fractures du bassin : point de vue de l`orthopediste

Traumatismes du bassin 369
FRACTURES DU BASSIN:
POINT DE VUE DE L’ORTHOPEDISTE - INDICATION
ET TECHNIQUE RADIO-INTERVENTIONNELLE
F. Dujardin*, E. Clavier**, CHU de Rouen. 76031 Rouen Cedex.* Département
d’Orthopédie, Traumatologie et Chirurgie Plastique, ** Département de Radiologie.
INTRODUCTION
• CLASSIFICATION
Les fractures du bassin regroupent des entités très différentes comportant les frac-
tures simples du cadre obturateur, les fractures parcellaires et les lésions à haute énergie
de la ceinture pelvienne. Les fractures simples du cadre obturateur affectent principa-
lement les sujets âgés, ostéopéniques, posant essentiellement des problèmes de nursing
et de préservation de l’autonomie. Les fractures parcellaires correspondent aux arra-
chements osseux, équivalent de lésions tendineuses ou aux fractures de rebords osseux
par traumatisme direct. Ces deux groupes de lésions, fractures du cadre obturateur et
fractures parcellaires s’opposent aux fractures à haute énergie qui comportent deux
interruptions complètes de l’anneau pelvien. De nombreuses classifications ont été pro-
posées, celles de Tile [1] scindent les lésions en trois groupes tenant compte d’éléments
physiopathologiques liés au mécanisme lésionnel et à l’instabilité qui en résulte.
1- Le groupe A ne met pas en cause la stabilité globale du bassin, on retrouve dans ce
groupe les fractures parcellaires et les fractures simples du cadre obturateur. Une
seule lésion du type A correspond à une fracture à haute énergie de la ceinture
pelvienne, il s’agit de fracture double des deux cadres obturateurs (four pubic rami)
résultant de traumatisme antéro-postérieur direct dans la région de la symphyse
pubienne et partageant les éléments pronostiques de l’ensemble des fractures à haute
énergie.
2- Le type B entraîne une instabilité dite horizontale. La portion du bassin, mobilisée
par les deux interruptions de l’anneau pelvien, conserve des attaches suffisantes pour
s’opposer à une grande instabilité verticale. Ce groupe B comporte trois sous-
groupes.
• Le type B1 correspond à des mécanismes de compression antéro-postérieure,
comme, par exemple, lors d’un écrasement ou lors de l’impaction de la symphyse
pubienne contre le réservoir d’une moto. Un hémibassin est ouvert, écarté vers
l’extérieur (open book). Il persiste des connexions, en particulier ligamentaires de
l’environnement sacro-iliaque empêchant l’ascension de l’hémibassin.
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• Le type B2 correspond à une compression latérale, l’impact se fait cette fois dans la
région de la hanche, comme lors de chocs latéraux dans les accidents automobiles.
L’hémibassin lésé est repoussé vers le dedans, impacté au sein de l’anneau pelvien.
Le mécanisme lésionnel explique que ces lésions de type B2 sont très fréquemment
associées, dans environ la moitié des cas, à une fracture du cotyle, cette association
posera des problèmes thérapeutiques particuliers.
• Le type B3 correspond à l’association des deux lésions, un hémibassin est impacté
vers le dedans alors que l’autre hémibassin est ouvert vers le dehors (roll over
lesion). Ce type de lésion se rencontre lors de mécanisme d’impaction latérale extrê-
mement violent, le traumatisme qui ferme un hémibassin se poursuit jusqu’à ouvrir
l’autre hémibassin. Il se rencontre également lors d’écrasement par des roues de
grande dimension, comme celles d’un camion.
3- Le dernier groupe, type C, s’accompagne d’une instabilité complète, horizontale et
verticale, autorisant des déplacements dans tous les plans de l’espace y compris vers
l’ascension de l’hémibassin lésé. Ce type de lésion peut résulter d’impaction antéro-
postérieure extrêmement violente détachant littéralement un hémibassin mais
également et le plus souvent lors de mécanisme de cisaillements verticaux, comme,
par exemple, lors d’une chute d’un lieu élevé.
