de service ...................................... 38 S’inspirer des expériences étrangères ....................................................... 40 Conclusion : quelques conseils pour innover dans les services en santé .................................................................................................... 42 INTRODUCTION Définir le parcours client Dans quelle mesure l’approche du parcours patient, classique en santé, et celle du parcours client, familière dans le marketing et les services, méritent-elles d’être rapprochées ? Que pouvons-nous tirer de leur confrontation ? Le parcours client est constitué par l’ensemble des interactions ayant lieu à l’occasion d’une consommation ou d’un service, dans tous les cas d’une relation. Il s’étend du premier contact entre le client et l’organisation, avant l’achat, jusqu’à son retour d’expérience. Il recouvre une grande diversité d’interactions : virtuelles (site Internet de la marque, réseaux sociaux…) ou encore téléphoniques (service client…). La projection puis l’analyse du parcours permettent d’illustrer les besoins du client. La matrice de santé de Michael Porter montre combien sont complexes les processus que l’organisation doit mettre en œuvre pour accroître la satisfaction de l’usager. La complexité est d’autant plus grande dans le domaine des soins que de nombreux acteurs viennent s’y greffer. Il y a forcément de la tension dans le parcours. L’enjeu, comme dans toute organisation de service, est d’identifier les points de tension de la façon la plus précise possible, afin de les anticiper et de les améliorer – ceci pour garantir la qualité de service et l’expérience client. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service physiques (visite du magasin, échange avec un vendeur…), 7 La qualité de service est évaluée au fil des étapes du parcours, depuis le début (souvent, la consultation d’un site Internet) jusqu’au résultat, moment auquel la satisfaction est déterminée. Précisons que la satisfaction du client est égale à la qualité perçue moins les attentes. Comme le montrent les théories du Net Promoter Score, elle n’entraîne pas nécessairement une recommandation même si elle est favorable. Il reste que l’objectif en fin de parcours est de Parcours client, parcours patient : l’expérience de service constater une satisfaction du client supérieure à ses attentes. 8 En santé, l’attente est d’être guérie. Comment susciter une perception favorable au-delà de la guérison ? Sur quoi se fonde cette perception, si ce n’est sur le soin ? Il est primordial pour l’organisation d’être en capacité de modéliser le parcours client de façon à définir les actions à accomplir par ses collaborateurs pour maintenir un standard de qualité. L’exercice est d’autant plus complexe que les attentes du client varient et évoluent dans le temps. Un même client est tout à la fois citoyen, usager, patient et consommateur. Il présente une multitude de facettes. De fait, le parcours ne doit pas rester figé mais intégrer la variété des clients. Du patient à la patientèle Le patient est un individu qui a avec autrui une relation dont la nature n’est pas nécessairement commerciale. On devient patient lors d’interactions avec le système de santé comme bénéficiaire, usager, consommateur, mais tout en demeurant client. C’est pour désigner cette complexité d’interactions L’émergence du concept de patientèle résulte également d’évolutions juridiques et technologiques. Citons ainsi le droit à l’information institué par la loi Kouchner de 2002. Le patient dispose d’informations sur lui-même qui lui permettent de détenir autant de pouvoir que son interlocuteur et tendent à le placer à un niveau d’égalité avec le médecin. S’y ajoute une vulgarisation de l’information médicale, sur Internet en particulier. Le rapport de pouvoir entre le corps médical et le patient a même pu basculer, comme en a témoigné l’opposition dans les années 1980 entre les militants d’Act Up et le corps médical, celui-ci ne parvenant pas à accéder aux informations relatives à une certaine frange de la population. Sur ce basculement de pouvoir se greffe une relation commerciale. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service que l’on parle de « patientèle ». 9 Pour autant, ce phénomène ne suffit pas à faire du patient un expert des questions médicales. Nous ne sommes pas capables de juger de la qualité des soins prodigués par un médecin. Aussi nous en tenons-nous au constat de guérison, qui correspond à notre attente. La perception et donc la satisfaction sont un autre sujet. Des leviers de satisfaction médicaux et non médicaux Les établissements de santé, bien souvent, négligent les aspects non médicaux du service qu’ils dispensent. Ceux-ci sont pourtant cruciaux, dans la mesure où ils font passer le patient du constat de guérison à la satisfaction. On peut alors parler d’expérience client ou d’expérience patientèle. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service C’est le levier qui permet d’améliorer l’image de marque des 10 établissements de santé, et la satisfaction à leur égard. Quatre principaux éléments ont un impact sur l’expérience du patient. Ils sont d’une part de nature émotionnelle. Citons ainsi les relations interpersonnelles avec les différentes catégories de professionnels, qu’ils soient médicaux, paramédicaux, soignants ou administratifs. Vient ensuite l’appréciation de l’environnement physique, c’est-à-dire des locaux, de la prestation « hôtelière » ou encore de la restauration. Les deux derniers éléments qui déterminent l’expérience client sont, d’autre part, de nature fonctionnelle. Il en est ainsi des procédures administratives comme l’accueil, la coordination des examens ou le déroulement de la sortie, et enfin du volet technique des soins : compétences, pratiques professionnelles, résultat clinique (efficacité des soins, amélioration ou maintien de l’état de santé, réduction du stress ou de la douleur…). In Ind C’est grâce à ces indices fonctionnels et émotionnels que se gagne la confiance. La confiance els (onn émo es Indic Les rela(ons interpersonnelles les procédures s fonc La qualité technique des soins / résultat clinique (onne ls Une perception largement non médicale Les établissements ne se différencient pas tant grâce aux indices fonctionnels (procédures, qualité technique des soins, résultat clinique) que grâce aux indices émotionnels (relations interpersonnelles, environnement physique). En effet, le patient n’est pas en mesure d’évaluer les premiers, alors qu’il peut juger les seconds. Cette situation est éminemment paradoxale. Elle signifie en effet que les innovations non cliniques ont davantage d’impact que la perception de la qualité des soins, et que l’image d’un établissement prime sur ses innovations cliniques. Aux ÉtatsUnis, ces critères sont déjà identifiés par les patients comme des éléments différenciateurs : information des patients tout au long de leur parcours, consultations à l’heure, etc. