cahier n°287 - Base Institutionnelle de Recherche de l`université

Le placement de marques dans les films : apports du cadre théorique de la
mémoire implicite et proposition d'une méthodologie
I. Fontaine
CAHIER N°287
Avril 2001
Isabelle Fontaine
ATER – Centre de Recherche DMSP
Université Paris IX Dauphine
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny
75775 Paris Cedex 16
Tel : 01 44 05 44 59 / Fax : 01 44 05 44 49
DMSP 2001 – I.Fontaine
Le placement de marques dans les films :
apports du cadre théorique de la mémoire implicite
et proposition d’une méthodologie
I. Fontaine
Résumé : Cette communication présente un cadre théorique intégrateur, celui de la mémoire
implicite, pour rendre compte de l’efficacité des placements de marques dans les films. Elle
propose ensuite une méthodologie expérimentale permettant de tester un tel cadre en
contrôlant le maximum de facteurs externes tout en garantissant un certain réalisme auprès
des spectateurs.
Mots clés : placement de produits, mémorisation, mémoire implicite, communication
marketing, persuasion.
Brand placements in movies :
contributions of the implicit memory framework
and development of a methodology
Abstract : The aim of this communication is to present a theoretical framework, based on the
implicit memory theory, to explain the persuasive effects of brand placements. In order to test
this framework, an experimental methodology is then proposed, that allows control of the
external factors and offers realism to the spectators.
Keywords : product placement, implicit memory, marketing communication, persuasion.
DMSP 2001 – I.Fontaine
Introduction
Sandler et Secunda (1993) notent que la saturation actuelle de l’environnement
publicitaire provoque la prolifération de nouvelles techniques publicitaires qui brouillent les
frontières existant traditionnellement entre les messages commerciaux et le contenu éditorial
du support dans lequel ils apparaissent. Il s’agit soit de programmes intégrant étroitement des
marques à leur contenu, comme le placement de produits dans les films, dans les jeux vidéos,
au sein de programmes télévisés, etc., soit de publicités conçues de manière à ressembler de
près aux environnements éditoriaux dans lesquelles elles sont placées, comme les publi-
reportages, ou les « infomercials ». Il devient ainsi plus difficile pour les consommateurs de
distinguer le message commercial de l’information éditoriale.
Cette communication s’intéresse plus spécifiquement au placement de marques dans
les films qui peut être défini comme la pratique commerciale, pour les entreprises, d’insérer
leur nom au sein d’un film de cinéma contre une forme de rétribution pour ce dernier.
Balasubramanian (1994) qualifie une telle technique de « communication hybride » car elle
permet à la marque de contrôler son message tout en bénéficiant d’une présence discrète au
sein de la communication, ce qui favorise sa crédibilité.
Les modèles traditionnellement développés dans le domaine de la persuasion ne
semblent pas véritablement adaptés à ce type de communication du fait de son caractère
commercial discret et de l’absence de véritable message argumenté sur la marque mise en
avant. L’objectif de ce papier est par conséquent de proposer un cadre théorique permettant de
mieux expliquer le fonctionnement d’une telle technique de communication.
Le cadre présenté ici est celui de la mémoire implicite, théorie issue de travaux en
psychologie cognitive et permettant d’expliquer comment une exposition à un stimulus, non
mémorisée explicitement par les sujets, peut conduire au développement de réactions
évaluatives positives à l’égard du stimulus. Des propositions relatives au fonctionnement du
placement de produits sont ainsi élaborées à partir des observations faites dans le domaine de
la psychologie. Enfin, une méthodologie expérimentale permettant de tester ces propositions
est suggérée. Celle-ci vise à la fois à placer les spectateurs dans un contexte réaliste, celui de
la visualisation d’un film, tout en manipulant le type de placement et en contrôlant le
maximum de facteurs externes.