Cette classification selon le mécanisme et l’instabilité doit être modulée selon le
type de lésion anatomique. Ces lésions à haute énergie de la ceinture pelvienne com-
portent au moins deux interruptions de l’anneau pelvien, les lésions antérieures peuvent
être constituées d’une disjonction pubienne ou de fractures du cadre obturateur ou du
cotyle. En arrière, plusieurs lésions élémentaires sont également possibles : fracture de
l’aile iliaque ou de l’aileron sacré ou disjonction sacro-iliaque. Cette modulation selon
le type anatomique a des conséquences importantes sur le pronostic fonctionnel [2]
qu’il n’est pas nécessaire d’approfondir ici, mais également sur le pronostic immédiat
du fait de conséquences sur la stabilité. Une fracture de l’aileron sacré peut, grâce aux
indentations osseuses de la fracture, être engrenée, induisant une relative stabilisation
alors qu’une disjonction sacro-iliaque pure conservera des capacités de glissement,
pérennisant l’instabilité.
Le diagnostic de ce type lésionnel peut être le plus souvent orienté par la simple
radiographie de bassin de face. L’adjonction de clichés de Pennal [3] qui correspond à
des incidences obliques à 45° de haut en bas dit bassin ouvert «inlet» et de bas en haut
dit bassin fermé «outlet» permettent presque constamment un diagnostic lésionnel
précis. Leur utilisation essentiellement réservée au suivi orthopédique à long terme,
peut encore être utile à quelques situations particulières en urgence, mais elles ont été
largement supplantées dans ce contexte par la tomodensitométrie qui apporte de plus
de multiples renseignements sur les lésions associées.
PRONOSTIC VITAL
Les fractures à haute énergie de la ceinture pelvienne sont affectées d’une mortalité
importante. La méta-analyse de Pohlemann [4] montre qu’elle est généralement de 8 à
10 % sur l’ensemble des patients présentants des fractures pelviennes atteignant 25 %
en cas de lésions instables type C et même 30 à 40 % en cas des lésions ouvertes. Une
étude réalisée au sein des Services d’Urgences des CHU de Rouen et Toulouse [5],
portant sur 235 patients décédés au sein du service d’Urgences, montre qu’il existait
une fracture du bassin dans 16 à 18 % des cas et qu’elle constituait la seule lésion dans
6 à 8 % des cas. L’origine de cette mortalité est mixte [6, 7] avec une responsabilité qui
paraît partagée entre les lésions associées, principalement crâniennes ou viscérales, et
le syndrome hémorragique. Les lésions associées sont extrêmement fréquentes chez
Traumatismes du bassin 371
ces blessés, 47 % des blessés étaient des polytraumatisés dans la série de Dujardin [2]
bien que cette série, s’intéressant au pronostic fonctionnel à long terme avait éliminé
les patients décédés dans la première année. Dans la série multicentrique du sympo-
sium de la SOFCOT [8] qui regroupait 675 patients affectés de lésions à haute énergie
de la ceinture pelvienne, 2/3 des blessés présentaient des lésions associées de gravité
variée mais susceptible dans la moitié des cas d’engager le pronostic vital.
La mortalité de ces lésions pelviennes est également liée au syndrome hémor-
ragique. Celui-ci avait affecté 28,8 % des 675 blessés du symposium de la SOFCOT [8].
Mucha et Welch [9] avaient observé que la mortalité des traumatismes du bassin (toute
forme confondue, y compris type A) sans signes de saignement était de 3 %, alors
qu’elle s’élevait à 42 % lorsqu’il existait un choc hémorragique. A court terme [10], le
pronostic vital est engagé par l’abondance du saignement (69 % des décès immédiats),
mais également par les complications secondaires induites par le saignement : insuffi-
sance rénale (15 % des décès) et infection de l’hématome rétro-péritonéal (15 %). Ce
syndrome hémorragique peut également être à l’origine de complications thrombo-
emboliques, moins connues et moins bien estimées, liées aux troubles de la coagulation
induits et à l’hématome rétropéritonéal comprimant les veines iliaques et favorisant la
survenue de thrombophlébite des membres inférieurs. Neuf % des patients du sympo-
sium [8] avaient ainsi été affectés de complications thrombo-emboliques responsables
d’embolies pulmonaires dans la moitié des cas.
Cette étude de la SOFCOT [8] a permis d’identifier les principaux facteurs condi-
tionnant ce pronostic vital immédiat. Il s’agit du type lésionnel selon la classification
de Tile, de l’âge du blessé, de sa tension artérielle initiale lors de son arrivée aux urgen-
ces, des lésions associées éventuelles et enfin du caractère ouvert ou fermé des lésions.
Le type lésionnel est indéniablement un facteur pronostique, mais il n’est cependant
pas absolu et des lésions qui apparemment correspondent aux situations les moins
graves d’instabilité, y compris des «four pubic rami» du groupe A, sont susceptibles
d’engager le pronostic vital. Cette réserve est essentielle car, comme nous le verrons, le
type lésionnel ne permet pas d’orienter la stratégie thérapeutique en urgence.