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service Indice L’environnement physique 11 Les éléments « non cliniques » comme axe de Parcours client, parcours patient : l’expérience de service différenciation 12 Le paradoxe n’est cependant pas total, car l’amélioration des éléments non cliniques contribue à de meilleurs résultats cliniques. En témoigne le cas du Shouldice Hospital de Toronto, spécialisé dans le traitement des hernies, qui réalise 8 000 opérations par an. Il affiche un taux d’échec des opérations de 0,05 % contre une moyenne canadienne de 10 %. Le nombre de journées d’indisponibilités professionnelles de ses patients s’élève à huit, contre seize pour la moyenne canadienne. Si la qualité des médecins de cet hôpital est reconnue, c’est surtout parce que le Shouldice Hospital a mis en place une politique innovante d’accueil du patient. Celui-ci est considéré tout au long de son parcours de soins : il est tenu informé à chaque étape de sa prise en charge, de la préparation de l’hospitalisation à l’examen de suivi un an après l’opération. Sur le site Internet de l’hôpital sont publiés des témoignages de patients qui expliquent le déroulement de la prise en Autre exemple, les hôpitaux universitaires de la région de Cleveland (Ohio, États-Unis) ont adopté l’outil en ligne InQuicker pour réguler l’afflux de patients aux urgences en permettant la réservation de rendez-vous pour des pathologies bénignes. L’outil géolocalise le patient et l’oriente vers les urgences de l’établissement le plus proche de l’endroit où il se trouve. Dans le Missouri, l’établissement pédiatrique Saint Louis Children’s Hospital a repensé son parcours patient en fonction des besoins de son public spécifique : les enfants et leur famille. Un jardin de 740 mètres carrés a été aménagé sur les Parcours client, parcours patient : l’expérience de service charge. 13 toits de l’hôpital pour permettre aux familles et aux enfants de se promener, de se relaxer et de sortir du cadre hospitalier. Ce jardin est aussi le cadre de spectacles de théâtre, concerts et autres animations pour les enfants hospitalisés. Le restaurant propose des menus personnalisables. Les repas sont livrés par des personnels déguisés en personnages de livres pour la jeunesse. Des salles de jeux ont été aménagées spécialement pour les frères et sœurs des jeunes patients. Une mascotte accueille les patients et leurs familles et incarne l’hôpital lors de manifestations de santé publique, dans les écoles. Tous ces exemples montrent combien il est important de prendre en compte non seulement les innovations techniques, Parcours client, parcours patient : l’expérience de service mais aussi les innovations relatives au parcours de soins, au 14 parcours client et à la patientèle, qui ont en retour des effets sur le volet clinique. POURQUOI LA NOTION DE CLIENT DEVIENT-ELLE INCONTOURNABLE DANS LA SANTÉ ? Le client, notion longtemps taboue en santé Le secteur de la santé a longtemps été réticent à parler de client plutôt que de patient, pour des raisons culturelles tout d’abord : la santé tend à être considérée comme « hors marché », en France en particulier, où son coût pour le patient est largement assumé par la communauté. En outre, dans ce secteur où interviennent de nombreux acteurs et qui est soumis à une forte réglementation, il n’est pas toujours évident d’identifier le client ou de s’adresser à lui en tant que tel. Ainsi les laboratoires pharmaceutiques n’ont-ils pas le final, le patient, mais seulement auprès des prescripteurs, les médecins. Ce tabou de la dimension commerciale de la santé, observe Gwenaël Meneux, directeur Customer Excellence chez AstraZeneca, est à ce point intériorisé qu’il produit une forme d’autocensure de la part de l’industrie pharmaceutique. Celle-ci s’efforce de se démarquer de la perception du grand public qui associe bien souvent le commerce à une activité dans laquelle le client est exploité à ses dépens. Gwenaël Meneux, quant à lui, associe avant tout la notion de client à celle de satisfaction, et donc de réponse aux attentes. En cela, elle est parfaitement légitime. Pour autant, elle reste ambiguë. Le dictionnaire Larousse définit le client comme « une personne qui reçoit d’une entreprise, contre paiement, des Parcours client, parcours patient : l’expérience de service droit de communiquer sur leurs produits auprès de leur client 15 fournitures commerciales ou des services ». Cette description ne s’applique pas en l’état à l’industrie pharmaceutique, tout d’abord parce que la dimension du « contre paiement » est occultée – même si elle est présente de façon indirecte. Par ailleurs, plutôt qu’une fourniture commerciale ou un service, le médicament est plutôt un consommable qui rend un service, ce dernier étant profondément impliquant quand il touche à la vie du patient. On peut donc considérer malgré tout que le patient est le client d’AstraZeneca. D’ailleurs, le laboratoire se donne comme indicateurs de performance la santé, le bienêtre et la satisfaction du patient. Celle-ci passe par l’efficacité de la molécule, ainsi que par la prise en charge du patient s’il Parcours client, parcours patient : l’expérience de service doit être hospitalisé. 16 La santé, un marché à part… mais un marché tout de même Dans le cadre hospitalier, la réticence face à la qualification de « client » est largement partagée. C’est pourtant sans scrupule que s’y réfère Arnaud Masson, directeur marketing de la Générale de Santé, car sont en jeu des questions de choix, de coût et de concurrence dans lesquelles le patient exerce son pouvoir de client. D’ailleurs, comment ce groupe hospitalier privé coté en Bourse pourrait-il occulter la dimension commerciale de la santé, qui va de pair avec la qualité médicale ? Certes, la santé évolue dans un cadre relativement contraint qui n’en fait pas un marché comme les autres. Elle n’en reste pas moins un marché. Les acteurs publics et privés de la santé sont globalement soumis aux mêmes règles du jeu législatives et réglementaires, mais pas aux mêmes règles financières, les seconds devant tenir des impératifs de rentabilité. Toutefois, ces impératifs ne s’étendent-ils pas de plus en plus au secteur public ? Qui plus est, avec ses 106 établissements représentant 16 % du marché de l’hospitalisation privée, un acteur comme la Générale de Santé s’inscrit dans une logique de maillage et de partenariat public-privé pour délivrer l’offre de soins dont ont besoin les populations. Le marketing