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le shofar
revue mensuelle de la communauté israélite libérale de belgique
N° d’agréation P401059
Février 2010 — n°311 / Chevat/Adar 5770
synagogue
beth hillel
bruxelles
POURIM
n°311
Février 2010 /
Chevat/Adar 5770
N° d’agréation P401059
re v ue mensuelle de l a
communauté isr aélite
libér ale de belgique
EDITEUR RESPONSABLE  : 
Rabbin Floriane Chinsky
REDACTRICE EN CHEF  : 
Monique Ebstein
COMITÉ DE RÉDACTION  : 
Rabbi Abraham Dahan, Franscisco
Bataller, Monique Ebstein, Rabbi
Floriane Chinsky, Ralph Bisschops,
Théo Füeg, Gilbert Lederman,
Philippe Lewkowicz, Freddy Raphaël,
Serge Weinber, Emmanuel Wolf
Secrétaire de Rédaction :
Giny Susswein
Mise en page  : 
www.inextremis.be
Le Shofar est édité par la
COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE LIBÉRALE
DE BELGIQUE A.S.B.L.
N° d’entreprise  : 408.710.191
Synagogue Beth Hillel
80, rue des Primeurs,
B-1190 Bruxelles
Tél. 02 332 25 28
Fax 02 376 72 19
www.beth-hillel.org
[email protected]
CBC 192-5133742-59
RABBINS  : Abraham Dahan
et Floriane Chinsky
président exécutif  : 
Philippe Lewkowicz
CONSEIL D’ADMINISTRATION  : 
Président : Gilbert Lederman
Avishaï Ben David, Ralph Bisschops,
Monique Ebstein, Patrick Ebstein,
Paul-Gérard Ebstein, Ephraïm
Fischgrund, Josiane Goldschmidt,
Gilbert Lederman, Willy Pomeranc, Elie
Vulfs, Serge Weinber, Emmanuel Wolf.
Les textes publiés n’engagent que
leurs auteurs.
Crédits photos :
Serge Weinber
Sommaire
05 LE MOT DU PRESIDENT EXECUTIF
JUDAÏSME
07 Mieux vaut en rire,
par Rabbi Abraham Dahan
09 T
he significance of Purim in Judaism: the bright
and the dark,
par Francisco Bataller.
12 Quelques recettes de Pourim
14Faut-il croire pour prier? La liturgie juive,
interview de Rabbi Abraham Dahan
par Ralph Bisschops, Dr. Phil.
19Introduction à la littérature biblique et
rabbinique, Compte-rendu d’une conférence du
Rabbin David Meyer,
19
par Monique Ebstein
23Gershom Scholem (3), traduction
par Monique Ebstein
28 Agenda
30«Car ils croient qu’ils sont ce qu’ils sont», Le
petit caillou de l’humour contre la superbe du
pouvoir,
par Freddy Raphaël
VIE COMMUNAUTAIRE
38Concert Rabbin Abraham Dahan-Mousta Largo à
Beth Hillel le 5 décembre 2009.
39 Pourim à Beth Hillel (annonce)
30
40Pourquoi ai-je donc fait ma Bar-Mitzva et tout et
tout…,
par Théo Füeg
43 Carnet
43 Nouvelle activité: «le «Café klatsch des séniors»
43 La bibliothèque fait peau neuve
LU POUR VOUS
44Par-delà le crime et le châtiment. Essai pour
surmonter l’insurmontable, de Jean Améry
(Serge Weinber)
45Les oubliés du Shtetl,
de Y.L. Peretz (Monique Ebstein)
38
46Dictionnaire amoureux du Judaïsme, de Jacques
Attali
(Gilbert Lederman)
47J’avais 20 ans. J’avais connu l’enfer, de
Benjamin Silberberg
LIBRE OPINION
48 Vertus chrétiennes héroïques?
Par Monique Ebstein
ACTUALITE
49Jacques Chirac a remis le premier prix Ilan
Halimi de la Tolérance et de la Fraternité,
par Sarah Drai pour Guysen International News
49
51TRIBUNE DES LECTEURS
53 JEWISH HUMOR
L e mot d u pr és i d en t
TALMIDI
Le Talmud Tora de Beth Hillel
Tous les mercredis de 14h00 à 16h45
L E M OT D U PRÉS IDEN T E X ÉC U TI F
le shofar
Hanouccah, une résistance
toujours d’actualité
par Philippe Lewkowicz
Chers amis,
Le mot du président exécutif, comme celui
du président du Conseil d’administration,
mon ami Gilbert Lederman, sont des photographies instantanées de situations, qui
traduisent une ambiance soit inquiète soit
joyeuse au sein de notre communauté. Aussi
à l’occasion de ce premier numéro de l’année civile, je crois utile de jeter un regard
en arrière, et de constater que 2009 fut une
période importante et difficile sur le plan
séculier pour la communauté juive. L’année
écoulée a mal commencé avec la manifestation anti-israélienne haineuse de janvier. La
participation de nombreuses personnalités
politiques et l’absence de condamnation de
leur part des slogans antisémites proférés
à cette occasion ont laissé une amertume
certaine au coeur de nombreux membres du
Ychouv. Il est possible que ce « laisser-dire
» a créé une apparente immunité ouvrant
la voie à la prolifération des actes anti-juifs
tout au long de l’année.
Il y eut aussi l’affaire Flahaut et la polémique suscitée par la nouvelle politique de
communication du CCOJB. Heureusement
de récentes rencontres ont montré les vertus du dialogue.
Cependant tout n’est pas noir ou gris et la
communauté juive de Bruxelles, bien qu’elle
soit petite, peut se prévaloir d’une exceptionnelle richesse. En témoignent ses très
nombreuses activités. Et Beth Hillel n’est
pas en reste, pour ne citer que le récent
concert du rabbin Dahan avec Mousta Largo
qui connut un très grand succès.
Espérons que 2010 sera plus serein. Mais on
peut craindre qu’un point important de l’actualité de 2009 continuera à nous interpeller
au cours des mois à venir. Il s’agit du projet
de béatification du pape Pie XII. Notre communauté ne peut que s’associer aux différents communiqués et messages émis par
tant d’organisations et d’intellectuels juifs
de par le monde. On peut en tout cas dire
que ces paroles ont été entendues puisque le
porte- parole du Vatican en a accusé réception (La Libre Belgique du 24.12.2009).
Mais le problème demeure, l’Eglise a beau
affirmer que le titre de « saint » ne concerne
que l’attitude « religieuse » du candidat et
qu’en cela seulement il s’agit d’un exemple à
suivre, il n’en reste pas moins que l’attitude
« humaine» ne peut être laissée de côté. Je
ne crois pas faire erreur en affirmant que
c’est là l’enseignement premier de Jésus.
Bien sûr l’Eglise est indépendante et souveraine dans ses choix, mais elle doit savoir
qu’il peut y avoir des contradictions entre
eux. Si le dialogue judéo-chrétien lui tient à
coeur, que le pape actuel fasse comme son
prédécesseur qui avait promis que ce dossier serait mis en attente jusqu’à l’ouverture
des archives. Nous ne comprenons pas la
raison de cette soudaine urgence à béatifier
le pape de la seconde guerre mondiale.
5
L E M OT D U PRÉS IDEN T E X ÉC U TI F
Peut être Pie XII pensait-il agir avec la discrétion et le secret qui auraient permis de sauver de nombreux Juifs de la main de Hitler,
cet avatar d’Amalek. Si le secret actuel des
archives devait le dévoiler, la communauté
juive saura lui rendre hommage et justice.
Mais nous sommes loin d’en être certains. Et
ce que nous savons aujourd’hui nous incite
à privilégier la seconde hypothèse. Il est de
notoriété publique que Pie XII a écrit et s’est
insurgé officiellement contre l’euthanasie
des handicapés par les nazis. Mais jamais il
n’a condamné solennellement l’holocauste,
c’est à dire l’extermination totale des Juifs.
6
On nous a dit que les archives seraient
ouvertes dans trois ans. On nous dit
aujourd’hui qu’elles ne seront peut être pas
prêtes dans ce délai. Et alors; face à un tel
enjeu, que sont quelques années. L’attitude
de Benoit XVI représente un choc pour la
communauté juive, et nous nous devons de
rappeler les marches en arrière que furent
l’affaire Williamson et le demi échec de la
visite pontificale à Yad Vashem.
Le dialogue interconvictionnel est fondamental à Beth Hillel. A nos amis chrétiens,
nous affirmons notre espoir que ce dialogue se maintiendra et s’intensifiera, mais
nous leur disons aussi que nous ne fermerons pas les yeux et que nous ne pourrons jamais accepter une « interprétation
falsificatrice» de l’histoire. Le régime hitlérien envisageait l’extermination totale
de nos parents et nos grands- parents, ils
ont payé le plus lourd tribut possible, nous
leur devons d’être vigilants. Nous le devons
aussi à nos enfants et à nos petits-enfants
car l’apprentissage du devoir de mémoire
fait partie intégrante de l’éducation juive.
Sur un sujet infiniment plus léger mais plus
proche de nous, je voudrais dire à nos amis
du CCLJ que j’ai lu avec intérêt le n° 701 du
Regards paru le 8 décembre dernier qui présente une analyse exhaustive du judaïsme
laïc. Je dois regretter cependant que plusieurs articles insistent parfois agressivement sur une opposition entre le religieux et
le laïc. Ils auraient pu dire, comme nous le
faisons, qu’il y a plusieurs façons de vivre
le judaïsme et que chacune est complémentaire de l’autre. Comme eux, mais avec une
approche fondamentalement différente,
le judaïsme « religieux » libéral a compris
depuis bien plus longtemps l’importance
d’inclure la pensée et la vie modernes dans
une vie juive épanouie. Un rabbin américain
note qu’il y a deux systèmes religieux qui
coexistent : les auto-ségrégationnistes et
les intégrationnistes. C’est un débat passionnant que nous devons poursuivre.
C’est donc très logiquement que je terminerai en disant que sur le plan religieux, Beth
Hillel fonctionne merveilleusement bien.
Nos offices sont suivis et les fêtes attirent
de plus en plus de monde. Nous célèbrerons
bientôt Tou Bichvat et surtout Pourim qui
attirent de très nombreux enfants. Sans nul
doute ce succès est dû au fait qu’au-delà du
rite, nos rabbins donnent du sens et expliquent l’enseignement actuel que l’on peut
tirer de nos textes ancestraux. Venez nombreux, vous trouverez les annonces plus loin
dans ce Shofar.
A bientôt à Beth Hillel,
Philippe Lewkowicz
■
le shofar
J U DA Ï S M E
Mieux vaut en rire
Par Rabbi Abraham Dahan
Pourim détonne par rapport aux autres
fêtes juives. Nous sommes loin de la solennité, de la densité et de la conscience qui
sont les marques de leur célébration et de
leurs pratiques.
mon enfance, au Maroc, il était de tradition
de faire à Pourim un pain spécial, Boyos,
des pains ronds en forme de visage avec, à la
place des yeux, le nez et la bouche, des œufs
que l’on s’amusait à crever!
Le récit de la Meguilah donne l’impression
d’une énorme farce. Ripailles et beuveries se
succèdent et les personnages ressemblent à
des caricatures. Le roi organise des festivités pour étaler sa gloire et sa puissance, le
vin coule à flots, sans mesure ni limites. Son
pouvoir - il règne sur 127 provinces – est sa
seule préoccupation. Le sort des Juifs de son
empire? Il n’en a cure et il est indifférent au
projet criminel de son ministre Haman, le
Hitler de sa génération, qui festoie avec ses
amis pour tirer au sort la date d’extermination de la communauté juive de Perse. Quant
à Esther, elle aussi organise dîner après dîner
où elle invite le roi, inquiet de ses invitations soudaines, avec Haman seul. Le roi est
inquiet, mais Haman éclate d’orgueil d’être
invité avec le roi chez la reine. Cependant
Esther a son idée…
Même dans la liturgie de Pourim se retrouve
ce manque de sérieux avec le tintamarre des
battements de pieds et le bruit des crécelles
pendant la lecture de la Meguilah.
L’ensemble donne l’impression d’une vraie
pièce de théâtre où l’absurde le dispute au
burlesque et où les situations s’inversent
comme dans une pièce de Molière.
Les pratiques de Pourim illustrent bien l’irrationnel du récit. C’est comme un immense
éclat de rire: déguisements, masques, jeux de
hasard, mitsva de boire jusqu’à ne plus faire
la différence entre Haman et Mordehaï. Dans
Débordements hilares, carnavalesques, très
loin de la manière et de la conscience qui
caractérisent les autres fêtes.
D’ailleurs, Pourim c’est la seule fête avec un
nom non hébraïque. La Meguilah elle-même
précise que le mot ‘Pourim’ signifie en persan
les hasards, les sorts; comme pour suggérer
l’aspect parfois apparemment absurde de
la vie? L’absence du Nom divin dans tout le
récit accentue cette impression. Alors que
Kippour – kippourim - traduit l’âme juive,
Pourim serait comme l’autre versant. Notez
l’homonymie entre les dénominations des
deux fêtes. Suggèrerait-elle le désir inconscient d’échapper, de sortir d’une histoire trop
lourde?
Il y a, dans la Meguilah d’Esther, comme
une tragique incompréhension, la stupéfaction devant cette maladie des nations,
vieille comme le monde et les hommes, que
l’on appelle l’antisémitisme et qui conduira
jusqu’à la Shoah. En même temps, une fine
analyse de cette maladie:
7
J U DA Ï S M E
8
1) C’est dans les vapeurs de vin, les beuveries et les ripailles, c’est-à-dire en
dehors de toute raison, que prend corps
le sinistre projet de Haman (Meguilah).
2) L’antisémitisme naîtrait de la différence
qui caractérise le peuple juif. Elle irrite,
inquiète et excite: «un peuple dispersé
qui n’a pas le même dieu que les Perses,
pas les mêmes lois, et qui est donc dangereux».
3) La situation du peuple juif, peuple
éclaté dans toutes les contrées de la
terre, peuple qui se veut citoyen du
monde et qui, par sa présence, transcende partout les nationalismes exacerbés et donc, qui inquiète.
4) La généralisation: on en veut à un Juif,
Mordehaï, et on condamne tous les
Juifs.
5) La raison économique, enfin, que l’on
retrouvera tout au long de l’histoire:
exterminez les Juifs et leurs biens
seront la propriété du roi.
Alors peut-être, pour conjurer la tragédie,
mieux vaut en rire. D’où le côté carnavalesque de la fête…
Le Talmud raconte qu’après la pendaison
de Haman, le roi, intrigué par leur histoire
tourmentée et leur indéfectible fidélité, invite
les dirigeants de la communauté juive à un
grand repas:
- Dites-moi, Juifs, ce Dieu invisible à qui vous
êtes si fidèles, que fait-Il pour vous?
Devant le silence angoissé des Juifs, le roi
s’énerve:
- Quand vous arriverez chez Lui, pourra-t-Il
au moins vous offrir un repas comme celuilà?
Un rabbi se lève alors et répond:
- Majesté, vous savez, quand on arrivera chez
notre Dieu, s’il nous offre un repas comme
celui-là, nous lui dirons que nous l’avons déjà
mangé chez vous!
Pourim agit un peu comme une soupape pour
éviter, peut-être, que le fusible ne saute...
Cependant, malgré l’incompréhension, le
déchirement, le sentiment de néant et d’absence parfois, rien n’éteint, dans le peuple
juif, l’espérance infinie, la volonté de sens
et l’action. Alors que Hanoucca marque la
conviction de l’éternité de l’esprit d’Israël,
Pourim, à sa manière, par le rire, l’humour
et la distance, raconte que nous dépasserons tous les Haman d’une Histoire qui n’en
a pas manqué et qui n’en manque pas jusqu’à
nos jours. ■
le shofar
The significance of Purim in
Judaism: the bright and the
dark
1
By F. Bataller M.
Purim is a rather unusual Jewish festival
that evokes events that apparently took place
around 450 BCE in the Persian Diaspora,
nearly a century after many Jews had already
returned to the land of Israel following their
Babylonian exile. It is celebrated in Spring on
the 14th day of the month of Adar, when the
events in question are reported to have taken
place and it is believed to be observed since
the first century BCE. The story is told in the
Book of Esther (Megillat Esther, or Megillah
for short), which is believed to have been
written in the third or fourth centuries BCE
and is the last biblical scroll that was canonized into the twenty four books of the Tanakh
or Jewish Bible.
Even though it is a lesser festival than those
established in the Torah (which explains why
refraining from work during that day is not
imperative), and even though the story of
Purim is considered a fable by some (among
other reasons because there are no outside
historical records to provide evidence that
the events took place), it is one of the most
celebrated moments in the religious calendar
of Judaism.
