les oblige à faire que ce volume soit celui de l'emploi maximum ou plein emploi (full
employment). Si la production qu'ils croient avoir intérêt à décider, n'est pas de nature à
absorber tout le travail disponible, il y aura sous-emploi, et sous-emploi durable. Les
entrepreneurs s'adapteront à cette situation de sous-emploi. Ils établiront leurs plans de
production d'après un investissement réduit, et sur ces bases, un équilibre pourra s'établir
et durer : ce sera un équilibre absolument imprévu des "classiques"1,ce que Keynes
appelle "l'équilibre de sous-emploi". Equilibre de plein emploi (seul prévu par les
classiques) et équilibre de sous-emploi ne sont donc que des cas particuliers de
l'équilibre économique.
D'un autre point de vue, Kenneth J. Arrow (prix Nobel d'économie avec John Hicks en
1972) et Franck Horace Hahn, attirant l'attention sur le caractère irréaliste d'une théorie
(de l'équilibre général) qui évacue, entre autres, la monnaie et l'incertitude, données
pourtant fondamentales des économies contemporaines, ajoutent que : "[Dans] un
monde avec un passé et un futur dans lequel les contrats sont établis en termes de
monnaie, il ne peut y avoir d'équilibre" (K. Arrow et F.H. Hahn, General Competitive
Analysis,1971, p. 361)2.
Ces critiques ont été largement prises en compte par un courant institutionnaliste qui s'est
développé à partir des années 1920. Fondé par Thorstein Veblen et développé par John
R. Commons, John Maurice Clark, Rexford Guy Tugwell, Wesley Mitchell, Clarence E.
Ayres, Allan Garfield Gruchy, Gunnar Myrdal ou John Kenneth Galbraith, ce courant
s'oppose à la démarche déductive et abstraite de la théorie néoclassique standard et
propose le développement d'analyses positives, car une loi économique n'est vraie que
dans un cadre institutionnel donné et une institution est la codification juridique des
coutumes, des traditions qui sont le produit de l'histoire.
Ce que l'on appelle aujourd'hui économie des institutions,économie institutionnelle,
nouvelle économie institutionnelle ou économie néo-institutionnelle3,bien qu'ayant des
points communs avec ce courant institutionnaliste des années 1920, qualifié
d'économie des institutions traditionnelle ou d'ancienne économie des institutions,s'en
différencie en ce qu'elle se situe dans une perspective de rendre plus réaliste la théorie
néoclassique standard, plutôt que dans celle de formuler une théorie alternative. Du
reste, Coase (2000) estime que les auteurs associés à l'ancienne économie des
institutions, bien qu'étant des hommes de haute stature intellectuelle, étaient des anti-
théoriciens, de sorte qu'ils n'ont pas pu réunir l'ensemble de leurs observations empiriques
dans une théorie qui aurait permis de transmettre plus largement leurs connaissances.
Dans ce sens, on peut dire que l'ancienne économie des institutions est une science
économique avec des institutions mais sans théorie, que la théorie néoclassique
standard est une science économique avec une théorie mais sans institutions, et que la
nouvelle économie des institutions essaie d'élaborer une science économique avec une
1Dans l'acception de Keynes, "classiques" comprend les classiques (Smith, Ricardo…) et les néoclassiques
(Marshall, Mill, Jevons, Menger, Walras…) car ils acceptent tous la théorie de la main invisible, la loi de Say,
la détermination de l'investissement par l'épargne préalable, la dichotomie entre le secteur monétaire et le
secteur réel et la théorie quantitative de la monnaie. Voir sa Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de
la monnaie (1936) reprise par Piettre A. (1979) et Beaud M. et Dostaler G. (1996).
2Cités par Beaud et Dostaler (1996).
3Coase (2000) nous apprend que cette expression fut inventée par Oliver Williamson (new institutional
economics)pour la distinguer de l'institutionnalisme traditionnel (old institutional economics)de Commons,
Mitchell ou autres.