des services est né à l’hôpital ! Peut-être aurait-on moins de scrupules à s’intéresser au client dans la santé si l’on se rappelait que le marketing des services a été inventé à l’hôpital. Voilà une réalité que l’on tend bien souvent à oublier, souligne Hubert Joseph-Antoine, directeur rappelle-t-il, les concepts fondamentaux sur lesquels s’est construit le service aux clients dans bien des organisations et entreprises ont en partie été révélés à partir d’observations de la relation patient-médecin effectuées par le sociologue américain Erving Goffman pendant plusieurs mois au sein de l’hôpital psychiatrique St. Elizabeths de Washington, et qu’il relate dans son ouvrage Asiles1. Goffman observe que le praticien entre en contact avec deux données fondamentales : le client et « l’objet défectueux » (à l’hôpital, le patient). Le succès de l’opération dépend de la façon dont le « réparateur » parvient à maintenir une distinction entre ces deux dimensions, tout en donnant à chacune l’importance qui lui revient. En d’autres termes, il importe, à l’hôpital, de distinguer le malade et la personne. La confusion trop souvent 1 rving Goffman, Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux, Éditions de Minuit, coll. « Le sens E commun », Paris, 1968. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service du service aux patients et de la communication à l’AP-HP. Car, 17 opérée entre les deux est lourde de conséquence. Par son analyse de l’hôpital, Erving Goffman met en évidence un certain nombre de concepts qui restent centraux dans les services, au premier titre desquels celui de support physique. Ce n’est plus le réparateur qui arrive avec ses outils chez le client, c’est le client qui vient à lui et lui laisse l’objet à réparer, pour en reprendre possession plus tard. Ainsi, le client devient l’invité. Le praticien, quant à lui, doit travailler sous les yeux de la maisonnée. Son atelier, en l’occurrence, n’est pas un milieu neutre et inoffensif, mais un milieu agressif. L’auteur insiste bien sur ce point. Autre concept bien connu dans le service qu’éclaire Goffman, Parcours client, parcours patient : l’expérience de service celui de l’intangibilité. Le « réparateur » est-il vraiment 18 compétent, se demande le client ? Agit-il dans mon intérêt ? N’est-il pas trop cher ? Est-il discret ? La confiance que le client porte au réparateur a besoin d’être soutenue par des assurances sans cesse renouvelées. Dans le cas spécifique de l’hôpital, la relation à l’autre présente certaines particularités. Tout d’abord, le fait d’abandonner son propre corps à un praticien pour qu’il le traite sur un mode mi-rationnel, mi-empirique, représente à coup sûr un des points cruciaux de la relation de service. Le client s’intéresse de près à ce qui arrive à son corps et occupe une excellente place pour observer ce qu’on lui fait. La solution du comportement impersonnel, note Goffman, semble appliquée particulièrement lorsque le médecin qui examine le malade est accompagné de confrères et de subordonnés, lors de la visite par exemple, car il a des partenaires avec qui soutenir une discussion technique sur le cas. Il s’agit alors de supprimer l’existence sociale du malade. Le praticien a très souvent avec son client un échange verbal en trois volets. Il se compose tout d’abord d’une partie technique, avec la prise de renseignements sur la réparation envisagée. Puis vient une partie contractuelle durant laquelle est donnée indication approximative et généralement écourtée du coût du travail, des délais nécessaires et autres détails semblables. La dernière partie est faite de civilités, c’est-à-dire d’échanges de politesses accompagnées de Nul doute que cette description éclaire encore d’un jour très intéressant les pratiques actuelles ! Un secteur en mutation qui cherche de nouveaux relais de croissance En corollaire de l’approche par les services, l’approche de la santé par le marché est devenue d’autant plus indispensable que les évolutions actuelles de ce secteur et de son financement remettent en cause les équilibres économiques et la pérennité de ses acteurs. Les mutations du secteur hospitalier Le secteur hospitalier subit des mutations qui mettent en péril l’offre privée et qui obligent l’offre publique à se montrer de plus en plus attractive. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service quelques amabilités et de menues marques de respect. 19 Du point de vue de l’hospitalisation privée, ces mutations concernent en premier lieu les règles du jeu imposées aux acteurs. Dans la santé, deuxième secteur le plus réglementé en France après l’industrie nucléaire, le prix des actes est modifié par décret tous les ans. Quand le haut de compte d’exploitation d’un groupe privé diminue de 0,5 % alors que ses charges augmentent, il doit trouver ailleurs des relais de croissance et des économies. En outre, les règles du jeu nationales et les décisions locales prises par les agences régionales de santé bouleversent l’équilibre fragile du secteur. Deuxième champ en mutation, le marché. Le mode de financement de la santé est de plus en plus contraint, avec Parcours client, parcours patient : l’expérience de service un recul de la prise en charge publique et une surcapacité 20 hospitalière structurelle. Qui plus est, la crise commence à impacter la demande hospitalière. On voit ainsi des patients décaler des opérations et s’interroger sur l’équation public/ privé, au vu notamment des dépassements d’honoraires. La croissance hospitalière privée est estimée à 1 % pour l’année 2013. Quelles en sont les conséquences pour un groupe comme la Générale de Santé ? Jusqu’à présent, son modèle économique était fondé sur un prix régulé de la santé qui couvrait grosso modo ses charges, les profits étant réalisés grâce aux services d’hôtellerie. Or le développement de l’ambulatoire entraîne une baisse des nuitées, et par conséquent une diminution de la marge de ce groupe hospitalier privé. Parallèlement, les durées moyennes de séjour tendent à s’écourter. En rationalisant les opérations, il serait donc envisageable de traiter davantage de clients en un temps donné et d’améliorer la productivité. Ces facteurs doivent être pilotés de façon fine. Aujourd’hui, le coût de fonctionnement des hôpitaux et cliniques privés est inférieur de 25 à 30 % à celui des établissements publics : c’est dans ce gain de productivité que résident les marges, même si elles sont relativement faibles. Le paysage concurrentiel, lui aussi, connaît des bouleversements profonds. Aujourd’hui, un certain nombre de cliniques privées sont obligées de fermer leurs portes. L’offre de soins privée s’est contractée de 20 % depuis huit ans (contre -2 % pour le public). Le secteur public, lui