le shofar revue mensuelle de la communauté israélite libérale de belgique N° d’agréation P401059 Février 2010 — n°311 / Chevat/Adar 5770 synagogue beth hillel bruxelles POURIM n°311 Février 2010 / Chevat/Adar 5770 N° d’agréation P401059 re v ue mensuelle de l a communauté isr aélite libér ale de belgique EDITEUR RESPONSABLE : Rabbin Floriane Chinsky REDACTRICE EN CHEF : Monique Ebstein COMITÉ DE RÉDACTION : Rabbi Abraham Dahan, Franscisco Bataller, Monique Ebstein, Rabbi Floriane Chinsky, Ralph Bisschops, Théo Füeg, Gilbert Lederman, Philippe Lewkowicz, Freddy Raphaël, Serge Weinber, Emmanuel Wolf Secrétaire de Rédaction : Giny Susswein Mise en page : www.inextremis.be Le Shofar est édité par la COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE LIBÉRALE DE BELGIQUE A.S.B.L. N° d’entreprise : 408.710.191 Synagogue Beth Hillel 80, rue des Primeurs, B-1190 Bruxelles Tél. 02 332 25 28 Fax 02 376 72 19 www.beth-hillel.org [email protected] CBC 192-5133742-59 RABBINS : Abraham Dahan et Floriane Chinsky président exécutif : Philippe Lewkowicz CONSEIL D’ADMINISTRATION : Président : Gilbert Lederman Avishaï Ben David, Ralph Bisschops, Monique Ebstein, Patrick Ebstein, Paul-Gérard Ebstein, Ephraïm Fischgrund, Josiane Goldschmidt, Gilbert Lederman, Willy Pomeranc, Elie Vulfs, Serge Weinber, Emmanuel Wolf. Les textes publiés n’engagent que leurs auteurs. Crédits photos : Serge Weinber Sommaire 05 LE MOT DU PRESIDENT EXECUTIF JUDAÏSME 07 Mieux vaut en rire, par Rabbi Abraham Dahan 09 T he significance of Purim in Judaism: the bright and the dark, par Francisco Bataller. 12 Quelques recettes de Pourim 14Faut-il croire pour prier? La liturgie juive, interview de Rabbi Abraham Dahan par Ralph Bisschops, Dr. Phil. 19Introduction à la littérature biblique et rabbinique, Compte-rendu d’une conférence du Rabbin David Meyer, 19 par Monique Ebstein 23Gershom Scholem (3), traduction par Monique Ebstein 28 Agenda 30«Car ils croient qu’ils sont ce qu’ils sont», Le petit caillou de l’humour contre la superbe du pouvoir, par Freddy Raphaël VIE COMMUNAUTAIRE 38Concert Rabbin Abraham Dahan-Mousta Largo à Beth Hillel le 5 décembre 2009. 39 Pourim à Beth Hillel (annonce) 30 40Pourquoi ai-je donc fait ma Bar-Mitzva et tout et tout…, par Théo Füeg 43 Carnet 43 Nouvelle activité: «le «Café klatsch des séniors» 43 La bibliothèque fait peau neuve LU POUR VOUS 44Par-delà le crime et le châtiment. Essai pour surmonter l’insurmontable, de Jean Améry (Serge Weinber) 45Les oubliés du Shtetl, de Y.L. Peretz (Monique Ebstein) 38 46Dictionnaire amoureux du Judaïsme, de Jacques Attali (Gilbert Lederman) 47J’avais 20 ans. J’avais connu l’enfer, de Benjamin Silberberg LIBRE OPINION 48 Vertus chrétiennes héroïques? Par Monique Ebstein ACTUALITE 49Jacques Chirac a remis le premier prix Ilan Halimi de la Tolérance et de la Fraternité, par Sarah Drai pour Guysen International News 49 51TRIBUNE DES LECTEURS 53 JEWISH HUMOR L e mot d u pr és i d en t TALMIDI Le Talmud Tora de Beth Hillel Tous les mercredis de 14h00 à 16h45 L E M OT D U PRÉS IDEN T E X ÉC U TI F le shofar Hanouccah, une résistance toujours d’actualité par Philippe Lewkowicz Chers amis, Le mot du président exécutif, comme celui du président du Conseil d’administration, mon ami Gilbert Lederman, sont des photographies instantanées de situations, qui traduisent une ambiance soit inquiète soit joyeuse au sein de notre communauté. Aussi à l’occasion de ce premier numéro de l’année civile, je crois utile de jeter un regard en arrière, et de constater que 2009 fut une période importante et difficile sur le plan séculier pour la communauté juive. L’année écoulée a mal commencé avec la manifestation anti-israélienne haineuse de janvier. La participation de nombreuses personnalités politiques et l’absence de condamnation de leur part des slogans antisémites proférés à cette occasion ont laissé une amertume certaine au coeur de nombreux membres du Ychouv. Il est possible que ce « laisser-dire » a créé une apparente immunité ouvrant la voie à la prolifération des actes anti-juifs tout au long de l’année. Il y eut aussi l’affaire Flahaut et la polémique suscitée par la nouvelle politique de communication du CCOJB. Heureusement de récentes rencontres ont montré les vertus du dialogue. Cependant tout n’est pas noir ou gris et la communauté juive de Bruxelles, bien qu’elle soit petite, peut se prévaloir d’une exceptionnelle richesse. En témoignent ses très nombreuses activités. Et Beth Hillel n’est pas en reste, pour ne citer que le récent concert du rabbin Dahan avec Mousta Largo qui connut un très grand succès. Espérons que 2010 sera plus serein. Mais on peut craindre qu’un point important de l’actualité de 2009 continuera à nous interpeller au cours des mois à venir. Il s’agit du projet de béatification du pape Pie XII. Notre communauté ne peut que s’associer aux différents communiqués et messages émis par tant d’organisations et d’intellectuels juifs de par le monde. On peut en tout cas dire que ces paroles ont été entendues puisque le porte- parole du Vatican en a accusé réception (La Libre Belgique du 24.12.2009). Mais le problème demeure, l’Eglise a beau affirmer que le titre de « saint » ne concerne que l’attitude « religieuse » du candidat et qu’en cela seulement il s’agit d’un exemple à suivre, il n’en reste pas moins que l’attitude « humaine» ne peut être laissée de côté. Je ne crois pas faire erreur en affirmant que c’est là l’enseignement premier de Jésus. Bien sûr l’Eglise est indépendante et souveraine dans ses choix, mais elle doit savoir qu’il peut y avoir des contradictions entre eux. Si le dialogue judéo-chrétien lui tient à coeur, que le pape actuel fasse comme son prédécesseur qui avait promis que ce dossier serait mis en attente jusqu’à l’ouverture des archives. Nous ne comprenons pas la raison de cette soudaine urgence à béatifier le pape de la seconde guerre mondiale. 5 L E M OT D U PRÉS IDEN T E X ÉC U TI F Peut être Pie XII pensait-il agir avec la discrétion et le secret qui auraient permis de sauver de nombreux Juifs de la main de Hitler, cet avatar d’Amalek. Si le secret actuel des archives devait le dévoiler, la communauté juive saura lui rendre hommage et justice. Mais nous sommes loin d’en être certains. Et ce que nous savons aujourd’hui nous incite à privilégier la seconde hypothèse. Il est de notoriété publique que Pie XII a écrit et s’est insurgé officiellement contre l’euthanasie des handicapés par les nazis. Mais jamais il n’a condamné solennellement l’holocauste, c’est à dire l’extermination totale des Juifs. 6 On nous a dit que les archives seraient ouvertes dans trois ans. On nous dit aujourd’hui qu’elles ne seront peut être pas prêtes dans ce délai. Et alors; face à un tel enjeu, que sont quelques années. L’attitude de Benoit XVI représente un choc pour la communauté juive, et nous nous devons de rappeler les marches en arrière que furent l’affaire Williamson et le demi échec de la visite pontificale à Yad Vashem. Le dialogue interconvictionnel est fondamental à Beth Hillel. A nos amis chrétiens, nous affirmons notre espoir que ce dialogue se maintiendra et s’intensifiera, mais nous leur disons aussi que nous ne fermerons pas les yeux et que nous ne pourrons jamais accepter une « interprétation falsificatrice» de l’histoire. Le régime hitlérien envisageait l’extermination totale de nos parents et nos grands- parents, ils ont payé le plus lourd tribut possible, nous leur devons d’être vigilants. Nous le devons aussi à nos enfants et à nos petits-enfants car l’apprentissage du devoir de mémoire fait partie intégrante de l’éducation juive. Sur un sujet infiniment plus léger mais plus proche de nous, je voudrais dire à nos amis du CCLJ que j’ai lu avec intérêt le n° 701 du Regards paru le 8 décembre dernier qui présente une analyse exhaustive du judaïsme laïc. Je dois regretter cependant que plusieurs articles insistent parfois agressivement sur une opposition entre le religieux et le laïc. Ils auraient pu dire, comme nous le faisons, qu’il y a plusieurs façons de vivre le judaïsme et que chacune est complémentaire de l’autre. Comme eux, mais avec une approche fondamentalement différente, le judaïsme « religieux » libéral a compris depuis bien plus longtemps l’importance d’inclure la pensée et la vie modernes dans une vie juive épanouie. Un rabbin américain note qu’il y a deux systèmes religieux qui coexistent : les auto-ségrégationnistes et les intégrationnistes. C’est un débat passionnant que nous devons poursuivre. C’est donc très logiquement que je terminerai en disant que sur le plan religieux, Beth Hillel fonctionne merveilleusement bien. Nos offices sont suivis et les fêtes attirent de plus en plus de monde. Nous célèbrerons bientôt Tou Bichvat et surtout Pourim qui attirent de très nombreux enfants. Sans nul doute ce succès est dû au fait qu’au-delà du rite, nos rabbins donnent du sens et expliquent l’enseignement actuel que l’on peut tirer de nos textes ancestraux. Venez nombreux, vous trouverez les annonces plus loin dans ce Shofar. A bientôt à Beth Hillel, Philippe Lewkowicz ■ le shofar J U DA Ï S M E Mieux vaut en rire Par Rabbi Abraham Dahan Pourim détonne par rapport aux autres fêtes juives. Nous sommes loin de la solennité, de la densité et de la conscience qui sont les marques de leur célébration et de leurs pratiques. mon enfance, au Maroc, il était de tradition de faire à Pourim un pain spécial, Boyos, des pains ronds en forme de visage avec, à la place des yeux, le nez et la bouche, des œufs que l’on s’amusait à crever! Le récit de la Meguilah donne l’impression d’une énorme farce. Ripailles et beuveries se succèdent et les personnages ressemblent à des caricatures. Le roi organise des festivités pour étaler sa gloire et sa puissance, le vin coule à flots, sans mesure ni limites. Son pouvoir - il règne sur 127 provinces – est sa seule préoccupation. Le sort des Juifs de son empire? Il n’en a cure et il est indifférent au projet criminel de son ministre Haman, le Hitler de sa génération, qui festoie avec ses amis pour tirer au sort la date d’extermination de la communauté juive de Perse. Quant à Esther, elle aussi organise dîner après dîner où elle invite le roi, inquiet de ses invitations soudaines, avec Haman seul. Le roi est inquiet, mais Haman éclate d’orgueil d’être invité avec le roi chez la reine. Cependant Esther a son idée… Même dans la liturgie de Pourim se retrouve ce manque de sérieux avec le tintamarre des battements de pieds et le bruit des crécelles pendant la lecture de la Meguilah. L’ensemble donne l’impression d’une vraie pièce de théâtre où l’absurde le dispute au burlesque et où les situations s’inversent comme dans une pièce de Molière. Les pratiques de Pourim illustrent bien l’irrationnel du récit. C’est comme un immense éclat de rire: déguisements, masques, jeux de hasard, mitsva de boire jusqu’à ne plus faire la différence entre Haman et Mordehaï. Dans Débordements hilares, carnavalesques, très loin de la manière et de la conscience qui caractérisent les autres fêtes. D’ailleurs, Pourim c’est la seule fête avec un nom non hébraïque. La Meguilah elle-même précise que le mot ‘Pourim’ signifie en persan les hasards, les sorts; comme pour suggérer l’aspect parfois apparemment absurde de la vie? L’absence du Nom divin dans tout le récit accentue cette impression. Alors que Kippour – kippourim - traduit l’âme juive, Pourim serait comme l’autre versant. Notez l’homonymie entre les dénominations des deux fêtes. Suggèrerait-elle le désir inconscient d’échapper, de sortir d’une histoire trop lourde? Il y a, dans la Meguilah d’Esther, comme une tragique incompréhension, la stupéfaction devant cette maladie des nations, vieille comme le monde et les hommes, que l’on appelle l’antisémitisme et qui conduira jusqu’à la Shoah. En même temps, une fine analyse de cette maladie: 7 J U DA Ï S M E 8 1) C’est dans les vapeurs de vin, les beuveries et les ripailles, c’est-à-dire en dehors de toute raison, que prend corps le sinistre projet de Haman (Meguilah). 2) L’antisémitisme naîtrait de la différence qui caractérise le peuple juif. Elle irrite, inquiète et excite: «un peuple dispersé qui n’a pas le même dieu que les Perses, pas les mêmes lois, et qui est donc dangereux». 3) La situation du peuple juif, peuple éclaté dans toutes les contrées de la terre, peuple qui se veut citoyen du monde et qui, par sa présence, transcende partout les nationalismes exacerbés et donc, qui inquiète. 4) La généralisation: on en veut à un Juif, Mordehaï, et on condamne tous les Juifs. 5) La raison économique, enfin, que l’on retrouvera tout au long de l’histoire: exterminez les Juifs et leurs biens seront la propriété du roi. Alors peut-être, pour conjurer la tragédie, mieux vaut en rire. D’où le côté carnavalesque de la fête… Le Talmud raconte qu’après la pendaison de Haman, le roi, intrigué par leur histoire tourmentée et leur indéfectible fidélité, invite les dirigeants de la communauté juive à un grand repas: - Dites-moi, Juifs, ce Dieu invisible à qui vous êtes si fidèles, que fait-Il pour vous? Devant le silence angoissé des Juifs, le roi s’énerve: - Quand vous arriverez chez Lui, pourra-t-Il au moins vous offrir un repas comme celuilà? Un rabbi se lève alors et répond: - Majesté, vous savez, quand on arrivera chez notre Dieu, s’il nous offre un repas comme celui-là, nous lui dirons que nous l’avons déjà mangé chez vous! Pourim agit un peu comme une soupape pour éviter, peut-être, que le fusible ne saute... Cependant, malgré l’incompréhension, le déchirement, le sentiment de néant et d’absence parfois, rien n’éteint, dans le peuple juif, l’espérance infinie, la volonté de sens et l’action. Alors que Hanoucca marque la conviction de l’éternité de l’esprit d’Israël, Pourim, à sa manière, par le rire, l’humour et la distance, raconte que nous dépasserons tous les Haman d’une Histoire qui n’en a pas manqué et qui n’en manque pas jusqu’à nos jours. ■ le shofar The significance of Purim in Judaism: the bright and the dark 1 By F. Bataller M. Purim is a rather unusual Jewish festival that evokes events that apparently took place around 450 BCE in the Persian Diaspora, nearly a century after many Jews had already returned to the land of Israel following their Babylonian exile. It is celebrated in Spring on the 14th day of the month of Adar, when the events in question are reported to have taken place and it is believed to be observed since the first century BCE. The story is told in the Book of Esther (Megillat Esther, or Megillah for short), which is believed to have been written in the third or fourth centuries BCE and is the last biblical scroll that was canonized into the twenty four books of the Tanakh or Jewish Bible. Even though it is a lesser festival than those established in the Torah (which explains why refraining from work during that day is not imperative), and even though the story of Purim is considered a fable by some (among other reasons because there are no outside historical records to provide evidence that the events took place), it is one of the most celebrated moments in the religious calendar of Judaism. It is commemorated, like Carnival is amongst many Western cultures at about the same period of the year, as a festive and merry occasion. However, there is an evident difference with Carnival, whose origins lie in the effort to consume and thus get rid of rich foods before Christian Lent (the parallelism with Pesach here is unavoidable, in spite of the absence of evident links), so as to initiate adequately this more austere, sedate and penitential period. Purim’s origin lies in the mandate to celebrate the survival from persecution in Persia at the time of King Achashverosh, which is prevented through the intervention of two Jews, Mordechai and his niece Esther, before the King, whom she soon marries. The persecution had been ordered by Haman, who was the King’s vizier, and who has become the epitome since then of enemies of the Jews. This is not the first instance of hate towards, and oppression of, the Jews as they had already suffered both in Egypt, whose Pharaoh had enslaved them and even ordered their first-born males to be killed (Exodus 1:16). However, the story of Purim or “Festival of Lots” (its name comes from the word “pur”, which means “lot” in Persian, in reference to the lots which Haman cast to decide on the date of his intended massacre) is the first recorded effort to wipe the Jews off the face of the Earth. 