It is commemorated, like Carnival is amongst
many Western cultures at about the same
period of the year, as a festive and merry occasion. However, there is an evident difference
with Carnival, whose origins lie in the effort
to consume and thus get rid of rich foods
before Christian Lent (the parallelism with
Pesach here is unavoidable, in spite of the
absence of evident links), so as to initiate adequately this more austere, sedate and penitential period. Purim’s origin lies in the mandate
to celebrate the survival from persecution
in Persia at the time of King Achashverosh,
which is prevented through the intervention
of two Jews, Mordechai and his niece Esther,
before the King, whom she soon marries. The
persecution had been ordered by Haman, who
was the King’s vizier, and who has become the
epitome since then of enemies of the Jews.
This is not the first instance of hate towards,
and oppression of, the Jews as they had
already suffered both in Egypt, whose Pharaoh had enslaved them and even ordered
their first-born males to be killed (Exodus
1:16). However, the story of Purim or “Festival of Lots” (its name comes from the word
“pur”, which means “lot” in Persian, in reference to the lots which Haman cast to decide
on the date of his intended massacre) is the
first recorded effort to wipe the Jews off the
face of the Earth.
1 The author thanks N. Alfred, C. Einhorn and S. Bobrof for their comments to earlier drafts.
9
J U DA Ï S M E
10
Purim is a celebration marked by the fulfilment of some conventional duties, such as
remembering the date and retelling the story
for generations to come, and sending food to
each other. Both of these duties are a clear
reminder of Passover, one of the so-called
Pilgrimage Festivals: the latter’s command
to ensure that everyone can share in the paschal dinner and the call to remember Pesach
(and to relive it as if it was happening today)
are echoed in the Megillah’s commands
even if the retelling of the story is more celebratory in the latter and doesn’t require the
reader to feel as if they were an active participant in the story. Another, and perhaps more
important parallelism with Passover, is the
fundamental theme in both, and which also
appears in Hanukah or the Festival of lights,
which is freedom and liberation. Finally, the
unusual twist of a Passover Haggadah in
which the name of Moses is not mentioned
even once runs parallel to the Megillah’s conspicuous absence of any reference to God!
to get drunk on Purim (Amora Rava in Bavli
Talmud Megillat 7b), to the point of not being
able to distinguish between Mordechai (the
good Jew in the Megillat) and Haman (the
Jew hater in the story), as a rather extreme
demonstration of the celebratory mood of
the occasion. It is not easy to find a similar
admonition among mainstream religions the
world over!
Significant as these echoes from Passover
are, they are not the only characteristics that
make the Purim story especially remarkable. There are two other idiosyncrasies that
contribute further to making Purim somewhat exotic and rather unique. Both have to
do with rituals and, particularly, with two
unusual commands. Neither of them appears
in the Megillah nor in the rest of the Tanakh,
as they have been drawn up by the Sages in
the Talmud.
Yet, the apparently-festive nature of the
Purim festival betrays its somber significance as a key episode in the history of the
Jews as a frequently-outcast people never
fully welcome and often unwelcome in the
societies where it settles. In this regard,
what makes Purim’s story particularly significant is as a precedent of many further
persecutions that the Jews would encounter
throughout their history and, most notably,
the attacks they received during the First
Crusade, their expulsion from Spain (after
declining to convert to Christianity) and the
ultimate persecution embodied in the Shoah,
during which their total extermination was
approached systematically.
The first of these commands, which is highly
cherished by children during the retelling
of the Megillat, is to silence Haman’s name
every time it is uttered (as an extension of the
command in Deuteronomy 25:19 to ‘blot out
the name of Amalek’, who was a forefather of
Haman); in response, it is traditional for children to scream and make plenty of noise (and
in earlier times throw small stones) when
Haman’s name is heard during the reading
of the Megillah. The second is the command
What this shows is that, like Carnival, which
takes place as the last occasion for merriment before the Christian faith relives Jesus’
fasting in the dessert ahead of being put
on trial, Purim links religious and cultural
aspects of Judaism with activities that are
profane and festive. Thus, even though God
is not mentioned even once in the narrative
of the Megillah, the latter’s references to
Judaism are not agnostic, as shown by the
allusions to fasting and laying sackcloth and
ashes (Megillat 4:3), which are hardly conceivable in a secular context.
Equally significant is that Megillat Esther precedes Christianity by about 500 years, which
helps disprove the frequently-held view that
anti-Semitism essentially is a Christian-motivated phenomenon, which emerged from
blaming the Jews as deicides, that is, as kill-
le shofar
ers of Christ, the Son-of-God. To the extent
that the time of Esther predates the first Crusade, which is the first major episode of massive anti-Semitism in the Common Era, by
over 1500 years, Megillat Esther leaves clear,
that aside from the bondage in Egypt and the
struggles for the conquest of Canaan (during
which several peoples appear as sworn enemies of the Jews), there were already other
peoples in what is now known as the Greater
Middle East which didn’t welcome the Jews
and persecuted them.
Finally, the dark side of Megillat Esther
does not conclude here. Following Mordechai’s and Esther’s intervention, Haman’s
conspiracy is debunked and Haman himself is executed, so that the Jews are saved
from extermination. However, something
terrible, for at least today’s sensitivities
happens at this moment: the Jews are given
permission to take up arms and carry a pre-
emptive battle against those that conceivably wished to kill them. And, in a vengeful
narrative, they exercise this authorization
by launching a brutal reprisal against their
enemies (Megillat 9:5-10). Equally disturbing and somewhat puzzling, as it recalls in
reverse form some of the saddest periods of
Jewish history, particularly the autos da fe
and the Inquisition, is the readiness of many
of Haman’s followers to renounce their own
beliefs, out of sheer fear for their lives, and
to convert to Judaism thus avoiding persecution (Megillat 8:17).
To sum up, both Megillat Esther and the
Purim celebrations show that things are
never as simple as they look, particularly in
what pertains to Judaism and its history. In
fact, they illustrate the multilayered nature,
non-linear reading and sometimes puzzling
and contradictory nature of Hebrew texts.■
11
J U DA Ï S M E
Quelques recettes de
Pourim
12
Recueillies par Giny
1 - Les oreilles d’Aman
2 - Les Cigares
Ingrédients :
Pour la pâte
500 g de farine
2 oeufs entiers + 1 jaune
2 cuillères à café de levure chimique
125 grammes de sucre
Sucre vanillé
1 cuillère à soupe d’huile
1 pincée de sel
250 grammes de margarine
Ingrédients:
10 feuilles de brick
1 kg d’amandes
800 g de sucre
2 zestes de citron
Vanille (1 paquet de sucre vanillé)
Eau de fleur d’oranger (4 cuillères à soupe)
Huile (pour la friture)
1 oeuf entier + 2 blancs d’œufs
Pour la farce :
200 grammes de confiture,
100 grammes de raisins secs,
100 grammes de noisettes ou d’amandes
moulues
Préparation :
Faire une fontaine avec la farine. Y mettre
les oeufs entiers et le jaune, la levure, le sel,
les sucres, l’huile, la margarine et un fond de
verre d’eau. Pétrir.
Préparer la farce : mélanger la farce. Etaler
la pâte au rouleau, comme pour une tarte.
Découper des ronds à l’emporte-pièce, avec
un moule ou un verre. Y mettre un peu de
farce puis souder les bouts en triangle.
Mettre sur une tôle et cuire à four moyen,
à 200 ° (thermostat 6-7) pendant 10 à 15
minutes.
Préparation:
Hâcher les amandes.
Mélanger-les avec le sucre, la vanille, l’eau de
fleur d’oranger et les oeufs.
Mettre des morceaux de cette farce dans les
feuilles de brik que l’on roule. Faire frire.
Tremper les cigares dans du miel ou dans un
sirop de sucre ou encore dans un mélange
miel et sirop de sucre
3 - Pain de Pourim (Boyos)
Tradition marocaine (voir le texte de Rabbi
Dahan sur Pourim)
Ingrédients :
1 kg de farine
1 cube de levure boulangère
3 œufs
1 c. à café de sel
1 c. à soupe de sucre en poudre
1/2 verre d’huile
1 grand verre d’eau tiède
9 œufs
grains de sésame
le shofar
Préparation :
Mettre dans un bol la levure, le sel, le sucre,
l’huile, deux oeufs, et un grand verre d’eau
tiède, et laisser reposer 10 min.
Verser la farine dans une grande bassine et
creuser un trou au milieu, dans lequel vous
verserez la préparation. Pétrir ce mélange,
jusqu’à obtenir une pâte légère, ajouter de
l’eau tiède si il y en a besoin.
Recouvrir cette pâte d’un torchon propre et
laisser reposer.
2ème étape
Une fois la pâte levée, pétrir à nouveau cette
pâte pendant 5 min.
Découper la de pâte en cinq parts, former des
boules, couvrir et laisser reposer.
Faire préchauffer le four Th° 5. Huiler une tôle.
Prendre 1 boule de pâte et faire une galette
pas trop épaisse, disposer par dessus 3
oeufs, décorer les avec des restes de pâte,
disposer le sur la tôle,(vous pouvez mettre
trois pains, par fournée) Laisser le pain
lever, une fois levé, badigeonner la surface
avec un jaune d’œuf, * et enfourner la tôle, le
temps de cuisson dépend de chaque four, il
faut qu’il soit doré et cuit à l’intérieur (environ 25 min).
Avec cette préparation, vous pourrez obtenir
3 pains.
Selon les goûts vous pouvez saupoudrer de
grains de sésame.
La coutume veut que chaque membre de
la famille crève un oeil à Haman, celui-ci
est représenté par l’œuf sur le pain et dire:
«HAROUR AMAN»(Maudit Aman).
Bon Appétit !
■
13
J U DA Ï S M E
Faut-il croire pour prier ?
La liturgie juive
Interview de Rabbi Abraham Dahan
par Ralph Bisschops, Dr. phil.
Ralph Bisschops : La prière semble être
intimement liée à la foi. Si l’on voit prier
quelqu’un, l’on présume aussitôt qu’il est
‘croyant.’ Mais est-ce bien ainsi dans le
judaïsme ?
14
l’étonnement devant l’infini des choses. Elle
est la prédisposition à l’émerveillement. Cela
nous rappelle le midrash sur Abraham, dont
le père fut un marchand d’idoles1. Abraham
se mit à se demander si une idole pouvait bien
contenir la divinité et il est ainsi devenu celui
Rabbi Dahan : A priori, oui, car la prière qui allait poser les vraies questions. Il se vit
s’adresse au Créateur. Pourtant, si on deman- réprouvé par la tradition de son pays selon
dait à la multitude de Juifs qui fréquentent la laquelle, par définition, un être bien pensynagogue s’ils ont la foi,
sant ne questionne pas.
sans doute leur réponse
La racine est également
Prier, c’est se juger, se
ne serait pas toujours
comprise dans le verbe
affirmative. La prière regarder, se mettre devant pillel qui signifie « devijuive n’est pas seulement un miroir et se demander : ner, » « penser,» « imagiune question de foi. Je
ner. » Prier c’est laisser
« Ma vie, c’est quoi ? »
crois qu’elle dépasse de
aller son imagination.
beaucoup ce contexte.
Cette même racine est
Une preuve en est la notion de «miniane», également à la base du verbe « juger » . Prier,
c’est à dire l’exigence d’être au moins dix c’est donc se juger, se regarder, se mettre
personnes pour dire la prière. Cela sou- devant un miroir et se demander : « Ma vie,
ligne l’importance de la dimension sociale c’est quoi ? » Dans ce contexte les rabbis
de la prière, le devoir d’être ensemble. Mais posent la question de savoir ce que cela veut
la question reste toujours posée. D’ailleurs dire concrètement « aimer Dieu de tout son
le mot hébreu pour « prière » mérite d’être cœur ». Et ils demandent: « Quel est le serregardé de plus près : le’hitpallel . C’est un vice qui se fait avec le cœur ? » Ils répondent :
verbe pronominal qui signifie littéralement Le cœur est le siège de l’émerveillement. Gar« se prier,» « s’interroger. » La racine est pe, dons cette attitude ; restons un tout petit peu
lamed, lamed, juger, imaginer. Or, une racine enfants. La prière, c’est le refus d’être blasé.2
proche: pe, lamed, aleph signifie pele, le
miracle. La prière est tout d’abord la percep- Il existe une autre dimension de la prière:
tion du miracle d’ «être». Pourquoi quelque elle est une évolution par rapport au culte
chose existe-t-il plutôt que rien ? La prière est antique des sacrifices. Les rabbis ont
1 Bereshit Rabba : 28, 13
2 Taanit 20a
le shofar
déclaré que « la prière remplace les sacrifices ». Les sacrifices furent l’expression du
sentiment religieux à un moment de l’histoire; très vite les hommes s’aperçurent
qu’ils ne répondaient plus à leurs aspirations. En même temps cette évolution allait
de pair avec la dispersion et l’exil. La prière
deviendra un outil de rassemblement pour
cimenter les communautés. C’est pour cette
raison que les rabbis vont mettre la prière
orale par écrit.
R. B. : Vous dites, en vous basant sur
l’étymologie, que prier signifie « se
juger. » Mais est-ce qu’on peut vraiment
percevoir la prière ainsi ? J’ai du mal à
retrouver cet aspect dans nos livres de
prière.
Rabbi Dahan : La liturgie de Yom Kippour ne
contient-elle pas des méditations sur la vie,
la mort et la condition humaine ? C’est réellement se mettre devant un miroir de vérité,
sans retouches et sans alibis. D’ailleurs,
peut-on concevoir la prière, non pas seulement comme le ciment d’un peuple éclaté,
mais comme une pédagogie qui vise à affiner
la conscience ? Le midrash nous donne une
très belle image : « La prière de l’homme n’est
agréée que s’il se présente avec son âme dans
la paume de sa main. » Il nous enseigne également que la prière n’est prière que lorsqu’elle
est précédée d’une bonne action.3 Le culte
sacrificiel instauré par Moïse allait d’ailleurs
dans le même sens. Il n’est efficace que pour
les fautes involontaires, ce qui indique un
degré de conscience très aigu. C’est un véritable sculptage de l’humain qui m’amène à
me scruter, à travailler sur moi-même. Ils est
d’ailleurs requis que nos « paroles soit brèves
devant le Saint béni soit-Il ».4 Ne les allonge
pas, évite les adjectifs et les superlatifs. Avec
l’exil, cependant, les formules pieuses vont
proliférer. C’est contre elles que les premiers
libéraux ont réagi. Ils ont abrégé la liturgie
pour mettre en évidence les textes essentiels. Les exigences que les premiers rabbis
posaient à la prière étaient à la fois sobres et
sévères : « Que l’homme ne vienne pas prier
par désœuvrement, ni par mélancolie, ni
par légèreté. » La prière doit naître de la joie
engendrée par une action réussie et bonne.5
Dans ma prière je n’exprime pas seulement
un manque, mais j’apporte mon épanouissement. La synagogue n’est pas la cour des
miracles ; il y a une exigence intellectuelle
et humaine.
R. B. : Il faut être dix pour certaines
prières comme la kedusha. Il en est de
même pour la lecture publique de la
Torah et de la Haftarah6. Pourquoi la
prière solitaire est-elle réprouvée?