DEUX NIVEAUX DE PRISE EN CHARGE
Ces lésions à haute énergie de la ceinture pelvienne suscitent deux difficultés théra-
peutiques. La prise en charge en urgence, où est engagé le pronostic vital, qui nécessite
de considérer, en dehors des manœuvres de réanimation non spécifiques, l’embolisa-
tion, la fixation externe, le recours à une combinaison pressurisée ou enfin le
tamponnement par champs (packing). Secondairement, doit être considéré le traite-
ment orthopédique définitif qui répond à l’objectif d’améliorer le pronostic fonctionnel
et dont l’arsenal comporte la traction continue, la fixation externe et les synthèses inter-
nes de l’arc antérieur ou de l’arc postérieur. Il faut, lors de la décision thérapeutique
initiale et dans la mesure du possible, concilier ces deux objectifs. Il peut ainsi être
difficile d’imposer une traction osseuse qui nécessite un décubitus dorsal à un patient
polytraumatisé justifiant de divers examens complémentaires et de nursing. Les com-
plications vasculaires interdisent, sauf rares exceptions, un abord chirurgical et donc
une synthèse interne, qu’elle soit antérieure ou postérieure, avant que l’hémostase spon-
tanée ne soit obtenue, à savoir dans la deuxième semaine.
La prise en charge en urgence doit également tenir compte de l’association lésion-
nelle fréquente avec des lésions de l’appareil urinaire (16 % des cas dans la série de la
SOFCOT [8]), lésions urinaires qui doivent être suspectées de principe et conduisent à
l’interdiction d’un sondage par voie naturelle hormis dans quelques cas exceptionnels
pris en charge par les Urologues.
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1. ORIGINE DU SAIGNEMENT
L’origine du saignement intra-pelvien est diversement appréciée selon les études et
les auteurs, les causes possibles sont des lésions des gros vaisseaux ou de vaisseaux de
plus petit calibre, artériels ou veineux, ou encore des surfaces osseuses fracturées. La
compréhension de cette origine hémorragique est essentielle pour établir la stratégie
décisionnelle.
1.1. GROS VAISSEAUX
Ces lésions existent mais sont exceptionnelles [11-15]. La série de 675 blessés du
Symposium de la SOFCOT [8] comportait 13 cas responsables de 5 décès. Cette fré-
quence, plus élevée dans cette série que dans les autres études de la littérature est due à
la restriction du Symposium aux fractures les plus graves éliminant en particulier les
lésions parcellaires et antérieures isolées. Elle démontre également l’extrême gravité
de cette lésion affectée de plus d’1/3 de décès bien que le diagnostic de lésion des gros
vaisseaux ait été fait.
1.2. LESIONS OSSEUSES
Il s’agit du saignement issu des surfaces osseuses fracturées. Cette origine est comme
pour toute fracture incontestable, cependant, dans la série de la SOFCOT [8], la fré-
quence d’un syndrome hémorragique initial est apparue semblable selon les différents
types de lésions ostéo-articulaires. Trente-trois et vingt-sept % pour les disjonctions
sacro-iliaques pures, complètes et incomplètes, dans lesquelles il n’existe donc pas de
surface osseuse fracturée importante et 29 % dans le cas de fractures de l’aileron sacré
où, à l’inverse, il existe de larges surfaces osseuses fracturaires. Cette similitude de
pourcentages de syndromes hémorragiques, qu’il existe ou non des surfaces osseuses
fracturaires, montre que la contribution osseuse dans le syndrome hémorragique est
faible.
1.3. VEINEUX
L’origine de lésions des différents plexus veineux intra-pelviens a longtemps été
défendue notamment à partir de constatations autopsiques. Là encore ces lésions sont
indéniables. Il s’agit cependant de saignements à basse pression qui devraient donc
s’arrêter rapidement lors de la constitution de l’hématome rétro-péritonéal qui induit
un relatif tamponnement par augmentation de la pression au sein de la cavité pelvienne.
Des saignements veineux ne paraissent ainsi pas à même d’expliquer l’importance des
pertes hémorragiques couramment observées en pratique clinique et susceptibles de
dépasser plusieurs litres.
1.4. ARTERIEL
C’est le développement de la pratique d’artériographie qui a permis de mettre en
évidence cette origine. Il s’agit de lésions des petites artères, parfois du fait de lacéra-
tions à partir d’un fragment osseux mais plus souvent du fait d’arrachement ou de rupture
de structure anatomiquement fixée, brutalement mobilisée lors de l’impact à haute éner-
gie. Ce mécanisme explique que ces lésions artérielles peuvent apparaître à distance
des lésions osseuses, par exemple sur l’axe artériel controlatéral aux fractures ou sur
des branches directement issues de l’aorte abdominale.