1 The author thanks N. Alfred, C. Einhorn and S. Bobrof for their comments to earlier drafts. 9 J U DA Ï S M E 10 Purim is a celebration marked by the fulfilment of some conventional duties, such as remembering the date and retelling the story for generations to come, and sending food to each other. Both of these duties are a clear reminder of Passover, one of the so-called Pilgrimage Festivals: the latter’s command to ensure that everyone can share in the paschal dinner and the call to remember Pesach (and to relive it as if it was happening today) are echoed in the Megillah’s commands even if the retelling of the story is more celebratory in the latter and doesn’t require the reader to feel as if they were an active participant in the story. Another, and perhaps more important parallelism with Passover, is the fundamental theme in both, and which also appears in Hanukah or the Festival of lights, which is freedom and liberation. Finally, the unusual twist of a Passover Haggadah in which the name of Moses is not mentioned even once runs parallel to the Megillah’s conspicuous absence of any reference to God! to get drunk on Purim (Amora Rava in Bavli Talmud Megillat 7b), to the point of not being able to distinguish between Mordechai (the good Jew in the Megillat) and Haman (the Jew hater in the story), as a rather extreme demonstration of the celebratory mood of the occasion. It is not easy to find a similar admonition among mainstream religions the world over! Significant as these echoes from Passover are, they are not the only characteristics that make the Purim story especially remarkable. There are two other idiosyncrasies that contribute further to making Purim somewhat exotic and rather unique. Both have to do with rituals and, particularly, with two unusual commands. Neither of them appears in the Megillah nor in the rest of the Tanakh, as they have been drawn up by the Sages in the Talmud. Yet, the apparently-festive nature of the Purim festival betrays its somber significance as a key episode in the history of the Jews as a frequently-outcast people never fully welcome and often unwelcome in the societies where it settles. In this regard, what makes Purim’s story particularly significant is as a precedent of many further persecutions that the Jews would encounter throughout their history and, most notably, the attacks they received during the First Crusade, their expulsion from Spain (after declining to convert to Christianity) and the ultimate persecution embodied in the Shoah, during which their total extermination was approached systematically. The first of these commands, which is highly cherished by children during the retelling of the Megillat, is to silence Haman’s name every time it is uttered (as an extension of the command in Deuteronomy 25:19 to ‘blot out the name of Amalek’, who was a forefather of Haman); in response, it is traditional for children to scream and make plenty of noise (and in earlier times throw small stones) when Haman’s name is heard during the reading of the Megillah. The second is the command What this shows is that, like Carnival, which takes place as the last occasion for merriment before the Christian faith relives Jesus’ fasting in the dessert ahead of being put on trial, Purim links religious and cultural aspects of Judaism with activities that are profane and festive. Thus, even though God is not mentioned even once in the narrative of the Megillah, the latter’s references to Judaism are not agnostic, as shown by the allusions to fasting and laying sackcloth and ashes (Megillat 4:3), which are hardly conceivable in a secular context. Equally significant is that Megillat Esther precedes Christianity by about 500 years, which helps disprove the frequently-held view that anti-Semitism essentially is a Christian-motivated phenomenon, which emerged from blaming the Jews as deicides, that is, as kill- le shofar ers of Christ, the Son-of-God. To the extent that the time of Esther predates the first Crusade, which is the first major episode of massive anti-Semitism in the Common Era, by over 1500 years, Megillat Esther leaves clear, that aside from the bondage in Egypt and the struggles for the conquest of Canaan (during which several peoples appear as sworn enemies of the Jews), there were already other peoples in what is now known as the Greater Middle East which didn’t welcome the Jews and persecuted them. Finally, the dark side of Megillat Esther does not conclude here. Following Mordechai’s and Esther’s intervention, Haman’s conspiracy is debunked and Haman himself is executed, so that the Jews are saved from extermination. However, something terrible, for at least today’s sensitivities happens at this moment: the Jews are given permission to take up arms and carry a pre- emptive battle against those that conceivably wished to kill them. And, in a vengeful narrative, they exercise this authorization by launching a brutal reprisal against their enemies (Megillat 9:5-10). Equally disturbing and somewhat puzzling, as it recalls in reverse form some of the saddest periods of Jewish history, particularly the autos da fe and the Inquisition, is the readiness of many of Haman’s followers to renounce their own beliefs, out of sheer fear for their lives, and to convert to Judaism thus avoiding persecution (Megillat 8:17). To sum up, both Megillat Esther and the Purim celebrations show that things are never as simple as they look, particularly in what pertains to Judaism and its history. In fact, they illustrate the multilayered nature, non-linear reading and sometimes puzzling and contradictory nature of Hebrew texts.■ 11 J U DA Ï S M E Quelques recettes de Pourim 12 Recueillies par Giny 1 - Les oreilles d’Aman 2 - Les Cigares Ingrédients : Pour la pâte 500 g de farine 2 oeufs entiers + 1 jaune 2 cuillères à café de levure chimique 125 grammes de sucre Sucre vanillé 1 cuillère à soupe d’huile 1 pincée de sel 250 grammes de margarine Ingrédients: 10 feuilles de brick 1 kg d’amandes 800 g de sucre 2 zestes de citron Vanille (1 paquet de sucre vanillé) Eau de fleur d’oranger (4 cuillères à soupe) Huile (pour la friture) 1 oeuf entier + 2 blancs d’œufs Pour la farce : 200 grammes de confiture, 100 grammes de raisins secs, 100 grammes de noisettes ou d’amandes moulues Préparation : Faire une fontaine avec la farine. Y mettre les oeufs entiers et le jaune, la levure, le sel, les sucres, l’huile, la margarine et un fond de verre d’eau. Pétrir. Préparer la farce : mélanger la farce. Etaler la pâte au rouleau, comme pour une tarte. Découper des ronds à l’emporte-pièce, avec un moule ou un verre. Y mettre un peu de farce puis souder les bouts en triangle. Mettre sur une tôle et cuire à four moyen, à 200 ° (thermostat 6-7) pendant 10 à 15 minutes. Préparation: Hâcher les amandes. Mélanger-les avec le sucre, la vanille, l’eau de fleur d’oranger et les oeufs. Mettre des morceaux de cette farce dans les feuilles de brik que l’on roule. Faire frire. Tremper les cigares dans du miel ou dans un sirop de sucre ou encore dans un mélange miel et sirop de sucre 3 - Pain de Pourim (Boyos) Tradition marocaine (voir le texte de Rabbi Dahan sur Pourim) Ingrédients : 1 kg de farine 1 cube de levure boulangère 3 œufs 1 c. à café de sel 1 c. à soupe de sucre en poudre 1/2 verre d’huile 1 grand verre d’eau tiède 9 œufs grains de sésame le shofar Préparation : Mettre dans un bol la levure, le sel, le sucre, l’huile, deux oeufs, et un grand verre d’eau tiède, et laisser reposer 10 min. Verser la farine dans une grande bassine et creuser un trou au milieu, dans lequel vous verserez la préparation. Pétrir ce mélange, jusqu’à obtenir une pâte légère, ajouter de l’eau tiède si il y en a besoin. Recouvrir cette pâte d’un torchon propre et laisser reposer. 2ème étape Une fois la pâte levée, pétrir à nouveau cette pâte pendant 5 min. Découper la de pâte en cinq parts, former des boules, couvrir et laisser reposer. Faire préchauffer le four Th° 5. Huiler une tôle. Prendre 1 boule de pâte et faire une galette pas trop épaisse, disposer par dessus 3 oeufs, décorer les avec des restes de pâte, disposer le sur la tôle,(vous pouvez mettre trois pains, par fournée) Laisser le pain lever, une fois levé, badigeonner la surface avec un jaune d’œuf, * et enfourner la tôle, le temps de cuisson dépend de chaque four, il faut qu’il soit doré et cuit à l’intérieur (environ 25 min). Avec cette préparation, vous pourrez obtenir 3 pains. Selon les goûts vous pouvez saupoudrer de grains de sésame. La coutume veut que chaque membre de la famille crève un oeil à Haman, celui-ci est représenté par l’œuf sur le pain et dire: «HAROUR AMAN»(Maudit Aman). Bon Appétit ! ■ 13 J U DA Ï S M E Faut-il croire pour prier ? La liturgie juive Interview de Rabbi Abraham Dahan par Ralph Bisschops, Dr. phil. Ralph Bisschops : La prière semble être intimement liée à la foi. Si l’on voit prier quelqu’un, l’on présume aussitôt qu’il est ‘croyant.’ Mais est-ce bien ainsi dans le judaïsme ? 14 l’étonnement devant l’infini des choses. Elle est la prédisposition à l’émerveillement. Cela nous rappelle le midrash sur Abraham, dont le père fut un marchand d’idoles1. Abraham se mit à se demander si une idole pouvait bien contenir la divinité et il est ainsi devenu celui Rabbi Dahan : A priori, oui, car la prière qui allait poser les vraies questions. Il se vit s’adresse au Créateur. Pourtant, si on deman- réprouvé par la tradition de son pays selon dait à la multitude de Juifs qui fréquentent la laquelle, par définition, un être bien pensynagogue s’ils ont la foi, sant ne questionne pas. sans doute leur réponse La racine est également Prier, c’est se juger, se ne serait pas toujours comprise dans le verbe affirmative. La prière regarder, se mettre devant pillel qui signifie « devijuive n’est pas seulement un miroir et se demander : ner, » « penser,» « imagiune question de foi. Je ner. » Prier c’est laisser « Ma vie, c’est quoi ? » crois qu’elle dépasse de aller son imagination. beaucoup ce contexte. Cette même racine est Une preuve en est la notion de «miniane», également à la base du verbe « juger » . Prier, c’est à dire l’exigence d’être au moins dix c’est donc se juger, se regarder, se mettre personnes pour dire la prière. Cela sou- devant un miroir et se demander : « Ma vie, ligne l’importance de la dimension sociale c’est quoi ? » Dans ce contexte les rabbis de la prière, le devoir d’être ensemble. Mais posent la question de savoir ce que cela veut la question reste toujours posée. D’ailleurs dire concrètement « aimer Dieu de tout son le mot hébreu pour « prière » mérite d’être cœur ». Et ils demandent: « Quel est le serregardé de plus près : le’hitpallel . C’est un vice qui se fait avec le cœur ? » Ils répondent : verbe pronominal qui signifie littéralement Le cœur est le siège de l’émerveillement. Gar« se prier,» « s’interroger. » La racine est pe, dons cette attitude ; restons un tout petit peu lamed, lamed, juger, imaginer. Or, une racine enfants. La prière, c’est le refus d’être blasé.2 proche: pe, lamed, aleph signifie pele, le miracle. La prière est tout d’abord la percep- Il existe une autre dimension de la prière: tion du miracle d’ «être». Pourquoi quelque elle est une évolution par rapport au culte chose existe-t-il plutôt que rien ? La prière est antique des sacrifices. Les rabbis ont 1 Bereshit Rabba : 28, 13 2 Taanit 20a le shofar déclaré que « la prière remplace les sacrifices ». Les sacrifices furent l’expression du sentiment religieux à un moment de l’histoire; très vite les hommes s’aperçurent qu’ils ne répondaient plus à leurs aspirations. En même temps cette évolution allait de pair avec la dispersion et l’exil. La prière deviendra un outil de rassemblement pour cimenter les communautés. C’est pour cette raison que les rabbis vont mettre la prière orale par écrit. R. B. : Vous dites, en vous basant sur l’étymologie, que prier signifie « se juger. » Mais est-ce qu’on peut vraiment percevoir la prière ainsi ? J’ai du mal à retrouver cet aspect dans nos livres de prière. Rabbi Dahan : La liturgie de Yom Kippour ne contient-elle pas des méditations sur la vie, la mort et la condition humaine ? C’est réellement se mettre devant un miroir de vérité, sans retouches et sans alibis. D’ailleurs, peut-on concevoir la prière, non pas seulement comme le ciment d’un peuple éclaté, mais comme une pédagogie qui vise à affiner la conscience ? Le midrash nous donne une très belle image : « La prière de l’homme n’est agréée que s’il se présente avec son âme dans la paume de sa main. » Il nous enseigne également que la prière n’est prière que lorsqu’elle est précédée d’une bonne action.3 Le culte sacrificiel instauré par Moïse allait d’ailleurs dans le même sens. Il n’est efficace que pour les fautes involontaires, ce qui indique un degré de conscience très aigu. C’est un véritable sculptage de l’humain qui m’amène à me scruter, à travailler sur moi-même. Ils est d’ailleurs requis que nos « paroles soit brèves devant le Saint béni soit-Il ».4 Ne les allonge pas, évite les adjectifs et les superlatifs. Avec l’exil, cependant, les formules pieuses vont proliférer. C’est contre elles que les premiers libéraux ont réagi. Ils ont abrégé la liturgie pour mettre en évidence les textes essentiels. Les exigences que les premiers rabbis posaient à la prière étaient à la fois sobres et sévères : « Que l’homme ne vienne pas prier par désœuvrement, ni par mélancolie, ni par légèreté. » La prière doit naître de la joie engendrée par une action réussie et bonne.5 Dans ma prière je n’exprime pas seulement un manque, mais j’apporte mon épanouissement. La synagogue n’est pas la cour des miracles ; il y a une exigence intellectuelle et humaine. R. B. : Il faut être dix pour certaines prières comme la kedusha. Il en est de même pour la lecture publique de la Torah et de la Haftarah6. Pourquoi la prière solitaire est-elle réprouvée? Rabbi Dahan : En effet, pourquoi l’exigence d’être dix ? Le Talmud pose pourtant la question : Si quelqu’un est seul, Dieu ne l’est-Il pas lui aussi ? Bien sûr, Il l’est. Cependant il faut être dix pour que la prière dépasse les mots de la prière, aussi vénérables, saints et prodigieux soient-ils. Quand on est ensemble, on peut faire beaucoup ; nous pouvons donner des ailes à notre prière et en faire un outil de réalisation. Dix personnes réunies, c’est beaucoup plus efficace et plus valable que cent personnes dispersées. L’idée est d’être ensemble pour construire. Et c’est vrai que l’organisation des communautés juives a permis la cohésion du peuple juif dans ses exils, malgré toutes les accusations et persécutions dont il fut l’objet. Ce fut une manière d’inverser l’infinie faiblesse en force. Mais il y a dans le Talmud une compréhension pour l’autre aspect des choses: si tu veux prier, rends-toi à la synagogue de ta ville. Si tu ne peux t’y rendre, prie dans ton champ7. Si tu 3 Berakhot 31 4 Berakhot 41 5 Berakhot, 31a 6 Lecture d’un extrait des livres prophétiques après la lecture de la Torah. 