Rabbi Dahan : En effet, pourquoi l’exigence
d’être dix ? Le Talmud pose pourtant la question : Si quelqu’un est seul, Dieu ne l’est-Il pas
lui aussi ? Bien sûr, Il l’est. Cependant il faut
être dix pour que la prière dépasse les mots
de la prière, aussi vénérables, saints et prodigieux soient-ils. Quand on est ensemble, on
peut faire beaucoup ; nous pouvons donner
des ailes à notre prière et en faire un outil
de réalisation. Dix personnes réunies, c’est
beaucoup plus efficace et plus valable que
cent personnes dispersées. L’idée est d’être
ensemble pour construire. Et c’est vrai que
l’organisation des communautés juives a
permis la cohésion du peuple juif dans ses
exils, malgré toutes les accusations et persécutions dont il fut l’objet. Ce fut une manière
d’inverser l’infinie faiblesse en force. Mais il
y a dans le Talmud une compréhension pour
l’autre aspect des choses: si tu veux prier,
rends-toi à la synagogue de ta ville. Si tu ne
peux t’y rendre, prie dans ton champ7. Si tu
3 Berakhot 31
4 Berakhot 41
5 Berakhot, 31a
6 Lecture d’un extrait des livres prophétiques après la lecture de la Torah.
15
J U DA Ï S M E
président du Beth ha-Midrach,10 et lui posa la
même question. Celui-ci répondit d’attendre
la prochaine réunion. Lorsque les sages
furent réunis, Rabban Gamliel commença la
leçon en disant à Rabbi Yehoshuah : « Il m’a
été rapporté que tu enseignes que la prière
du soir serait facultative. » Rabbi Yehoshuah essaya de s’en tirer avec de l’humour,
mais sans succès. Gamliel lui dit : « Reste
debout et qu’on témoigne contre toi. » Malgré
son âge, Rabbi Yehoshuah resta debout. Les
sages se dirent : « Cela ne peut plus continuer
ainsi. C’est déjà la troisième fois qu’il cherche
noise à ce malheureux ! »
Ils ordonnèrent à l’interR. B. : Les obligations
Dans ma prière je
prète, chargé de traduire
halakhiques
concernant les prières sont, n’exprime pas seulement simultanément les débats
en effet, nombreuses un manque, mais j’apporte académiques en araméen
pour le peuple, d’interet contraignantes. Les
mon épanouissement.
rompre son travail et Raboffices doivent être
ban Gamliel comprit qu’il
célébrés aux mêmes
heures où l’on apportait les sacrifices au était désapprouvé. Pour revenir à la question
Temple: matin (shaharit), midi (minha), si la prière du soir est obligatoire, la halakha,
soir (maariv8). Même si l’on ne prie pas en fin de compte, décidera en faveur de Rabdans une synagogue, cet ordre doit être ban Gamliel, parce qu’il fallait bien fixer les
respecté. Nous y retrouvons peu l’élan choses. Mais en même temps, le traité talmudique Berakhot, dont nous tenons cette
du cœur que vous venez d’évoquer.
célèbre disputation, fait l’inventaire de ces
Rabbi Dahan : Le Talmud s’adresse à des deux attitudes opposées. Donc, encore une
hommes. Si l’on veut que la communauté fois, on ne dogmatise pas, on n’étouffe pas
garde sa cohésion, la tentation se présente de la recherche. La question reste toujours
vouloir fixer un cadre pour la prière. Parmi vibrante.
les questions liturgiques, il en existe même
une qui a occasionné chez les Tannaïm une Evidemment les rabbis vont essayer de dondissension tellement grave et spectaculaire ner à chaque prière ses lettres de noblesse.
qu’elle est entrée dans les annales de l’his- Comme la prière succède au culte antique
toire juive9. Un jour un disciple demanda à des sacrifices, les rabbis essaieront de la
Rabbi Yehoshua si la prière du soir est facul- faire remonter à l’antiquité lointaine et ils
tative ou obligatoire. Rabbi Yehoshuah, qui diront: « tefillot avot tiknoun (les prières ont
était un vieux sage, répondit qu’elle est facul- été instituées par les patriarches ». Le verset:
tative. Ensuite ce même disciple, peut-être un « Abraham se leva tôt le matin» (Gen. 22, 3)
peu pervers, s’adressa à Rabban Gamliel II, le indiquerait qu’Abraham a instauré la prière
ne peux pas prier dans ton champ, prie dans
ta maison . Si tu ne peux pas prier dans ta
maison parce que tu es malade, prie sur ton
lit. Pour appuyer leur affirmation, les rabbis
citent le verset (Psaume 4, 5). « Parlez-en
dans votre cœur, sur votre couche, dans le
silence,» sans mots, bien qu’ils soient quand
même nécessaires. Pour résumer, cette perception très riche: La synagogue, c’est important ; mais on peut prier partout. La vision
juive des choses n’est pas contraignante; il
n’y a jamais de système fermé. Il est cependant vrai que la halakha a fixé les choses.
16
7 Shoher Tov 4
8 L’office de neïla (« fermeture des portes du Temple ») ne se pratique qu’à Yom Kippour.
9 Traité Berakhot 27b – 28a
10 l’académie rabbinique de Yavné.
le shofar
du matin (Avraham tiken et tefilat ha-shaharit), ce qui est un manière de mettre cette
prière en valeur. Le verset « Isaac sortit vers
le soir pour se promener dans les champs »
(Gen. 24, 63) signifierait que c’est d’Isaac que
nous vient la prière de minha. (lasouah) renvoie à la racine (siah) qui signifie converser.
Isaac aurait « conversé » dans les champs.
Conversé avec qui ? Il aurait prié. Quant à
la prière du soir, elle trouverait son origine
dans le verset : «Jacob quitta Ber Sheva,
il alla vers Haran et arriva en un lieu, il s’y
arrêta pour dormir parce que le soleil s’était
couché » (Gen. 28, 10-11). Littéralement le
texte dit « il toucha le Lieu ». Le mot « Lieu
» est un des termes qui désignent Dieu. Les
rabbis en concluent que Jacob avait prié
après le coucher du soleil.
l’attachement à la prière se trouve peut-être
ailleurs. J’ai devant moi un très étrange commentaire de Rabbi Yitzhak à propos du verset 18 du Psaume 102. Le verset du Psaume se
traduit comme suit « Il répond à la prière du
vulnérable à l’extrême et ne dédaigne pas ses
supplications. » Rabbi Yitzhak interprétait ce
verset dans le sens que lui donnait sa génération, où il n’y avait déjà plus ni roi, ni prêtres,
ni prophètes, ni Ourim ve-Toummim11 et où
Israël était sans pouvoir aucun. Une seule
chose restait à ce peuple sans souveraineté:
la prière.12 La prière apparaît ici comme la
maison, le refuge et l’ultime recours.
R. B. : Vous aviez dit toute à l’heure que
la prière ne devrait pas résulter seulement d’un manque, mais devrait exprimer notre épanouissement. D’autres, par
contre, tiendraient la prière pour une
expression d’humilité.
R. B. : Cela veut-il dire que les rabbis ont essayé de dissocier les heures
de la prière de celles des offrandes
sacrificielles ? Or, ce
furent bien les heures
A la fin des offices de
des
offrandes
qui
Shabbat nous récitons
déterminèrent celles de
le « ein k-eloheinou » et
la prière.
Rabbi Dahan : La notion
d’humilité a été élaborée
par les rabbis d’une façon
qui illustre cette faculté
à vouloir structurer la
prière tout en se méfiant
que nous traduisons
Rabbi Dahan : Ils ont
de la tentation de trop
communément par « Il fixer. Il y a ce verset de
voulu démontrer que la
prière a sa racine profonde n’y a pas de Dieu comme la Mishnah qui dit: « Ne
dans l’Ecriture. Bien
fais pas de ta prière une
sûr, ce n’est pas du tout notre Dieu. » Dans l’esprit chose fixe13 (kevah), »
logique. Cette démarche
c’est à dire une routine ou
des rabbis on pourrait
s’inscrit non pas dans
un automatisme. Evidemcependant dire : « ein
une logique, mais dans
ment les rabbis, devant
une éthique, une volonté
ce texte, se sentiront un
eloheinou »,
de refaire l’homme et le
peu troublés. Qu’est-ce
il n’y a pas....
monde selon la manière
que cela veut dire kevah ?
dont on les rêve. La logique, on s’en méfie. Car, dans la liturgie, la routine est incontourElle est perçue comme intéressante mais pas nable. Il interpréteront cette phrase dans un
comme déterminante. Mais la vraie raison de autre sens : « une chose fixe » signifierait «
11 Par ces termes, dont le sens reste imprécis, on entend communément les pierres précieuses contenues dans le pectoral du Grand
Prêtre. Ils servaient à consulter l’Eternel pour connaître sa volonté.
12 Lévitique Rabbah : 30, 3
13 Berakhot, 29
17
J U DA Ï S M E
une prière qui n’est pas supplication, humilité devant le Créateur. » Que l’homme reste
conscient de son infinie petitesse par rapport
à l’infini de Dieu. Les exigences qui portent
sur la prière sont multiples : qu’elle soit émerveillement, qu’elle exprime la joie à la suite
d’un acte positif. Au fond ces deux aspects
relèvent de la même chose : je positive ma vie
! Quant à l’émerveillement, il est tissé d’humilité devant l’infini des choses. Ces aspects se
complètent comme dans un tableau.
R. B. : Pour conclure je voudrais bien
revenir à la question initiale de cet
entretien : Faut-il croire pour prier ? Je
n’y vois toujours pas clair.
18
Rabbi Dahan : A la fin des offices de Shabbat nous récitons une prière qui commence
par le verset ein k-eloheinou et que nous traduisons communément par « Il n’y a pas de
Dieu comme notre Dieu. » Dans l’esprit des
rabbis on pourrait cependant dire : ein eloheinou, il n’y a pas....
R. B. : Mais le verset dit bien « ein k-eloheinou, » (il n’y a rien comme notre Dieu)
le préfixe caf signifiant « comme ».
Rabbi Dahan : Oui, mais grammaticalement cette expression est un peu fragile. S’il
n’y avait que cette phrase je ne dirais rien ;
je dirais que je suis fou. Mais il y a d’autres
repères qui retracent les mêmes vibrations.
Le dix paroles notamment ouvrent à la même
perception. Dieu s’y révèle comme libérateur,
point à la ligne. Et dans la parole suivante il
ordonne: « Ne fais pas d’images et pas de discours ; tais-toi ». On rencontre cette même
réticence dans le verset où Dieu dit à Moïse
« Tu ne peux voir ma face, car l’homme ne
peut me voir et vivre » (Ex. 33, 20). On la
retrouve également dans «Lévitique» 16,2 où
Dieu dit à propos d’Aaron : Qu’il n’entre pas à
tout moment dans le sanctuaire puisque c’est
dans la nuée que j’apparais. Qu’il ne s’attende
pas à un spectacle, il n’y en a pas. Il n’y a rien
à voir.
On voit également cette réticence dans la formulation inouïe par laquelle Dieu se révèle
lorsque Moïse Lui posa la question: «Quand
les anciens d’Israël me demanderont au nom
de qui je viens, que dois-je répondre ? ». Dieu
répondit par un futur: « Je serai qui je serai ».
Il se révèle comme devant advenir. On voit
cette même réticence dans la kedushah, un
texte écrit par les rabbis et qui forme le cœur
de tout office religieux : kadosh, kadosh,
kadosh « Tout autre14, tout autre, tout autre
est l’Eternel Tsebaot. » L’imagination peut
porter sur l’univers, mais elle doit s’abstenir
de s’aventurer sur la notion de Dieu. C’est
en cela que certains chemins mystiques
sont suspects. Suit le verset: « La terre est
pleine de sa gloire15, » cependant les anges
demandent l’un à l’autre : « Où est le lieu de
sa gloire ? » Et ils continuent : « Bénie soit
la gloire de Dieu de là où Il est. » Cela veut
dire que nous ne savons pas. Non seulement
il n’y a pas d’images et pas de discours, mais
un infini « je ne sais pas. » Ce n’est pas de
l’ordre de la preuve et de la théologie. Il n’y
a pas pour moi de théologie; on n’étudie pas
Dieu, on n’en discute pas. La seule chose que
nous avons, c’est la Torah: un chemin, des
règles de vie. Ce sont elles qui témoignent de
Lui, non pas mes mots, ni mes visions. Ce
qui importe n’est pas ce que je crois, mais ce
que je fais.
■
14 Généralement le mot kadosh se traduit par « saint ». La racine latine traduit la même notion que celle de kadosh et désigne littéralement ce qui est « mis à part, » consacré à autre chose. Le verbe lekadesh signifie « mettre de côté. »
15 Littéralement : son ‘poids’
le shofar
Introduction à la littérature
biblique et rabbinique
Compte-rendu d’une conférence
du Rabbin David Meyer
Le séminaire du R. David Meyer au Service social juif, s'est
ouvert cette année par une conférence qui aborde un sujet complexe et d'une grande importance pour celui qui se pose des
questions à propos de l'interprétation des textes. Nous avons
pensé que ces réflexions seraient un guide utile permettant de
mieux en connaître les différentes voies.
19
La tradition juive est connue pour sa capacité
infinie d'interpréter les textes. Comment se
structurent les réflexions des rabbins ? Entre
Midrash, commentaires bibliques, Talmud
et codes halakhiques, comment retrouver
son chemin et suivre l'évolution d'une pensée cohérente dont la référence principale
demeure le récit de la Tora ?
La pensée rabbinique n'est pas simple. Elle
est constituée par un océan d'écrits peu
accessibles, car ils sont la plupart du temps
en hébreu, souvent en écriture de Rachi, et
nécessitent des connaissances approfondies
avant même d'en aborder l'interprétation.
Deux approches sont possibles pour interpréter un texte. Tout d'abord l'approche traditionnelle qui consiste à poser comme préalable: "Toute la Tora a été donnée au Sinaï",
c'est à dire Moïse y a reçu non seulement les
deux Tables, mais également tous les Ecrits
du canon biblique (Ketouvim), ainsi que toute
l'interprétation de la Loi orale. Rien ne s'est
ajouté à ce qui a été donné au Sinaï. Il y a à,
une volonté de croire à la perfection du texte.
La deuxième approche est l'approche critique et scientifique, issue des Lumières et
de la Science du Judaïsme, qui considère que
la pensée a évolué au cours des âges. Cette
lecture critique met en question les Ecrits
postérieurs à la Tora, c'est à dire les Prophètes, les Rois ainsi que la tradition orale
qui s'est modulée selon les lieux historiques
où ont vécu les Juifs: Babylone, Alexandrie,
l'Europe. L'approche critique concerne la littérature biblique et rabbinique, et peut aller
jusqu'à mettre en cause la Révélation.
Il y a divergence entre d'une part l'approche
traditionnelle selon laquelle il y a eu Révélation, et pour qui les textes sont parfaits, et
d'autre part l'approche critique et scientifique
qui n'attribue pas les textes à Dieu mais à différents auteurs. Dans ce cas, quatre-vingt-
J U DA Ï S M E
dix pour cent des commentaires rabbiniques
se verraient dépourvus de sens, puisqu'il n'y
a pas lieu de critiquer un texte parfait.
Selon l'approche critique, il y a quatre sources
aux Ecrits: les sources élohiste, yahviste,
lévitique (postérieure au Temple, puisque
avant l'ère du Temple il n'y avait pas de
prêtres), et enfin la source deutéronomique.
En effet, le dernier livre de la Tora est une
répétition des récits contenus dans les livres
antérieurs et Moïse y décrit sa propre mort.
Dans le Livre des Rois, on voit même que
les ouvriers du Temple découvrent un livre
"perdu" qui aurait été réintégré.
******************
20
Les différentes catégories de textes
bibliques:
Nous avons les textes révélés, ce sont ceux
de la Tora, et ils sont parfaits, les textes inspirés, c'est à dire les textes prophétiques qui
se situent à un autre niveau de sainteté, et
enfin les textes de sagesse inspirée (Ketouvim ou Hagiographes).
Les textes révélés "... n'utilisent aucune voyelle.
Seules les consonnes forment les mots, ce qui rend la
lecture difficile et nécessite une bonne préparation
pour savoir lire et "cantiler" correctement. "Il n'existe
pas non plus de ponctuation. Rien ne signale le rythme
ni le passage d'une phrase à l'autre; points et virgules
sont totalement absents. Rien ne vient interrompre
le flot des vocables, si ce n'est de temps à autre, des
espaces blancs, des vides d'écriture qui apparaissent
à l'oeil non habitué comme des trous au sein même
de l'écriture. Le texte entre deux espaces blancs se
nomme Paracha, c'est à dire "passage". La séparation
entre les livres de la Tora est marquée par un espace
de quatre lignes."
"La Structure du Texte de la Tora" (Le Sefer Tora –
Marc-Alain Ouaknin)
1 Shabbat 13b
Etant donné qu'il est impossible de lire le
texte original, il est nécessaire d'avoir une
interprétation rabbinique. C'est pourquoi
Dieu a donné le texte plus la sagesse pour l'interpréter. Les Rabbins utilisent les Prophètes
pour étayer leurs commentaires. Or, souvent
le Prophète se plaint à Dieu d'être considéré
comme une marionnette privée de son libre
arbitre. (Jonas, Isaïe, Jérémie. Même Moïse
avoue avoir des difficultés à s'exprimer).
Les Ketouvim ,ou écrits historiques selon la
tradition rabbinique, génèrent une certaine
sagesse. Le Talmud se pose la question:
doit-on les inclure ou les exclure du canon
biblique, puisqu'ils sont différents des textes
révélés ? La discussion à ce sujet se trouve
dans le Talmud, comme par exemple à propos de Qohélet (l'Ecclésiaste), des rabbins y
débattent pour savoir si ce texte doit rester
dans la Bible, car il contient des affirmations
contradictoires, allant jusqu'à une philosophie parfois nihiliste. Cependant, ils décident que ce texte doit rester dans le canon.
"Il en va de même pour les Proverbes. Et il existe plus
que des allusions concernant les incertitudes qui ont
accompagné l'insertion du rouleau d'Esther dans le
canon biblique. Plus encore, même au sujet du livre
du grand prophète Ezéchiel, il y eut contestation et on
chercha à l'enfouir "car ses paroles contredisent les
paroles de la Tora1 jusqu'à ce qu'ils (les rabbins) aient
réussi à aplanir les contradictions à l'aide de l'interprétation midrachique."