aussi, rationalise son offre, investit et réussit à gagner des parts de marché, par exemple dans la maternité, en mettant en valeur les notions de n’atteint que 2,5 %, ce qui limite les possibilités d’investir dans de nouveaux matériels, qui sont comme nous l’avons vu très appréciés des médecins mais faiblement perçus par les clients. Les forces qui s'exercent sur un modÈLe en mutation MARCHE EN MUTATION ¥ Nombre d’acteurs ¥ Environnement réglementaire durci CHANGEMENTS DE VOLUMES / TARIFS ¥ Ambulatoire / Moyen Séjour ¥ Des tarifs stagnants NOUVEAUX BESOINS MEDECINS / PATIENTS ¥ Une nouvelle généra(on de médecins qui arrive ¥ Des pa'ents qui deviennent acteurs CHANGEMENTS ENDOGENES ¥ Un modèle économique aYaqué ¥ Des leviers de rentabilité sous u'lisés Mieux servir le pa'ent pour trouver de la rentabilité et pérenniser l’ac'vité de soins Parcours client, parcours patient : l’expérience de service sécurité. L’excédent brut d’exploitation des cliniques privées 21 Le levier des services Pour les patients comme pour les professionnels de santé, la qualité optimale des soins est considérée comme un prérequis et ne constitue pas un facteur de différenciation fondamental. Le seul critère sur lequel l’établissement de santé peut jouer, affirme Arnaud Masson, est la différenciation par le service, de sorte que l’expérience devienne un élément clé de la réputation de l’établissement et participe de façon vertueuse à la qualité des soins. Il importe donc de mieux servir le client pour trouver de la rentabilité et pérenniser l’activité de soins. C’est ainsi que l’établissement peut générer le volume de patientèle dont il a besoin pour continuer à investir dans des équipements et dans une prise en charge optimale. Le soin Parcours client, parcours patient : l’expérience de service reste bien évidemment le socle de l’activité et s’appuie sur le 22 fondement de la relation médecin/patient. Le service, quant à lui, est une opportunité de création de valeur partagée pour continuer à délivrer une médecine de qualité tout en offrant le choix au patient/client. In fine, on assiste à l’émergence de la relation client dans la médecine impliquant les trois acteurs fondamentaux que sont le patient, le médecin et l’établissement. N’allons pas croire qu’il s’agisse là d’une tendance circonscrite au secteur hospitalier privé. En effet, la question du choix de l’établissement de santé se pose bel et bien dans le secteur public, comme en témoigne Hubert Joseph-Antoine. De plus en plus, le patient se positionne comme un client qui entend exercer son libre arbitre dans le choix d’un service, plutôt que comme un usager qui n’aurait guère le choix. D’une enquête menée par l’AP-HP, il est ressorti que l’expérience des patients était le déterminant premier du choix de l’établissement de santé. Ainsi 40 % des patients ont-ils un avis sur l’hôpital où ils souhaitent aller, choix qui résulte à 63 % de recommandations faites par des proches. Dans le cas où le patient a un avis, celui-ci est décisif à 80 % sur la recommandation du médecin. Les médecins, quant à eux, se forgent leur opinion sur les établissements de santé à proportions égales sur la base de leurs relations avec leurs confrères, de leurs interactions au quotidien avec les établissements de santé (facilité à les joindre, à prendre un rendez-vous…) et des retours de leurs propres patients. En réalité, le choix de l’établissement de santé s’opère donc de des patients. Constat assez contre-intuitif pour l’AP-HP ! N = 150 patients - % des patients interrogés passés par un médecin correspondant Moins d’1 patient sur 2 a un avis Dans les cas où le patient a a priori sur son orientation un avis, celui-ci est décisif… Patients sans avis 60% Influence nulle ou limitée du patient sur le médecin Pour se faire un avis, 1 patient sur 3 s’informe auprès d’un autre médecin 63% Proches ~20% 30% Autre médecin Patients avec avis 40% Influence décisive du patient sur le médecin ~80% Internet, TV et presse 7% Note : Les calculs ont été effectués sur un échantillon réduit et brut, pour mettre en évidence des grandes tendances SOURCE : Equipe projet, panel patients de 400 personnes en Île-de-France Document personnel et strictement confidentiel – Interdiction de reproduction et de diffusion en interne ou en externe – Contenu préliminaire exclusivement réservé à la préparation de propositions qui seront le cas échéant communiquées et discutées avec les représentants du personnel, conformément à la législation La réflexion autour de l’attractivité de l’AP-HP vis à vis des patients concerne à la fois le patient et le médecin correspondant McKinsey & Company - EUROGROUP | 5 Parcours client, parcours patient : l’expérience de service façon prépondérante, à plus de 70 %, à partir de l’expérience 23 Dans le secteur pharmaceutique, l’atout de la relation avec le prescripteur Dans le secteur pharmaceutique, où l’innovation thérapeutique reste le déterminant essentiel, la différenciation passe avant tout par la relation à valeur ajoutée avec le prescripteur, c’està-dire le médecin, et dans une plus faible mesure – autant que la loi le permet – avec le client final, le patient. Les médecins sont l’unique décisionnaire dans la prise en charge du patient. Ils prescrivent sur la base de leur diagnostic, de leur connaissance du patient et des thérapies en cours (caractéristiques des produits, recommandations des autorités de santé). Les pharmaciens ne peuvent pas remettre en cause leur prescription, mais assument un rôle croissant de conseil Parcours client, parcours patient : l’expérience de service dans le bon suivi du traitement, notamment en matière de 24 pathologies chroniques et d’automédication. Il importe donc aussi de travailler la relation à leur égard. Quant au patient, le laboratoire ne peut interagir directement avec lui pour lui parler de ses produits, mais il est autorisé à lui apporter des informations sur des questions relatives à l’environnement de santé et à l’éducation thérapeutique. Il y a là un mode de communication particulier à développer, qui peut contribuer à faire la différence. AU-DELÀ DU PATIENT, CONNAÎTRE LE CLIENT POUR ENRICHIR SON EXPÉRIENCE De la culture patient à la culture client Les évolutions du monde de la santé font donc apparaître la figure légitime du client, qui enrichit celle qui patient. Ce client désire exercer un rôle actif dans le choix de l’offre de santé, ce à quoi les professionnels répondent par une nouvelle approche de l’expérience du patient/client. Encore faut-il apprendre à connaître celui-ci, alors que l’on se concentrait hier sur la seule figure du patient. La connaissance client sous l’angle du marketing est une pratique pour répondre aux attentes, enrichir l’expérience et