15 J U DA Ï S M E président du Beth ha-Midrach,10 et lui posa la même question. Celui-ci répondit d’attendre la prochaine réunion. Lorsque les sages furent réunis, Rabban Gamliel commença la leçon en disant à Rabbi Yehoshuah : « Il m’a été rapporté que tu enseignes que la prière du soir serait facultative. » Rabbi Yehoshuah essaya de s’en tirer avec de l’humour, mais sans succès. Gamliel lui dit : « Reste debout et qu’on témoigne contre toi. » Malgré son âge, Rabbi Yehoshuah resta debout. Les sages se dirent : « Cela ne peut plus continuer ainsi. C’est déjà la troisième fois qu’il cherche noise à ce malheureux ! » Ils ordonnèrent à l’interR. B. : Les obligations Dans ma prière je prète, chargé de traduire halakhiques concernant les prières sont, n’exprime pas seulement simultanément les débats en effet, nombreuses un manque, mais j’apporte académiques en araméen pour le peuple, d’interet contraignantes. Les mon épanouissement. rompre son travail et Raboffices doivent être ban Gamliel comprit qu’il célébrés aux mêmes heures où l’on apportait les sacrifices au était désapprouvé. Pour revenir à la question Temple: matin (shaharit), midi (minha), si la prière du soir est obligatoire, la halakha, soir (maariv8). Même si l’on ne prie pas en fin de compte, décidera en faveur de Rabdans une synagogue, cet ordre doit être ban Gamliel, parce qu’il fallait bien fixer les respecté. Nous y retrouvons peu l’élan choses. Mais en même temps, le traité talmudique Berakhot, dont nous tenons cette du cœur que vous venez d’évoquer. célèbre disputation, fait l’inventaire de ces Rabbi Dahan : Le Talmud s’adresse à des deux attitudes opposées. Donc, encore une hommes. Si l’on veut que la communauté fois, on ne dogmatise pas, on n’étouffe pas garde sa cohésion, la tentation se présente de la recherche. La question reste toujours vouloir fixer un cadre pour la prière. Parmi vibrante. les questions liturgiques, il en existe même une qui a occasionné chez les Tannaïm une Evidemment les rabbis vont essayer de dondissension tellement grave et spectaculaire ner à chaque prière ses lettres de noblesse. qu’elle est entrée dans les annales de l’his- Comme la prière succède au culte antique toire juive9. Un jour un disciple demanda à des sacrifices, les rabbis essaieront de la Rabbi Yehoshua si la prière du soir est facul- faire remonter à l’antiquité lointaine et ils tative ou obligatoire. Rabbi Yehoshuah, qui diront: « tefillot avot tiknoun (les prières ont était un vieux sage, répondit qu’elle est facul- été instituées par les patriarches ». Le verset: tative. Ensuite ce même disciple, peut-être un « Abraham se leva tôt le matin» (Gen. 22, 3) peu pervers, s’adressa à Rabban Gamliel II, le indiquerait qu’Abraham a instauré la prière ne peux pas prier dans ton champ, prie dans ta maison . Si tu ne peux pas prier dans ta maison parce que tu es malade, prie sur ton lit. Pour appuyer leur affirmation, les rabbis citent le verset (Psaume 4, 5). « Parlez-en dans votre cœur, sur votre couche, dans le silence,» sans mots, bien qu’ils soient quand même nécessaires. Pour résumer, cette perception très riche: La synagogue, c’est important ; mais on peut prier partout. La vision juive des choses n’est pas contraignante; il n’y a jamais de système fermé. Il est cependant vrai que la halakha a fixé les choses. 16 7 Shoher Tov 4 8 L’office de neïla (« fermeture des portes du Temple ») ne se pratique qu’à Yom Kippour. 9 Traité Berakhot 27b – 28a 10 l’académie rabbinique de Yavné. le shofar du matin (Avraham tiken et tefilat ha-shaharit), ce qui est un manière de mettre cette prière en valeur. Le verset « Isaac sortit vers le soir pour se promener dans les champs » (Gen. 24, 63) signifierait que c’est d’Isaac que nous vient la prière de minha. (lasouah) renvoie à la racine (siah) qui signifie converser. Isaac aurait « conversé » dans les champs. Conversé avec qui ? Il aurait prié. Quant à la prière du soir, elle trouverait son origine dans le verset : «Jacob quitta Ber Sheva, il alla vers Haran et arriva en un lieu, il s’y arrêta pour dormir parce que le soleil s’était couché » (Gen. 28, 10-11). Littéralement le texte dit « il toucha le Lieu ». Le mot « Lieu » est un des termes qui désignent Dieu. Les rabbis en concluent que Jacob avait prié après le coucher du soleil. l’attachement à la prière se trouve peut-être ailleurs. J’ai devant moi un très étrange commentaire de Rabbi Yitzhak à propos du verset 18 du Psaume 102. Le verset du Psaume se traduit comme suit « Il répond à la prière du vulnérable à l’extrême et ne dédaigne pas ses supplications. » Rabbi Yitzhak interprétait ce verset dans le sens que lui donnait sa génération, où il n’y avait déjà plus ni roi, ni prêtres, ni prophètes, ni Ourim ve-Toummim11 et où Israël était sans pouvoir aucun. Une seule chose restait à ce peuple sans souveraineté: la prière.12 La prière apparaît ici comme la maison, le refuge et l’ultime recours. R. B. : Vous aviez dit toute à l’heure que la prière ne devrait pas résulter seulement d’un manque, mais devrait exprimer notre épanouissement. D’autres, par contre, tiendraient la prière pour une expression d’humilité. R. B. : Cela veut-il dire que les rabbis ont essayé de dissocier les heures de la prière de celles des offrandes sacrificielles ? Or, ce furent bien les heures A la fin des offices de des offrandes qui Shabbat nous récitons déterminèrent celles de le « ein k-eloheinou » et la prière. Rabbi Dahan : La notion d’humilité a été élaborée par les rabbis d’une façon qui illustre cette faculté à vouloir structurer la prière tout en se méfiant que nous traduisons Rabbi Dahan : Ils ont de la tentation de trop communément par « Il fixer. Il y a ce verset de voulu démontrer que la prière a sa racine profonde n’y a pas de Dieu comme la Mishnah qui dit: « Ne dans l’Ecriture. Bien fais pas de ta prière une sûr, ce n’est pas du tout notre Dieu. » Dans l’esprit chose fixe13 (kevah), » logique. Cette démarche c’est à dire une routine ou des rabbis on pourrait s’inscrit non pas dans un automatisme. Evidemcependant dire : « ein une logique, mais dans ment les rabbis, devant une éthique, une volonté ce texte, se sentiront un eloheinou », de refaire l’homme et le peu troublés. Qu’est-ce il n’y a pas.... monde selon la manière que cela veut dire kevah ? dont on les rêve. La logique, on s’en méfie. Car, dans la liturgie, la routine est incontourElle est perçue comme intéressante mais pas nable. Il interpréteront cette phrase dans un comme déterminante. Mais la vraie raison de autre sens : « une chose fixe » signifierait « 11 Par ces termes, dont le sens reste imprécis, on entend communément les pierres précieuses contenues dans le pectoral du Grand Prêtre. Ils servaient à consulter l’Eternel pour connaître sa volonté. 12 Lévitique Rabbah : 30, 3 13 Berakhot, 29 17 J U DA Ï S M E une prière qui n’est pas supplication, humilité devant le Créateur. » Que l’homme reste conscient de son infinie petitesse par rapport à l’infini de Dieu. Les exigences qui portent sur la prière sont multiples : qu’elle soit émerveillement, qu’elle exprime la joie à la suite d’un acte positif. Au fond ces deux aspects relèvent de la même chose : je positive ma vie ! Quant à l’émerveillement, il est tissé d’humilité devant l’infini des choses. Ces aspects se complètent comme dans un tableau. R. B. : Pour conclure je voudrais bien revenir à la question initiale de cet entretien : Faut-il croire pour prier ? Je n’y vois toujours pas clair. 18 Rabbi Dahan : A la fin des offices de Shabbat nous récitons une prière qui commence par le verset ein k-eloheinou et que nous traduisons communément par « Il n’y a pas de Dieu comme notre Dieu. » Dans l’esprit des rabbis on pourrait cependant dire : ein eloheinou, il n’y a pas.... R. B. : Mais le verset dit bien « ein k-eloheinou, » (il n’y a rien comme notre Dieu) le préfixe caf signifiant « comme ». Rabbi Dahan : Oui, mais grammaticalement cette expression est un peu fragile. S’il n’y avait que cette phrase je ne dirais rien ; je dirais que je suis fou. Mais il y a d’autres repères qui retracent les mêmes vibrations. Le dix paroles notamment ouvrent à la même perception. Dieu s’y révèle comme libérateur, point à la ligne. Et dans la parole suivante il ordonne: « Ne fais pas d’images et pas de discours ; tais-toi ». On rencontre cette même réticence dans le verset où Dieu dit à Moïse « Tu ne peux voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre » (Ex. 33, 20). On la retrouve également dans «Lévitique» 16,2 où Dieu dit à propos d’Aaron : Qu’il n’entre pas à tout moment dans le sanctuaire puisque c’est dans la nuée que j’apparais. Qu’il ne s’attende pas à un spectacle, il n’y en a pas. Il n’y a rien à voir. On voit également cette réticence dans la formulation inouïe par laquelle Dieu se révèle lorsque Moïse Lui posa la question: «Quand les anciens d’Israël me demanderont au nom de qui je viens, que dois-je répondre ? ». Dieu répondit par un futur: « Je serai qui je serai ». Il se révèle comme devant advenir. On voit cette même réticence dans la kedushah, un texte écrit par les rabbis et qui forme le cœur de tout office religieux : kadosh, kadosh, kadosh « Tout autre14, tout autre, tout autre est l’Eternel Tsebaot. » L’imagination peut porter sur l’univers, mais elle doit s’abstenir de s’aventurer sur la notion de Dieu. C’est en cela que certains chemins mystiques sont suspects. Suit le verset: « La terre est pleine de sa gloire15, » cependant les anges demandent l’un à l’autre : « Où est le lieu de sa gloire ? » Et ils continuent : « Bénie soit la gloire de Dieu de là où Il est. » Cela veut dire que nous ne savons pas. Non seulement il n’y a pas d’images et pas de discours, mais un infini « je ne sais pas. » Ce n’est pas de l’ordre de la preuve et de la théologie. Il n’y a pas pour moi de théologie; on n’étudie pas Dieu, on n’en discute pas. La seule chose que nous avons, c’est la Torah: un chemin, des règles de vie. Ce sont elles qui témoignent de Lui, non pas mes mots, ni mes visions. Ce qui importe n’est pas ce que je crois, mais ce que je fais. ■ 14 Généralement le mot kadosh se traduit par « saint ». La racine latine traduit la même notion que celle de kadosh et désigne littéralement ce qui est « mis à part, » consacré à autre chose. Le verbe lekadesh signifie « mettre de côté. » 15 Littéralement : son ‘poids’ le shofar Introduction à la littérature biblique et rabbinique Compte-rendu d’une conférence du Rabbin David Meyer Le séminaire du R. David Meyer au Service social juif, s'est ouvert cette année par une conférence qui aborde un sujet complexe et d'une grande importance pour celui qui se pose des questions à propos de l'interprétation des textes. Nous avons pensé que ces réflexions seraient un guide utile permettant de mieux en connaître les différentes voies. 19 La tradition juive est connue pour sa capacité infinie d'interpréter les textes. Comment se structurent les réflexions des rabbins ? Entre Midrash, commentaires bibliques, Talmud et codes halakhiques, comment retrouver son chemin et suivre l'évolution d'une pensée cohérente dont la référence principale demeure le récit de la Tora ? La pensée rabbinique n'est pas simple. Elle est constituée par un océan d'écrits peu accessibles, car ils sont la plupart du temps en hébreu, souvent en écriture de Rachi, et nécessitent des connaissances approfondies avant même d'en aborder l'interprétation. Deux approches sont possibles pour interpréter un texte. Tout d'abord l'approche traditionnelle qui consiste à poser comme préalable: "Toute la Tora a été donnée au Sinaï", c'est à dire Moïse y a reçu non seulement les deux Tables, mais également tous les Ecrits du canon biblique (Ketouvim), ainsi que toute l'interprétation de la Loi orale. Rien ne s'est ajouté à ce qui a été donné au Sinaï. Il y a à, une volonté de croire à la perfection du texte. La deuxième approche est l'approche critique et scientifique, issue des Lumières et de la Science du Judaïsme, qui considère que la pensée a évolué au cours des âges. Cette lecture critique met en question les Ecrits postérieurs à la Tora, c'est à dire les Prophètes, les Rois ainsi que la tradition orale qui s'est modulée selon les lieux historiques où ont vécu les Juifs: Babylone, Alexandrie, l'Europe. L'approche critique concerne la littérature biblique et rabbinique, et peut aller jusqu'à mettre en cause la Révélation. Il y a divergence entre d'une part l'approche traditionnelle selon laquelle il y a eu Révélation, et pour qui les textes sont parfaits, et d'autre part l'approche critique et scientifique qui n'attribue pas les textes à Dieu mais à différents auteurs. Dans ce cas, quatre-vingt- J U DA Ï S M E dix pour cent des commentaires rabbiniques se verraient dépourvus de sens, puisqu'il n'y a pas lieu de critiquer un texte parfait. Selon l'approche critique, il y a quatre sources aux Ecrits: les sources élohiste, yahviste, lévitique (postérieure au Temple, puisque avant l'ère du Temple il n'y avait pas de prêtres), et enfin la source deutéronomique. En effet, le dernier livre de la Tora est une répétition des récits contenus dans les livres antérieurs et Moïse y décrit sa propre mort. Dans le Livre des Rois, on voit même que les ouvriers du Temple découvrent un livre "perdu" qui aurait été réintégré. ****************** 20 Les différentes catégories de textes bibliques: Nous avons les textes révélés, ce sont ceux de la Tora, et ils sont parfaits, les textes inspirés, c'est à dire les textes prophétiques qui se situent à un autre niveau de sainteté, et enfin les textes de sagesse inspirée (Ketouvim ou Hagiographes). Les textes révélés "... n'utilisent aucune voyelle. Seules les consonnes forment les mots, ce qui rend la lecture difficile et nécessite une bonne préparation pour savoir lire et "cantiler" correctement. "Il n'existe pas non plus de ponctuation. Rien ne signale le rythme ni le passage d'une phrase à l'autre; points et virgules sont totalement absents. Rien ne vient interrompre le flot des vocables, si ce n'est de temps à autre, des espaces blancs, des vides d'écriture qui apparaissent à l'oeil non habitué comme des trous au sein même de l'écriture. Le texte entre deux espaces blancs se nomme Paracha, c'est à dire "passage". La séparation entre les livres de la Tora est marquée par un espace de quatre lignes." "La Structure du Texte de la Tora" (Le Sefer Tora – Marc-Alain Ouaknin) 1 Shabbat 13b Etant donné qu'il est impossible de lire le texte original, il est nécessaire d'avoir une interprétation rabbinique. C'est pourquoi Dieu a donné le texte plus la sagesse pour l'interpréter. Les Rabbins utilisent les Prophètes pour étayer leurs commentaires. Or, souvent le Prophète se plaint à Dieu d'être considéré comme une marionnette privée de son libre arbitre. (Jonas, Isaïe, Jérémie. Même Moïse avoue avoir des difficultés à s'exprimer). Les Ketouvim ,ou écrits historiques selon la tradition rabbinique, génèrent une certaine sagesse. Le Talmud se pose la question: doit-on les inclure ou les exclure du canon biblique, puisqu'ils sont différents des textes révélés ? La discussion à ce sujet se trouve dans le Talmud, comme par exemple à propos de Qohélet (l'Ecclésiaste), des rabbins y débattent pour savoir si ce texte doit rester dans la Bible, car il contient des affirmations contradictoires, allant jusqu'à une philosophie parfois nihiliste. Cependant, ils décident que ce texte doit rester dans le canon. "Il en va de même pour les Proverbes. Et il existe plus que des allusions concernant les incertitudes qui ont accompagné l'insertion du rouleau d'Esther dans le canon biblique. Plus encore, même au sujet du livre du grand prophète Ezéchiel, il y eut contestation et on chercha à l'enfouir "car ses paroles contredisent les paroles de la Tora1 jusqu'à ce qu'ils (les rabbins) aient réussi à aplanir les contradictions à l'aide de l'interprétation midrachique." Ils incluent le Cantique des Cantiques qui pourrait se lire comme un poème érotique, mais qui, "grâce à l'allégorie, a été doté d'une signification qui le rend infiniment précieux dans la conscience juive traditionnelle" car il peut aussi être lu comme un poème célébrant les relations de Dieu avec Israël. De même, Job