INT J TUBERC LUNG DIS 16(1):4–5 © 2012 The Union PERSPECTIVES Le diagnostic moléculaire de la tuberculose multirésistante améliorera-t-il le devenir des patients ? LES FORMES DE TUBERCULOSE (TB) résistante aux médicaments, et particulièrement la TB multirésistante (TB-MR), constituent un problème majeur de santé publique.1 On estime qu’il y a plus de 5 millions de cas de TB-MR à travers le monde et que moins de 1% des patients devant recevoir un traitement le reçoivent effectivement.2 L’une des raisons de ce faible pourcentage serait le manque d’outils de diagnostic permettant d’identifier les patients atteints de TB-MR. Une autre raison serait le manque d’accessibilité du traitement chez les patients identifiés comme atteints de TB-MR : à ce jour, seulement 40.000 patients seulement au niveau mondial ont reçu un traitement pour la TB-MR.3 De nouveaux développements dans le domaine du diagnostic moléculaire de la TB et des formes résistantes de la TB ont conduit à une nouvelle période durant laquelle le test de diagnostic rapide de la TB et de la résistance à la rifampicine (RMP ; presque toujours associée à la TB-MR) sont en cours de déploiement à l’échelle mondiale.4 L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a recommandé le test moléculaire comme la norme pour le diagnostic de la TB et de la TB-MR au niveau mondial.5 Un financement est accordé pour soutenir ces efforts et les programmes introduisent rapidement les tests moléculaires pour diagnostiquer la TB et la TB-MR. L’amélioration du diagnostic a pour but d’améliorer les soins et le devenir des patients, particulièrement chez ceux atteints de TB-MR.6 Pour atteindre cet objectif, les programmes de prise en charge de la TB-MR doivent être en place et aptes à traiter l’afflux de patients qui seront identifiés grâce à ces nouvelles techniques de diagnostic. Sans l’extension simultanée des services de prise en charge de la TB-MR, un nombre important de patients seront diagnostiqués comme atteints de la TB-MR sans pouvoir accéder aux soins. Cette étude de cas présente un patient d’Afrique du Sud chez qui ce problème est survenu. L’Afrique du Sud est un pays où le fardeau de la TB est élevé et où les taux de TB-MR le sont également.7 Les médicaments de deuxième ligne sont disponibles en Afrique du Sud depuis la moitié des années 1990 et le pays possède un programme national de prise en charge de la TB-MR. Toutefois, ce programme ne couvre qu’une infime partie des patients atteints de TB-MR et pour diverses raisons, les patients chez qui le diagnostic de TB-MR a été retenu doivent souvent attendre pour bénéficier de leur traitement. L’accès aux médicaments de deuxième ligne est lui aussi limité, particulièrement pour la cyclosérine, la térizidone et l’acide para-aminosalicylique.8 Récemment, un certain nombre d’appareils GeneXpert® MTB/RIF (Cepheid, Sunnyvale, CA, USA) ont été introduits par le programme national de lutte contre la TB dans des régions d’Afrique du Sud—notamment à Johannesburg—afin d’améliorer le diagnostic de la TB et de la TB-MR.9 Une femme âgée de 21 ans a été référée à un grand hôpital public de Johannesburg pour la prise en charge d’une psychose. Antérieurement il avait été documenté chez cette femme une infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) avec un taux de CD4 à 14 cellules/μl. Elle a été mise sous traitement antirétroviral à base de ténofovir, lamivudine et névirapine. Six mois après sa visite initiale, elle a présenté une température à 39°C, une tachycardie à 130 battements/minute et un malaise. La radiographie du thorax était compatible avec une TB et les crachats avaient été envoyés pour la réalisation d’un frottis et pour un diagnostic moléculaire rapide à l’aide du GeneXpert® MTB/RIF. L’examen microscopique des crachats de la patiente était négatif. Les résultats reçus 48 h après l’envoi des crachats pour le diagnostic moléculaire ont confirmé la présence de Mycobacterium tuberculosis résistant à la RMP. L’état de santé de la patiente a continué à se dégrader. Le taux de CD4 était de 73 cellules/μl