construire des parcours de satisfaction. Ce n’est pas un hasard si la Générale de Santé a fait appel à un directeur marketing issu du monde du transport pour traiter cette problématique. En tant que responsable du programme de fidélité grands voyageurs de la SNCF, Arnaud Masson était déjà confronté aux notions plus ou moins conciliables de client et d’usager, qui plus est dans un marché très réglementé. C’est d’ailleurs aussi à la SNCF qu’Hubert Joseph-Antoine exerçait avant de prendre ses fonctions à l’AP-HP. De l’avis d’Arnaud Masson, le secteur de la santé est à l’aube d’une transformation radicale, d’une même nature que celle qu’ont connue les secteurs des transports, de la banque et des télécommunications. Nous sommes donc au début de la révolution culturelle que constitue l’approche client en santé. Le monde hospitalier Parcours client, parcours patient : l’expérience de service récente dans le secteur de la santé, qui devient incontournable 25 se caractérise encore par une faible connaissance sociodémographique de sa clientèle. Le soin ayant longtemps été valorisé avant toute chose, le client reste relativement inconnu. Le cadre législatif bride en outre les possibilités d’utiliser les informations sur les patients, qui seraient pourtant nécessaires pour apporter à chacun le bon niveau de service. Il y a là de grandes marges de progrès. L’AP-HP s’y est déjà engagée en menant une analyse approfondie des déterminants de la satisfaction des patients, des médecins correspondants et des professionnels médicaux et paramédicaux, dans le but de construire un programme global d’amélioration de la qualité du service. Voici les principales attentes qui en ressortent. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service Huit déterminants de la satisfaction des patients ont été 26 identifiés : la planification de la sortie – moment de vérité extrêmement révélateur sur l’organisation d’un service, les soins et attentions des infirmiers, ainsi que leur politesse et leur amabilité, la prise en charge de la douleur, l’accueil lors de l’arrivée dans le service, le respect de l’intimité, l’information donnée au patient, le confort et la propreté de la chambre, et enfin la compétence et l’expérience des médecins. Quant à la satisfaction des médecins correspondants, trois principaux déterminants se dégagent : le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous, la facilité à joindre le service et l’excellence du personnel. Les professionnels médicaux et paramédicaux, enfin, citent comme éléments de satisfaction l’ambiance d’équipe et la qualité de l’organisation. C’est en réponse à ces attentes qu’a été construit un programme extrêmement complet, que nous détaillerons plus loin. Les techniques du marketing s’invitent à l’hôpital De son côté, la Générale de Santé n’a pas hésité à employer des outils classiques du marketing – plus qu’inhabituels à l’hôpital – pour mieux comprendre les besoins et les attentes de ses clients. Ainsi a-t-elle mis en application un indicateur de Net Promoter Score, qui permet de mesurer le degré d’intention avec lequel le client recommandera un établissement à un proche ou un ami. C’est une excellente façon de mesurer la satisfaction à l’égard de l’expérience. Une seconde question la principale raison qui vous a conduits à attribuer telle ou telle « note de recommandation » ? L’essentiel est en effet de pouvoir corriger et améliorer l’expérience. C’est d’ailleurs vertueux économiquement, car toutes les études montrent qu’un bon score de promotion est corrélé à une meilleure rentabilité. La recommandation est fondamentale pour un établissement de santé, au-delà de la qualité des soins qui constitue une attente de base. Elle repose le plus souvent sur des éléments expérientiels, non médicaux. Il est courant que, dans leurs réclamations, les patients/clients mettent sur le même plan la qualité de leur opération chirurgicale et le contenu de l’assiette qui leur a été servie ! La Générale de Santé a également institué des focus groups clients pour identifier les attentes et les besoins de ses patients Parcours client, parcours patient : l’expérience de service riche d’enseignements est posée aux clients : quelle est 27 en matière de services. Une première à l’hôpital ! Un effort d’industrialisation du service s’avère également Parcours client, parcours patient : l’expérience de service nécessaire dans un tel groupe, afin que le service soit d’une 28 qualité homogène et constante entre les établissements. Cela passe notamment par une digitalisation de la relation patients, grâce à laquelle des procédures uniformes sont appliquées dans la conduite des démarches administratives, de préadmission par exemple. Plus largement, cela passe par le déploiement d’une véritable culture du client : mesure systématique de sa satisfaction, prise en compte de ses retours comme outils de management et d’incentive… L’ensemble des organisations doivent s’emparer de cette logique. Les spécificités du service à l’hôpital Cette approche client doit cependant intégrer la particularité de la relation de service qui se noue à l’hôpital entre le patient/client et les professionnels de santé, et qui ne saurait être entièrement assimilée à une relation de service classique. Ainsi, Hubert Joseph-Antoine identifie-t-il six dimensions de service propre à cet univers. Le choix constitue la première de ces dimensions. En effet, le patient n’a pas choisi d’être hospitalisé. Son état de santé le lui impose. Il n’a pas toujours choisi le lieu de sa prise en charge et ne choisit pas ses soins. Il est donc dépendant et subit. Seconde dimension, celle de la fragilité et la vulnérabilité. La souffrance et l’angoisse placent le patient dans une situation d’infériorité. Sa santé et sa vie étant en jeu, son attente est La relation de service à l’hôpital est en outre caractérisée par un brouillage des repères. Le patient ne peut pas se départir de ses réflexes de consommateur. L’expérience de l’hospitalisation étant souvent nouvelle, il se raccroche à des comportements connus et vécus dans d’autres contextes. Il se saisit parfois de sa posture de consommateur comme d’un contre-pouvoir face à une situation qui lui échappe, affirmant qu’ayant payé (même indirectement), il a droit à un service. Le rapport au temps est également très particulier dans le contexte hospitalier. Ainsi les soignants et les malades ont-ils une perception opposée du temps. Le patient passe son temps à attendre, alors que les professionnels ont le sentiment de passer le leur à courir. Il n’est pas aisé de travailler la relation entre les deux alors que les vécus sont à ce point divergents. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service extrêmement forte. 