malgré son réquisitoire violent contre Dieu, doit rester inclus. Par contre ils excluent les Maccabées qu'ils considèrent comme un récit militaire qui n'apporte pas de supplément de sagesse. le shofar "De là découle un enseignement d'une importance considérable: l'édifice de la foi dans le judaïsme ne repose pas sur la Bible comme une donnée immédiate sur laquelle se fixe la croyance. Au contraire, c'est l'examen critique de la foi par nos maîtres qui a modelé le visage de la Bible en tant que livre de foi sainte. En d'autres mots, la Tora écrite ne reçoit son autorité que par la force de la Tora orale." (Y. Leibowitz , "Devant Dieu", Cerf, Paris, 2004, p59) Littérature rabbinique Comment se fait une lecture juive de la Bible ? La Tora est écrite sur un parchemin, c'est à dire sur un support fait avec la peau d'un animal mort. Pourquoi avoir écrit la Tora sur un parchemin impur ? Peut-être pour éviter l'idolâtrie du texte. C'est parce qu'il a vu le veau d'or que Moïse a brisé les Tables: il ne voulait qu'elle soient idolâtrées. Autre source d'impureté, mais intellectuelle cette fois. Il faut qu'il y ait une distance entre le texte et moi. En effet puis-je aborder le texte les mains nues ? Ou ai-je besoin d'un intermédiaire qui garantisse la distance, comme le yad2 ? De toute façon, ce que je lis n'est pas ce qui est écrit, mais c'est l'interprétation du texte par un intermédiaire. Or les commentaires de la Tora sont une approche, mais cette approche est-elle respectueuse de la distance qui éloigne de l'impureté ? Il faut se méfier des dangers d'une lecture, sans intermédiaire et sans distance, qui se proposerait de "posséder" le texte. Lévinas écrit: "C'est à partir de la main qui touche au rouleau de la Tora dénudé que les mains sont déclarées impures. Mais pourquoi ? Est-il sûr que la nudité du rouleau signifie seulement l'absence d'enveloppe autour du parchemin ? .... La main n'est-elle qu'une main et non pas aussi une certaine impudence de l'esprit qui se saisit d'un texte sauvagement, sans préparation et sans maître, abordant le verset comme chose ou comme allusion de l'histoire dans la nudité instrumentale de ses vocables sans se soucier des nouvelles possibilités de leur sémantique que la vie religieuse de la tradition a patiemment dégagées ? Sans précautions, sans médiations. Histoire parsemée de contingences, mais qui est l'ouverture d'horizons où la vieille sagesse des Ecritures révèle seulement les secrets d'une inspiration qui se renouvelle. Touchées avec l'impatience de la main affairée qui se dit objective et savante, les Ecritures, coupées du souffle qui vit en elles, deviennent des mots onctueux ou faux ou médiocres, matière pour doxographes, pour linguistes et pour philologues. ...... On peut se demander en effet si le monde moderne, dans son déséquilibre moral, ne subit pas les conséquences de cet abord droit d'un texte que sa droiture scientifique précisément dénude et appauvrit, malgré toute la bonne réputation qui, dans l'accès aux choses du monde – aux choses où com-prendre signifie encore saisir ensemble – s'attache à la droiture. Il est peut-être parfois nécessaire dans le monde d'aujourd'hui de se "salir les mains" et l'on ne saurait mépriser les vertus propres à la "recherche objective" s'appliquant aux Saintes Ecritures. Mais la Tora échappe à la main qui prétend la tenir découverte." "A l'Heure des Nations", Les éditions de Minuits, Paris, 1988, p 33 Si j'accepte de ne "pas posséder" le texte, j'accepte une sagesse intermédiaire entre le texte et moi. S'il y a un intermédiaire qui interprète, il ne doit pas se contenter d'être un répétiteur: il doit aller plus loin. Nous avons l'exemple de Nahmanide qui cite Rachi, puis ajoute: "Voilà ce que moi je pense", puis tient compte des autres commentaires. Quant à Lévinas, il ne met aucun commentateur de côté, mais rajoute sa propre interprétation, car il n'y a pas de lecture possible pour qui se contenterait de dire: "Un tel a dit..." Selon Léon Ashkénazi, "...il est une façon juive, spécifique, unique de lire la Bible – la Bible dans son texte hébreu, bien sûr -, façon juive, tradition juive de lecture, d'étude, d'insertion dans la vérité du texte, qui depuis près de trois millénaires, minutieuse, fervente, vivante, s'est 2 yad: main en bois ou en métal que tient l’officiant pour suivre le texte lorsqu’il lit dans le rouleau de la Tora. 21 J U DA Ï S M E 22 transmise d'âge en âge, de maître à disciple, de père en fils, fortifiée par les études, la prière et la méditation de cent générations qui ont consacré à la Loi de Dieu, insérée dans la réalité quotidienne, le meilleur de leurs jours et de leurs nuits, de leur intelligence, de leur coeur et de leur être. Cette lecture, cette étude, c'est certainement l'expérience la plus importante de la vie spirituelle juive. Pourquoi donc cette étude et cette lecture sans cesse renouvelées ? D'une part, parce que l'une des profondeurs de la réflexion humaine porte sur la rencontre de la personne et de la Loi, c'est à dire la vérité. Cette rencontre est un des drames de la conscience humaine. Mais, du fait que la Loi est la Loi, que la vérité est la vérité, elle infiniment supérieure à moi. Nous sommes, nous hommes, nous l'homme, infiniment supérieurs à la Loi, car la Loi met en oeuvre des principes impersonnels; oui mais, du fait que la Loi est la Loi, que la vérité est la vérité, elle est infiniment supérieure à moi. Ce drame de la conscience ne peut alors être résolu que par des solutions de mutilation: ou bien l'on préfèrera sacrifier la Loi à la personne, ou bien l'on préférera sacrifier la personne à la Loi. Mais avec Abraham, ce problème a complètement éclaté: Abraham a révélé à l'humanité que la rencontre de la Loi n'est pas la rencontre d'un monstre impersonnel, mais la rencontre de Quelqu'un qui, par la Loi, fait connaître Sa volonté. Dans notre rapport avec la Loi – c'est là un des points de la réflexion mystique juive commun à toutes les écoles – il ne peut y avoir de panique, de tragique. Nous savons que nous ne sommes pas mesurés à des principes – alors en effet ce serait tragique, et l'échec de l'aventure grecque réside peut-être en cela – mais à une personne qui a voulu que la Loi soit ce qu'elle est." La Parole et l'Ecrit" Ed. Albin Michel, Paris, 1999, Vol I, p.55 La Tora commence avec l'histoire de l'humanité. Elle est un livre de rencontre entre l'Histoire et la Loi. Si on sacrifie la Loi au bénéfice de la personne, on en arrive au christianisme. Si on sacrifie l'homme au bénéfice de la Loi, on aboutit au fanatisme. La lecture juive est la rencontre de la lecture humaine et de la Loi. La Tora écrite n'est pas strictement définie puisqu'on en a supprimé des livres. La tension entre l'individu et la Loi se manifeste par le fait que les commentaires des textes juifs appartiennent soit à la Halakha ou Loi à proprement parler, soit à la Aggada, plus flexible. Cette dernière est une réflexion tous azimuts qui tient compte de l'expérience de l'homme, mais permet à chacun d'apporter sa propre interprétation. A quoi sert la Aggada ? Après avoir lu la Aggada, il faut relire le texte biblique et voir si ma lecture est influencée par les commentateurs, et/ou si j'apporte une nouvelle interprétation. Il n'y a pas de frontière imperméable entre la Aggada et la Halakha. Comment créer des liens et des ponts ? Voilà ce que nous enseigne A.Y. Heschel: La Halakha représente la volonté de façonner sa vie selon un schéma établi, c'est une force qui met en forme. Alors que la Aggada est l'expression de l'effort incessant de l'homme qui souvent défie toutes les limites; la Halakha rationalise et schématise la vie, elle définit, spécifie, institue, mesure et limite, et place la vie dans un système rigoureux. La Aggada traite des relations ineffables de l'homme à Dieu, à ses semblables et au monde. La Halakha s'occupe des détails de chaque commandement individuel, tandis que la Aggada s'occupe de la vie en son entier, de la totalité de la vie religieuse. La Halakha traite de la Loi, la Aggada du sens de la Loi. La Halakha traite de sujets qui sont pris au sens littéral, tandis que la Aggada nous introduit dans un domaine qui dépasse les limites du langage. La Halakha nous apprend à accomplir les actes quotidiens, mais la Aggada nous montre comment prendre part au drame qui se joue éternellement. La Halakha prescrit, la Aggada suggère. La Halakha prononce des décrets, La Aggada inspire. La première fixe les limites, la seconde procède par allusions. Soutenir que l'essence du judaïsme réside exclusivement dans la Halakha est aussi erroné que d'affirmer qu'elle se trouve uniquement dans la Aggada. La relation entre elles est au coeur même du judaïsme. Sans la Aggada, la Halakha est chose morte, mais sans la Halakha, la Aggada s'égare dans toutes les directions. texte repris pour la traduction française dans "Siddour Taher Libénou", Paris, 1997, p 556 ■ le shofar Gershom Scholem (1897-1982) Par Monique Ebstein C’est à présent le 3ème n° Munich en 1922, je rendu Shofar où nous prétrai à Berlin. J’appris sentons ce grand penqu’un vieux monsieur seur et chercheur juif qui avait été le disciple allemand du 20ème siècle du grand historien juif, Heinrich Graetz, y Gershom Sholem. Sa vie vivait. Il avait la répufut extrêmement riche tation d’être en Allenon seulement à cause magne le seul érudit de des découvertes auxsa génération à s’être quelles ses recherches intéressé à la mystique le conduisirent, mais juive et à avoir publié aussi à cause de ses des articles dans difféconvictions politiques rents ouvrages. C’était et de son engagement un vieux monsieur de 82 sioniste. C’est pourquoi, ans qui avait été rabbin à dès 1923, il quitta l’Allemagne pour la Palestine. Dans la séquence Posen. Presque tous les Juifs avaient quitté que nous traduisons ici, il raconte les la Posnanie après l’occupation polonaise, débuts de la société en train de se dévelop- et ils s’étaient établis à Berlin ou à Breslau. per dans ce qui deviendra en 1948 l’Etat Ce vieux monsieur avait choisi Berlin. J’allai d’Israël. Il nous initie ensuite au travail lui rendre visite. Il m’accueillit avec chaleur, c’était un homme vif et spiqui fut celui de toute sa vie: l’étude de la mystique juive. «Quoi, vous vous rituel. Je fus enthousiasmé me montra sa biblioimaginez que j’ai lu lorsqu’il thèque. Il était le seul rabbin Je rappelle que ce texte est la transcription et la traduc- toutes ces sottises ?» allemand qui possédait un grand nombre de livres et une tion d’un enregistrement par Gerschom Scholem lui-même, sur deux collection de manuscrits de la Cabale. Il me CD-Rom où il raconte les étapes impor- fit tout voir et je lui dis plein d’un enthoutantes de sa vie, et où il nous parle de son siasme juvénile: «C’est fantastique, monsieur oeuvre. Cet enregistrement a été réalisé en le Professeur, de penser que vous avez étudié tous ces livres !» «Quoi, me répondit le vieux 1967, il avait alors 70 ans. monsieur, vous vous imaginez vraiment que j’ai lu toutes ces sottises ?» ********* Au coeur du sujet Il faut à présent que je vous raconte une histoire. Après avoir passé mon doctorat à Ce fut là un des moments importants dans ma vie. Je compris que cet érudit qui avait publié des travaux au sujet des courants de 23 J U DA Ï S M E 24 la Cabale dans le judaïsme, n’avait pas fait pait les Juifs en Europe, on voulut préparer, de recherches personnelles, que ses études ou tout au moins essayer de préparer une vie s’étaient contentées de s’appuyer sur des nouvelle. Tout, absolument tout ce que nous écrits antérieurs, et qu’il ne s’était pas donné voyons aujourd’hui en Israël est le résultat de la peine de plonger au coeur du sujet. Je com- cet élan, de l’esprit qui nous inspirait et nous pris que beaucoup, pour ne pas dire tout, animait, c’est à dire la prise de conscience restait à faire dans l’étude de ce domaine qui d’une situation où les Juifs n’avaient pas répondait profondément à mes aspirations d’autre possibilité que de compter uniquepersonnelles. C’est alors que je commençais ment sur eux-mêmes. à percevoir que mes études allaient prendre une nouvelle orientation, et lorsque, en 1925, Je voudrais encore ajouter ceci. Tout de je fus appelé à l’Université de Jérusalem, tout suite après la guerre, en 1946, je fus envoyé d’abord comme assistant, puis comme chargé en Allemagne par les instances israéliennes. de cours, plus tard comme professeur, j’eus J’y ai effectué une mission assez longue dont l’opportunité durant les dizaines d’années où le but était de voir ce qui restait des biblioje donnais des conférences devant un public thèques et des collections juives ayant apparplus jeune que moi, de me faire une idée tenu aux grandes institutions du judaïsme claire, tout au moins plus claire, de ce que allemand, et ce qui pouvait encore en être je découvrais: une littérature surabondante, sauvé après la période national-socialiste. Les nazis avaient saisi toutes un courant spirituel d’une « une expérience les collections publiques et énorme importance qui devait privées des Juifs. Les Juifs encore être examinés, analyétrange et eux-mêmes furent assassinés, sés et mis en valeur dans une inoubliable.» par contre les nazis confisperspective objective et histoquèrent leurs bibliothèques rique. Or c’était justement ce que pour ainsi dire personne n’avait jusque là en vue de trouver un lieu unique pour les entrepris sérieusement. C’est donc ce que je rassembler, Munich ou Francfort. Les nazis fis à partir de 1917, lorsque j’abordai pour la se querellaient au sujet de la ville qui finalepremière fois cette matière, et jusqu’en 1967 ment aurait le droit d’héberger ces livres. Ils c’est à dire pendant 50 ans, dont 40 passés avaient l’intention de créer une très grande à enseigner l’histoire de la mystique juive à collection de littérature juive, et ils espéraient que, grâce à des études approfondies, l’université. ils arriveraient enfin à déchiffrer définitiveSimultanément, au cours des années’20 et ment les secrets des Juifs: c’est pourquoi leur ‘30, pour ne pas parler des années ‘40 qui politique était de ne pas détruire les livres, ont été celles de l’extermination des Juifs et mais de les concentrer en un seul lieu. Aussi à de toutes ses horreurs, j’ai été le témoin du la fin de la guerre, y avait-il un nombre extrêtravail dont le pays d’Israël a été le chantier. mement important de collections d’ouvrages J’ai été témoin des immenses difficultés de en plusieurs endroits, surtout aux alentours nature technique, psychologique et sociale de Francfort, qui étaient empilées dans des liées aux douleurs de l’enfantement de cette châteaux au bord du Main. J’ai pris une part vie nouvelle. La tâche à laquelle nous nous très active à la recherche de ces livres juifs, étions attelés n’était pas une tâche facile, loin j’ai essayé de les rassembler et d’en envoyer de là ! Mais nous avions tous la certitude que une partie en Israël et une partie à des instic’était la seule voie qui restait ouverte aux tutions juives à travers le monde. Nous parJuifs, vu la singularité de leur situation. Au tions de l’hypothèse que selon toute vraisemcours des années de la catastrophe qui frap- blance il n’y aurait plus jamais de possibilité le shofar pour les Juifs de vivre en Allemagne une vie véritablement productive après l’extermination des Juifs allemands, mais que leurs livres tout au moins devaient être acheminés vers des lieux où ils pourraient être utiles et permettre des recherches et de nouvelles publications. Cette entreprise m’a ramené en Allemagne à plusieurs reprises au cours d’un certain nombre d’années, et dans l’ensemble elle a bien réussi. C’était en Allemagne, en 1946 et ce fut la seule période de ma vie où, en portant l’uniforme américain, je fis l’expérience de ce que signifie «appartenir à la classe au pouvoir». Expérience étrange et inoubliable. J’aimerais à présent vous parler de