Ils incluent le Cantique des Cantiques qui
pourrait se lire comme un poème érotique,
mais qui, "grâce à l'allégorie, a été doté d'une
signification qui le rend infiniment précieux dans la
conscience juive traditionnelle" car il peut aussi
être lu comme un poème célébrant les relations de Dieu avec Israël. De même, Job
malgré son réquisitoire violent contre Dieu,
doit rester inclus. Par contre ils excluent les
Maccabées qu'ils considèrent comme un récit
militaire qui n'apporte pas de supplément de
sagesse.
le shofar
"De là découle un enseignement d'une importance
considérable: l'édifice de la foi dans le judaïsme ne
repose pas sur la Bible comme une donnée immédiate
sur laquelle se fixe la croyance. Au contraire, c'est
l'examen critique de la foi par nos maîtres qui a modelé
le visage de la Bible en tant que livre de foi sainte. En
d'autres mots, la Tora écrite ne reçoit son autorité que
par la force de la Tora orale."
(Y. Leibowitz , "Devant Dieu", Cerf, Paris, 2004,
p59)
Littérature rabbinique
Comment se fait une lecture juive de la
Bible ?
La Tora est écrite sur un parchemin, c'est
à dire sur un support fait avec la peau d'un
animal mort. Pourquoi avoir écrit la Tora sur
un parchemin impur ? Peut-être pour éviter
l'idolâtrie du texte. C'est parce qu'il a vu le
veau d'or que Moïse a brisé les Tables: il ne
voulait qu'elle soient idolâtrées.
Autre source d'impureté, mais intellectuelle
cette fois. Il faut qu'il y ait une distance entre
le texte et moi. En effet puis-je aborder le
texte les mains nues ? Ou ai-je besoin d'un
intermédiaire qui garantisse la distance,
comme le yad2 ? De toute façon, ce que je lis
n'est pas ce qui est écrit, mais c'est l'interprétation du texte par un intermédiaire. Or les
commentaires de la Tora sont une approche,
mais cette approche est-elle respectueuse
de la distance qui éloigne de l'impureté ? Il
faut se méfier des dangers d'une lecture, sans
intermédiaire et sans distance, qui se proposerait de "posséder" le texte.
Lévinas écrit: "C'est à partir de la main qui touche au
rouleau de la Tora dénudé que les mains sont déclarées
impures. Mais pourquoi ? Est-il sûr que la nudité du rouleau signifie seulement l'absence d'enveloppe autour du
parchemin ? .... La main n'est-elle qu'une main et non pas
aussi une certaine impudence de l'esprit qui se saisit d'un
texte sauvagement, sans préparation et sans maître,
abordant le verset comme chose ou comme allusion de
l'histoire dans la nudité instrumentale de ses vocables
sans se soucier des nouvelles possibilités de leur sémantique que la vie religieuse de la tradition a patiemment
dégagées ? Sans précautions, sans médiations. Histoire
parsemée de contingences, mais qui est l'ouverture
d'horizons où la vieille sagesse des Ecritures révèle seulement les secrets d'une inspiration qui se renouvelle.
Touchées avec l'impatience de la main affairée qui se dit
objective et savante, les Ecritures, coupées du souffle
qui vit en elles, deviennent des mots onctueux ou faux ou
médiocres, matière pour doxographes, pour linguistes et
pour philologues. ...... On peut se demander en effet si le
monde moderne, dans son déséquilibre moral, ne subit
pas les conséquences de cet abord droit d'un texte que sa
droiture scientifique précisément dénude et appauvrit,
malgré toute la bonne réputation qui, dans l'accès aux
choses du monde – aux choses où com-prendre signifie
encore saisir ensemble – s'attache à la droiture. Il est
peut-être parfois nécessaire dans le monde d'aujourd'hui
de se "salir les mains" et l'on ne saurait mépriser les vertus propres à la "recherche objective" s'appliquant aux
Saintes Ecritures. Mais la Tora échappe à la main qui
prétend la tenir découverte."
"A l'Heure des Nations", Les éditions de Minuits,
Paris, 1988, p 33
Si j'accepte de ne "pas posséder" le texte,
j'accepte une sagesse intermédiaire entre
le texte et moi. S'il y a un intermédiaire qui
interprète, il ne doit pas se contenter d'être un
répétiteur: il doit aller plus loin. Nous avons
l'exemple de Nahmanide qui cite Rachi, puis
ajoute: "Voilà ce que moi je pense", puis tient
compte des autres commentaires. Quant à
Lévinas, il ne met aucun commentateur de
côté, mais rajoute sa propre interprétation,
car il n'y a pas de lecture possible pour qui se
contenterait de dire: "Un tel a dit..."
Selon Léon Ashkénazi, "...il est une façon juive, spécifique, unique de lire la Bible – la Bible dans son texte
hébreu, bien sûr -, façon juive, tradition juive de lecture,
d'étude, d'insertion dans la vérité du texte, qui depuis près
de trois millénaires, minutieuse, fervente, vivante, s'est
2 yad: main en bois ou en métal que tient l’officiant pour suivre le texte lorsqu’il lit dans le rouleau de la Tora.
21
J U DA Ï S M E
22
transmise d'âge en âge, de maître à disciple, de père en
fils, fortifiée par les études, la prière et la méditation de
cent générations qui ont consacré à la Loi de Dieu, insérée dans la réalité quotidienne, le meilleur de leurs jours
et de leurs nuits, de leur intelligence, de leur coeur et de
leur être. Cette lecture, cette étude, c'est certainement
l'expérience la plus importante de la vie spirituelle juive.
Pourquoi donc cette étude et cette lecture sans cesse
renouvelées ? D'une part, parce que l'une des profondeurs
de la réflexion humaine porte sur la rencontre de la personne et de la Loi, c'est à dire la vérité. Cette rencontre
est un des drames de la conscience humaine. Mais, du
fait que la Loi est la Loi, que la vérité est la vérité, elle infiniment supérieure à moi. Nous sommes, nous hommes,
nous l'homme, infiniment supérieurs à la Loi, car la Loi
met en oeuvre des principes impersonnels; oui mais, du
fait que la Loi est la Loi, que la vérité est la vérité, elle est
infiniment supérieure à moi. Ce drame de la conscience
ne peut alors être résolu que par des solutions de mutilation: ou bien l'on préfèrera sacrifier la Loi à la personne, ou
bien l'on préférera sacrifier la personne à la Loi. Mais avec
Abraham, ce problème a complètement éclaté: Abraham
a révélé à l'humanité que la rencontre de la Loi n'est pas
la rencontre d'un monstre impersonnel, mais la rencontre
de Quelqu'un qui, par la Loi, fait connaître Sa volonté.
Dans notre rapport avec la Loi – c'est là un des points de la
réflexion mystique juive commun à toutes les écoles – il ne
peut y avoir de panique, de tragique. Nous savons que nous
ne sommes pas mesurés à des principes – alors en effet
ce serait tragique, et l'échec de l'aventure grecque réside
peut-être en cela – mais à une personne qui a voulu que la
Loi soit ce qu'elle est."
La Parole et l'Ecrit" Ed. Albin Michel, Paris, 1999,
Vol I, p.55
La Tora commence avec l'histoire de l'humanité. Elle est un livre de rencontre entre l'Histoire et la Loi. Si on sacrifie la Loi au bénéfice
de la personne, on en arrive au christianisme.
Si on sacrifie l'homme au bénéfice de la Loi,
on aboutit au fanatisme. La lecture juive
est la rencontre de la lecture humaine et
de la Loi.
La Tora écrite n'est pas strictement définie
puisqu'on en a supprimé des livres. La tension entre l'individu et la Loi se manifeste
par le fait que les commentaires des textes
juifs appartiennent soit à la Halakha ou Loi
à proprement parler, soit à la Aggada, plus
flexible. Cette dernière est une réflexion tous
azimuts qui tient compte de l'expérience de
l'homme, mais permet à chacun d'apporter
sa propre interprétation.
A quoi sert la Aggada ?
Après avoir lu la Aggada, il faut relire le texte
biblique et voir si ma lecture est influencée
par les commentateurs, et/ou si j'apporte
une nouvelle interprétation. Il n'y a pas de
frontière imperméable entre la Aggada et
la Halakha. Comment créer des liens et
des ponts ? Voilà ce que nous enseigne A.Y.
Heschel: La Halakha représente la volonté de façonner sa vie selon un schéma établi, c'est une force qui
met en forme. Alors que la Aggada est l'expression de
l'effort incessant de l'homme qui souvent défie toutes
les limites; la Halakha rationalise et schématise la vie,
elle définit, spécifie, institue, mesure et limite, et place
la vie dans un système rigoureux.
La Aggada traite des relations ineffables de l'homme à
Dieu, à ses semblables et au monde. La Halakha s'occupe des détails de chaque commandement individuel,
tandis que la Aggada s'occupe de la vie en son entier, de
la totalité de la vie religieuse. La Halakha traite de la
Loi, la Aggada du sens de la Loi.
La Halakha traite de sujets qui sont pris au sens littéral,
tandis que la Aggada nous introduit dans un domaine
qui dépasse les limites du langage. La Halakha nous
apprend à accomplir les actes quotidiens, mais la
Aggada nous montre comment prendre part au drame
qui se joue éternellement. La Halakha prescrit, la
Aggada suggère. La Halakha prononce des décrets, La
Aggada inspire. La première fixe les limites, la seconde
procède par allusions.
Soutenir que l'essence du judaïsme réside exclusivement dans la Halakha est aussi erroné que d'affirmer qu'elle se trouve uniquement dans la Aggada.
La relation entre elles est au coeur même du
judaïsme.
Sans la Aggada, la Halakha est chose morte, mais
sans la Halakha, la Aggada s'égare dans toutes les
directions.
texte repris pour la traduction française dans
"Siddour Taher Libénou", Paris, 1997, p 556
■
le shofar
Gershom Scholem
(1897-1982)
Par Monique Ebstein
C’est à présent le 3ème n°
Munich en 1922, je rendu Shofar où nous prétrai à Berlin. J’appris
sentons ce grand penqu’un vieux monsieur
seur et chercheur juif
qui avait été le disciple
allemand du 20ème siècle
du
grand
historien
juif, Heinrich Graetz, y
Gershom Sholem. Sa vie
vivait. Il avait la répufut extrêmement riche
tation d’être en Allenon seulement à cause
magne le seul érudit de
des découvertes auxsa génération à s’être
quelles ses recherches
intéressé à la mystique
le conduisirent, mais
juive et à avoir publié
aussi à cause de ses
des articles dans difféconvictions politiques
rents ouvrages. C’était
et de son engagement
un vieux monsieur de 82
sioniste. C’est pourquoi,
ans qui avait été rabbin à
dès 1923, il quitta l’Allemagne pour la Palestine. Dans la séquence Posen. Presque tous les Juifs avaient quitté
que nous traduisons ici, il raconte les la Posnanie après l’occupation polonaise,
débuts de la société en train de se dévelop- et ils s’étaient établis à Berlin ou à Breslau.
per dans ce qui deviendra en 1948 l’Etat Ce vieux monsieur avait choisi Berlin. J’allai
d’Israël. Il nous initie ensuite au travail lui rendre visite. Il m’accueillit avec chaleur,
c’était un homme vif et spiqui fut celui de toute sa vie:
l’étude de la mystique juive.
«Quoi, vous vous rituel. Je fus enthousiasmé
me montra sa biblioimaginez que j’ai lu lorsqu’il
thèque. Il était le seul rabbin
Je rappelle que ce texte est la
transcription et la traduc- toutes ces sottises ?» allemand qui possédait un
grand nombre de livres et une
tion d’un enregistrement par
Gerschom Scholem lui-même, sur deux collection de manuscrits de la Cabale. Il me
CD-Rom où il raconte les étapes impor- fit tout voir et je lui dis plein d’un enthoutantes de sa vie, et où il nous parle de son siasme juvénile: «C’est fantastique, monsieur
oeuvre. Cet enregistrement a été réalisé en le Professeur, de penser que vous avez étudié
tous ces livres !» «Quoi, me répondit le vieux
1967, il avait alors 70 ans.
monsieur, vous vous imaginez vraiment que
j’ai lu toutes ces sottises ?»
*********
Au coeur du sujet
Il faut à présent que je vous raconte une
histoire. Après avoir passé mon doctorat à
Ce fut là un des moments importants dans
ma vie. Je compris que cet érudit qui avait
publié des travaux au sujet des courants de
23
J U DA Ï S M E
24
la Cabale dans le judaïsme, n’avait pas fait pait les Juifs en Europe, on voulut préparer,
de recherches personnelles, que ses études ou tout au moins essayer de préparer une vie
s’étaient contentées de s’appuyer sur des nouvelle. Tout, absolument tout ce que nous
écrits antérieurs, et qu’il ne s’était pas donné voyons aujourd’hui en Israël est le résultat de
la peine de plonger au coeur du sujet. Je com- cet élan, de l’esprit qui nous inspirait et nous
pris que beaucoup, pour ne pas dire tout, animait, c’est à dire la prise de conscience
restait à faire dans l’étude de ce domaine qui d’une situation où les Juifs n’avaient pas
répondait profondément à mes aspirations d’autre possibilité que de compter uniquepersonnelles. C’est alors que je commençais ment sur eux-mêmes.
à percevoir que mes études allaient prendre
une nouvelle orientation, et lorsque, en 1925, Je voudrais encore ajouter ceci. Tout de
je fus appelé à l’Université de Jérusalem, tout suite après la guerre, en 1946, je fus envoyé
d’abord comme assistant, puis comme chargé en Allemagne par les instances israéliennes.
de cours, plus tard comme professeur, j’eus J’y ai effectué une mission assez longue dont
l’opportunité durant les dizaines d’années où le but était de voir ce qui restait des biblioje donnais des conférences devant un public thèques et des collections juives ayant apparplus jeune que moi, de me faire une idée tenu aux grandes institutions du judaïsme
claire, tout au moins plus claire, de ce que allemand, et ce qui pouvait encore en être
je découvrais: une littérature surabondante, sauvé après la période national-socialiste.
Les nazis avaient saisi toutes
un courant spirituel d’une
« une expérience les collections publiques et
énorme importance qui devait
privées des Juifs. Les Juifs
encore être examinés, analyétrange et
eux-mêmes furent assassinés,
sés et mis en valeur dans une
inoubliable.»
par contre les nazis confisperspective objective et histoquèrent leurs bibliothèques
rique. Or c’était justement ce
que pour ainsi dire personne n’avait jusque là en vue de trouver un lieu unique pour les
entrepris sérieusement. C’est donc ce que je rassembler, Munich ou Francfort. Les nazis
fis à partir de 1917, lorsque j’abordai pour la se querellaient au sujet de la ville qui finalepremière fois cette matière, et jusqu’en 1967 ment aurait le droit d’héberger ces livres. Ils
c’est à dire pendant 50 ans, dont 40 passés avaient l’intention de créer une très grande
à enseigner l’histoire de la mystique juive à collection de littérature juive, et ils espéraient que, grâce à des études approfondies,
l’université.
ils arriveraient enfin à déchiffrer définitiveSimultanément, au cours des années’20 et ment les secrets des Juifs: c’est pourquoi leur
‘30, pour ne pas parler des années ‘40 qui politique était de ne pas détruire les livres,
ont été celles de l’extermination des Juifs et mais de les concentrer en un seul lieu. Aussi à
de toutes ses horreurs, j’ai été le témoin du la fin de la guerre, y avait-il un nombre extrêtravail dont le pays d’Israël a été le chantier. mement important de collections d’ouvrages
J’ai été témoin des immenses difficultés de en plusieurs endroits, surtout aux alentours
nature technique, psychologique et sociale de Francfort, qui étaient empilées dans des
liées aux douleurs de l’enfantement de cette châteaux au bord du Main. J’ai pris une part
vie nouvelle. La tâche à laquelle nous nous très active à la recherche de ces livres juifs,
étions attelés n’était pas une tâche facile, loin j’ai essayé de les rassembler et d’en envoyer
de là ! Mais nous avions tous la certitude que une partie en Israël et une partie à des instic’était la seule voie qui restait ouverte aux tutions juives à travers le monde. Nous parJuifs, vu la singularité de leur situation. Au tions de l’hypothèse que selon toute vraisemcours des années de la catastrophe qui frap- blance il n’y aurait plus jamais de possibilité
le shofar
pour les Juifs de vivre en Allemagne une vie
véritablement productive après l’extermination des Juifs allemands, mais que leurs
livres tout au moins devaient être acheminés
vers des lieux où ils pourraient être utiles
et permettre des recherches et de nouvelles
publications. Cette entreprise m’a ramené en
Allemagne à plusieurs reprises au cours d’un
certain nombre d’années, et dans l’ensemble
elle a bien réussi. C’était en Allemagne, en
1946 et ce fut la seule période de ma vie où,
en portant l’uniforme américain, je fis l’expérience de ce que signifie «appartenir à la
classe au pouvoir». Expérience étrange et
inoubliable.