29 Le patient aspire par ailleurs à garder une certaine liberté. Il veut rester « acteur de sa vie ». Il s’informe de plus en plus sur sa maladie et ses conséquences, pour avoir le sentiment d’être un interlocuteur à part entière. L’information est probablement le sujet majeur qui lui permet de s’affirmer. Dernière dimension enfin, celle de la singularité. Le patient est contraint de se plier aux règles de fonctionnement de l’institution. Sa chambre blanche, sans objet personnel, peut entraîner un sentiment de dépersonnalisation. Il peut se sentir « morcelé » par les différents soins et les différentes interfaces médicales. En tenant compte de ces spécificités, l’AP-HP a fait le pari qu’elle Parcours client, parcours patient : l’expérience de service pouvait mettre à profit, au sein de l’hôpital, des méthodes et des 30 concepts classiques des univers de service, afin de progresser dans différents domaines. Elle entend mieux connaître les attentes et les besoins des patients, mais aussi des personnels, afin de formaliser une offre de services et d’identifier les parcours patients en intégrant les proches dans la réflexion. Les moments de vérité de la relation de service devront être particulièrement travaillés. Il convient pour cela de s’engager et d’apprendre en équipe à partir des retours des patients. Enfin, les espaces d’accueil et d’attente devront être améliorés. Les spécificités de la relation laboratoire-prescripteur La notion de service prend une tonalité différente pour un laboratoire pharmaceutique. Le service n’intervient qu’en second lieu après l’innovation thérapeutique. Aussi faut-il bien comprendre quelle est la mission première de l’entreprise, explique Gwenaël Meneux, avant de décliner une politique de services. Celle d’AstraZeneca réside dans le développement, la production et la commercialisation de médicaments innovants pour lutter contre des maladies parmi les plus sérieuses et apporter aux patients un bénéfice réel pour leur santé. Les services doivent contribuer à cet objectif, avec la particularité que leur principal bénéficiaire, les médecins, tient à préserver son indépendance et sa liberté de prescription. En cela, il convient de respecter une hiérarchie dans les niveaux de service apportés par un laboratoire. Le premier niveau consiste à fournir aux patients le meilleur traitement pour une pathologie donnée. Sans cette étape, la crédibilité À un deuxième niveau, le laboratoire peut communiquer aux médecins des informations fiables et exhaustives sur les pathologies et les molécules, afin que le patient bénéficie de traitements adaptés. À un troisième niveau enfin, une fois les deux précédents remplis, le laboratoire peut apporter des services additionnels aux médecins et aux patients, voire faciliter le dialogue entre les deux. Le laboratoire veille à proposer des services dans lesquels le médecin peut garder la main, et qui facilitent les échanges scientifiques entre pairs, via des sites modérés par des tiers. Les programmes de services multicanaux d’AstraZeneca sont certes jalonnés de contacts téléphoniques entre le laboratoire et le prescripteur, mais suffisamment espacés dans le temps Parcours client, parcours patient : l’expérience de service apportée par les services sera négligeable. 31 pour permettre au professionnel de santé de s’approprier les services proposés et de garder la maîtrise du processus. S’il accepte d’entrer dans le dispositif, le médecin a accès à un certain nombre de services sous format numérique ou papier. S’il le refuse d’emblée, des visites médicales classiques ou d’autres types d’interactions lui sont proposées. À tout moment, il peut sortir du programme. Au bout d’un certain temps, le médecin adhérent est recontacté pour se voir proposer une nouvelle série de services, proposition qu’il peut bien sûr décliner. L’objectif de l’ensemble de ces services est de délivrer une expérience client cohérente, pour assurer une meilleure prise Parcours client, parcours patient : l’expérience de service en charge du client final, le patient. L’apport doit être réel pour 32 ce dernier, ne serait-ce qu’au regard de la bonne observance de son traitement. Cela doit permettre à AstraZeneca de toucher un plus large public de prescripteurs et de patients. INNOVER DANS L’OFFRE DE SERVICE ET LE PARCOURS CLIENT Segmentation de la clientèle et lignes de services Nous avons vu combien la notion de choix par le patient, devenu client, devenait déterminante dans le secteur hospitalier. Or, à l’hôpital comme face à toute offre de service, le client se détermine en fonction de ses moyens et de ses envies. En tant qu’offreur de services, il n’y a aucune raison de ne pas lui proposer une gamme diversifiée, estime Arnaud Masson. Un groupe qui accueille un million de patients en cancérologie, chimiothérapie, radiothérapie, dialyse, obstétrique et dans des services d’urgence ne saurait faire une analogie avec le secteur marchand, la répartition de soins assurés par la Générale de Santé dessine des filières ou des types de produits et services. La nature du service n’est évidemment pas la même selon que l’on est un patient ponctuel en maternité ou que l’on fréquente régulièrement les centres de dialyse où intervient une notion de fidélité. Des packages de services ont ainsi été constitués par la Générale de Santé sur la base de la segmentation de la clientèle opérée à l’issue des focus groups. La notion de package est essentielle car elle facilite la vie des patients, qui ont d’autres soucis avant une hospitalisation. L’Eurostar se targue « d’offrir plus qu’un voyage d’un point A à un point B », grâce à des repas élaborés par des chefs en Parcours client, parcours patient : l’expérience de service proposer une expérience type à l’ensemble de ses clients. Pour 33 première classe par exemple. Pourquoi la même logique ne prévaudrait-elle pas à l’hôpital pour les clients qui en ont le désir et les moyens ? Pourquoi des personnes qui fréquentent habituellement les services d’hôtellerie et de restauration devraient-elles dégrader leurs attentes et l’étendue de leur choix lorsqu’elles entrent à l’hôpital ? Des parcours clients fluides et efficaces Un établissement de santé est le maillon d’un réseau plus large qui constitue la filière de soins. En amont, le patient est en relation avec son médecin de ville, des structures de diagnostic complémentaires, des pharmaciens ou encore des centres de coordination. En aval, il peut être suivi par des Parcours client, parcours patient : l’expérience de service réseaux d’accompagnement, des réseaux de soins palliatifs, 34 des infirmières libérales, etc. Un groupe privé d’hospitalisation, situé sur un maillon de la chaîne, doit aussi s’intéresser à ce qui se passe avant et après