mon travail. Et pour commencer, vous expliquer brièvement ce qui m’a amené aux études et aux recherches de ces 40 à 50 dernières années, à ce qui en fut le centre, et quel a été l’objet de mes travaux et de mes écrits. Bien que mes disciplines de départ aient été les mathématiques et la philosophie, l’essence de ce qui m’attirait n’était pas tellement la pensée et la philosophie juives, mais bien plutôt le monde de l’imaginaire dans le judaïsme. C’est un monde dont les Juifs, au temps de leur émancipation, c’est à dire au 19ème siècle, avaient partiellement ou même totalement perdu conscience. A cette époque, on aimait qualifier le judaïsme de «monothéisme prophétique» ou d’un autre terme conforme à la conception religieuse éclairée du 19èmes. Le monde des images, des mythes et des représentations de l’imaginaire n’avait pas seulement disparu de la conscience des Juifs, mais aussi de celle des non-juifs. En effet, «Les Lumières» et l’identification des Juifs aux Lumières avait donné une certaine idée du judaïsme qui n’était pas nécessairement conforme à la réalité. Certes, les non-juifs connaissaient ce monde depuis 25 30 véhicules de remplacement boîte manuelle 5 véhicules de remplacement boîte automatique 2 camionnettes Disponibles et gratuits Dépannage gratuit sur Bruxelles Prise et remise à domicile gratuite Nous sommes »conventionnés » par la totalité des compagnies d’assurances Rue de Boetendael, 132 - 1180 UCCLE Tel 02.345.60.88 - Fax 02.343.55.66 www.fadanlongchamp.be J U DA Ï S M E 26 bien longtemps, mais s’il leur était familier le monde des légendes populaires juives, et c’était un sujet de polémiques. On parlait du de la Cabale c’est à dire de la mystique juive, monde des «fables que racontaient les rab- est l’une des réussites les plus importantes bins», et ceux qui acceptaient et appréciaient de ce que l’on a appelé au début du siècle, le domaine de l’imaginaire dans d’autres «la Renaissance juive». Cette re-découverte domaines religieux, comme par exemple la a changé de façon importante et décisive gnose, perdaient toute impartialité lorsqu’il notre perspective de tous les domaines du s’agissait du monde juif, de l’imaginaire qui y judaïsme. Cette redécouverte a d’abord correspondait dans le monde juif. Je vais vous intéressé des personnes qui, issues de la donner un exemple particulièrement signi- tradition juive, s’en étaient fortement détaficatif de l’aveuglement des gens pour ce qui chées, cependant pas suffisamment pour ne touche à l’imagination et au monde de l’imagi- pas avoir gardé une compréhension de ce naire dans le judaïsme: le livre le plus connu et monde de l’imaginaire, des personnes pour ayant la plus mauvaise presse parmi tous les la plupart issues du judaïsme polonais ou livres antisémites est «Le Judaïsme dévoilé» russe, comme Micha Josef Bin Gorion Berde Eisenmenger. Tel est le titre du livre paru dyczewski, comme Louis Gunzberg et Martin en 1701. Il s’agit de deux énormes volumes où Buber, ce dernier étant le plus connu dans sont repris des textes originaux extraits de la le monde germanophone. Certains de ces littérature juive ainsi que leurs traductions. hommes, comme Berdyczewski et Buber, furent profondément marCes citations, d’après l’auteur, qués dans leur jeunesse par le étaient en mesure de démas«La redécouverte mouvement néo-romantique, quer la conception du monde du domaine de et influencés par Nietzsche et des Juifs, conception à la fois blasphématoire, réprouvée l’imaginaire dans le son enseignement. Les docules plus importants par Dieu et scandaleuse, ainsi judaïsme....... est l’une ments de ce voyage de découverte que l’idée même que les Juifs se faisaient du judaïsme. La des réussites les plus dans le monde du fantastique plupart de ces textes étaient importantes de la juif et du pouvoir de l’imagination sont les livres de Bin extraits de la littérature cabaRenaissance juive. Gorion Berdyczewski, «Les listique. Ce livre, qui pendant Légendes des Juifs» et «Le plusieurs générations fut considéré comme la source principale de la puits de Judas» qui ont été publiés en allepropagande anti-juive, est en réalité un livre mand ainsi que «Les contes hassidiques» de où le lecteur peut trouver les passages les plus Buber. Dans ma jeunesse, au début du siècle, merveilleux, les plus extraordinaires éclai- leur écho fut extraordinaire, et ils furent une rant le monde imaginaire du judaïsme. Mais contribution majeure qui permit de lever le au lieu du ton négatif et hostile adopté par voile aveuglant tant de gens, et d’ouvrir de monsieur Eisenmenger, le démystificateur du nouvelles perspectives à l’étude du judaïsme. judaïsme, il suffit d’apprécier de façon positive «Les Légendes des Juifs» de Micha Josef Bin ce monde de l’imaginaire pour obtenir la plus Gorion en 5 volumes, représentent pour moi belle des récompenses. Je ne crois pas avoir une des oeuvres majeures des études juives. été le seul en qui la fréquentation d’Eisenmen- C’est un recueil sans commentaires, qui n’est ger a suscité des idées nouvelles et positives pas réécrit comme les légendes hassidiques concernant ce judaïsme soi-disant dévoilé, que Buber a en grande partie repensées et reformulées. Bin Gorion, dont les livres ont démasqué ou plutôt diffamé. paru à partir de 1913, s’est contenté de préLa redécouverte du domaine de l’imaginaire senter les textes originaux, sans y ajouter la dans le judaïsme, qui est celui de la Haggada, moindre fioriture littéraire. Il a aussi indiqué le shofar LECOBEL ses sources avec la plus grande minutie. Le comparaison entre les textes commentés par l’auteur et ceux n’ayant subi aucune modifitexte de la Bible est pour ainsi dire accomVOtrE agEnCE immOBiLièrE pagné par une légende prenant sa source cation, laissent le lecteur stupéfait, car les dans la fantaisie populaire et dans le monde originaux sont infiniment plus beaux, plus de l’imaginaire juif. Ces récits sont tirés des imposants, plus laconiques, plus significatifs, vieux livres de la Haggada. C’est le monde plus profonds que les descriptions bavardes des légendes juives d’il y a 1000 ans, voire qui, selon l’auteur, devaient permettre de 2000 ans. Elles sont traduites avec beau- faire connaître ce monde ancien. C’est vraicoup de sobriété et de réalisme, elles sont les ment étonnant. Ceci vaut également pour premières représentations classiques d’un Buber, cependant chez Buber la démarche monde oublié tant par les Juifs que par les fut inverse. Buber paraphrasa d’abord les non-juifs. Mais, fait incroyable et étrange, textes, mais il se rendit vite compte que le le même auteur qui a créé ce chef d’oeuvre texte original était bien plus impressionnant que sont «Les Légendes des Juifs», a réé- dans sa nudité et son laconisme que lorsqu’il crit une 2ème fois ces mêmes légendes dans un était assorti de fioritures et de commentaires autre livre en hébreu. Il a voulu en faire une romantiques. Les livres de Bin Gorion connuréécriture romancée, libre de toute attache à rent un grand succès non seulement chez les des textes anciens. Il a voulu les écrire telles Juifs. Ils sont une des principales sources à qu’il pensait qu’elles auraient dû être écrites, laquelle Thomas Mann puisa pour sa grande ou auraient pu être écrites, si leurs auteurs oeuvre romanesque «Joseph et ses frères.» ■ avaient eu l’imagination que lui-même appor- (à suivre) tait à ces textes et à ce monde de légendes. La 11, Place G. Brugmann 1050 Bruxelles Tél : 02/346.33.55 Tél : 02/343.94.82 www.lecobel.be 27 AG EN DA Février 2010 Lundi 1er février 2010 20h00: Judaïsme, pensée et pratique avec Rabbi Chinsky Thème: étude «amicalement vôtre» sur la prière juive. Mardi 9 février 2010 20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques) Mardi 2 février 2010 20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques) Vendredi 12 février 2010 18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): le Chema 20h00: Office de Kabbalat Chabbat Samedi 13 février 2010 – 29 Chevat 5770 Chabbat Chekalim - MICHPATIM 9h30: Etude de Rachi sur la paracha 10h30: Office Mercredi 3 février 2010 14h00 à 16h45: Talmidi Jeudi 4 février 2010 10h00: Pose des Tefilin de Robin Debroux 20h00: Midrach dans le texte avec Rabbi Abraham Dahan 28 Vendredi 5 février 2010 18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): l a Havdallah 20h00: Office de Kabbalat Chabbat Oneg Chabbat offert par la famille Debroux Samedi 6 février 2010 – 20 Chevat 5770 - YITRO 9h30: Etude de Rachi sur la paracha 10h30: Office Bar Mitsva Robin Debroux Lundi 8 février 2010 20h00 Judaïsme, pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky Thème: se retrouver dans la prière Mercredi 10 février 2010 14h00 à 16h45: Talmidi Lundi 15 février 2010 – Roch Hodech Adar Attention: pas de Judaïsme, pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky Mardi 16 février 2010 20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques) Mercredi 17 février 2010 Attention: pas de Talmidi Jeudi 18 février 2010 9h00: Pose des Tefilin de Maxime Ebstein 20h00:Midrach dans le texte avec Rabbi Abraham Dahan le shofar Chevat/Adar 5770 Vendredi 19 février 2010 18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): le Chema 20h00: Office de Kabbalat Chabbat Oneg Chabbat offert par la famille Ebstein (Bar Mitsva de Maxime) Samedi 20 février 2010 – 6 Adar 5770 - TERUMAH 9h30: Etude de Rachi sur la paracha 10h30: Office Bar Mitsva de Maxime Ebstein Lundi 22 février 2010 20h00 Judaïsme, pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky Thème: survol de l’Histoire Mardi 23 février 2010 20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques) Mercredi 24 février 2010 14h00 à 16h45: Talmidi Jeudi 25 février 2010 9h00: Pose des Tefilin par Sacha Damski Vendredi 26 février 2010 18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): le Chema 20h00: Office de Kabbalat Chabbat Oneg Chabbat offert par la famille Damski (Bar Mitsva de Sacha) Samedi 27 février 2010 – 13 Adar 5770 – Chabbat ZaHor - TETSAVEH 10h30: Office Bar Mitsva de Sacha Damski Dimanche 28 février 2010 – Grande Fête de POURIM Dès 17h00: Accueil des enfants A 18h00: Banquet-jeu et lecture de la Meguila (voir annonce) 29 J U DA Ï S M E «Car ils croient qu’ils sont ce qu’ils sont» Le petit caillou de l’humour contre la superbe du pouvoir par Freddy Raphaël 30 «La fonction de l’humour n’est pas de restaurer le statu quo d’une justice close, ni d’opposer une force à la force, mais plutôt de substituer au triomphe des triomphants le doute et la précarité, de tordre le cou à l’éloquence et à la bonne conscience bourgeoise des vainqueurs.» Vladimir Jankelevitch, «Quelque part dans l’inachevé» Ed. Gallimard, Paris 19781) L’humour juif témoigne d’une exigeante lucidité: face aux régimes qui se vantent d’avoir mené l’histoire vers son accomplissement, il met en question les certitudes sans cesse proclamées. Il encourage un regard déshabitué, afin que l’homme dégrisé perçoive la vanité du pouvoir, de la richesse, de l’arrogance, de certaines convenances et de la hiérarchie sociale. L’humour juif nous révèle combien notre monde est factice et nous aide à en démystifier la fausse sécurité. 1 cité par Gérald Cahen «L’humour» Autrement, Paris 1992 p.223 2 ) Ibid. p.17 L’humour n’existe que là où il peut être échangé, où il s’accompagne d’un clin d’oeil complice, d’un sourire à peine appuyé, d’un silence de connivence. «Et selon les cas, il vous glace ou il vous ravit, il vous comble ou il vous transperce. C’est qu’il est tout miel ou tout fiel, les deux, il rit et il pleure, il console et il rend les coups.»2 La présente étude comporte des limites dont nous sommes pleinement conscients. L’humour est souvent une parole en acte qui s’exprime dans des circonstances particulières, selon un code social bien défini. Il répond alors à une attente, et s’accompagne de mimiques et de gestes qui prolongent le dire. La langue des Juifs européens, le yiddich de l’ouest et celui de l’est, tout comme les emprunts aux parlers des sociétés d’accueil, lui donnent sa tonalité propre, sa petite musique. La dimension «politique» de l’humour juif résulte de sa volonté de miner le réel et de le shofar promouvoir une présence décalée au monde. Elle s’exprime dans la dénonciation de l’absurdité de la guerre et de sa folie meurtrière tout comme dans la critique de la violence ordinaire. Cet humour a également un «rôle social» dans la mesure où il crève d’un coup d’épingle la boursouflure du paraître, en se gaussant du parvenu. Il rend sa dignité à celui qui, refusant de rentrer dans la course à la réussite, se tient résolument hors du jeu de la productivité et de la rentabilité. En même temps, il débusque l’enjeu matériel que masquent certaines conventions sociales, telles que le mariage. Enfin, sans céder au scepticisme dans le «domaine religieux», il se plaît à souligner le désordre de la Création et à montrer que la Promesse est bien mal tenue. *** L’humour juif a une dimension politique car il va au-delà de l’ordre apparent des choses. Il en révèle la face cachée, il en souligne les aspects insolites. Dans un régime de discrimination, il déjoue l’interdit. Quand le système de répression peut être renversé, il en dénonce l’arbitraire et l’iniquité par la transgression verbale. Le racisme, et plus particulièrement la colonisation, sont fustigés par les Juifs d’Alsace dont certains cependant s’établirent en Afrique du Nord. Dans une petite bourgade d’Algérie, une dame de la bonne société entend fêter avec éclat les dix-huit ans de sa fille. Et comme il y a une certaine pénurie de jeunes gens, elle va trouver le commandant de la place pour le prier de lui envoyer quelquesuns de ses hommes. Elle s’en remet à lui pour qu’il lui choisisse des «gens bien». Le grand soir venu, alors que la fête bat son plein, on sonne à la porte: quelle n’est pas la stupeur de la dame de découvrir sur le perron cinq tirailleurs sénégalais. «Mais, mais messieurs....il doit y avoir une erreur» s’écrie-t-elle. Et l’un d’eux de répondre avec un large sourire: «Non, non, Madame, le commandant Lévy ne se trompe jamais !». L’humour juif est parfois une tentative pour euphémiser l’horreur et apprivoiser la mort. Il dénonce l’imposture du bourreau, rend acceptable une réalité insupportable, et réintroduit de l’humain là d’où il avait été banni: Dans un tramway de Varsovie, un officier SS reconnaît un Juif qui a réussi à s’enfuir du ghetto. «Juif, lui dit-il, je te donne une chance. J’ai un oeil de verre. Si tu es capable de le reconnaître, tu es un homme libre. Sinon...» Le Juif n’hésite pas un instant et désigne l’oeil de verre. Lorsque le SS interloqué lui demande comment il a pu deviner, il répond: «C’est le seul qui a un éclat humain». Le primat de la vie est souvent affirmé dans l’humour juif qui dénonce l’absurdité de la guerre. Pendant l’entraînement, un officier prussien apostrophe l’un de ses hommes: «Lévy, pourquoi un soldat doit-il sacrifier sa vie pour la patrie ?» Et le soldat de répondre: «Vous avez raison, mon lieutenant, pourquoi le devrait-il ?» Alors que la bataille fait rage, un capitaine du tsar s’adresse à sa compagnie: «L’heure a sonné. L’assaut va être donné. Chacun d’entre vous va affronter l’ennemi dans un ultime combat corps à corps». Un soldat juif se tourne alors vers lui: «S’il vous plaît, mon capitaine, c’est lequel mon ennemi ? Peut-être qu’après tout on pourra parvenir à s’entendre !». L’humour juif dénonce la vanité de l’aventure guerrière, mettant à nu ce que les chefs s’emploient à cacher: Durant la Première Guerre mondiale, un officier qui ne rêve que d’exploits et de coups d’éclat, ordonne à ses hommes de charger leur mitrailleuse et de se préparer à faire feu. Brusquement, entre les lignes, surgit l’un de ses soldats originaire d’une bourgade juive d’Alsace. Saisi d’une rage folle, l’officier le somme de s’écarter de là. A quoi le Juif réplique: «Mais vous êtes devenu complètement fou ! Il y a des hommes là-bas !» 