I – Le cadre théorique de la mémoire implicite
1. Les concepts de mémoire implicite et explicite
La mémoire implicite a été définie par Graf et Schacter comme étant révélée « lorsque
la performance à une tâche est facilitée en l’absence de récupération consciente », tandis que
la mémoire explicite est observée « lorsque la performance à une tâche requière la
récupération consciente d’expériences passées » (Graf et Schacter, 1985, p. 501).
La distinction actuelle entre mémoires implicite et explicite a émergé des travaux
récents en neuropsychologie suite à plusieurs observations menées auprès de sujets
amnésiques (Roediger, 1990). L’amnésie, qui est provoquée par des lésions cérébrales, est
caractérisée par un fonctionnement normal des capacités perceptives, linguistiques et
intellectuelles, en même temps que par une incapacité à se rappeler explicitement des
événements récents et de l’information nouvelle (Schacter, 1987). Les patients amnésiques
sont fortement gênés dans les tests standards de rappel et de reconnaissance, de même que
dans les situations de la vie réelle qui requièrent une mémorisation explicite (Schacter, 1987).
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Les psychologues ont tout d’abord observé que les sujets amnésiques étaient capables d’une
certaine forme d’apprentissage, comme celui de capacités motrices, ou de capacités
perceptives et cognitives, bien qu’ils aient oublié avoir déjà rempli de telles tâches (Schacter,
1987). Puis, ils se sont rendus compte que ceux-ci montraient une mémoire implicite similaire
à celle de sujets normaux, tandis que leur mémoire explicite restait fortement endommagée
(Roediger, 1990 ; Duke et Carlson, 1993). En particulier, on pouvait observer chez eux les
mêmes effets d’amorçage ou « priming » que chez les individus normaux (Roediger, Weldon
et Challis, 1989). Schacter définit l’amorçage comme « le phénomène de facilitation de
l’identification perceptive à partir d’indices réduits renvoyant à un stimulus précédemment
rencontré » (Schacter, 1996, p.234).
Ces recherches ont ensuite été étendues aux sujets normaux pour lesquels on observe
également un effet d’amorçage ainsi que des dissociations entre les performances aux tests de
mesure de la mémoire implicite et aux tests de mesure de la mémoire explicite (Hirst, 1989).
Ainsi, les résultats montrent parfois des scores élevés de mémoire implicite associés à de
faibles scores de mémoire explicite, même pour des sujets non amnésiques, et certaines
variables comme la profondeur du traitement au moment de l’encodage ou la modalité de
présentation du stimulus étudié affectent différemment les performances à chacun de ces tests.
2. Les tests directs et indirects
La mémoire explicite est mesurée par les tests directs de mémorisation, la mémoire
implicite par les tests indirects. Si les termes de tests directs et indirects semblent bénéficier
d’un large consensus, on trouve également ceux de tests explicites et implicites (Schacter,
1987 ; Gardiner et Java, 1993 ; Duke et Carlson, 1994), ou de tests intentionnels et incidents
(Jacoby, 1984, in Richardson-Klavehn et Bjork, 1988).
Les tests de mémorisation directs se caractérisent par une récupération consciente ou
intentionnelle d’une expérience passée, tandis que les tests indirects montrent un
apprentissage chez les sujets précédemment exposés à une information sans conscience d’y
avoir été exposés. Ainsi, la performance aux tests directs est liée au souvenir de l’épisode
d’étude antérieur, tandis que celle aux tests indirects est influencée par cet épisode, mais
indépendante de son souvenir. Par suite, ce sont les instructions données lors des différents
tests qui déterminent leur caractère direct ou indirect, selon que l’on fait explicitement ou non
référence à l’expérience passée du sujet avec l’information cible. Lors d’une mesure de la
mémoire explicite, on demande aux individus de se souvenir d’événements passés, tandis que
pour une mesure de la mémoire implicite, on leur demande de remplir une tâche, sans
mentionner l’épisode d’étude précédent. On compare ensuite, pour les tests indirects, la
performance des sujets exposés auparavant à l’information cible avec celle d’un groupe de
contrôle, non exposé (Richardson-Klavehn et Bjork, 1988 ; Roediger, Weldon et Challis,
1989).