lui pour apporter le meilleur service au cours de l’expérience qu’il délivre. Or, aujourd’hui, l’expérience patient/client est morcelée et vise les soins bien plus que les services. Le patient est demandeur d’une expérience intégrée, assurant un continuum de services en amont et en aval, et accordant autant d’importance aux aspects non médicaux que médicaux. La Générale de Santé a mis en œuvre des services pour y répondre, dont voici quelques exemples. En amont de l’hospitalisation, l’établissement contacte le patient avant son hospitalisation pour comprendre ses attentes et préparer son séjour à l’hôpital, organiser son transport en taxi médicalisé, lui demander de quels services il voudra disposer dans sa chambre (téléphonie, wifi…). Plus largement, il œuvre à la prévention, comme le fait le centre de sport médicalisé Cap Lille. En aval de l’hospitalisation, il s’agira notamment de raccompagner le patient chez lui et d’assurer un suivi de sa situation, en planifiant si nécessaire des rendez-vous avec son médecin traitant. Cette logique tend à dessiner un « hôpital hors les murs », car la relation débute avant l’hospitalisation et se poursuit après. Ce Haute Autorité de santé. Le développement de l’ambulatoire demandera aux opérateurs de savoir maîtriser ces services pour s’assurer de la qualité du soin, tant au regard de la sécurité que du confort. Au total, le parcours du patient pourrait être comparé au parcours que l’on déroule à l’occasion d’un voyage : on se renseigne au préalable, souvent sur Internet (dont l’importance croît dans la santé), on effectue une préinscription ou une préadmission (idéalement en ligne), après quoi on entre dans le « dur » du service dont on apprécie les différents aspects (rapidité, qualité des repas, divertissements). Puis vient « l’après-vente » ou l’expérience postopératoire. Quant à la fidélisation, question évidemment délicate en santé, force est de reconnaître qu’elle existe dans le cas des maladies Parcours client, parcours patient : l’expérience de service type de services commence d’ailleurs à être préconisé par la 35 chroniques ou de la dialyse. Les patients sont alors attachés à retrouver à chaque visite un même niveau de service. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service uN PARCOURS DE SOINS, UNE EXPéRIENCE DE SERVICE 36 Innover dans les modes de communication avec le client Jusqu’alors, l’offre de services des laboratoires pharmaceutiques était presque exclusivement proposée par les réseaux de visite médicale et focalisée sur les prescripteurs. La notion de patient avait tendance à s’estomper. Comment un laboratoire peut-il interagir avec les médecins de façon plus innovante et en évitant le conflit d’intérêts ? C’est une des principales dimensions de l’innovation d’AstraZeneca. Le laboratoire a mis en place divers outils de communication à distance pour aider les professionnels de santé à mener des échanges scientifiques entre pairs. La communication peut revêtir un mode descendant de type webcast où des experts présentent des exposés sur un sujet d’actualité, un mode interactif, en multiplexe, où des sites récepteurs peuvent échanger avec un site émetteur, ou encore un mode hybride associant multiplexe et streaming. Le laboratoire soutient aussi des réseaux sociaux destinés à des médecins (pneumologues, cardiologues), dont l’élaboration et la modération sont assurées par une entreprise tierce spécialisée. Ces sites permettent aux professionnels de santé d’échanger sur leurs pratiques, parfois même sur des cas patients. Parmi d’autres services, citons des outils d’aide au diagnostic, comme une application iPhone sur le risque cardiovasculaire. Pour améliorer la communication médecin-patient, le santé peut remettre à ses patients des fiches élaborées par le laboratoire qui expliquent des pathologies complexes et aident à la bonne observance du traitement. Enfin, certains services visent directement les patients, comme des fiches cuisine pour se familiariser aux règles hygiénodiététiques ou des serious games élaborés avec des sociétés savantes pour sensibiliser les patients à leur pathologie. À titre d’exemple, un jeu est en phase pilote en psychiatrie sur les troubles bipolaires. Cet outil éducatif est destiné aux patients et à leurs familles, relayé par les médecins. La problématique majeure de cette maladie est la reconnaissance par le patient de sa pathologie, et en particulier de l’entrée dans une phase maniaque. Le jeu place un avatar dans différentes situations de la vie courante et pointe les risques encourus sur l’humeur Parcours client, parcours patient : l’expérience de service laboratoire privilégie le support papier. Le professionnel de 37 dans ces contextes. À la fin du jeu, un bilan permet d’identifier les épisodes qu’a traversés l’avatar et de comprendre les symptômes qui déclenchent l’entrée dans les phases maniaques ou dépressives. Enfin, l’innovation réside aussi dans la cohérence des messages et la convergence des services. Le site Medclic.fr, réservé aux professionnels de santé et clairement estampillé AstraZeneca, dispense une information sur les produits du laboratoire mais regroupe surtout des services qui facilitent la pratique des médecins : vidéos d’experts, échelles d’appréciation des troubles schizophréniques et bipolaires, outils de sensibilisation des patients à leur pathologie, etc. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service C’est donc une gamme de services d’information et de mise 38 en relation que décline le laboratoire, avec le souci constant d’ouvrir son champ de préoccupation sur l’environnement de la santé, au-delà des seuls produits. Une approche globale de la qualité de service On ne peut travailler la satisfaction client à l’hôpital – des patients, des médecins et du personnel hospitalier – que si l’on traite en parallèle tous ses déterminants dans le cadre d’une approche globale de la qualité de service. Telle est la conviction d’Hubert Joseph-Antoine, qui a guidé l’élaboration du programme « Proches de vous » de l’AP-HP. C’est un dispositif large et touffu, tant sont divers et complémentaires les leviers de la satisfaction et les composantes de l’expérience client. Pour progresser en particulier sur les déterminants de la satisfaction des patients, l’AP-HP a décidé de travailler concomitamment sur sept axes. Le premier de ces axes est celui du partage des pratiques et des expériences entre professionnels. Est par exemple généralisé un usage qui existait dans quelques hôpitaux : les rappels de rendez-vous par SMS. Second axe, le recueil de l’avis des patients, des proches, des représentants des usagers et des médecins correspondants. À cette fin, l’AP-HP a mis en place un baromètre de satisfaction