31 J U DA Ï S M E 32 Le vocabulaire crypté de la correspondance que les soldats juifs alsaciens adressaient à leur famille témoigne également de la condamnation de la folie meurtrière de la Première Guerre mondiale. Ils appelaient «brismile» (circoncision) la censure, «Katzef» (boucher) Guillaume II, l’empereur des Allemands. Ils dessinaient une pelle, Schaufel en allemand, pour signifier que la situation était des plus compromises, car en judéo-allemand «schaufel» signifie catastrophe. Face à l’ardeur guerrière de certains de ses compatriotes, le Juif de la campagne alsacienne jette un regard faussement détaché, amusé et parfois amer sur lui-même et sur sa communauté: Dans l’Alsace annexée de la Première Guerre mondiale, un jeune Juif que la nature n’avait pas particulièrement gâté répond à ceux qui lui demandent d’un ton goguenard pourquoi le conseil de révision ne l’a pas retenu: «Que voulez-vous, ils ont gardé les plus beaux pour défiler à Paris». *** L’humour juif a une dimension sociale. Il nous ramène au réel en démontant l’emphase et en faisant éclater la bulle d’une prétendue supériorité. Dans Varsovie occupée, un officier SS heurte sur le trottoir un Juif. Irrité, il l’interpelle: «Schwein ! (cochon)». Le Juif s’arrête, s’incline respectueusement et dit: «Shmulovitch» Ceux que l’on veut humilier se vengent par l’humour: Confronté à l’entreprise de conversion d’un prêtre zélé, Itzig fait monter les enchères. La possibilité de devenir un jour évêque n’est pas faite pour lui déplaire...il pourra alors arborer une calotte violette..... et pourquoi pas cardinal ? Cela lui vaudra une calotte rouge.... Et même pape ! Avec une calotte toute blanche ! Devant les hésitations d’Itzig, le prêtre se fâche: «Eh quoi ! Tu ne vas quand même pas te prendre pour le Bon Dieu !» Et Itzig de répliquer:» L’un d’entre nous s’y est déjà risqué et ça ne lui a pas si mal réussi!». Inversement le Juif d’Alsace dénonce sa propre rouerie et sa condescendance: Un valet de ferme ramène dans la chaleur de l’été une vache à un marchand de bestiaux juif. Celui-ci en récompense pour la longue marche, lui dit: «Vous prendrez bien un verre, mon brave». Le valet acquiesce et le marchand dit à sa femme: «Donne un verre à cet homme qui a beaucoup marché». Mais il ajoute en judéoalsacien «hatsi yain, hatsi maim (moitié vin, moitié eau)». Le valet se retourne et dit en alsacien: «Oui, mais chacun à part» L’humour se rebiffe contre l’arbitraire et la violence du préjugé, contre l’humiliation infligée dans un rapport de force inégal: Aux gamins qui le cernent et s’en prennent à lui parce que «les Juifs ont tué Notre-Seigneur», le petit Juif de Phalsbourg réplique: «Mais pas du tout ! Vous vous trompez ! Ce sont ceux de Mittelbronn (un village situé à quelques lieues de là)». Nous pouvons suivre Bergson lorsqu’il assigne à l’humour une fonction sociale: celle de déstabiliser une société qui se rigidifie et se fossilise, un monde qui se raidit dans une action mécanique et stérile. Aussi, pour miner la suffisance des parvenus, le Juif d’Alsace feint-il de prendre les mots au mot et joue sur la duplicité du langage. A son cousin de la ville qui le raccompagne sur le pas de la porte après lui avoir fait les honneurs de sa magnifique villa, au moment même où la serrure se grippe, le colporteur se répand en compliments: «Du héch a Haus wi a Schloss (ta maison est comme un château» ou bien «ta maison est comme la serrure») car «Schloss» signifie à la fois château et serrure. le shofar La parole du «Schlemil (celui qui a la guigne)» (s’il se mettait à fabriquer des cercueils, plus personne ne mourrait), dénonce implicitement la suffisance, l’imposture prétentieuse. «Mér sén alli von Gécht oder Vorgécht !». Cette sentence a une double signification: «Nous sommes tous d’hier ou d’avant-hier» ou bien «Nous descendons tous de pauvres gens». Le marieur tente de se réfugier dans le libre jeu de l’imaginaire: Alors qu’il a vanté les vertus et la richesse de la jeune fille (un si bon parti) qu’il vient de présenter au jeune homme, ce dernier courroucé lui reproche sa duplicité: «Non seulement elle est sotte, elle louche, mais de plus elle bégaye !» «Certes, répond le marieur, mais seulement quand elle parle !» Le mendiant juif (Schnorrer) qui arpente la campagne alsacienne, «revendique avec ostentation sa singularité subversive3 . Il participe à la communauté alors même qu’il est rejeté vers la marge, incarnant à l’extrême la figure de «l’étranger» que Georg Simmel attribue au Juif. Sachant bien qu’il ne pourra pas éluder les coups du sort, il s’efforce d’en amoindrir l’impact par une feinte distanciation, et refuse avec dignité de s’apitoyer sur lui-même. Le Schnorrer en pratiquant la démesure, bouscule les équilibres conventionnels. Sa vision décalée, «sa disponibilité ludique pour la perception du détail risible et la démystification, permettent de désamorcer le réel4 » Niant les fausses évidences de la bienséance et des conventions bourgeoises, le «Schadchen (marieur)» de la campagne alsacienne, transforme le réel par un mode de penser légèrement décalé. Les parents du prétendant viennent d’apprendre que la jeune fille si belle, si intelligente, si fortunée que le marieur destine à leur fils «n’est pas sérieuse». «On nous a dit qu’elle a eu des aventures avec tous les jeunes gens de Grussenheim» s’exclamentils indignés. Et le Schadchen de répliquer: «Après tout, Grussenheim n’est pas si grand que ça !» L’humour juif, souvent parodique et narquois, s’efforce de renverser le rapport dominant-dominé. Il parvient «transgresser les frontières pour s’insinuer de le territoire de l’autre majoritaire5 , et par son regard décapant à révéler l’imposture. Deux «Schnorrer», qui sont en fait des frères rendent leur visite annuelle au baron de Rothschild qui leur remet à chacun une pièce. L’année suivante, un seul se présente chez leur bienfaiteur, son frère est mort. Le «Schnorrer» reçoit sa pièce, mais il tend obstinément la main. Le baron lui dit qu’il a reçu son dû et que, malheureuse- La prétention révèle la vacuité du paraître. L’humour met à mal la suffisance du parvenu, et l’auditeur est confronté à l’inconsistance des choses: A cet autre citadin qui se vante de porter des bas de soie, son cousin villageois rappelle que leur ancêtre commun qui était colporteur en portait déjà. «Mais, ajoutet-il, sur son épaule !» Cet humour inquiète les vérités établies et sous-entend l’équivoque de la réussite sociale: Tu ne sauras jamais combien de vaches j’ai vendues aujourd’hui !» se vante un marchand de bestiaux fortuné. Et son coreligionnaire de lui répliquer: «Si. La moitié !» 3 Judith Kaufmann, «Humour et marginalités» in Humoresques, p.7, Paris, janv 2004 4 Idem, op. cit., p.8 5 Idem 33 J U DA Ï S M E ment son frère n’est plus là.... Et le «Schnorrer» de s’indigner: «Eh quoi ! C’est vous qui héritez de mon frère ou c’est moi ?» Deux «Schnorrer» sont postés sous le porche d’une basilique alsacienne qui est un haut lieu de pèlerinage. Celui qui se tient à la porte de droite est correctement vêtu; l’autre flotte dans des habits élimés. A la sortie de la messe, le prêtre constate que tous les dons vont au mendiant correctement habillé. Il va trouver le malheureux laissé pour compte et s’efforce de le convaincre: «Mon ami, faites un effort! Vous voyez, votre collègue est propre, soigné. C’est vers lui que se dirigent les fidèles.» Alors le mendiant «malchanceux» interpelle son «rival»: «Mauche (Moïse !) Monsieur veut nous apprendre notre métier !» 34 Cet humour met en cause la prétendue supériorité d’un pouvoir qui s’affirme comme fondé en nature et qui masque la «mystification d’une violence inavouée6». La liberté de ton, le franc-parler du «Schnorrer», bousculent la bonne conscience des âmes charitables. Comme il est d’ici et d’ailleurs, comme il est hors-jeu de la compétition sociale, il peut s’exprimer sans retenue, voire avec une certaine effronterie. Lorsque son hôte propose à la «Karlin» (Caroline) de l’aider à éplucher les pommes de terre pour le repas de midi, celle-ci lui réplique: «Oh moi, vous savez, je les préfère en robe des champs». Ne pouvant «se débarrasser» d’un mendiant qu’ils abritent depuis plusieurs semaines, ses hôtes mettent au point un stratagème imparable: le mari prétendra que le potage est bien trop salé, son épouse se défendra, et l’hôte indésirable, sommé de 6 Jean Maurel «Le pense sans rire» in G. Cahen, op. cit. p.107 7 Jean Dejeux «Sous le signe de Djoh’a» in G. Cahen, op. cit. p.195 8 Ibid., p.198 prendre parti, sera chassé. Le jour venu, placé devant l’obligation de se prononcer, ce dernier rétorque: «Oh vous savez ! Pour les 15 jours que je veux encore passer chez vous, je me garderai bien de donner un avis !». Le «Schnorrer», le mendiant qui arpente la campagne alsacienne, est le cousin germain de Djoh’a, ce trublion malin et faussement naïf qui, dans tout le Proche Orient arabe, joue le niais pour se gausser des puissants. Il sait ridiculiser à l’envi tous ceux qui abusent de leur pouvoir. Il les désarçonne par un trait d’esprit. «Sans doute constate-t-on dans ses facéties des roueries peu recommandables, mais le poids de la précarité de l’existence oblige le démuni à vivre au jour le jour, à biaiser, ruser, mentir même pour se défendre contre les empiètements... Sa parade est celle du comique sous toutes ses formes, du comique qui fait rire, et en même temps dérange, démonte l’adversité7». Le «Schnorrer» se rit, lui aussi, de «l’honorable hypocrite8» et arrache son masque à une société qui s’est endurcie au fur et à mesure qu’elle irritait servilement la bourgeoisie dans laquelle elle espérait s’intégrer. C’est avec lucidité et dérision que le «Schnorrer» fouaille la dureté de coeur des notables. Ayant remarqué que le mendiant qui priait au fond de la boutique en profitait pour subtiliser des mouchoirs lorsqu’il faisait les trois pas en arrière prescrits par le rituel, le marchand décida d’utiliser un stratagème: à la place des mouchoirs, il déposa des draps. Lorsque le mendiant tendit son bras, il tira un drap et s’écria indigné: «ér sén doch grausi ganofen ! (Vous êtes quand même de grands voleurs !)» ***** le shofar Les croyances et la vie religieuses n’échappent pas à un humour dépourvu de dérision, mais qui s’interroge sur l’écart entre la Promesse et la condition peu enviable du Peuple élu. Même Dieu que l’on dit si «puissant et redoutable» est humanisé par l’humour juif qui fait preuve d’un scepticisme tempéré. A ce pauvre Juif du «shtetl» de Pologne qui ne parvient plus à nourrir ses enfants, le responsable de la «kelle (kehila)» propose un travail: qu’il se poste tout en haut de la tour qui se dresse à l’entrée du bourg, les yeux rivés sur l’horizon pour guetter l’arrivée du messie; dès que celui-ci sera en vue, il lui faudra se précipiter pour prévenir ses coreligionnaires, afin qu’ils puissent l’accueillir dignement. Le pauvre homme est sur le point d’accepter, mais le salaire, il faut bien le reconnaître, est des plus modestes. «Certes, lui rétorque son employeur, ce n’est pas bien payé, mais c’est un poste sûr». ***** A la fin de son étude sur le rire, Henri Bergson déclare que l’absurdité apparente peut cacher dans ses plis quelque chose de plus mélancolique et de plus désabusé, «je ne sais quel pessimisme naissant qui s’affirme de plus en plus à mesure que le rieur raisonne davantage son rire»9. En vérité, ajoute-t-il, le rire ressemble à cette écume à base de sel que l’enfant recueille dans le creux de sa paume. Comme elle, «il pétille; c’est de la gaîté». Mais si l’enfant porte cette mousse à ses lèvres, il y découvrira une pointe d’amertume. La tâche du Juif est de «réparer le monde10» qu’en alsacien il qualifie de «krumi bockligi Welt (un monde tordu et bossu)». C’est ce qu’a parfaitement compris ce vagabond mi-réel, mi- légendaire: Mauchele Zelwiller se rend à la gare pour acheter un billet. A l’employé qui lui demande sa destination, Mauchele répond: «Mer han tsüe dùn éveral (Peu importe ! Nous avons à faire partout)». Par l’humour, le Juif tente de mettre en déroute ce que la réalité immédiate a d’insupportable, de jeter bas les murs qui se referment sur lui. Ce qu’envisage le judaïsme à travers les commentaires bibliques et rabbiniques, c’est l’incomplétude essentielle de l’homme et du monde. C’est à partir de cette limite, de cette marche tâtonnante, que la rencontre avec l’autre, dans son inachèvement est possible. «Fruit et témoignage d’une tension interne à la pensée juive. Entre désenchantement anthropologique et espérance messianique. Entre observation lucide et la facticité d’un présent désespérant, et courage obstiné à circonvenir, en allumant de fragiles lumières, l’abîme d’une nuit sans rémission11 Si le Juif est capable de faire de l’humour, c’est qu’il se rend bien compte que le monde n’est pas vraiment ce qu’il devrait être, et que lui-même n’est pas «indemne de toutes les laideurs, de tous les vices ou de tous les travers, petits et grands, qu’il observe autour de lui12». Au lieu de céder à la colère, conscient de ses propres limites, il se moque de lui-même, afin, comme le souligne Valdimir Jankélévitch13, «qu’à l’idole renversée, démasquée, exorcisée, ne soit pas immédiatement substituée une autre idole». 9 Henri Bergson, «Le Rire», Paris, 1ère édition 1899 10 Le thème de la réparation du monde (tikoun olam») occupe une place importante dans l’enseignement de la cabale 11 Gérard Rabinovitch «De l’humour juif», in Jean-Marc Chouraqui, «Enjeux d’histoire, jeux de mémoire» Ed Maisonneuve, Paris 2006, p.172 12 Ibid 13 Ibid 35 J U DA Ï S M E L’humour juif peut aller jusqu’à jouer avec l’inacceptable, à rire de la pire déréliction. Abraham ne parvient pas à s’endormir. Il se tourne et se retourne dans son lit. Sarah son épouse s’inquiète. Abraham: «Dis, Sarah, quand on nous a arrêtés à Vilna, tu étais bien avec moi ? « Sarah: « Mais oui, tu le sais bien. Dors maintenant» Abraham: «Dis, Sarah, quand ils nous ont parqués dans le ghetto, tu étais bien avec moi ?» Sarah: «Mais oui, tu le sais bien. Dors maintenant». Abraham: «Dis, Sarah, quand ils nous ont emmenés à Auschwitz, tu étais avec moi ?» Sarah: «Mais oui. Tu le sais bien. Dors maintenant». Abraham: «Dis, Sarah, tu ne trouves pas que tu m’apportes la poisse ?» Peut-on dire avec Judith Stora-Sandor14 qui a consacré sa thèse à l’humour juif15, que la «propension à l’autodérision» est le propre de cet humour ? Cette qualification, qui renvoie à une capacité de mettre le monde «cul par-dessus tête», ne nous semble pas adéquate, car elle met l’accent principalement sur ce qu’il y a d’absurde dans une existence vouée à l’échec. Elle insiste trop sur la vanité du combat que mène l’homme qui finira irrémédiablement par mordre la poussière. D’ailleurs, au cours de la même étude, Judith Stora-Sandor fait de l’humour une arme de résistance, un recours «non pour changer une sombre réalité mais pour se donner du courage par le triomphe momentané d’un 14 Judith Stora-Sandor, «Le rire minoritaire» in G. Cahen, op. cit. p.173 36 15 ” ” ” «L’humour juif dans la littérature, de Job à Woody Allen», PUF, Paris 1984 le shofar rire pas toujours très gai16». L’humour juif témoigne du refus de s’apitoyer sur son sort, de céder au désespoir. Il n’est pas une destruction, «mais la façon de vivre de ceux qui n’espèrent plus rien sans renoncer pour autant à l’essentiel17». Certes, on ne s’évade pas de sa condition juive, mais cette tare rédhibitoire peut être perçue comme un titre de noblesse. A l’époque de Weimar, un Juif allemand croise dans la rue un homme ivre qui se met à l’insulter: «Juif, sale Juif». Le Juif indigné s’écrie: «Mais vous êtes complètement saoul !» «C’est vrai, répond l’autre, mais moi ça passera». Si l’humour new-yorkais est souvent un humour juif, c’est, selon Tomi Ungerer, parce que cette métropole a accueilli ceux qui fuyaient les guerres