3. Conclusion
Si la recherche en psychologie sur les concepts de mémoires implicite et explicite a
réellement commencé à se développer à partir des années 1980 (Schacter, 1992), elle n’a fait
l’objet d’applications en marketing que depuis le début des années 1990.
Jusqu’ici, la grande majorité des recherches en publicité s’appuyait sur une
mémorisation explicite de la marque, à partir des tests directs de reconnaissance et de rappel.
Toutefois, certains chercheurs (cf Janiszewski, 1988, 1990, 1993) ont commencé à évoquer la
possibilité d’une influence non consciente de la publicité sur le consommateur. Le
développement des recherches en psychologie sur la mémoire implicite fournit alors une base
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théorique de plus en plus solide sur laquelle les chercheurs en persuasion peuvent appuyer
leurs recherches. En particulier, l’utilisation des tests directs et indirects peut leur permettre
d’élargir leur champ d’étude en ce qui concerne les effets potentiels de l’exposition à une
communication (Duke et Carlson, 1993). Certains estiment ainsi que les mesures de mémoire
implicite sont particulièrement adaptées aux cas de faibles niveaux de traitement sur la
marque (Duke et Carlson, 1993 ; Krishnan et Shapiro, 1996) ou pour les messages plus
émotionnels (Duke et Carlson, 1993).
Le placement de produits est caractérisé par ces deux aspects dans la mesure où la
marque n’est pas au cœur de l’expérience de consommation du spectateur, – elle devrait donc
bénéficier d’un faible niveau de traitement –, et où le consommateur est absorbé par un film,
expérience de consommation fortement émotionnelle.
II – Apports de cette théorie pour l’étude de l’efficacité du placement de produits dans
les films
1. Le placement de produits
L’insertion payante de marques dans des supports de nature non commerciale, tels que des
films, des livres, des jeux vidéos, des programmes télévisés ou encore des œuvres d’art est
appelée « placement de produits » ou « placement de marques ». Bien que cette pratique se
développe fortement aujourd’hui au sein de ces différents supports, c’est dans le domaine
cinématographique qu’on la rencontre le plus. Plusieurs agences, aux Etats-Unis bien sûr,
mais également en France, se sont en effet spécialisées dans le placement de marques au
cinéma et les recherches académiques sur le sujet, en nombre croissant, portent
essentiellement sur ce support.
On rencontre dans la littérature les termes de « placement de produits » et de
« placement de marques ». Si les deux sont souvent employés de manière synonyme, le
premier a une signification plus large et comprend tous les placements possibles : les
marques, mais également les organisations, les produits génériques, les lieux… C'est à la
notion de placement de marques qu'il sera fait référence ici, c'est-à-dire à la présence d'un
nom de marque dans le film ou d'un produit facilement identifiable comme appartenant à une
marque donnée.
Balasubramanian (1994, p.30) qualifie le placement de produits de « communication
hybride », qu’il définit comme « toutes les tentatives payantes d’influencer le public pour
obtenir un bénéfice commercial en utilisant des communications qui projettent un caractère
non commercial ». Ainsi, le sponsor, parce qu’il paie pour ce message, est en mesure de le
contrôler mais, du fait du caractère discret, voire déguisé, de sa communication, bénéficie
cependant d’une forte crédibilité. Ces types de communication semblent avoir pour objectif de
rendre le message promotionnel indistinct du support de divertissement auquel il est associé
(Solomon et Englis, 1994). Ainsi, un placement de produits réussi met en scène le produit
comme un accessoire naturel et indispensable pour le personnage. Balasubramanian (1994,
p.30) note par suite que dans de telles circonstances, « les publics sont susceptibles de ne pas
être conscients de la tentative d’influence commerciale et/ou de traiter le contenu de telles
communications différemment de la manière dont ils traitent les messages commerciaux ».
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