J’aimerais à présent vous parler de mon travail. Et pour commencer, vous expliquer brièvement ce qui m’a amené aux études et aux
recherches de ces 40 à 50 dernières années,
à ce qui en fut le centre, et quel a été l’objet
de mes travaux et de mes écrits. Bien que mes
disciplines de départ aient été les mathématiques et la philosophie, l’essence de ce qui
m’attirait n’était pas tellement la pensée et la
philosophie juives, mais bien plutôt le monde
de l’imaginaire dans le judaïsme. C’est un
monde dont les Juifs, au temps de leur émancipation, c’est à dire au 19ème siècle, avaient
partiellement ou même totalement perdu
conscience. A cette époque, on aimait qualifier
le judaïsme de «monothéisme prophétique»
ou d’un autre terme conforme à la conception
religieuse éclairée du 19èmes. Le monde des
images, des mythes et des représentations de
l’imaginaire n’avait pas seulement disparu de
la conscience des Juifs, mais aussi de celle des
non-juifs. En effet, «Les Lumières» et l’identification des Juifs aux Lumières avait donné
une certaine idée du judaïsme qui n’était pas
nécessairement conforme à la réalité. Certes,
les non-juifs connaissaient ce monde depuis
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J U DA Ï S M E
26
bien longtemps, mais s’il leur était familier le monde des légendes populaires juives, et
c’était un sujet de polémiques. On parlait du de la Cabale c’est à dire de la mystique juive,
monde des «fables que racontaient les rab- est l’une des réussites les plus importantes
bins», et ceux qui acceptaient et appréciaient de ce que l’on a appelé au début du siècle,
le domaine de l’imaginaire dans d’autres «la Renaissance juive». Cette re-découverte
domaines religieux, comme par exemple la a changé de façon importante et décisive
gnose, perdaient toute impartialité lorsqu’il notre perspective de tous les domaines du
s’agissait du monde juif, de l’imaginaire qui y judaïsme. Cette redécouverte a d’abord
correspondait dans le monde juif. Je vais vous intéressé des personnes qui, issues de la
donner un exemple particulièrement signi- tradition juive, s’en étaient fortement détaficatif de l’aveuglement des gens pour ce qui chées, cependant pas suffisamment pour ne
touche à l’imagination et au monde de l’imagi- pas avoir gardé une compréhension de ce
naire dans le judaïsme: le livre le plus connu et monde de l’imaginaire, des personnes pour
ayant la plus mauvaise presse parmi tous les la plupart issues du judaïsme polonais ou
livres antisémites est «Le Judaïsme dévoilé» russe, comme Micha Josef Bin Gorion Berde Eisenmenger. Tel est le titre du livre paru dyczewski, comme Louis Gunzberg et Martin
en 1701. Il s’agit de deux énormes volumes où Buber, ce dernier étant le plus connu dans
sont repris des textes originaux extraits de la le monde germanophone. Certains de ces
littérature juive ainsi que leurs traductions. hommes, comme Berdyczewski et Buber,
furent profondément marCes citations, d’après l’auteur,
qués dans leur jeunesse par le
étaient en mesure de démas«La redécouverte
mouvement néo-romantique,
quer la conception du monde
du domaine de
et influencés par Nietzsche et
des Juifs, conception à la fois
blasphématoire,
réprouvée l’imaginaire dans le son enseignement. Les docules plus importants
par Dieu et scandaleuse, ainsi
judaïsme....... est l’une ments
de ce voyage de découverte
que l’idée même que les Juifs
se faisaient du judaïsme. La des réussites les plus dans le monde du fantastique
plupart de ces textes étaient
importantes de la juif et du pouvoir de l’imagination sont les livres de Bin
extraits de la littérature cabaRenaissance juive. Gorion Berdyczewski, «Les
listique. Ce livre, qui pendant
Légendes des Juifs» et «Le
plusieurs générations fut
considéré comme la source principale de la puits de Judas» qui ont été publiés en allepropagande anti-juive, est en réalité un livre mand ainsi que «Les contes hassidiques» de
où le lecteur peut trouver les passages les plus Buber. Dans ma jeunesse, au début du siècle,
merveilleux, les plus extraordinaires éclai- leur écho fut extraordinaire, et ils furent une
rant le monde imaginaire du judaïsme. Mais contribution majeure qui permit de lever le
au lieu du ton négatif et hostile adopté par voile aveuglant tant de gens, et d’ouvrir de
monsieur Eisenmenger, le démystificateur du nouvelles perspectives à l’étude du judaïsme.
judaïsme, il suffit d’apprécier de façon positive «Les Légendes des Juifs» de Micha Josef Bin
ce monde de l’imaginaire pour obtenir la plus Gorion en 5 volumes, représentent pour moi
belle des récompenses. Je ne crois pas avoir une des oeuvres majeures des études juives.
été le seul en qui la fréquentation d’Eisenmen- C’est un recueil sans commentaires, qui n’est
ger a suscité des idées nouvelles et positives pas réécrit comme les légendes hassidiques
concernant ce judaïsme soi-disant dévoilé, que Buber a en grande partie repensées et
reformulées. Bin Gorion, dont les livres ont
démasqué ou plutôt diffamé.
paru à partir de 1913, s’est contenté de préLa redécouverte du domaine de l’imaginaire senter les textes originaux, sans y ajouter la
dans le judaïsme, qui est celui de la Haggada, moindre fioriture littéraire. Il a aussi indiqué
le shofar
LECOBEL
ses sources avec la plus grande minutie. Le comparaison entre les textes commentés par
l’auteur
et ceux n’ayant
subi aucune modifitexte de la Bible est pour ainsi dire accomVOtrE
agEnCE
immOBiLièrE
pagné par une légende prenant sa source cation, laissent le lecteur stupéfait, car les
dans la fantaisie populaire et dans le monde originaux sont infiniment plus beaux, plus
de l’imaginaire juif. Ces récits sont tirés des imposants, plus laconiques, plus significatifs,
vieux livres de la Haggada. C’est le monde plus profonds que les descriptions bavardes
des légendes juives d’il y a 1000 ans, voire qui, selon l’auteur, devaient permettre de
2000 ans. Elles sont traduites avec beau- faire connaître ce monde ancien. C’est vraicoup de sobriété et de réalisme, elles sont les ment étonnant. Ceci vaut également pour
premières représentations classiques d’un Buber, cependant chez Buber la démarche
monde oublié tant par les Juifs que par les fut inverse. Buber paraphrasa d’abord les
non-juifs. Mais, fait incroyable et étrange, textes, mais il se rendit vite compte que le
le même auteur qui a créé ce chef d’oeuvre texte original était bien plus impressionnant
que sont «Les Légendes des Juifs», a réé- dans sa nudité et son laconisme que lorsqu’il
crit une 2ème fois ces mêmes légendes dans un était assorti de fioritures et de commentaires
autre livre en hébreu. Il a voulu en faire une romantiques. Les livres de Bin Gorion connuréécriture romancée, libre de toute attache à rent un grand succès non seulement chez les
des textes anciens. Il a voulu les écrire telles Juifs. Ils sont une des principales sources à
qu’il pensait qu’elles auraient dû être écrites, laquelle Thomas Mann puisa pour sa grande
ou auraient pu être écrites, si leurs auteurs oeuvre romanesque «Joseph et ses frères.» ■
avaient eu l’imagination que lui-même appor- (à suivre)
tait à ces textes et à ce monde de légendes. La
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27
AG EN DA
Février 2010
Lundi 1er février 2010
20h00: Judaïsme, pensée et pratique avec
Rabbi Chinsky
Thème: étude «amicalement vôtre»
sur la prière juive.
Mardi 9 février 2010
20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques)
Mardi 2 février 2010
20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques)
Vendredi 12 février 2010
18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): le Chema
20h00: Office de Kabbalat Chabbat
Samedi 13 février 2010 – 29 Chevat
5770
Chabbat Chekalim - MICHPATIM
9h30: Etude de Rachi sur la paracha
10h30: Office
Mercredi 3 février 2010
14h00 à 16h45: Talmidi
Jeudi 4 février 2010
10h00: Pose des Tefilin de Robin Debroux
20h00: Midrach dans le texte avec Rabbi
Abraham Dahan
28
Vendredi 5 février 2010
18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): l a
Havdallah
20h00: Office de Kabbalat Chabbat
Oneg Chabbat offert par la famille Debroux
Samedi 6 février 2010 – 20 Chevat
5770 - YITRO
9h30: Etude de Rachi sur la paracha
10h30: Office
Bar Mitsva Robin Debroux
Lundi 8 février 2010
20h00 Judaïsme, pensée et pratiques avec
Rabbi Chinsky
Thème: se retrouver dans la prière
Mercredi 10 février 2010
14h00 à 16h45: Talmidi
Lundi 15 février 2010 – Roch Hodech
Adar
Attention: pas de Judaïsme, pensée et pratiques avec Rabbi Chinsky
Mardi 16 février 2010
20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques)
Mercredi 17 février 2010
Attention: pas de Talmidi
Jeudi 18 février 2010
9h00: Pose des Tefilin de Maxime Ebstein
20h00:Midrach dans le texte avec Rabbi
Abraham Dahan
le shofar
Chevat/Adar 5770
Vendredi 19 février 2010
18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): le Chema
20h00: Office de Kabbalat Chabbat
Oneg Chabbat offert par la famille
Ebstein (Bar Mitsva de Maxime)
Samedi 20 février 2010 – 6 Adar 5770
- TERUMAH
9h30: Etude de Rachi sur la paracha
10h30: Office
Bar Mitsva de Maxime Ebstein
Lundi 22 février 2010
20h00 Judaïsme, pensée et pratiques avec
Rabbi Chinsky
Thème: survol de l’Histoire
Mardi 23 février 2010
20h00: Rikoudei Am (danses folkloriques)
Mercredi 24 février 2010
14h00 à 16h45: Talmidi
Jeudi 25 février 2010
9h00: Pose des Tefilin par Sacha Damski
Vendredi 26 février 2010
18h50: LeV (Lilmod BeyaHad): le Chema
20h00: Office de Kabbalat Chabbat
Oneg Chabbat offert par la famille
Damski (Bar Mitsva de Sacha)
Samedi 27 février 2010 – 13 Adar
5770 – Chabbat ZaHor - TETSAVEH
10h30: Office
Bar Mitsva de Sacha Damski
Dimanche 28 février 2010 – Grande
Fête de POURIM
Dès 17h00: Accueil des enfants
A 18h00: Banquet-jeu et lecture de la Meguila
(voir annonce)
29
J U DA Ï S M E
«Car ils croient qu’ils
sont ce qu’ils sont»
Le petit caillou de
l’humour contre la
superbe du pouvoir
par Freddy Raphaël
30
«La fonction de l’humour n’est pas de restaurer le statu quo d’une justice close, ni
d’opposer une force à la force, mais plutôt
de substituer au triomphe des triomphants
le doute et la précarité, de tordre le cou à
l’éloquence et à la bonne conscience bourgeoise des vainqueurs.»
Vladimir Jankelevitch,
«Quelque part dans l’inachevé»
Ed. Gallimard, Paris 19781)
L’humour juif témoigne d’une exigeante lucidité: face aux régimes qui se vantent d’avoir
mené l’histoire vers son accomplissement,
il met en question les certitudes sans cesse
proclamées. Il encourage un regard déshabitué, afin que l’homme dégrisé perçoive la
vanité du pouvoir, de la richesse, de l’arrogance, de certaines convenances et de la
hiérarchie sociale. L’humour juif nous révèle
combien notre monde est factice et nous
aide à en démystifier la fausse sécurité.
1 cité par Gérald Cahen «L’humour» Autrement, Paris 1992 p.223
2 ) Ibid. p.17
L’humour n’existe que là où il peut être
échangé, où il s’accompagne d’un clin d’oeil
complice, d’un sourire à peine appuyé, d’un
silence de connivence. «Et selon les cas, il
vous glace ou il vous ravit, il vous comble ou
il vous transperce. C’est qu’il est tout miel ou
tout fiel, les deux, il rit et il pleure, il console
et il rend les coups.»2
La présente étude comporte des limites
dont nous sommes pleinement conscients.
L’humour est souvent une parole en acte
qui s’exprime dans des circonstances particulières, selon un code social bien défini. Il
répond alors à une attente, et s’accompagne
de mimiques et de gestes qui prolongent le
dire. La langue des Juifs européens, le yiddich de l’ouest et celui de l’est, tout comme
les emprunts aux parlers des sociétés d’accueil, lui donnent sa tonalité propre, sa petite
musique.
La dimension «politique» de l’humour juif
résulte de sa volonté de miner le réel et de
le shofar
promouvoir une présence décalée au monde.
Elle s’exprime dans la dénonciation de l’absurdité de la guerre et de sa folie meurtrière
tout comme dans la critique de la violence
ordinaire. Cet humour a également un «rôle
social» dans la mesure où il crève d’un coup
d’épingle la boursouflure du paraître, en se
gaussant du parvenu. Il rend sa dignité à
celui qui, refusant de rentrer dans la course à
la réussite, se tient résolument hors du jeu de
la productivité et de la rentabilité. En même
temps, il débusque l’enjeu matériel que masquent certaines conventions sociales, telles
que le mariage. Enfin, sans céder au scepticisme dans le «domaine religieux», il se plaît
à souligner le désordre de la Création et à
montrer que la Promesse est bien mal tenue.
***
L’humour juif a une dimension politique
car il va au-delà de l’ordre apparent des
choses. Il en révèle la face cachée, il en souligne les aspects insolites. Dans un régime
de discrimination, il déjoue l’interdit. Quand
le système de répression peut être renversé,
il en dénonce l’arbitraire et l’iniquité par la
transgression verbale. Le racisme, et plus
particulièrement la colonisation, sont fustigés par les Juifs d’Alsace dont certains
cependant s’établirent en Afrique du Nord.
Dans une petite bourgade d’Algérie, une
dame de la bonne société entend fêter avec
éclat les dix-huit ans de sa fille. Et comme
il y a une certaine pénurie de jeunes gens,
elle va trouver le commandant de la place
pour le prier de lui envoyer quelquesuns de ses hommes. Elle s’en remet à lui
pour qu’il lui choisisse des «gens bien».
Le grand soir venu, alors que la fête bat
son plein, on sonne à la porte: quelle n’est
pas la stupeur de la dame de découvrir
sur le perron cinq tirailleurs sénégalais.
«Mais, mais messieurs....il doit y avoir
une erreur» s’écrie-t-elle. Et l’un d’eux
de répondre avec un large sourire: «Non,
non, Madame, le commandant Lévy ne se
trompe jamais !».
L’humour juif est parfois une tentative pour
euphémiser l’horreur et apprivoiser la mort.
Il dénonce l’imposture du bourreau, rend
acceptable une réalité insupportable, et réintroduit de l’humain là d’où il avait été banni:
Dans un tramway de Varsovie, un officier
SS reconnaît un Juif qui a réussi à s’enfuir du ghetto. «Juif, lui dit-il, je te donne
une chance. J’ai un oeil de verre. Si tu es
capable de le reconnaître, tu es un homme
libre. Sinon...» Le Juif n’hésite pas un instant et désigne l’oeil de verre. Lorsque le
SS interloqué lui demande comment il a
pu deviner, il répond: «C’est le seul qui a
un éclat humain».
Le primat de la vie est souvent affirmé dans
l’humour juif qui dénonce l’absurdité de la
guerre. Pendant l’entraînement, un officier
prussien apostrophe l’un de ses hommes:
«Lévy, pourquoi un soldat doit-il sacrifier sa vie pour la patrie ?» Et le soldat de
répondre: «Vous avez raison, mon lieutenant, pourquoi le devrait-il ?»
Alors que la bataille fait rage, un capitaine du tsar s’adresse à sa compagnie:
«L’heure a sonné. L’assaut va être donné.
Chacun d’entre vous va affronter l’ennemi
dans un ultime combat corps à corps». Un
soldat juif se tourne alors vers lui: «S’il
vous plaît, mon capitaine, c’est lequel mon
ennemi ? Peut-être qu’après tout on pourra
parvenir à s’entendre !».
L’humour juif dénonce la vanité de l’aventure
guerrière, mettant à nu ce que les chefs s’emploient à cacher:
Durant la Première Guerre mondiale,
un officier qui ne rêve que d’exploits et de
coups d’éclat, ordonne à ses hommes de
charger leur mitrailleuse et de se préparer
à faire feu. Brusquement, entre les lignes,
surgit l’un de ses soldats originaire d’une
bourgade juive d’Alsace. Saisi d’une rage
folle, l’officier le somme de s’écarter de
là. A quoi le Juif réplique: «Mais vous
êtes devenu complètement fou ! Il y a des
hommes là-bas !»
31
J U DA Ï S M E
32
Le vocabulaire crypté de la correspondance
que les soldats juifs alsaciens adressaient
à leur famille témoigne également de la
condamnation de la folie meurtrière de la
Première Guerre mondiale. Ils appelaient
«brismile» (circoncision) la censure, «Katzef» (boucher) Guillaume II, l’empereur
des Allemands. Ils dessinaient une pelle,
Schaufel en allemand, pour signifier que la
situation était des plus compromises, car
en judéo-allemand «schaufel» signifie catastrophe. Face à l’ardeur guerrière de certains
de ses compatriotes, le Juif de la campagne
alsacienne jette un regard faussement détaché, amusé et parfois amer sur lui-même et
sur sa communauté:
Dans l’Alsace annexée de la Première
Guerre mondiale, un jeune Juif que la
nature n’avait pas particulièrement gâté
répond à ceux qui lui demandent d’un ton
goguenard pourquoi le conseil de révision
ne l’a pas retenu: «Que voulez-vous, ils ont
gardé les plus beaux pour défiler à Paris».