et les persécutions. C’est une ville d’apatrides et «les réfugiés par essence tiennent des propos déplacés». L’humour permet de se déprendre de «l’inertie mimétique qui nous entraîne à reproduire, malgré nous la mécanique absurde18» d’un pouvoir aliénant». C’est l’histoire de cet homme posté au coin de la rue qui, inlassablement, appelle les passants au repentir. Un enfant s’approche de lui et lui fait remarquer que si, au début, ses cris dérangeaient, il faut bien reconnaître que maintenant plus personne ne prête attention à lui. «Au début, réplique l’homme, je criais pour qu’ils changent. Maintenant je crie pour ne pas changer moi». A la nécessité de l’errance toujours recommencée, correspond l’assertion de Vladimir Jankélévitch selon laquelle «l’humour est toujours en route; il n’est jamais arrivé, il va ailleurs, toujours au-delà19 ». Où vas-tu comme ça?» demande le moujik au Juif qu’il rencontre sur la route. «Je vais à Kiev» répond le Juif. «Comment ! Tu vas à Kiev ?» s’étonne le moujik. «Mais tu sais que Kiev est à trente verstes et tu es tout seul, à pied, sur la route. Et qu’est-ce que tu vas faire à Kiev ?» «Oh rien, répond le Juif, je n’ai rien à y faire, mais je trouverai bien là-bas quelqu’un pour me ramener». ■ 16 Judith Stora-Sandor, «Le rire minoritaire» in G. Cahen, op.cit.p. 174 17 Martinek Lubomir, «En désespoir de cause» in G. Cahen, op. cit. p.191 18 Jean-Pierre Marchand, «Francis, encore un effort si tu veux rire», in G. Cahen L’humour, un état d’esprit», Ed. Autrement, Paris 1992, p.81 19 Vladimir Jankélévitch, in G. Cahen, op. cit., p.224 Par sympathie Famille Hirschfeld – Gradom 37 C O M M U N AU TÉ Concert Rabbin Abraham Dahan - Mousta Largo Beth Hillel - 5 décembre 2009 Photos : Serge Weinber Textes : Gilbert Lederman 38 an Rabbi Abraham Dah introduit chaque rte chanson par une cou explication. Un rabbin e chante l’antique mélodi e de la liturgie juive mis en musique par des musiciens arabes. Un symbole d’espoir. Une semaine avant la fête de Hanoucca, Beth Hillel accueille le Rabbin Abraham Dahan, Mousta Largo et ses musiciens pour la présentation en concert du répertoire de leur album CD ‘Ben Adama’ (les enfants de la terre). Soirée de partage et de dialogue. Mousta Largo et ses musiciens, Marwan, Djamal et Abdel, jouent avec enthousiasme. La réussite est manifeste. Fin de concert. Se levant de leur chaise, les artistes saluent le public. Les mines sont joyeuses. Le bonheur est palpable. La soirée est mémorable. logue connaît un Cette invitation au dia t pas assez n’es e sall La . cès plein suc tout le monde, lir ueil acc r pou se spacieu nécessité réelle. une à ond rép jet tant ce pro es des artistes une séance de dédicac La soirée se clôture par spécialités culinaires des e ust dég lic pub tandis que le marocaines. A quand le prochain concert ? ■ le shofar 39 C O M M U N AU T é C’est avec grand plaisir que nous revoyons régulièrement Théo à nos offices. Théo a été Bar Mitsva à Beth Hillel le 20 juin 2009 et nous a envoyé le texte suivant: Pourquoi ai-je donc fait ma Bar-Mitzva et tout et tout... Par Théo Füeg 40 J’ai toujours su que j’étais juif, mais il y a eu deux moments où les choses ont évolué. D’abord, quand j’étais en 3eme année primaire, le professeur de français nous a fait travailler sur un texte pour enfants qui parlait de la seconde guerre mondiale et des horreurs commises contre les s. Le texte ne décrivait rien mais on ressentait la menace qui pesait sur toute la communauté. Plus tard, ma sœur Louise a décidé de faire sa Bat-Mitzva au CCLJ, et elle a travaillé un an sur ce projet. Pendant cette année, on a énormément discuté à la maison, mes parents ont fait des recherches généalogiques, ce qui était assez simple pour eux parce qu’ils sont historiens tous les deux, et qu’ils ont plein d’amis qui travaillent dans des centres d’archives. Et puis, toute notre famille était d’origine étrangère et leurs dossiers se trouvaient à la police des étrangers. Louise a fait sa Bat-Mitzva le premier juillet 2006, et nous sommes allés à la JJL dès la rentrée. mes parents quelles étaient les grandes différences entre Juifs et chrétiens. C’est à ce moment que j’ai commencé à penser que je voulais devenir rabbin! En rentrant en août, on a téléphoné à Beth hillel, mais personne ne répondait et ma mère m’a emmené à la synagogue de la rue de la Régence. Ce n’était vraiment pas chouette: d’abord on a eu un interrogatoire: vous êtes qui? Où habitez-vous? Pourquoi êtes-vous ici, etc. Puis on a dû s’asseoir sur le coté parce que les hommes et les femmes ne peuvent pas s’asseoir ensemble. Le rabbin n’a parlé qu’en hébreu, je n’ai rien compris du tout à ce qui se passait. Les gens bavardaient chacun dans son coin et personne ne participait. Et pour couronner le tout, après le chéma, j’ai reçu le plus mauvais biscuit que j’ai mangé! Là, j’ai rencontré pas mal de gens comme moi, qui se posaient tout le temps des tas de questions et n’étaient jamais satisfaits des réponses... Quand on est parti, j’étais un peu dégoûté. Heureusement la semaine d’après, on a trouvé les coordonnées complètes de Beth Hillel et on est venu à la synagogue où rabbi Dahan nous a accueilli super gentiment. Il m’a raconté toute l’histoire de Abraham d’une façon moderne et vivante. Ensuite, pendant l’été 2007 j’ai énormément réfléchi dans mon coin. Nous étions en Italie et nous visitions sans arrêt des églises chrétiennes et j’ai beaucoup demandé à A Beth Hillel, j’ai trouvé une ambiance chouette, familiale, chaleureuse et intéressante. On est retourné chaque semaine le vendredi, puis parfois le samedi et finale- le shofar ment j’ai suivi pendant un an les cours du Talmud Torah et j’ai fait ma Bar-Mitzva une semaine après mon anniversaire de 13 ans. Depuis, je continue à venir le plus souvent possible, pas absolument toutes les semaines mais presque, et j’essaie de participer à des tas de choses, hevrouta, fêtes, etc. J’ai même voulu donner des cours au Talmidi mais ce n’est pas si simple. Mais je ne désespère pas et j’aimerais vraiment pouvoir le faire!! Je me sens toujours très concerné par la vie juive, la synagogue, l’étude. Je crois que les Juifs ont un grand avantage sur les autres religions, ils doivent étudier, lire, partager, apprendre, poser des questions et réfléchir. ■ Désirez-vous recevoir notre lettre electronique hebdomadaire ? Abonnez-vous gratuitement au E-shofar ! Faites-nous connaître votre adresse e-mail à l’adresse suivante : [email protected] ou via notre site www.beth-hillel.org 41 ion réduct 10% de ntation du se sur pré hofar S J U DA Ï S M E 42 le shofar Carnet Nos prochains Bné Mitsva Samedi 6 février 2010 – Paracha Yitro: Robin Debroux Samedi 20 février 2010 – Paracha Terumah: Maxime Ebstein Samedi 27 février 2010 – Chabbat ZaHor – Paracha Tetsave: Sacha Damski Samedi 6 mars 2010. – Paracha Ki Tissa: Raffy Rozenfeld Samedi 13 mars 2010 – Paracha VayaHelPekoudé: Léa Pardon Samedi 20 mars 2010 – Paracha Vayikra: Max Garbarski ■ La bibliothèque fait peau neuve! Nous prions nos lecteurs de bien vouloir nous excuser et de faire preuve de patience. En effet, pour des raisons de réorganisation et d'agrandissement, la bibliothèque sera fermée pendant quelques semaines. Nous serions extrêmement reconnaissants si tous ceux qui ont encore des livres empruntés voulaient bien les rapporter le plus rapidement possible au secrétariat de la synagogue. Nous ne manquerons pas de vous informer de la date de réouverture et pouvons vous assurer que vous y ferez des découvertes très intéressantes. Merci pour votre compréhension! L'équipe de la bibliothèque Nouvelle activité: le «Café klatsch des séniors» Vous êtes invités le mardi 9 février, à 15h, à nous rejoindre à Beth Hillel pour un après-midi convivial autour d’une tasse de café ou de thé. Le but de cette rencontre est de permettre aux personnes de la communauté qui le souhaitent de faire connaissance avec d’autres membres. L’après-midi sera animée par le rabbin Dahan entouré d’une petite équipe. Nous espérons passer ensemble quelques heures chaleureuses dans la bonne humeur. Les personnes qui ne peuvent se rendre à la synagogue par leurs propres moyens sont priées de se faire connaître à l’avance à Giny (tel: 02/332 25 28), afin que nous puissions organiser le transport. 43 LU P O U R VO U S Lu pour vous 44 Par-delà le crime et le châtiment. Essai pour surmonter l’insurmontable *. Jean Améry (Ed. Actes Sud 1995) l’état mental de la victime. Ma contribution sera une analyse des ressentiments basée sur l’introspection». Améry, au contraire de Primo Levi et d’Hannah Arendt restera intransigeant, refusant toute forme de pardon à l’égard des bourreaux. Au 56 de l’avenue Coghen à Uccle, une petite plaque de cuivre rappelle que Jean Amery y vécut la majeure partie de son existence. Né à Vienne en 1912, Hans Mayer fuit l’Autriche en 1938 pour se réfugier en Belgique. Il prendra le nom d’Améry (anagramme de Mayer) après la seconde guerre mondiale pour essayer de fuir tout ce qui le relie à la culture germanique. En 1977, dans la préface de la nouvelle édition, Améry, explique ainsi l’ajout d’un chapitre : « Le nouvel antisémitisme ancien redresse insolemment sa tête hostile et répugnante, sans que cela éveille l’indignation.. ». Dans ce chapitre, « De la nécessité et de l’impossibilité d’être Juif », Améry définit sa judéité, hors de la religion, et selon la conception sartrienne du « Juif qui fuit son destin de Juif, se soumet du même coup à la puissance de son oppresseur **». Pour Jean Améry être juif « …c’est sentir peser sur soi toute la tragédie d’hier. Sur mon avant-bras gauche je porte le numéro d’Auschwitz ; il se lit plus vite que le Pentateuque ou le Talmud mais l’information qu’il livre est plus éloquente ». Bien que totalement méconnu, Améry est un auteur de l’importance de Primo Levi avec lequel on l’a souvent comparé: mêmes origines, études universitaires, rencontre à Auschwitz et destinée tragique similaire. Pourtant, s’ils sont tous deux écrivains de l’indicible, leur écriture est radicalement différente. Jean Améry n’a pas cherché à porter témoignage de l’univers concentrationnaire, à décrire les horreurs des camps, les bourreaux ou les victimes. Son interrogation se porte sur le pourquoi et sur les enseignements que l’on peut tirer de la condition de l’homme détruit par une réalité monstrueuse. S’il décrit les séances de torture qu’il subit au camp de Breendonck, c’est pour s’interroger sur les capacités humaines à résister. «Quand on a été torturé, on le reste toute sa vie», dira-t-il. On perd définitivement la «Weltvertrauen», la confiance au monde. Arrêté comme résistant, il sera ensuite déporté à Auschwitz en tant que Juif. Son œuvre se veut une « description de « Juif.. je ne peux l’être dans l’émotion, mais uniquement dans l’angoisse et la colère.. ». « Ecoute Israël » ne me concerne pas. Seul un « Ecoute monde » pourrait jaillir de moi dans un éclat de colère. Telle est la volonté du nombre de six chiffres inscrit sur mon avant-bras ». Jean Améry se donne la mort en 1978 à Salzbourg (Autriche). Auteur profondément et douloureusement humaniste et réaliste (d’aucun diront désespéré) il laisse une œuvre essentielle pour tenter de comprendre ce qui, en définitive, ne pourra jamais vraiment l’être. (Serge Weinber) * T itre original : «Jenseits von Schuld und Sühne. Beweltigungsversuche eines Überwältigen» 1966 ** Sartre : Considérations sur la question juive » 1946 le shofar Les Oubliés du Shtetl Y.L. Peretz Traduit du yiddish, annoté et présenté par Nathan Weinstock avec la collaboration de Micheline Weinstock Préface de Jean Malaurie Ed. Plon, collection Terre humaine Yitskhok Laybush Peretz (1852-1915) dont nous avons déjà commenté les "Mémoires inachevés" (voir Shofar du mois de juin), et dont nous avons publié un conte (Shofar de septembre), a également fait oeuvre de sociologue et d'ethnologue. En 1890, Peretz vient de se voir interdire la profession de conseiller juridique, et il se trouve sans travail et sans ressources, à la suite d'une mystérieuse dénonciation auprès des autorités tsaristes. C'est à ce moment que le richissime Jean de Bloch, financier et banquier, lui propose de participer à une vaste opération de collecte de statistiques au sein de la population juive polonaise. Cette expédition avait un but économique et apologétique: prouver la contribution des Juifs au progrès économique de la Russie et de la Pologne. "Il fallait aller voir la vie des Juifs au quotidien, voir ce qui se passait dans les petites bourgades, ce qu'on y espérait, de quoi on vivait, comment on s'y occupait......"1 Cet ouvrage, paru en 1901, fut immédiatement saisi et mis au pilon par le pouvoir. Peretz, l'enquêteur, se présente à la population de Zamoshtsh, sa ville natale, de Tomaszov, ainsi que de la contrée environnante, habillé en daytsh, soit "à l'allemande" ou "à l'occidentale", c'est à dire en Juif partisan des Lumières, ce qui par extension signifie un Juif assimilé, voire mécréant. 1 Y.L. Peretz: Ale verk NewYork 1947, t.II, p.119 2 «Shtetlekh», pluriel de «shtetel» Et pourtant, même si c'est parfois avec difficulté, il réussit à faire parler les habitants des shtetlekh2. Il n'est pas un quelconque enquêteur. Il reste l'écrivain, le conteur au style inimitable, celui qui dans les faits les plus sordides et les plus misérables réussit à déceler ce qu'il y a d'unique dans la vie juive des bourgades. "De temps à autre, le mugissement d'un petit veau juif se mêle au concert. Et aussitôt, du fond de la rue qui paraît s'étendre à l'infini, l'aboiement d'un chien goy vient lui donner la réplique." Le shtetl, sous sa plume, ressemble à un tableau de Soutine: "La nuit, la bourgade devenait méconnaissable. Toutes ses maisons tordues s'inclinaient maladroitement vers le sol...." Dans ces lieux pourtant, ne règne pas nécessairement une harmonie idyllique, mais des rivalités s'y affrontent et des idées se combattent. Un jour, nous raconte Micheline Weinstock dans la troisième annexe, Peretz participe à une discussion de groupe, et "il est atterré par l'optimisme ambiant qui ne repose sur aucune perspective réaliste. Seul subsiste un espoir abstrait qui constitue leur unique richesse. Protection fragile car ce masque d'optimisme se fend rapidement pour laisser apparaître les doutes, la misère, la peur et le sentiment d'abandon par manque de solidarité. Tout problème extérieur suscite des tensions que l'on craint de ne pouvoir gérer et qui risqueraient de mettre en péril le fragile équilibre de la communauté." Quant aux habitants, notre auteur perçoit leur épaisseur humaine au travers de leurs guenilles. Qu'on lise le saisissant tableau du Rov de Tishevits qui ne possède même plus d'habits lui permettant de se montrer en public, et dont "la chemise de nuit est à ce point usée qu'elle est impossible à rapiécer, .....dont le dénuement frise l'indécence .... 45 LU P O U R VO U S au point qu'il se trouvera bientôt dans l'impossibilité de s'acquitter de ses fonctions". Cependant "dans son extrême dénuement, le Rav garde sa profonde bonté." Si le livre commandé par Jean de Bloch n'a pas pu remplir la mission à laquelle il était destiné, les notes consignées par Peretz nous sont parvenues sous forme de magnifiques tableaux d'une vie juive, aujourd'hui éteinte. Sur les 400 pages que compte le volume édité et préfacé par Jean Malaurie, 140 environ constituent les récits de Y.L.Peretz. Le reste du livre est composé de 9 annexes qui sont autant de documents précieux sur la civilisation et la langue yiddish, ainsi que sur l'histoire de cette contrée qui jamais plus ne sera ce qu'elle fut lorsqu'elle était habitée par une population dont la plus grande partie fut exterminée durant la Shoah, et dont le reste vit aujourd'hui éparpillé à travers le monde. 