pour l’ensemble de ses 650 services, portant sur les éléments qui conditionnent le ressenti client. La mesure apparaît en effet essentielle pour faire progresser la qualité du service. Vient ensuite l’axe constitué par l’organisation des processus de prise en charge des patients (hors soin). Il importe en particulier d’améliorer la planification des consultations et des difficile de prendre un rendez-vous à l’hôpital, souvent pour des questions d’organisation qui pourraient facilement être évitées. À cela s’ajoute la volonté de mieux communiquer avec les patients, leurs proches et leurs médecins correspondants. L’offre de soins, bien qu’elle soit extrêmement complexe, doit être présentée de façon aussi claire que possible sur les sites Internet. En 2012, l’AP-HP a réalisé dix fois plus de mises à jour de ses sites qu’en 2011, preuve que la dynamique est lancée. L’hospitalité des lieux d’accueil sera par ailleurs accrue. Il faut rendre l’hôpital plus propre, plus accueillant, plus chaleureux, et continuer à y développer l’offre culturelle. Des bornes d’orientation seront implantées dans tous les établissements de l’AP-HP, car, d’avis général, ce sont des lieux où l’on se perd. L’ambition est également de déployer de nouveaux environnements d’accueil dans les urgences et Parcours client, parcours patient : l’expérience de service sorties. Toutes les enquêtes montrent qu’il est extrêmement 39 les grands plateaux de consultation. Les deux derniers axes qu’entend approfondir l’AP-HP participent de la symétrie des attentions : l’empathie dans la relation et le soutien des équipes. Car on s’occupe d’autant mieux des patients que l’on s’occupe bien des professionnels. Il est en outre essentiel de valoriser les initiatives prises par les équipes au profit de la relation avec les patients, pour contrebalancer l’orientation largement technique et scientifique qui prévalait jusqu’à présent à l’hôpital. C’est l’objet de l’opération Trophée Patients initiée en 2012 par Parcours client, parcours patient : l’expérience de service l’AP-HP, qui sera reconduite. 40 S’inspirer des expériences étrangères Quelles perspectives s’annoncent pour les services de demain dans le domaine de la santé ? Il est utile de s’inspirer de pratiques développées dans d’autres pays, comme le fait la Générale de Santé. L’une des pistes qu’elle identifie réside dans l’information des clients en temps réel. Le Newton- Wellesley Hospital aux États-Unis affiche par exemple sur son site Internet la durée d’attente aux urgences. Cela devient un vecteur de choix pour les malades. À cet égard, les acteurs de santé privés ont tout intérêt à mettre en avant la bonne performance de leurs services d’urgence. Les United Lincolnshire Hospital au Royaume-Uni filment par webcam la Autre piste, celle d’une offre de soins globalisée. L’hôpital doit pouvoir s’adresser en plusieurs langues à des patients issus d’horizons divers. L’hôpital d’Hambourg signale aussi sur son site qu’il a conclu un partenariat commercial avec la compagnie aérienne Lufthansa. Il propose d’établir des devis en ligne, ce qui est particulièrement intéressant pour les patients venant de l’étranger. Il fournit aux accompagnants des patients le programme des spectacles de la ville. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service situation de leurs salles d’attente des urgences. 41 Conclusion : quelques conseils pour innover dans les services en santé Parcours client, parcours patient : l’expérience de service Pour finir, voici quelques conseils que Gwenaël Meneux tire de 42 son expérience du développement de services par un laboratoire pharmaceutique, et dont la portée s’avère plus générale. Il ne faut jamais perdre de vue la mission première de l’entreprise. Ce n’est qu’une fois cette mission remplie que l’on peut déployer une politique de services additionnels. Un laboratoire, par exemple, a pour mission première de délivrer des molécules innovantes. Il importe par ailleurs que les objectifs de services soient portés au plus haut niveau sur le long terme et déclinés au sein de l’entreprise pour avoir un impact sur l’organisation. À court terme, il est probable que ces services et innovations aient un faible impact. Il sera toujours plus payant à brève échéance, pour un laboratoire médical par exemple, de renforcer la visite médicale ou de communiquer dans la presse professionnelle. C’est pourquoi ces services doivent être portés par une vision de long terme et impulsés depuis la tête de l’entreprise, pour irriguer l’ensemble des entités (médical, marketing, vente, affaires réglementaires…). Il faut être conscient qu’ils ont un impact sur l’organisation. C’est la raison pour laquelle AstraZeneca a consolidé ces services, jusqu’alors disséminés dans différents départements, au sein d’une même direction appelée « Customer Excellence ». Les « petites » innovations ne doivent pas être sous-estimées. Des outils simples peuvent apporter un réel support aux médecins ou aux patients. Une brochure grâce à laquelle le professionnel pourra plus facilement expliquer à son malade ce qu’est une exploration fonctionnelle respiratoire constitue Enfin, il est indispensable d’effectuer une mesure constante de l’intérêt et de la satisfaction du client. Cet aspect est souvent négligé lors du lancement d’innovations. Le suivi a posteriori de la satisfaction du médecin est essentiel, pour adapter de façon réactive les services qui leur sont proposés. Cela demande des outils de mesure adaptés, comme des enquêtes d’impact. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service ainsi un vrai avantage et peut contribuer à faire la différence. 43 Mors 6 mm Mors 4 mm 6 mm ISIS anime un réseau international de partenaires économiques et universitaires tournés vers un objectif commun de développement de connaissances concrètes et de savoir-faire structurés. Au travers d’échanges continus avec les responsables économiques, une communauté se construit autour de la réflexion, de la diffusion et du partage d’expériences. Les « Matins de l’innovation » ainsi que d’autres manifestations permettent à cette communauté de se réunir et de participer à une construction commune autour des enjeux et des méthodes de l’innovation dans l’économie des services. Parcours client, parcours patient : l’expérience de service innovationandsociety.com essec-serviceinnovation.com ISBN : 978-2-36456-088-8 5€ N° 28 - Février 2013 Dans quelle mesure peut-on parler de client en santé ? En quoi cette notion peut-elle contribuer à améliorer la qualité de l’expérience vécue par le patient, mais aussi des soins qu’il reçoit ? Quelles sont les caractéristiques de la relation de service en santé, et comment innover afin qu’elle gagne en valeur ? Mors Mors