***
L’humour juif a une dimension sociale. Il
nous ramène au réel en démontant l’emphase
et en faisant éclater la bulle d’une prétendue
supériorité.
Dans Varsovie occupée, un officier SS
heurte sur le trottoir un Juif. Irrité, il
l’interpelle: «Schwein ! (cochon)». Le Juif
s’arrête, s’incline respectueusement et dit:
«Shmulovitch»
Ceux que l’on veut humilier se vengent par
l’humour:
Confronté à l’entreprise de conversion d’un
prêtre zélé, Itzig fait monter les enchères.
La possibilité de devenir un jour évêque
n’est pas faite pour lui déplaire...il pourra
alors arborer une calotte violette..... et
pourquoi pas cardinal ? Cela lui vaudra
une calotte rouge.... Et même pape ! Avec
une calotte toute blanche ! Devant les hésitations d’Itzig, le prêtre se fâche: «Eh quoi !
Tu ne vas quand même pas te prendre pour
le Bon Dieu !» Et Itzig de répliquer:» L’un
d’entre nous s’y est déjà risqué et ça ne lui
a pas si mal réussi!».
Inversement le Juif d’Alsace dénonce sa
propre rouerie et sa condescendance:
Un valet de ferme ramène dans la chaleur
de l’été une vache à un marchand de bestiaux juif. Celui-ci en récompense pour
la longue marche, lui dit: «Vous prendrez bien un verre, mon brave». Le valet
acquiesce et le marchand dit à sa femme:
«Donne un verre à cet homme qui a beaucoup marché». Mais il ajoute en judéoalsacien «hatsi yain, hatsi maim (moitié
vin, moitié eau)». Le valet se retourne et dit
en alsacien: «Oui, mais chacun à part»
L’humour se rebiffe contre l’arbitraire et la
violence du préjugé, contre l’humiliation
infligée dans un rapport de force inégal:
Aux gamins qui le cernent et s’en prennent
à lui parce que «les Juifs ont tué Notre-Seigneur», le petit Juif de Phalsbourg réplique:
«Mais pas du tout ! Vous vous trompez ! Ce
sont ceux de Mittelbronn (un village situé
à quelques lieues de là)».
Nous pouvons suivre Bergson lorsqu’il
assigne à l’humour une fonction sociale:
celle de déstabiliser une société qui se rigidifie et se fossilise, un monde qui se raidit
dans une action mécanique et stérile. Aussi,
pour miner la suffisance des parvenus, le Juif
d’Alsace feint-il de prendre les mots au mot et
joue sur la duplicité du langage.
A son cousin de la ville qui le raccompagne
sur le pas de la porte après lui avoir fait
les honneurs de sa magnifique villa, au
moment même où la serrure se grippe, le
colporteur se répand en compliments: «Du
héch a Haus wi a Schloss (ta maison est
comme un château» ou bien «ta maison est
comme la serrure») car «Schloss» signifie à
la fois château et serrure.
le shofar
La parole du «Schlemil (celui qui a la
guigne)» (s’il se mettait à fabriquer des
cercueils, plus personne ne mourrait),
dénonce implicitement la suffisance, l’imposture prétentieuse. «Mér sén alli von Gécht
oder Vorgécht !». Cette sentence a une double
signification: «Nous sommes tous d’hier ou
d’avant-hier» ou bien «Nous descendons tous
de pauvres gens».
Le marieur tente de se réfugier dans le libre
jeu de l’imaginaire:
Alors qu’il a vanté les vertus et la richesse
de la jeune fille (un si bon parti) qu’il
vient de présenter au jeune homme, ce
dernier courroucé lui reproche sa duplicité: «Non seulement elle est sotte, elle
louche, mais de plus elle bégaye !» «Certes,
répond le marieur, mais seulement quand
elle parle !»
Le mendiant juif (Schnorrer) qui arpente
la campagne alsacienne, «revendique avec
ostentation sa singularité subversive3 . Il participe à la communauté alors même qu’il est
rejeté vers la marge, incarnant à l’extrême
la figure de «l’étranger» que Georg Simmel
attribue au Juif. Sachant bien qu’il ne pourra
pas éluder les coups du sort, il s’efforce d’en
amoindrir l’impact par une feinte distanciation, et refuse avec dignité de s’apitoyer sur
lui-même. Le Schnorrer en pratiquant la
démesure, bouscule les équilibres conventionnels. Sa vision décalée, «sa disponibilité
ludique pour la perception du détail risible et
la démystification, permettent de désamorcer le réel4 »
Niant les fausses évidences de la bienséance
et des conventions bourgeoises, le «Schadchen (marieur)» de la campagne alsacienne,
transforme le réel par un mode de penser
légèrement décalé.
Les parents du prétendant viennent d’apprendre que la jeune fille si belle, si intelligente, si fortunée que le marieur destine
à leur fils «n’est pas sérieuse». «On nous a
dit qu’elle a eu des aventures avec tous les
jeunes gens de Grussenheim» s’exclamentils indignés. Et le Schadchen de répliquer:
«Après tout, Grussenheim n’est pas si
grand que ça !»
L’humour juif, souvent parodique et narquois,
s’efforce de renverser le rapport dominant-dominé. Il parvient «transgresser les
frontières pour s’insinuer de le territoire de
l’autre majoritaire5 , et par son regard décapant à révéler l’imposture.
Deux «Schnorrer», qui sont en fait des
frères rendent leur visite annuelle au
baron de Rothschild qui leur remet à chacun une pièce. L’année suivante, un seul se
présente chez leur bienfaiteur, son frère est
mort. Le «Schnorrer» reçoit sa pièce, mais
il tend obstinément la main. Le baron lui
dit qu’il a reçu son dû et que, malheureuse-
La prétention révèle la vacuité du paraître.
L’humour met à mal la suffisance du parvenu,
et l’auditeur est confronté à l’inconsistance
des choses:
A cet autre citadin qui se vante de porter
des bas de soie, son cousin villageois rappelle que leur ancêtre commun qui était
colporteur en portait déjà. «Mais, ajoutet-il, sur son épaule !»
Cet humour inquiète les vérités établies
et sous-entend l’équivoque de la réussite
sociale:
Tu ne sauras jamais combien de vaches
j’ai vendues aujourd’hui !» se vante un
marchand de bestiaux fortuné. Et son
coreligionnaire de lui répliquer: «Si. La
moitié !»
3 Judith Kaufmann, «Humour et marginalités» in Humoresques, p.7, Paris, janv 2004
4 Idem, op. cit., p.8
5 Idem
33
J U DA Ï S M E
ment son frère n’est plus là.... Et le «Schnorrer» de s’indigner: «Eh quoi ! C’est vous qui
héritez de mon frère ou c’est moi ?»
Deux «Schnorrer» sont postés sous le
porche d’une basilique alsacienne qui
est un haut lieu de pèlerinage. Celui qui
se tient à la porte de droite est correctement vêtu; l’autre flotte dans des habits
élimés. A la sortie de la messe, le prêtre
constate que tous les dons vont au mendiant correctement habillé. Il va trouver
le malheureux laissé pour compte et s’efforce de le convaincre: «Mon ami, faites
un effort! Vous voyez, votre collègue est
propre, soigné. C’est vers lui que se dirigent les fidèles.» Alors le mendiant «malchanceux» interpelle son «rival»: «Mauche
(Moïse !) Monsieur veut nous apprendre
notre métier !»
34
Cet humour met en cause la prétendue supériorité d’un pouvoir qui s’affirme comme
fondé en nature et qui masque la «mystification d’une violence inavouée6». La liberté
de ton, le franc-parler du «Schnorrer», bousculent la bonne conscience des âmes charitables. Comme il est d’ici et d’ailleurs, comme
il est hors-jeu de la compétition sociale, il
peut s’exprimer sans retenue, voire avec une
certaine effronterie.
Lorsque son hôte propose à la «Karlin»
(Caroline) de l’aider à éplucher les pommes
de terre pour le repas de midi, celle-ci lui
réplique: «Oh moi, vous savez, je les préfère en robe des champs».
Ne pouvant «se débarrasser» d’un mendiant qu’ils abritent depuis plusieurs
semaines, ses hôtes mettent au point un
stratagème imparable: le mari prétendra
que le potage est bien trop salé, son épouse
se défendra, et l’hôte indésirable, sommé de
6 Jean Maurel «Le pense sans rire» in G. Cahen, op. cit. p.107
7 Jean Dejeux «Sous le signe de Djoh’a» in G. Cahen, op. cit. p.195
8 Ibid., p.198
prendre parti, sera chassé. Le jour venu,
placé devant l’obligation de se prononcer,
ce dernier rétorque: «Oh vous savez ! Pour
les 15 jours que je veux encore passer chez
vous, je me garderai bien de donner un
avis !».
Le «Schnorrer», le mendiant qui arpente la
campagne alsacienne, est le cousin germain
de Djoh’a, ce trublion malin et faussement
naïf qui, dans tout le Proche Orient arabe,
joue le niais pour se gausser des puissants.
Il sait ridiculiser à l’envi tous ceux qui abusent de leur pouvoir. Il les désarçonne par
un trait d’esprit. «Sans doute constate-t-on
dans ses facéties des roueries peu recommandables, mais le poids de la précarité de
l’existence oblige le démuni à vivre au jour
le jour, à biaiser, ruser, mentir même pour
se défendre contre les empiètements... Sa
parade est celle du comique sous toutes ses
formes, du comique qui fait rire, et en même
temps dérange, démonte l’adversité7». Le
«Schnorrer» se rit, lui aussi, de «l’honorable
hypocrite8» et arrache son masque à une
société qui s’est endurcie au fur et à mesure
qu’elle irritait servilement la bourgeoisie
dans laquelle elle espérait s’intégrer.
C’est avec lucidité et dérision que le «Schnorrer» fouaille la dureté de coeur des notables.
Ayant remarqué que le mendiant qui
priait au fond de la boutique en profitait
pour subtiliser des mouchoirs lorsqu’il faisait les trois pas en arrière prescrits par
le rituel, le marchand décida d’utiliser un
stratagème: à la place des mouchoirs, il
déposa des draps. Lorsque le mendiant tendit son bras, il tira un drap et s’écria indigné: «ér sén doch grausi ganofen ! (Vous
êtes quand même de grands voleurs !)»
*****
le shofar
Les croyances et la vie religieuses n’échappent pas à un humour dépourvu de dérision, mais qui s’interroge sur l’écart
entre la Promesse et la condition peu
enviable du Peuple élu. Même Dieu que l’on
dit si «puissant et redoutable» est humanisé
par l’humour juif qui fait preuve d’un scepticisme tempéré.
A ce pauvre Juif du «shtetl» de Pologne qui
ne parvient plus à nourrir ses enfants, le
responsable de la «kelle (kehila)» propose
un travail: qu’il se poste tout en haut de
la tour qui se dresse à l’entrée du bourg,
les yeux rivés sur l’horizon pour guetter
l’arrivée du messie; dès que celui-ci sera
en vue, il lui faudra se précipiter pour
prévenir ses coreligionnaires, afin qu’ils
puissent l’accueillir dignement. Le pauvre
homme est sur le point d’accepter, mais le
salaire, il faut bien le reconnaître, est des
plus modestes. «Certes, lui rétorque son
employeur, ce n’est pas bien payé, mais
c’est un poste sûr».
*****
A la fin de son étude sur le rire, Henri Bergson déclare que l’absurdité apparente peut
cacher dans ses plis quelque chose de plus
mélancolique et de plus désabusé, «je ne
sais quel pessimisme naissant qui s’affirme de plus en plus à mesure que le rieur
raisonne davantage son rire»9. En vérité,
ajoute-t-il, le rire ressemble à cette écume
à base de sel que l’enfant recueille dans le
creux de sa paume. Comme elle, «il pétille;
c’est de la gaîté». Mais si l’enfant porte cette
mousse à ses lèvres, il y découvrira une
pointe d’amertume.
La tâche du Juif est de «réparer le monde10»
qu’en alsacien il qualifie de «krumi bockligi
Welt (un monde tordu et bossu)». C’est ce qu’a
parfaitement compris ce vagabond mi-réel,
mi- légendaire:
Mauchele Zelwiller se rend à la gare pour
acheter un billet. A l’employé qui lui
demande sa destination, Mauchele répond:
«Mer han tsüe dùn éveral (Peu importe !
Nous avons à faire partout)».
Par l’humour, le Juif tente de mettre en
déroute ce que la réalité immédiate a d’insupportable, de jeter bas les murs qui se referment sur lui.
Ce qu’envisage le judaïsme à travers les commentaires bibliques et rabbiniques, c’est
l’incomplétude essentielle de l’homme et du
monde. C’est à partir de cette limite, de cette
marche tâtonnante, que la rencontre avec
l’autre, dans son inachèvement est possible.
«Fruit et témoignage d’une tension interne à la
pensée juive. Entre désenchantement anthropologique et espérance messianique. Entre
observation lucide et la facticité d’un présent
désespérant, et courage obstiné à circonvenir,
en allumant de fragiles lumières, l’abîme d’une
nuit sans rémission11 Si le Juif est capable
de faire de l’humour, c’est qu’il se rend bien
compte que le monde n’est pas vraiment ce
qu’il devrait être, et que lui-même n’est pas
«indemne de toutes les laideurs, de tous les
vices ou de tous les travers, petits et grands,
qu’il observe autour de lui12». Au lieu de céder
à la colère, conscient de ses propres limites,
il se moque de lui-même, afin, comme le souligne Valdimir Jankélévitch13, «qu’à l’idole
renversée, démasquée, exorcisée, ne soit pas
immédiatement substituée une autre idole».
9 Henri Bergson, «Le Rire», Paris, 1ère édition 1899
10 Le thème de la réparation du monde (tikoun olam») occupe une place importante dans l’enseignement de la
cabale
11 Gérard Rabinovitch «De l’humour juif», in Jean-Marc Chouraqui, «Enjeux d’histoire, jeux de mémoire» Ed
Maisonneuve, Paris 2006, p.172
12 Ibid
13 Ibid
35
J U DA Ï S M E
L’humour juif peut aller jusqu’à jouer
avec l’inacceptable, à rire de la pire déréliction.
Abraham ne parvient pas à s’endormir. Il
se tourne et se retourne dans son lit. Sarah
son épouse s’inquiète.
Abraham: «Dis, Sarah, quand on nous a
arrêtés à Vilna, tu étais bien avec moi ? «
Sarah: « Mais oui, tu le sais bien. Dors
maintenant»
Abraham: «Dis, Sarah, quand ils nous ont
parqués dans le ghetto, tu étais bien avec
moi ?»
Sarah: «Mais oui, tu le sais bien. Dors
maintenant».
Abraham: «Dis, Sarah, quand ils nous ont
emmenés à Auschwitz, tu étais avec moi ?»
Sarah: «Mais oui. Tu le sais bien. Dors
maintenant».
Abraham: «Dis, Sarah, tu ne trouves pas
que tu m’apportes la poisse ?»
Peut-on dire avec Judith Stora-Sandor14 qui
a consacré sa thèse à l’humour juif15, que la
«propension à l’autodérision» est le propre
de cet humour ? Cette qualification, qui renvoie à une capacité de mettre le monde «cul
par-dessus tête», ne nous semble pas adéquate, car elle met l’accent principalement
sur ce qu’il y a d’absurde dans une existence
vouée à l’échec. Elle insiste trop sur la vanité
du combat que mène l’homme qui finira
irrémédiablement par mordre la poussière.
D’ailleurs, au cours de la même étude, Judith
Stora-Sandor fait de l’humour une arme de
résistance, un recours «non pour changer
une sombre réalité mais pour se donner du
courage par le triomphe momentané d’un
14 Judith Stora-Sandor, «Le rire minoritaire» in G. Cahen, op. cit. p.173
36
15 ”
”
”
«L’humour juif dans la littérature, de Job à Woody Allen», PUF, Paris 1984
le shofar
rire pas toujours très gai16». L’humour juif
témoigne du refus de s’apitoyer sur son sort,
de céder au désespoir. Il n’est pas une destruction, «mais la façon de vivre de ceux
qui n’espèrent plus rien sans renoncer pour
autant à l’essentiel17». Certes, on ne s’évade
pas de sa condition juive, mais cette tare rédhibitoire peut être perçue comme un titre de
noblesse.
A l’époque de Weimar, un Juif allemand
croise dans la rue un homme ivre qui se
met à l’insulter: «Juif, sale Juif». Le Juif
indigné s’écrie: «Mais vous êtes complètement saoul !» «C’est vrai, répond l’autre,
mais moi ça passera».