La réalisation d’artériographies dans des conditions techniques satisfaisantes, systé-
matiques
lors de lésion pelvienne à haute énergie associée à un syndrome hémorragique
a montré que de telles lésions artérielles pouvaient être retrouvées dans la totalité des
cas dans les études de Kawamata [16] sur 68 cas ou de Yokota [17] sur 89 cas. D’autres
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études n’avaient pas retrouvé un tel niveau de contribution des lésions artériolaires.
Klein [14] n’avait mis en évidence une telle lésion artérielle que 16 fois sur 24 cas et
Stock [18] 8 fois sur 28. Il semble bien que ces différences proviennent d’une techni-
que insuffisante, négligeant d’explorer les branches de l’axe controlatéral à la lésion ou
encore de la réalisation d’artériographie alors que le patient était en état de choc, avec
donc un débit hémorragique insuffisant pour être visualisé ou encore du fait de spasme
artériolaire. Il faut également noter que la fuite qui est visualisée lors de ces artériogra-
phies se limite généralement à une petite flaque de quelques millimètres de coté qui
apparaît ainsi comme une «petite fuite». Cette petite fuite est cependant le résultat d’une
pulsation et en réalité ces quelques millimètres cubes visualisés témoignent d’une fuite
horaire considérable. Il a été possible au CHU de Rouen [5] d’étudier le statut hémody-
namique de 33 patients au sein d’une série continue d’artériographies/embolisations.
Cette étude a montré que l’embolisation, éventuellement répétée, permettait de réduire
le débit hémorragique moyen de 250 mL.h-1 à 35 mL.h-1. Une seconde embolisation a
été réalisée avec succès dans 7 cas du fait de la réapparition du syndrome hémorragique
quelques jours après le contrôle d’une première lésion artérielle. Il a alors été retrouvé
une nouvelle lésion artérielle qui semblait sèche lors de la première artériographie vrai-
semblablement du fait d’un spasme. Ces cas, qui peuvent être assimilés à «une
réintroduction de la cause», confirment l’efficacité thérapeutique de l’embolisation
artérielle et donc la prédominance de l’origine artérielle dans le syndrome hémorragique.
2. PRINCIPES GENERAUX DU TRAITEMENT ORTHOPEDIQUE
Il s’agit du traitement qui sera appliqué après la période initiale d’urgence. Bien que
dans les premiers jours post-traumatiques ces éléments soient au second plan, ils doi-
vent cependant dans la mesure du possible être considérés lors de la décision en urgence.
2.1. MOYENS DISPONIBLES
En dehors du simple repos au lit, la méthode la plus simple consiste en une traction
continue qui chez l’adulte se fait par l’intermédiaire d’une traction osseuse trans-tibiale
comportant une broche transfixiant la partie haute du tibia mise en place sous anesthé-
sie locale. Cette méthode est à même de stabiliser la composante verticale de l’instabilité
et si on y ajoute une composante en rotation interne de réduire une ouverture type B1.
C’est une méthode non invasive dont le principal inconvénient provient de l’immobili-
sation au lit pendant approximativement six semaines, en n’autorisant qu’une position
demi assise. Lorsque les lésions postérieures sont des fractures iliaques ou sacrées,
cette méthode permet presque constamment d’obtenir une stabilisation suffisante pour
obtenir la consolidation régulièrement assortie de bons résultats fonctionnels même si
cette réduction est imparfaite [2]. Lorsque l’instabilité verticale est importante, comme
dans les types C, la traction trans-tibiale qui ne permet pas de supporter plus de 8 à
10 kg de traction est insuffisante et on peut proposer une traction transcondylienne
appuyée sur une broche de plus gros diamètre permettant une traction lourde suscep-
tible de supporter 20 à 25 kg. Cette broche transcondylienne qui évite de tirer sur
l’articulation du genou, comporte l’inconvénient de la proximité articulaire et un risque
d’arthrite septique. De plus, une telle traction continue tire le malade vers le bas du lit
et il faut l’installer dans une position déclive, la tête en bas, peu confortable. Cette
méthode est ainsi souvent utilisée de manière temporaire, pendant 2 ou 3 semaines, le
temps de réduire l’ascension verticale de l’hémibassin et d’obtenir l’engluement, amor-
çant la stabilisation qui autorisera un relais vers une traction plus légère trans-tibiale.
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