avec une charge virale de 311.344 copies de RNA/ml. Le personnel soignant qui s’occupait de cette patiente a tenté de la faire admettre dans le seul service de prise en charge de la TB-MR du programme à Johannesburg ; toutefois, l’admission de cette patiente a été refusée car il a été documenté une résistance à la RMP et la consigne était qu’il fallait attendre le résultat de la résistance à l’isoniazide (INH). Comme le frottis était négatif, aucun test rapide complémentaire n’a pu être fait et attendre une résistance confirmée à l’INH signifiait qu’il fallait attendre le résultat de la culture conventionnelle. L’admission à l’hôpital public général a été également refusée en raison de l’absence de services d’isolement et du fait que nous connaissions sa résistance au médicament. Vue l’alteration de l’état général de la patiente, le personnel soignant a décidé de démarrer le traitement de TB-MR à base de kanamycine (KM), d’éthambutol (EMB), de pyrazinamide (PZA), de lévofloxacine (LVX) et d’éthionamide (ETH). Comme la térizidone n’était disponible que dans le service de prise en charge de la TB-MR, ce médicament n’a pas été inclus dans son régime. Lorsque la patiente s’est présentée à la pharmacie de prise en charge de la TB [Traduction de l’article : « Will molecular diagnosis of drug-resistant tuberculosis improve patient outcomes? » Int J Tuberc Lung Dis 2012; 16(1): 4–5. http://dx.doi.org/10.5588/ijtld.11.0419] 2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease pour obtenir ses médicaments, la LVX et la KM ne lui ont pas été servies. Elle a donc commencé à prendre l’EMB, la PZA et l’ETH dans la collectivité en bénéficiant du seul soutien de sa mère, sans guide du traitement et sans traitement directement observé (TDO). Elle vivait à domicile avec ses jeunes enfants qui, après le dépistage initial pour la TB, avaient été considérés comme bien portants. Comme l’état général de la patiente continuait à se détériorer sur le plan clinique, le personnel soignant traitant (GJ) a tenté de la faire admettre dans un hôpital local sous la supervision d’un médecin expérimenté dans le traitement de la TB-MR en dehors du programme national. Après 14 jours, elle a été admise à l’hôpital. En raison des difficultés d’approvisionnement en médicament antituberculeux, la patiente n’a été traitée pour sa TB-MR dans cet hôpital que par l’INH, la RMP, la PZA, l’EMB, la KM et l’ofloxacine. Elle reste hospitalisée dans un état critique et sa psychose continue par s’aggraver. Les politiques administratives qui exigent la démonstration d’une résistance à la fois à l’INH et à la RMP avant la mise en route d’un traitement approprié de TB-MR chez le patient, dans les conditions actuelles du programme, ont conduit à l’utilisation d’une stratégie suboptimale de traitement. Ceci a entrainé un risque de santé pour la patiente et la collectivité et a violé les principes importants de santé publique. Le cas développé ici est un exemple tragique de ce qui peut se produire lorsque le diagnostic de la TB est amélioré sans que ne suive l’amélioration du programme de prise en charge de la TB-MR. Bien que ce cas soit un des premiers de ce type à être signalé dans la littérature, l’expérience de cette patiente est loin d’être un cas unique. Cette patiente a eu accès à des tests améliorés pour le diagnostic de la TB et de la TB-MR, mais elle s’est vue refuser l’accès aux soins appropriés au moment où le diagnostic a été posé. Le programme de TB-MR a refusé de la soigner tant qu’on n’avait pas démontré chez elle une résistance également à l’INH, mais l’hôpital général a refusé de la soigner car elle avait une résistance prouvée à la RMP, ce qui a laissé la patiente éventuellement dans un flou thérapeutique avec un régime suboptimal proposé par le personnel soignant et un accompagnement inadéquat du traitement en dehors des conditions du programme. Ce cas devrait constituer un signal d’alarme sur ce qui risque de se produire lorsque l’amélioration du diagnostic de la TB-MR n’est pas accompagnée par des améliorations de la prise en charge des