Toute croyance est-elle contraire à la raison

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corrigé bac 2012
Examen : Bac L
Epreuve : Philosophie
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RAPPEL DU SUJET
SUJET 2 : TOUTE CROYANCE EST-ELLE CONTRAIRE A LA RAISON ?
LE CORRIGÉ
I- Analyse du sujet
C'est un sujet difficile qui engage des notions délicates, très ouvertes. Il demande en conséquence des définitions
précises des notions de Croyance et de Raison, ainsi qu'un développement structuré et intelligemment illustré pour ne
pas rester dans les généralités ou les abstractions.
II- Problématisation
La croyance et la raison partagent en commun une chose. Comme dit Kant, c'est "l'acte de tenir pour vrai".
La différence entre croyance et raison réside dans les modalités de cette vérité.
Quand elle est sous le signe de la raison, une vérité désigne une proposition conforme à la réalité. Cette conformité
entre mon jugement et ce qui existe en fait peut être vérifiée, par exemple par une expérience, par une mesure ou par
une démonstration.
Surtout cette vérité est, en droit et en fait, partageable avec quiconque possède les mêmes capacités de perception ou
de raisonnement. Je peux montrer ou démontrer cette vérité à quiconque est disposé à l'entendre. Une vérité rationnelle
est donc objective et universelle.
Une croyance est aussi une vérité pour celui qui la possède, mais c'est une vérité subjective. Elle est valable pour soi
seul. Elle s'appuie sur un sentiment personnel, une évidence qu'on ne partage pas facilement. Ainsi quelqu'un peut-il
croire en Dieu sans jamais pouvoir ni démontrer son sentiment ni en convaincre autrui par le raisonnement.
La croyance a de plus une force spécifique, c'est qu'elle peut résister à tous les arguments ou tous les faits qu'on lui
objecte.
Par exemple, la mort injuste de quelqu'un qu'on aime n'entamera pas notre croyance dans la justice du dieu qu'on
révère. Cette mort nous renverra simplement à la dimension incommensurable de l'humanité et de la divinité. Il y a des
choses qui me dépassent et auxquelles je ne peux que me soumettre.
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La croyance, ce n'est pourtant pas seulement la foi . Chacun de nous est pétri de croyances qui viennent de son
existence sociale, de sa culture, de son éducation. Ces croyances tiennent aux expériences que nous avons déjà faites
et qui ont dégagé des régularités, des espérances et des craintes. C'est ainsi qu'avant même d'entreprendre une action
je peux déjà avoir l'idée du résultat qui m'attend. "Je sais" ce qui va arriver, et cette croyance peut guider mon action
vers une fin espérée ou au contraire me dissuader d'entreprendre une action que je crois inutile ou désespérée. C'est ce
qui se passe par exemple dans un choix d'orientation. L'échec de certains de mes amis dans telle ou telle filière me
dissuadera de tenter le coup, leur réussite au contraire m'encouragera. Il s'agit là d'une croyance que cette voie est
"impossible" ou "possible" pour moi. La sociologie a nommé ce genre de croyances incorporées à notre être le plus
intime des habitus.
On voit que cette dernière acception du mot de croyance enrichit considérablement le problème et dévoile des
croyances, sinon rationnelles, du moins raisonnables, et utiles dans la conduite de notre vie.
Ainsi l'opposition entre croyance et raison, malgré l'évidence première, n'est peut-être pas aussi absolue que cela.
III- La boîte à outils : les connaissances utiles pour traiter le problème
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On pouvait commencer le développement en reprenant l'énoncé de départ et en le transformant en thèse, pour
montrer à l'aide des définitions qu'il y a bien opposition entre Raison et Croyance. Elles concernent toutes les
deux des vérités, mais des vérités qui ne sont pas de même nature et n'ont pas la même portée pour l'humanité.
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Pour cela on pouvait emprunter à l'histoire des sciences une illustration du conflit de la raison et de la foi. Au début
du XVIIe siècle Galilée reprend la thèse de Copernic selon laquelle ce n'est pas la Terre mais le Soleil qui est au
centre de l'univers. Cette proposition opposée au dogme catholique sera condamnée par l'Eglise de Rome. Galilée
devra renoncer à son opinion et s'engager à ne plus rien publier sur la question.
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Cet exemple est typique de ce que l'on appelle l'obscurantisme . L'obscurantisme est l'attitude qui consiste à
condamner les progrès de la raison au nom d'une vérité supérieure, celle de la foi. Mais on voit bien que le
paradoxe : la raison c'est ce qui permet, via la science et la technique, de modifier le monde dans un sens
favorable à l'homme. Ainsi Descartes a-t-il pu exprimer cet idéal par l'idée de "devenir comme maître et possesseur
de la nature". Empêcher les progrès de la raison, c'est empêcher l'homme de progresser.
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Toutefois, cet idéal technique et pragmatique n'épouse pas totalement la nature de l'homme qui ne se pose pas
que des questions matérielles. Les questions existentielles dépassent largement la sphère des besoins et touchent
à des objets sur lesquels la connaissance n'a aucune prise. C'est là que la croyance peut prendre un sens. Et un
sens rationnel pour peu qu'elle se tienne dans les "limites de la simple raison", comme aurait dit Kant.