Si l’humour new-yorkais est souvent un
humour juif, c’est, selon Tomi Ungerer,
parce que cette métropole a accueilli ceux
qui fuyaient les guerres et les persécutions.
C’est une ville d’apatrides et «les réfugiés par
essence tiennent des propos déplacés». L’humour permet de se déprendre de «l’inertie
mimétique qui nous entraîne à reproduire,
malgré nous la mécanique absurde18» d’un
pouvoir aliénant».
C’est l’histoire de cet homme posté au coin
de la rue qui, inlassablement, appelle les
passants au repentir. Un enfant s’approche
de lui et lui fait remarquer que si, au début,
ses cris dérangeaient, il faut bien reconnaître que maintenant plus personne ne
prête attention à lui. «Au début, réplique
l’homme, je criais pour qu’ils changent.
Maintenant je crie pour ne pas changer
moi».
A la nécessité de l’errance toujours recommencée, correspond l’assertion de Vladimir
Jankélévitch selon laquelle «l’humour est
toujours en route; il n’est jamais arrivé,
il va ailleurs, toujours au-delà19 ».
Où vas-tu comme ça?» demande le moujik au Juif qu’il rencontre sur la route.
«Je vais à Kiev» répond le Juif. «Comment ! Tu vas à Kiev ?» s’étonne le moujik. «Mais tu sais que Kiev est à trente
verstes et tu es tout seul, à pied, sur la
route. Et qu’est-ce que tu vas faire à Kiev
?» «Oh rien, répond le Juif, je n’ai rien
à y faire, mais je trouverai bien là-bas
quelqu’un pour me ramener».
■
16 Judith Stora-Sandor, «Le rire minoritaire» in G. Cahen, op.cit.p. 174
17 Martinek Lubomir, «En désespoir de cause» in G. Cahen, op. cit. p.191
18 Jean-Pierre Marchand, «Francis, encore un effort si tu veux rire», in G. Cahen L’humour, un état d’esprit», Ed. Autrement,
Paris 1992, p.81
19 Vladimir Jankélévitch, in G. Cahen, op. cit., p.224
Par sympathie
Famille Hirschfeld – Gradom
37
C O M M U N AU TÉ
Concert Rabbin Abraham
Dahan - Mousta Largo
Beth Hillel - 5 décembre 2009
Photos : Serge Weinber
Textes : Gilbert Lederman
38
an
Rabbi Abraham Dah
introduit chaque
rte
chanson par une cou
explication. Un rabbin
e
chante l’antique mélodi
e
de la liturgie juive mis
en musique par des
musiciens arabes. Un
symbole d’espoir.
Une semaine avant la fête de Hanoucca, Beth
Hillel accueille le Rabbin Abraham Dahan,
Mousta Largo et ses musiciens pour la
présentation en concert du répertoire de leur
album CD ‘Ben Adama’ (les enfants de la terre).
Soirée de partage
et de dialogue.
Mousta Largo et
ses musiciens,
Marwan, Djamal et
Abdel, jouent avec
enthousiasme. La
réussite est manifeste.
Fin de concert.
Se levant de
leur chaise,
les artistes
saluent le
public. Les
mines sont
joyeuses. Le
bonheur est
palpable.
La soirée est
mémorable.
logue connaît un
Cette invitation au dia
t pas assez
n’es
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sall
La
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tout le monde,
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nécessité réelle.
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tant ce pro
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une séance de dédicac
La soirée se clôture par
spécialités culinaires
des
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ust
dég
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pub
tandis que le
marocaines.
A quand le prochain
concert ?
■
le shofar
39
C O M M U N AU T é
C’est avec grand plaisir que nous revoyons régulièrement Théo à nos offices.
Théo a été Bar Mitsva à Beth Hillel le 20 juin 2009 et nous a envoyé le texte suivant:
Pourquoi ai-je donc fait ma
Bar-Mitzva et tout et tout...
Par Théo Füeg
40
J’ai toujours su que j’étais juif, mais il y a
eu deux moments où les choses ont évolué.
D’abord, quand j’étais en 3eme année primaire, le professeur de français nous a fait
travailler sur un texte pour enfants qui parlait de la seconde guerre mondiale et des
horreurs commises contre les s. Le texte ne
décrivait rien mais on ressentait la menace
qui pesait sur toute la communauté. Plus
tard, ma sœur Louise a décidé de faire sa
Bat-Mitzva au CCLJ, et elle a travaillé un an
sur ce projet. Pendant cette année, on a énormément discuté à la maison, mes parents ont
fait des recherches généalogiques, ce qui était
assez simple pour eux parce qu’ils sont historiens tous les deux, et qu’ils ont plein d’amis
qui travaillent dans des centres d’archives. Et
puis, toute notre famille était d’origine étrangère et leurs dossiers se trouvaient à la police
des étrangers. Louise a fait sa Bat-Mitzva le
premier juillet 2006, et nous sommes allés à
la JJL dès la rentrée.
mes parents quelles étaient les grandes différences entre Juifs et chrétiens. C’est à ce
moment que j’ai commencé à penser que je
voulais devenir rabbin!
En rentrant en août, on a téléphoné à Beth
hillel, mais personne ne répondait et ma
mère m’a emmené à la synagogue de la rue de
la Régence. Ce n’était vraiment pas chouette:
d’abord on a eu un interrogatoire: vous êtes
qui? Où habitez-vous? Pourquoi êtes-vous ici,
etc. Puis on a dû s’asseoir sur le coté parce
que les hommes et les femmes ne peuvent pas
s’asseoir ensemble. Le rabbin n’a parlé qu’en
hébreu, je n’ai rien compris du tout à ce qui
se passait. Les gens bavardaient chacun dans
son coin et personne ne participait. Et pour
couronner le tout, après le chéma, j’ai reçu le
plus mauvais biscuit que j’ai mangé!
Là, j’ai rencontré pas mal de gens comme
moi, qui se posaient tout le temps des tas de
questions et n’étaient jamais satisfaits des
réponses...
Quand on est parti, j’étais un peu dégoûté.
Heureusement la semaine d’après, on a
trouvé les coordonnées complètes de Beth
Hillel et on est venu à la synagogue où rabbi
Dahan nous a accueilli super gentiment.
Il m’a raconté toute l’histoire de Abraham
d’une façon moderne et vivante.
Ensuite, pendant l’été 2007 j’ai énormément
réfléchi dans mon coin. Nous étions en Italie et nous visitions sans arrêt des églises
chrétiennes et j’ai beaucoup demandé à
A Beth Hillel, j’ai trouvé une ambiance
chouette, familiale, chaleureuse et intéressante. On est retourné chaque semaine le
vendredi, puis parfois le samedi et finale-
le shofar
ment j’ai suivi pendant un an les cours du
Talmud Torah et j’ai fait ma Bar-Mitzva une
semaine après mon anniversaire de 13 ans.
Depuis, je continue à venir le plus souvent
possible, pas absolument toutes les semaines
mais presque, et j’essaie de participer à des
tas de choses, hevrouta, fêtes, etc. J’ai même
voulu donner des cours au Talmidi mais ce
n’est pas si simple. Mais je ne désespère pas
et j’aimerais vraiment pouvoir le faire!!
Je me sens toujours très concerné par la vie
juive, la synagogue, l’étude. Je crois que les
Juifs ont un grand avantage sur les autres
religions, ils doivent étudier, lire, partager,
apprendre, poser des questions et réfléchir. ■
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41
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42
le shofar
Carnet
Nos prochains Bné Mitsva
Samedi 6 février 2010 – Paracha Yitro: Robin
Debroux
Samedi 20 février 2010 – Paracha Terumah:
Maxime Ebstein
Samedi 27 février 2010 – Chabbat ZaHor –
Paracha Tetsave: Sacha Damski
Samedi 6 mars 2010. – Paracha Ki Tissa:
Raffy Rozenfeld
Samedi 13 mars 2010 – Paracha VayaHelPekoudé: Léa Pardon
Samedi 20 mars 2010 – Paracha Vayikra: Max
Garbarski
■
La bibliothèque fait peau neuve!
Nous prions nos lecteurs de bien vouloir nous excuser et de faire preuve de patience. En
effet, pour des raisons de réorganisation et d'agrandissement, la bibliothèque sera fermée
pendant quelques semaines.
Nous serions extrêmement reconnaissants si tous ceux qui ont encore des livres empruntés voulaient bien les rapporter le plus rapidement possible au secrétariat de la synagogue.
Nous ne manquerons pas de vous informer de la date de réouverture et pouvons vous assurer que vous y ferez des découvertes très intéressantes.
Merci pour votre compréhension!
L'équipe de la bibliothèque
Nouvelle activité:
le «Café klatsch des séniors»
Vous êtes invités le mardi 9 février, à 15h, à nous rejoindre à Beth Hillel pour un
après-midi convivial autour d’une tasse de café ou de thé. Le but de cette rencontre est
de permettre aux personnes de la communauté qui le souhaitent de faire connaissance
avec d’autres membres.
L’après-midi sera animée par le rabbin Dahan entouré d’une petite équipe. Nous espérons
passer ensemble quelques heures chaleureuses dans la bonne humeur.
Les personnes qui ne peuvent se rendre à la synagogue par leurs propres moyens sont
priées de se faire connaître à l’avance à Giny (tel: 02/332 25 28), afin que nous puissions
organiser le transport.
43
LU P O U R VO U S
Lu pour vous
44
Par-delà le crime et le châtiment.
Essai pour surmonter l’insurmontable *.
Jean Améry
(Ed. Actes Sud 1995)
l’état mental de la victime. Ma contribution
sera une analyse des ressentiments basée
sur l’introspection». Améry, au contraire
de Primo Levi et d’Hannah Arendt restera
intransigeant, refusant toute forme de pardon
à l’égard des bourreaux.
Au 56 de l’avenue Coghen à
Uccle, une petite plaque de
cuivre rappelle que Jean Amery y vécut la
majeure partie de son existence. Né à Vienne
en 1912, Hans Mayer fuit l’Autriche en 1938
pour se réfugier en Belgique. Il prendra le
nom d’Améry (anagramme de Mayer) après la
seconde guerre mondiale pour essayer de fuir
tout ce qui le relie à la culture germanique.
En 1977, dans la préface de la nouvelle édition,
Améry, explique ainsi l’ajout d’un chapitre :
« Le nouvel antisémitisme ancien redresse
insolemment sa tête hostile et répugnante,
sans que cela éveille l’indignation.. ». Dans
ce chapitre, « De la nécessité et de l’impossibilité d’être Juif », Améry définit sa judéité,
hors de la religion, et selon la conception sartrienne du « Juif qui fuit son destin de Juif, se
soumet du même coup à la puissance de son
oppresseur **». Pour Jean Améry être juif «
…c’est sentir peser sur soi toute la tragédie
d’hier. Sur mon avant-bras gauche je porte le
numéro d’Auschwitz ; il se lit plus vite que le
Pentateuque ou le Talmud mais l’information qu’il livre est plus éloquente ».
Bien que totalement méconnu, Améry est
un auteur de l’importance de Primo Levi
avec lequel on l’a souvent comparé: mêmes
origines, études universitaires, rencontre
à Auschwitz et destinée tragique similaire.
Pourtant, s’ils sont tous deux écrivains de
l’indicible, leur écriture est radicalement différente. Jean Améry n’a pas cherché à porter
témoignage de l’univers concentrationnaire,
à décrire les horreurs des camps, les bourreaux ou les victimes. Son interrogation se
porte sur le pourquoi et sur les enseignements
que l’on peut tirer de la condition de l’homme
détruit par une réalité monstrueuse. S’il décrit
les séances de torture qu’il subit au camp de
Breendonck, c’est pour s’interroger sur les
capacités humaines à résister. «Quand on a
été torturé, on le reste toute sa vie», dira-t-il.
On perd définitivement la «Weltvertrauen», la
confiance au monde. Arrêté comme résistant,
il sera ensuite déporté à Auschwitz en tant que
Juif. Son œuvre se veut une « description de
« Juif.. je ne peux l’être dans l’émotion, mais
uniquement dans l’angoisse et la colère.. ».
« Ecoute Israël » ne me concerne pas. Seul
un « Ecoute monde » pourrait jaillir de moi
dans un éclat de colère. Telle est la volonté
du nombre de six chiffres inscrit sur mon
avant-bras ».
Jean Améry se donne la mort en 1978 à Salzbourg (Autriche). Auteur profondément et
douloureusement humaniste et réaliste (d’aucun diront désespéré) il laisse une œuvre
essentielle pour tenter de comprendre ce qui,
en définitive, ne pourra jamais vraiment l’être.
(Serge Weinber)
* T itre original : «Jenseits von Schuld und Sühne. Beweltigungsversuche eines Überwältigen» 1966
** Sartre : Considérations sur la question juive » 1946
le shofar
Les Oubliés du Shtetl
Y.L. Peretz
Traduit du yiddish, annoté
et présenté
par Nathan Weinstock avec
la collaboration de
Micheline Weinstock
Préface de Jean Malaurie
Ed. Plon, collection Terre
humaine
Yitskhok Laybush Peretz (1852-1915) dont
nous avons déjà commenté les "Mémoires
inachevés" (voir Shofar du mois de juin), et
dont nous avons publié un conte (Shofar de
septembre), a également fait oeuvre de sociologue et d'ethnologue.
En 1890, Peretz vient de se voir interdire la
profession de conseiller juridique, et il se
trouve sans travail et sans ressources, à la
suite d'une mystérieuse dénonciation auprès
des autorités tsaristes. C'est à ce moment
que le richissime Jean de Bloch, financier
et banquier, lui propose de participer à une
vaste opération de collecte de statistiques
au sein de la population juive polonaise.
Cette expédition avait un but économique
et apologétique: prouver la contribution des
Juifs au progrès économique de la Russie
et de la Pologne. "Il fallait aller voir la vie
des Juifs au quotidien, voir ce qui se passait dans les petites bourgades, ce qu'on y
espérait, de quoi on vivait, comment on s'y
occupait......"1 Cet ouvrage, paru en 1901, fut
immédiatement saisi et mis au pilon par le
pouvoir.
Peretz, l'enquêteur, se présente à la population de Zamoshtsh, sa ville natale, de
Tomaszov, ainsi que de la contrée environnante, habillé en daytsh, soit "à l'allemande"
ou "à l'occidentale", c'est à dire en Juif partisan des Lumières, ce qui par extension
signifie un Juif assimilé, voire mécréant.
1 Y.L. Peretz: Ale verk NewYork 1947, t.II, p.119
2 «Shtetlekh», pluriel de «shtetel»
Et pourtant, même si c'est parfois avec difficulté, il réussit à faire parler les habitants
des shtetlekh2. Il n'est pas un quelconque
enquêteur. Il reste l'écrivain, le conteur au
style inimitable, celui qui dans les faits les
plus sordides et les plus misérables réussit à déceler ce qu'il y a d'unique dans la vie
juive des bourgades. "De temps à autre, le
mugissement d'un petit veau juif se mêle
au concert. Et aussitôt, du fond de la rue
qui paraît s'étendre à l'infini, l'aboiement
d'un chien goy vient lui donner la réplique."
Le shtetl, sous sa plume, ressemble à un
tableau de Soutine: "La nuit, la bourgade
devenait méconnaissable. Toutes ses maisons tordues s'inclinaient maladroitement
vers le sol...."
Dans ces lieux pourtant, ne règne pas nécessairement une harmonie idyllique, mais des
rivalités s'y affrontent et des idées se combattent. Un jour, nous raconte Micheline
Weinstock dans la troisième annexe, Peretz
participe à une discussion de groupe, et "il
est atterré par l'optimisme ambiant qui
ne repose sur aucune perspective réaliste.
Seul subsiste un espoir abstrait qui constitue leur unique richesse. Protection fragile
car ce masque d'optimisme se fend rapidement pour laisser apparaître les doutes, la
misère, la peur et le sentiment d'abandon
par manque de solidarité. Tout problème
extérieur suscite des tensions que l'on
craint de ne pouvoir gérer et qui risqueraient de mettre en péril le fragile équilibre
de la communauté."
Quant aux habitants, notre auteur perçoit
leur épaisseur humaine au travers de leurs
guenilles. Qu'on lise le saisissant tableau du
Rov de Tishevits qui ne possède même plus
d'habits lui permettant de se montrer en
public, et dont "la chemise de nuit est à ce
point usée qu'elle est impossible à rapiécer,
.....dont le dénuement frise l'indécence ....
45
LU P O U R VO U S
au point qu'il se trouvera bientôt dans l'impossibilité de s'acquitter de ses fonctions".
Cependant "dans son extrême dénuement,
le Rav garde sa profonde bonté."
Si le livre commandé par Jean de Bloch n'a
pas pu remplir la mission à laquelle il était
destiné, les notes consignées par Peretz nous
sont parvenues sous forme de magnifiques
tableaux d'une vie juive, aujourd'hui éteinte.