46 Grâce à la traduction de Nathan et de Micheline Weinstock, nous avons accès à ce précieux document, et nous tenons à leur exprimer notre reconnaissance pour ce magnifique travail. D'autres spécialistes se sont joints à eux afin de compléter le volume par des apports qui en font un outil indispensable à tout lecteur désirant acquérir des connaissances sur le "Yiddishland" aujourd'hui disparu. (Monique Ebstein) Dictionnaire amoureux du judaïsme Jacques Attali (Ed. Plon/Fayard) Dans son ouvrage « Un dictionnaire amoureux du judaïsme », Jacques Attali offre une vision personnelle à une sélection de thèmes qui, selon lui, confèrent un sens au judaïsme. L’auteur y aborde certains personnages bibliques (Moïse, Aaron, Ruth), des rites (le chabbat, Kippour), des textes (le Cantique des cantiques, le Chema), des figures historiques (Simon Doubnov, Sigmund Warburg, Gaspar de Gama), ainsi que des écrivains (Leo Perutz), des villes (Vienne, Jerusalem), des philosophes (Maimonide, Spinoza), des concepts (l’humour, le temps, la tsedaka, la vie) et même son ami Shimon Peres. Fin pédagogue, Attali excelle dans les définitions. « Le judaïsme est un ensemble humain partageant volontairement une histoire, une culture, une différence et un avenir ; il est infiniment divers dans le temps comme dans l’espace ; sans cesse transformé, sans cesse repensé, en permanente résilience, doutant assez de lui-même pour se renouveler ; s’aimant assez pour résister à tous les dénigrements ; forcé parfois, par ceux-là mêmes qui le haïssent, à apprendre à s’aimer. » A méditer. Le dictionnaire, outil de classification par excellence, rassemble judicieusement les pièces de puzzle du parcours intellectuel de l’auteur. On y retrouve ainsi son intérêt pour la mythologie, l’histoire, l’économie et la littérature tout comme son goût pour les prévisions de l’avenir, c’est-à-dire la compréhension du futur à partir du passé. « Le judaïsme est amoureux de l’avenir » est sa meilleure définition. Dans ses prévisions, Attali craint la disparition du peuple juif face à la globalisation. La population juive qui représentait le vingtième de la population mondiale au temps de l’Empire romain, n’en représente aujourd’hui plus que les deux millièmes. L’auteur y avance sa solution : faciliter les conversions au judaïsme afin de garantir la survie du peuple juif confronté aux dangers de la mondialisation. Néanmoins, à ce danger, le judaïsme apporte deux réponses essentielles: le tikkun olam et l’altruisme intéressé. Le concept de tikkun olam (la réparation du monde) qui forge sa raison d’être, permet à l’homme de construire un projet en donnant un sens à la le shofar vie. Quant à l’altruisme intéressé, il signifie que pour être heureux, il est plus important de penser au bonheur des autres qu’au sien propre. Ce dictionnaire évite l’académisme et privilégie une émoustillante flânerie intellectuelle. Soit une réussite supplémentaire à ajouter à la bibliographie déjà dense de Jacques Attali. (Gilbert Lederman) J’avais 20 ans. J’avais connu l’enfer Ce témoignage émouvant retrace l’histoire de la famille Silberberg dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Après l’occupation de la Belgique en mai 1940, la famille se réfugie en France. En 1942, Benjamin (alors âgé de 18 ans), son père et son frère sont arrêtés par la police de Vichy, emprisonnés à Drancy et déportés à Auschwitz. Benjamin fait la connaissance d’un système inhumain, barbare. Lui seul survit à la «marche de la mort». Il est libéré par les troupes américaines à Buchenwald. Il lui faut alors se reconstruire une vie dans la normalité… ■ 47 Brochures Rapports annuels Identités visuelles +32 2 663 85 85 www.inextremis.be l i b r e opi n i on Vertus chrétiennes héroïques? par Monique Ebstein L'on est en droit de s'interroger sur ce que Benoît XVI, et avec lui l'Eglise catholique, entendent par "vertu chrétienne héroïque". Le temps n'est plus où les Romains donnaient en pâture aux lions ceux qui osaient témoigner de leur foi. Aujourd'hui, des vertus chrétiennes héroïques peuvent à juste titre être reconnues à l'Abbé Pierre, à Mère Theresa, à Sœur Emmanuelle, qui ont consacré leur vie entière aux plus pauvres. 48 Mais Pie XII, retranché dans le confort de son palais, ne sortant jamais de son Etat du Vatican, comment a-t-il pratiqué cet "héroïsme"? Est-ce dans l'intimité de son oratoire ou dans les solennités de St Pierre de Rome que sa prière peut être considérée comme héroïque? N'a-t-il pas manqué une occasion unique de faire retentir la voix d'une autorité morale universellement reconnue pour sauver de la mort six millions d'êtres humains? Monseigneur Eugenio Pacelli fut, avant son accession au trône pontifical le 2 mars 1939, nonce apostolique en Allemagne, à partir de 1917 en Bavière, puis à Berlin jusqu'en 1929. Il parlait bien l'allemand et ne pouvait qu'être au mieux informé de la montée du nazisme. De 1930 jusqu'en 1939 il fut secrétaire d'Etat et donc n° 2 du Vatican. En 1933, année de l'accession de Hitler au pouvoir, il signe un concordat avec l'Allemagne hitlérienne sur les relations entre les autorités allemandes et l'Eglise catholique. En 1942, le pape Pie XII ne s'associe pas aux Alliés dans leur condamnation du massacre des Juifs. En 1943, il n'intervient pas quand des Juifs italiens sont déportés à Auschwitz. Après la guerre, et jusqu'à sa mort en 1958, il ne condamne à aucun moment l'horreur de ce que l'on appelait alors l'Holocauste. Ce silence assourdissant peut-il être qualifié de vertu chrétienne héroïque? ■ Envie de nous écrire ? de participer à la rédaction du Shofar ? N’hésitez pas et contactez nous ! le shofar act ua l i t és Jacques Chirac a remis le premier prix Ilan Halimi de la Tolérance et de la Fraternité Par Sarah Drai pour Guysen International News - Mardi 8 décembre 2009 à 02:44 PARIS- Le prix « Ilan Halimi » créé cette année par le Fonds Social Juif Unifié, a été remis mercredi 2 décembre par Jacques Chirac à la MJC de Ris-Orangis. Comme pour contraster avec la mort d’Ilan Halimi dans un misérable local de banlieue, un prix portant son nom a été décerné dans les salons somptueux de la présidence de l’Assemblée Nationale. Et par opposition à la haine antisémite du gang des barbares, ce sont des valeurs de tolérance et de fraternité qui ont été prônées à l'occasion de cette soirée inédite, mêlant recueillement et espoir. Le prix Ilan Halimi a été créé cette année par le FSJU. Il a pour ambition de récompenser une association, organisation œuvrant pour le rapprochement entre les communautés et luttant contre le racisme et l’antisémitisme. Cette année, les heureux lauréats sont les acteurs de la MJC de Ris-Orangis. RisOrangis est une banlieue située au Sud-Est de Paris qui a notamment été le théâtre d’émeutes, le lieu où sont exacerbées les tensions inter communautaires. La MJC de Ris-Orangis s’est ainsi démarquée en montant une pièce de théâtre en collaboration avec la localité de Tel-Aviv-Jaffa, une pièce qui fait l’éloge de la fraternité. Le prix Ilan Halimi est celui du « vivre ensemble », n’ont cessé de répéter les diverses personnes invitées à cet événement. Parmi les invités du Président du FSJU, figuraient notamment le Président Jacques Chirac, Bernard Accoyer, le Président de l'Assemblée nationale, Tsipi Livni, 49 act ua l i t és la dirigeante du parti Kadima., Simone Veil, Me Francis Spinner l’avocat de la famille Halimi, et la mère d’Ilan, Ruth Halimi. Avant de décerner le prix, l’ancien Président de la République Française a estimé que « trop de discriminations en France stigmatisent la religion, l'origine, les convictions et minent encore notre pacte républicain. Elles empoisonnent notre démocratie, au sens propre du terme. Elles remettent en cause notre cohésion nationale ». Il a ajouté, évoquant la terrible affaire Ilan Halimi : « l’antisémitisme est une perversion qui tue. Mon inquiétude, aujourd'hui, c'est que, bien au-delà de cette barbarie, bien au-delà des crimes, l'antisémitisme et toutes les formes de racisme sont encore là, insidieusement présents dans notre société ». 50 Afin de signifier l’amitié entre Arabes et Juifs, ont également pris part à cette soirée plusieurs ambassadeurs de pays arabes et les représentants des communautés musulmane et juive. Plusieurs ambassadeurs de pays arabes et les représentants des communautés musulmane et juive ont répondu présents à l'invitation du Président Pierre Besnainou. Ce sont les valeurs de la République qui sont mises à l'honneur, et la mémoire d'un jeune homme, victime de la haine antisémite. Jacques Chirac a d’ailleurs déclaré : « les discriminations minent, notamment chez les jeunes, la foi dans les valeurs de la République », ajoutant « Je crois au refus intransigeant des haines ethniques et religieuses. Je crois au respect, à l'égalité des cultures et des civilisations » Ilan Halimi, ce jeune homme de vingt trois ans avait été enlevé le 21 janvier 2006 par le "gang des barbares" qui réclamait une rançon à sa famille. Séquestré et torturé pendant trois semaines, il avait été retrouvé agonisant le 13 février, avant de décéder. Son bourreau, Youssouf Fofana a été condamné au cours de l'été dernier à la prison à la perpétuité. ■ Si vous désirez recevoir notre Newsletter, envoyez votre adresse e-mail sur [email protected] avec, comme communication : Abonnement Newsletter. T r i bun e d es L ect e u r s le shofar Nos lecteurs prennent la parole Le 4 décembre 2009 Monsieur le Président, Comme j'habite en province, vous me voyez peu souvent à la synagogue. Je suis pourtant une lectrice assidue du Shofar que j'estime être une excellente publication. C'est pourquoi je me réjouis de la création d'une "Tribune des lecteurs", car elle me permet de vous faire part de quelques petits points sur lesquels je serais heureuse d'avoir une clarification. Dans le "Mot du Président" du n° qui vient de paraître, vous racontez l'histoire d'un colon juif religieux qui donne asile à un musulman palestinien homosexuel. Cette histoire, il est vrai, est inattendue, mais d'ici à dire qu'il a accueilli "l'étranger sous sa tente" ..... Je crois que ce fut plutôt dans une maison en dur ! Et dans cette maison en dur bâtie en Cisjordanie, je me demande qui était "l'étranger" ? Accueillir un homme en danger, est-ce normal ou une mitzvah extraordinaire ? De plus l'accueillir dans une maison bâtie sur son territoire, est-ce vraiment respecter les "valeurs juives"? Dans le n° de septembre, votre article "Un shabbat à la Havane", que j'ai lu avec beaucoup de plaisir, vous faites un portrait somme toute assez sympathique de Fidel Castro. L'on en oublierait à vous lire que pendant toute sa dictature les geôles n'ont pas désempli et que la torture la plus féroce y était pratiquée. (Voir les rapports d'Amnesty International) Enfin et pour terminer, je voudrais remercier Monsieur Emmanuel Wolf de nous avoir présenté, dans le même numéro de septembre, le projet "Aladin" destiné à lutter contre le négationnisme dans les pays musulmans. Je regrette seulement qu'il ne présente Jacques Chirac, que comme le président français le plus anti-israélien et comme un ami de nos adversaires dans le conflit du Moyen-Orient, sans mentionner qu'il fut le seul Président de la République à demander, au nom de la France, pardon aux Juifs pour les crimes commis par l'Etat français de Vichy. Croyez bien, Monsieur le Président, que c'est en toute sympathie que je me permets ces quelques remarques sur des points en dehors desquels j'adhère totalement à la ligne de votre journal. Avec toute ma sympathie, Ruth Lévy Réponse d'Emmanuel Wolf Chère Madame, c’est exactement cette contradiction que je voulais faire ressortir dans les attitudes du Président Chirac. Cordial shalom et merci de vos remarques EW Réponse de Philippe Lewkowicz Chère Madame Lévy, J’ai lu avec intérêt votre réaction à deux articles que j’ai commis dans le Shofar et pour lesquels vous demandez une clarification. C’est donc bien volontiers que je vous les propose. 1. En ce qui concerne « l’accueil de l’étranger sous sa tente ». Vous axez votre lecture sous un aspect politique, ce qui est légitime, mais qui naturellement donne au texte un sens différent, sinon contraire, à mon intention. Je vous remercie donc de 51 T r i bun e d es L ect e u r s me permettre de lever ce malentendu. Mon propos se limitait à la capacité psychologique d’affronter la routine, la facilité, l’environnement pour réagir en adéquation avec une éthique revendiquée. Cela ne préjuge absolument pas que les postulats de base soient légitimes, c’est là une tout autre question. 52 Quant à savoir si c’est une mitzvah extraordinaire ou un acte normal d’accueillir un homme en danger. Cela devrait bien sûr être un acte normal, mais l’histoire ancienne et actuelle nous apprend que naturellement l’homme n’agit pas ainsi. Aussi invoquer les beaux principes ne suffit pas, il convient de saluer leur mise en application quand ils sont exemplaires, ce qui m’a paru être le cas ici. Et puis, en l’espèce, cette démarche est un premier pas… 2. Quant au « portrait sympathique de Fidel Castro », là aussi, j’ai limité mon propos à son attitude par rapport à la communauté juive et au témoignage recueilli à la source. Loin de moi l’idée d’encenser un régime dictatorial. Bien sûr, les opposants politiques, juifs ou non, étaient persécutés. Mais pour une fois, non pas parce qu’ils étaient juifs. Il faut l’admettre, le régime cubain a été et est tolérant envers la liberté de conscience (religion) à défaut de l’être envers la liberté d’opinion (politique). Si vos pas vous emmènent un jour prochain à Beth Hillel, faites-moi signe, je serais ravi de continuer cette conversation lors d’un kiddoush après l’office ■ Philippe Lewkowicz Président Exécutif Désirez-vous recevoir notre lettre electronique hebdomadaire ? Abonnez-vous gratuitement au E-shofar ! Faites-nous connaître votre adresse e-mail à l’adresse suivante : [email protected] ou via notre site www.beth-hillel.org le shofar JEWISH HUMOR During a service at an old synagogue in Eastern Europe, when the Shema prayer was said, half the congregants stood up and half remained sitting. The half that was seated started yelling at those standing to sit down, and the ones standing yelled at the ones sitting to stand up. The rabbi, learned as he was in the Law and commentaries, didn't know what to do. His congregation suggested that he consult a housebound 98 year old man who was one of the original founders of their temple. The rabbi hoped The elderly man would be able to tell him what the actual temple tradition was, so he went to the nursing home with a representative of each faction of the congregation. The one whose followers stood during Shema said to the old man, "Is the tradition to stand during this prayer?" The old man answered, "No, that is not the tradition." The one whose followers sat said," Then the tradition is to sit during Shema!" The old man answered, "No, that is not the tradition." Then the rabbi said to the old man, "But the congregants fight all the time, yelling at each other about whether they should sit or stand." The old man interrupted, exclaiming, "THAT is the tradition!" ■ 53 Info r m at i ons u t i l es VIE COMMUNAUTAIRE OFFICES DE CHABBAT Vendredi à 20h et samedi à 10h30 ■ Talmud tora et preparation a la bar/bat mitsva Tous les mercredis après-midi. Voir calendrier. ■ Cours adultes et cercles d’etude Contactez Rabbi Abraham Dahan ou Rabbi Floriane Chinsky ■ Yiskor Si vous voulez être tenus au courant des dates de Yiskor pour des membres de votre famille, contactez Giny ( 02.332.25.28 SOCIÉTÉ D’INHUMATION A.S.B.L. GAN HASHALOM En cas de nécessité, téléphonez aux numéros suivants : Le jour A Beth Hillel ( 02.332.25.28 Le soir Rabbi Floriane Chinsky ( 0485.428.490 Rabbi Abraham Dahan ( 02.374.94.80 ou 0495.268.260 Si vous désirez souscrire à Gan Hashalom, téléphonez à Willy Pomeranc Le jour ( 02.522.10.24 • Le soir ( 02.374.13.76 Gan Hashalom est réservé aux membres de la CILB en règle de cotisation et ayant adhéré à la société d’Inhumation