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Dans Critique de la raison pure , Kant prétend répondre à la question : Que puis-je savoir? Il dit qu'il a voulu
"supprimer le savoir pour lui substituer la croyance". Cela ne signifie pas qu'il défend une position obscurantiste,
mais qu'il reconnaît que notre savoir ne s'étend qu'aux phénomènes (càd ce qui apparaît, ce qui se présente à
nous). Au-delà des phénomènes nous ne pouvons rien connaître. Ne reste plus alors que la croyance pour
envisager ces objets qui dépassent toute expérience possible, comme l'âme ou Dieu.
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Selon Kant, il n'y a pas contradiction ni même contrariété entre la raison et la croyance. Chacune a son ordre
propre, ses objets spécifiques, son territoire, sa juridiction et sa légitimité. C'est lorsque l'une ou l'autre sort de son
domaine qu'elle outrepasse son pouvoir et délire. La science ne peut pas démontrer l'existence ou l'inexistence de
Dieu, mais la foi ne peut rien faire contre la physique de Galilée, de Newton ou d'Einstein, sinon constater que
l'esprit de l'homme est capable de comprendre la structure du monde et d'utiliser cette connaissance à son profit.
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Cette nouvelle étape arrive logiquement pour limiter la portée de la première réponse que nous avons
faite: croyance et raison ne sont pas contraires lorsqu'elles demeurent à l'intérieur de leurs limites, s'en tiennent à
leurs objets spécifiques et n'essaient pas d'usurper le territoire de l'autre. Elles peuvent même cohabiter chez un
même individu, et l'on a vu des savants reconnaître en tant qu'homme leur foi devant les mystères de la nature.
Cela ne les empêche pas d'essayer de les expliquer rationnellement dans leur métier de savant.
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Mais la croyance peut se marier à la raison si l'on pense que toute une partie de notre conscience est façonnée
par l'habitude . La répétition de certaines expériences, les essais et les erreurs forment notre jugement, nos
espérances et nos craintes. Si nous habitons le monde avec autant d'aisance, c'est que l'expérience nous a donné
une sorte de "cartographie" du monde social et culturel dans lequel nous évoluons, nous avons nos repères, nous
en connaissons les "ficelles", nous devinons presque "d'instinct" les voies les plus favorables à nos intérêts. Cet
instinct n'est pas inné, il est construit. Et cette construction s'exprime dans des croyances. Ainsi lorsque nous
faisons un choix de métier, il arrive que nos parents ou nos éducateurs nous disent "Ce n'est pas un métier pour
toi". Cela n'est pas une vérité, c'est une simple croyance au regard de certains éléments issus de l'expérience, de
ce que nos parents ou nos éducateurs connaissent de notre personnalité, de nos capacités, ou de ce qu'ils
connaissent du métier en question. Nous ressentons d'ailleurs souvent ce type de conseil comme une brimade et
nous n'en tenons pas compte. C'est notre liberté. La suite nous donne tort ou raison, selon que nous démentons la
croyance ou qu'elle se vérifie, selon que nous avons mal estimé nos capacités ou au contraire que nous avons "cru
en nous".
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Mais attention, cette expérience, en validant notre choix, valide une croyance particulière. Il n'y a là rien d'une vérité
universelle. Au même moment, la même expérience pourrait bien invalider la croyance de votre meilleur ami qui
aura fait le même choix que vous.
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Néanmoins il est indéniable que l'expérience, en façonnant nos croyances, contient des leçons utiles à la conduite
de notre vie. A défaut d'être rationnelles, nos croyances peuvent donc être raisonnables. A condition bien sûr de ne
pas s'illusionner sur soi.
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D'un point de vue anthropologique, vous auriez pu penser à la logique de l'invention et de la création. La croyance
est ce qui peut pousser la raison à exercer ses facultés. Avant d'atteindre une connaissance certaine, on doit
souvent se contenter d'intuitions ou de convictions qu'on ne cesse de mettre à l'épreuve. C'est le sort des savants
ou des artistes, ils n'ont pour ligne de conduite et pour force que la croyance dans ce qu'ils veulent affirmer ou
produire. Le résultat c'est ici que la raison a besoin de la croyance qui lui sert de carburant pour avancer alors
même qu'elle ne dispose pas encore les éléments rationnels d'une solution.
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Un exemple assez frappant, c'est celui de Galilée élaborant la loi de la chute des corps. Il soutient que les corps
tombent dans le vide avec une vitesse uniformément accélérée. Mais quelle est donc la loi de cette accélération ?
Galilée n'avait à son époque aucun moyen de le savoir ni de l'expérimenter. Il a pourtant affirmé que cette
accélération est uniforme. Pourquoi ? Simplement parce qu'il est parti d'une croyance très ancienne, qui venait des
Grecs, et selon laquelle la nature ne fait rien en vain. Cela signifie qu'entre plusieurs moyens, la Nature prend
toujours les plus simples. Il en a donc conclu que cette accélération devait être la plus simple possible, c'est-à-dire
varier uniquement en proportion du temps de la chute du corps. Plus la chute est longue plus l'accélération
augmente. Il s'agit donc là d'une croyance rationnelle, une hypothèse non encore démontrée ou vérifiée et pour
laquelle on cherche le bon raisonnement ou l'expérience adéquate.
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