patients. Le problème mérite d’être étudié systématiquement, mais cet exemple montre bien la possibilité d’une évolution bouleversante du problème. Si le diagnostic moléculaire est introduit dans les contextes où un traitement adéquat n’est pas disponible, le diagnostic des patients sera connu mais ils n’auront aucune possibilité de recevoir le traitement optimal pour leur maladie. Les implications cliniques sont nombreuses. Des implications de santé publique et d’éthique surviennent lorsque le diagnostic de la TB-MR n’est pas accompagné d’une offre de traitement de la maladie, notamment le risque de développement de souches ultra-résistantes aux médicaments. En se basant sur ce cas, quelques actions sont indiquées. Premièrement, les directeurs des programmes de prise en charge de la TB-MR doivent être sensibilisés sur la signification d’un test positif de résistance à la RMP par GeneXpert® MTB/RIF et dans les directives nationales et internationales il faut des positions claires sur la signification d’un test positif. Deuxièmement et peut-être de manière plus importante, des programmes de traitement de la TB-MR doivent être étendus rapidement afin d’éviter les retards de mise en route d’un traitement approprié. Finalement, il faut veiller à fournir des régimes de traitement adéquat et un TDO au sein du programme à tous les patients traités pour TB-MR afin de garantir des résultats couronnés de succès. Cet exemple n’est pas un appel pour retarder les tests moléculaires pour le diagnostic de la TB-MR. Les méthodes de diagnostic moléculaire disponibles actuellement pour diagnostiquer la TB et la TB-MR constituent un complément important pour la lutte moderne contre la TB. L’exemple de cette patiente est présenté plutôt comme un appel urgent pour l’attribution de ressources complémentaires pour les programmes de prise en charge des patients atteints de TB-MR ainsi qu’à la mise à jour de directives nationales qui permettent de garantir sa mise en œuvre. Si ceci n’est pas réalisé, des milliers d’individus connaîtront probablement une issue semblable à celle du cas présenté. Greg Jonsson* Jennifer Furin† *Luthando Neuropsychiatric HIV Clinic Chris Hani Baragwanath Academic Hospital Soweto, South Africa † TB Research Unit Case Western Reserve University Cleveland, Ohio, USA e-mail : [email protected] Références 1 Gandhi N R, Nunn P, Dheda K, et al. Multidrug-resistant and extensively drug-resistant tuberculosis: a threat to global control of tuberculosis. Lancet 2010; 375: 1830–1843. 2 World Health Organization. Multidrug and extensively drugresistant TB (M/XDR-TB): 2010 global report on surveillance and response. WHO/HTM/TB/2010.3. Geneva, Switzerland: WHO, 2010. 3 Institute of Medicine. Addressing the threat of drug resistant tuberculosis: a realistic assessment of the challenge. Workshop summary. Washington DC, USA: IOM, 2009. 4 Boehme C C, Nabeta P, Hillemann D, et al. Rapid molecular detection of tuberculosis and rifampin resistance. N Engl J Med 2010; 363: 1005–1015. Perspectives 5 World Health Organization. Roadmap for rolling out Xpert MTB/RIF for rapid diagnosis of TB and MDR-TB. Geneva, Switzerland: WHO, 2010. http://www.who.int/tb/laboratory/ roadmap_xpert_mtb-rif.pdf Accessed October 2011. 6 Bowles E C, Freyée B, van Ingen J, et al. Xpert MTB/RIF®, a novel automated polymerase chain reaction–based tool for the diagnosis of tuberculosis. Int J Tuberc Lung Dis 2011; 15: 988– 989. 7 Stop TB Partnership. South African National AIDS Council ponders name change as HIV-TB rises up the agenda. Geneva, 3 Switzerland: Stop TB Partnership, May 2011. http://www.stoptb. org/news/stories/2011/ns11_034.asp Accessed October 2011. 8 Grobusch M P. Drug-resistant and extensively drug-resistant tuberculosis in southern Africa. Curr Opin Pulm Med 2010; 16: 180–185. 9 Boehme C C, Nicol M P, Nabeta P, et al. Feasibility, diagnostic accuracy, and effectiveness of decentralised use of the Xpert MTB/RIF test for diagnosis of tuberculosis and multidrug resistance: a multicentre implementation study. Lancet 2011; 377: 1495–1505.