Sur les 400 pages que compte le volume édité
et préfacé par Jean Malaurie, 140 environ
constituent les récits de Y.L.Peretz. Le reste
du livre est composé de 9 annexes qui sont
autant de documents précieux sur la civilisation et la langue yiddish, ainsi que sur
l'histoire de cette contrée qui jamais plus ne
sera ce qu'elle fut lorsqu'elle était habitée par
une population dont la plus grande partie fut
exterminée durant la Shoah, et dont le reste
vit aujourd'hui éparpillé à travers le monde.
46
Grâce à la traduction de Nathan et de Micheline Weinstock, nous avons accès à ce précieux
document, et nous tenons à leur exprimer
notre reconnaissance pour ce magnifique travail. D'autres spécialistes se sont joints à eux
afin de compléter le volume par des apports
qui en font un outil indispensable à tout lecteur désirant acquérir des connaissances sur
le "Yiddishland" aujourd'hui disparu.
(Monique Ebstein)
Dictionnaire amoureux du
judaïsme
Jacques Attali
(Ed. Plon/Fayard)
Dans son ouvrage « Un
dictionnaire amoureux du
judaïsme », Jacques Attali
offre une vision personnelle à une sélection
de thèmes qui, selon lui, confèrent un sens
au judaïsme. L’auteur y aborde certains
personnages bibliques (Moïse, Aaron, Ruth),
des rites (le chabbat, Kippour), des textes
(le Cantique des cantiques, le Chema), des
figures historiques (Simon Doubnov, Sigmund Warburg, Gaspar de Gama), ainsi
que des écrivains (Leo Perutz), des villes
(Vienne, Jerusalem), des philosophes (Maimonide, Spinoza), des concepts (l’humour,
le temps, la tsedaka, la vie) et même son
ami Shimon Peres.
Fin pédagogue, Attali excelle dans les
définitions. « Le judaïsme est un ensemble
humain partageant volontairement une histoire, une culture, une différence et un avenir ; il est infiniment divers dans le temps
comme dans l’espace ; sans cesse transformé, sans cesse repensé, en permanente
résilience, doutant assez de lui-même pour
se renouveler ; s’aimant assez pour résister
à tous les dénigrements ; forcé parfois, par
ceux-là mêmes qui le haïssent, à apprendre
à s’aimer. » A méditer.
Le dictionnaire, outil de classification par
excellence, rassemble judicieusement les
pièces de puzzle du parcours intellectuel
de l’auteur. On y retrouve ainsi son intérêt
pour la mythologie, l’histoire, l’économie et
la littérature tout comme son goût pour les
prévisions de l’avenir, c’est-à-dire la compréhension du futur à partir du passé. « Le
judaïsme est amoureux de l’avenir » est sa
meilleure définition. Dans ses prévisions,
Attali craint la disparition du peuple juif
face à la globalisation. La population juive
qui représentait le vingtième de la population mondiale au temps de l’Empire romain,
n’en représente aujourd’hui plus que les
deux millièmes. L’auteur y avance sa solution : faciliter les conversions au judaïsme
afin de garantir la survie du peuple juif
confronté aux dangers de la mondialisation.
Néanmoins, à ce danger, le judaïsme apporte
deux réponses essentielles: le tikkun olam
et l’altruisme intéressé. Le concept de
tikkun olam (la réparation du monde) qui
forge sa raison d’être, permet à l’homme de
construire un projet en donnant un sens à la
le shofar
vie. Quant à l’altruisme intéressé, il signifie
que pour être heureux, il est plus important
de penser au bonheur des autres qu’au sien
propre.
Ce dictionnaire évite l’académisme et privilégie une émoustillante flânerie intellectuelle.
Soit une réussite supplémentaire à ajouter à
la bibliographie déjà dense de Jacques Attali.
(Gilbert Lederman)
J’avais 20 ans. J’avais connu
l’enfer
Ce
témoignage
émouvant
retrace l’histoire de la famille
Silberberg dans la tourmente
de la Seconde Guerre mondiale. Après l’occupation de la Belgique en
mai 1940, la famille se réfugie en France.
En 1942, Benjamin (alors âgé de 18 ans), son
père et son frère sont arrêtés par la police
de Vichy, emprisonnés à Drancy et déportés
à Auschwitz. Benjamin fait la connaissance
d’un système inhumain, barbare. Lui seul
survit à la «marche de la mort». Il est libéré
par les troupes américaines à Buchenwald.
Il lui faut alors se reconstruire une vie dans
la normalité… ■
47
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l i b r e opi n i on
Vertus chrétiennes
héroïques?
par Monique Ebstein
L'on est en droit de s'interroger sur ce que
Benoît XVI, et avec lui l'Eglise catholique,
entendent par "vertu chrétienne héroïque".
Le temps n'est plus où les Romains donnaient
en pâture aux lions ceux qui osaient témoigner de leur foi. Aujourd'hui, des vertus chrétiennes héroïques peuvent à juste titre être
reconnues à l'Abbé Pierre, à Mère Theresa, à
Sœur Emmanuelle, qui ont consacré leur vie
entière aux plus pauvres.
48
Mais Pie XII, retranché dans le confort de son
palais, ne sortant jamais de son Etat du Vatican, comment a-t-il pratiqué cet "héroïsme"?
Est-ce dans l'intimité de son oratoire ou dans
les solennités de St Pierre de Rome que sa
prière peut être considérée comme héroïque?
N'a-t-il pas manqué une occasion unique de
faire retentir la voix d'une autorité morale
universellement reconnue pour sauver de la
mort six millions d'êtres humains?
Monseigneur Eugenio Pacelli fut, avant son
accession au trône pontifical le 2 mars 1939,
nonce apostolique en Allemagne, à partir de
1917 en Bavière, puis à Berlin jusqu'en 1929. Il
parlait bien l'allemand et ne pouvait qu'être au
mieux informé de la montée du nazisme. De
1930 jusqu'en 1939 il fut secrétaire d'Etat et
donc n° 2 du Vatican. En 1933, année de l'accession de Hitler au pouvoir, il signe un concordat
avec l'Allemagne hitlérienne sur les relations
entre les autorités allemandes et l'Eglise catholique. En 1942, le pape Pie XII ne s'associe pas
aux Alliés dans leur condamnation du massacre des Juifs. En 1943, il n'intervient pas
quand des Juifs italiens sont déportés à Auschwitz. Après la guerre, et jusqu'à sa mort en
1958, il ne condamne à aucun moment l'horreur
de ce que l'on appelait alors l'Holocauste.
Ce silence assourdissant peut-il être qualifié
de vertu chrétienne héroïque?
■
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le shofar
act ua l i t és
Jacques Chirac a remis le
premier prix Ilan Halimi
de la Tolérance et de la
Fraternité
Par Sarah Drai pour Guysen International
News - Mardi 8 décembre 2009 à 02:44
PARIS- Le prix « Ilan Halimi » créé cette année par
le Fonds Social Juif Unifié, a été remis mercredi 2
décembre par Jacques Chirac à la MJC de Ris-Orangis. Comme pour contraster avec la mort d’Ilan Halimi
dans un misérable local de banlieue, un prix portant
son nom a été décerné dans les salons somptueux de
la présidence de l’Assemblée Nationale. Et par opposition à la haine antisémite du gang des barbares,
ce sont des valeurs de tolérance et de fraternité qui
ont été prônées à l'occasion de cette soirée inédite,
mêlant recueillement et espoir.
Le prix Ilan Halimi a été créé cette année par
le FSJU. Il a pour ambition de récompenser
une association, organisation œuvrant pour
le rapprochement entre les communautés et
luttant contre le racisme et l’antisémitisme.
Cette année, les heureux lauréats sont les
acteurs de la MJC de Ris-Orangis. RisOrangis est une banlieue située au Sud-Est
de Paris qui a notamment été le théâtre
d’émeutes, le lieu où sont exacerbées les tensions inter communautaires.
La MJC de Ris-Orangis s’est ainsi démarquée
en montant une pièce de théâtre en collaboration avec la localité de Tel-Aviv-Jaffa, une
pièce qui fait l’éloge de la fraternité.
Le prix Ilan Halimi est celui du « vivre
ensemble », n’ont cessé de répéter les
diverses personnes invitées à cet événement. Parmi les invités du Président du
FSJU, figuraient notamment le Président
Jacques Chirac, Bernard Accoyer, le Président de l'Assemblée nationale, Tsipi Livni,
49
act ua l i t és
la dirigeante du parti Kadima., Simone Veil,
Me Francis Spinner l’avocat de la famille
Halimi, et la mère d’Ilan, Ruth Halimi.
Avant de décerner le prix, l’ancien Président
de la République Française a estimé que
« trop de discriminations en France stigmatisent la religion, l'origine, les convictions
et minent encore notre pacte républicain.
Elles empoisonnent notre démocratie, au
sens propre du terme. Elles remettent en
cause notre cohésion nationale ».
Il a ajouté, évoquant la terrible affaire Ilan
Halimi : « l’antisémitisme est une perversion qui tue. Mon inquiétude, aujourd'hui,
c'est que, bien au-delà de cette barbarie,
bien au-delà des crimes, l'antisémitisme et
toutes les formes de racisme sont encore
là, insidieusement présents dans notre
société ».
50
Afin de signifier l’amitié entre Arabes et
Juifs, ont également pris part à cette soirée
plusieurs ambassadeurs de pays arabes et les
représentants des communautés musulmane
et juive.
Plusieurs ambassadeurs de pays arabes et les
représentants des communautés musulmane
et juive ont répondu présents à l'invitation du
Président Pierre Besnainou.
Ce sont les valeurs de la République qui sont
mises à l'honneur, et la mémoire d'un jeune
homme, victime de la haine antisémite.
Jacques Chirac a d’ailleurs déclaré : « les
discriminations minent, notamment chez
les jeunes, la foi dans les valeurs de la République », ajoutant « Je crois au refus intransigeant des haines ethniques et religieuses.
Je crois au respect, à l'égalité des cultures et
des civilisations »
Ilan Halimi, ce jeune homme de vingt trois
ans avait été enlevé le 21 janvier 2006 par le
"gang des barbares" qui réclamait une rançon
à sa famille. Séquestré et torturé pendant
trois semaines, il avait été retrouvé agonisant le 13 février, avant de décéder.
Son bourreau, Youssouf Fofana a été
condamné au cours de l'été dernier à la prison à la perpétuité.
■
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T r i bun e d es L ect e u r s
le shofar
Nos lecteurs prennent la
parole
Le 4 décembre 2009
Monsieur le Président,
Comme j'habite en province, vous me voyez
peu souvent à la synagogue. Je suis pourtant
une lectrice assidue du Shofar que j'estime
être une excellente publication. C'est pourquoi je me réjouis de la création d'une "Tribune des lecteurs", car elle me permet de
vous faire part de quelques petits points sur
lesquels je serais heureuse d'avoir une clarification. Dans le "Mot du Président" du n°
qui vient de paraître, vous racontez l'histoire
d'un colon juif religieux qui donne asile à un
musulman palestinien homosexuel. Cette
histoire, il est vrai, est inattendue, mais
d'ici à dire qu'il a accueilli "l'étranger sous
sa tente" ..... Je crois que ce fut plutôt dans
une maison en dur ! Et dans cette maison en
dur bâtie en Cisjordanie, je me demande qui
était "l'étranger" ? Accueillir un homme en
danger, est-ce normal ou une mitzvah extraordinaire ? De plus l'accueillir dans une maison bâtie sur son territoire, est-ce vraiment
respecter les "valeurs juives"?
Dans le n° de septembre, votre article "Un
shabbat à la Havane", que j'ai lu avec beaucoup de plaisir, vous faites un portrait
somme toute assez sympathique de Fidel
Castro. L'on en oublierait à vous lire que pendant toute sa dictature les geôles n'ont pas
désempli et que la torture la plus féroce y
était pratiquée. (Voir les rapports d'Amnesty
International)
Enfin et pour terminer, je voudrais remercier
Monsieur Emmanuel Wolf de nous avoir présenté, dans le même numéro de septembre,
le projet "Aladin" destiné à lutter contre le
négationnisme dans les pays musulmans. Je
regrette seulement qu'il ne présente Jacques
Chirac, que comme le président français le
plus anti-israélien et comme un ami de nos
adversaires dans le conflit du Moyen-Orient,
sans mentionner qu'il fut le seul Président
de la République à demander, au nom de la
France, pardon aux Juifs pour les crimes
commis par l'Etat français de Vichy.
Croyez bien, Monsieur le Président, que c'est
en toute sympathie que je me permets ces
quelques remarques sur des points en dehors
desquels j'adhère totalement à la ligne de
votre journal.
Avec toute ma sympathie,
Ruth Lévy
Réponse d'Emmanuel Wolf
Chère Madame, c’est exactement cette
contradiction que je voulais faire ressortir
dans les attitudes du Président Chirac. Cordial shalom et merci de vos remarques EW
Réponse de Philippe Lewkowicz
Chère Madame Lévy,
J’ai lu avec intérêt votre réaction à deux
articles que j’ai commis dans le Shofar et
pour lesquels vous demandez une clarification. C’est donc bien volontiers que je vous
les propose.
1. En ce qui concerne « l’accueil de l’étranger
sous sa tente ». Vous axez votre lecture
sous un aspect politique, ce qui est légitime, mais qui naturellement donne au
texte un sens différent, sinon contraire, à
mon intention. Je vous remercie donc de
51
T r i bun e d es L ect e u r s
me permettre de lever ce malentendu. Mon
propos se limitait à la capacité psychologique d’affronter la routine, la facilité,
l’environnement pour réagir en adéquation
avec une éthique revendiquée. Cela ne
préjuge absolument pas que les postulats
de base soient légitimes, c’est là une tout
autre question.
52
Quant à savoir si c’est une mitzvah extraordinaire ou un acte normal d’accueillir un
homme en danger. Cela devrait bien sûr être
un acte normal, mais l’histoire ancienne et
actuelle nous apprend que naturellement
l’homme n’agit pas ainsi. Aussi invoquer les
beaux principes ne suffit pas, il convient
de saluer leur mise en application quand
ils sont exemplaires, ce qui m’a paru être le
cas ici. Et puis, en l’espèce, cette démarche
est un premier pas…
2. Quant au « portrait sympathique de Fidel
Castro », là aussi, j’ai limité mon propos à
son attitude par rapport à la communauté
juive et au témoignage recueilli à la source.
Loin de moi l’idée d’encenser un régime dictatorial. Bien sûr, les opposants politiques,
juifs ou non, étaient persécutés. Mais pour
une fois, non pas parce qu’ils étaient juifs.
Il faut l’admettre, le régime cubain a été et
est tolérant envers la liberté de conscience
(religion) à défaut de l’être envers la liberté
d’opinion (politique).
Si vos pas vous emmènent un jour prochain
à Beth Hillel, faites-moi signe, je serais ravi
de continuer cette conversation lors d’un kiddoush après l’office
■
Philippe Lewkowicz
Président Exécutif
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le shofar
JEWISH HUMOR
During a service at an old synagogue in Eastern Europe, when the Shema prayer was said,
half the congregants stood up and half remained sitting.
The half that was seated started yelling
at those standing to sit down, and the
ones standing yelled at the ones sitting to
stand up.
The rabbi, learned as he was in the Law and
commentaries, didn't know what to do. His
congregation suggested that he consult a
housebound 98 year old man who was one
of the original founders of their temple. The
rabbi hoped The elderly man would be able to
tell him what the actual temple tradition was,
so he went to the nursing home with a representative of each faction of the congregation.
The one whose followers stood during Shema
said to the old man, "Is the tradition to stand
during this prayer?" The old man answered,
"No, that is not the tradition."
The one whose followers sat said," Then the
tradition is to sit during Shema!" The old man
answered, "No, that is not the tradition."
Then the rabbi said to the old man, "But the
congregants fight all the time, yelling at each
other about whether they should sit or stand."
The old man interrupted, exclaiming, "THAT
is the tradition!"
■
53
Info r m at i ons u t i l es
VIE COMMUNAUTAIRE
OFFICES DE CHABBAT
Vendredi à 20h et samedi à 10h30
■
Talmud tora et preparation a la bar/bat mitsva
Tous les mercredis après-midi. Voir calendrier.
■
Cours adultes et cercles d’etude
Contactez Rabbi Abraham Dahan ou Rabbi Floriane Chinsky
■
Yiskor
Si vous voulez être tenus au courant des dates de Yiskor
pour des membres de votre famille, contactez Giny ( 02.332.25.28
SOCIÉTÉ D’INHUMATION
A.S.B.L. GAN HASHALOM
En cas de nécessité, téléphonez aux numéros suivants :
Le jour A Beth Hillel ( 02.332.25.28
Le soir Rabbi Floriane Chinsky ( 0485.428.490
Rabbi Abraham Dahan ( 02.374.94.80 ou 0495.268.260
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téléphonez à Willy Pomeranc
Le jour ( 02.522.10.24 • Le soir ( 02.374.13.76
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