
40 | Diasporiques | nº 4 Nouvelle série | décembre 2008
hébreu :  Mimakom  Aher) ».  C’està
dire en fait de Dieu ; dans la tradition 
juive on désigne en effet parfois Dieu 
sous ce nom de Makom. Mais, comme 
vous le voyez, c’est quand même très 
marginal ! 
C’est donc bien à ce momentlà qu’on 
commence à parler des Juifs – au dé-
part les habitants de la Judée, qu’on 
dénomme  aussi  parfois  (et  qu’on 
devrait  sans  doute  plutôt  appeler) 
les  Judéens.  Et  vous  avez  raison : 
c’est à partir de l’exil, de la Diaspora, 
qu’on peut légitimement parler d’un 
 « peuple juif ».
L’AN PROCHAIN À JÉRUSALEM
D. :  Comment,  dans  ces  conditions, 
interprétez-vous le vœu récurrent de 
la  diaspora  juive :  « L’an  prochain 
à  Jérusalem ! » ?  N’estil  pas, 
en  termes  symboliques  et  pour 
 
s’inspirer  de  Gramsci,  l’expres-
sion  d’un  optimisme  de  la  volonté 
(l’an  prochain  est  à  notre  portée, 
c’est  demain !)  fortement  tempéré 
par  le  pessimisme  de  la  raison  (l’an 
 « prochain »  est  toujours  repoussé, 
par dénition, à l’année suivante) ?
D. F. : C’est  une  jolie  interprétation, 
semblable à celle des marxistes disant 
que le communisme était à l’horizon ! 
À l’horizon, c’estàdire sur une ligne 
qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on 
s’en  rapproche !  Plus  sérieusement, 
je  pense  que,  sur  le  plan  religieux 
en  tout  cas,  c’est  l’expression  d’un 
élan  messianique.  Le  messianisme 
traverse le judaïsme  comme  une es-
pérance  permanente  mais  une  es-
pérance lucide, ce qui rejoint en fait 
ce  que  vous  disiez !  Le  messianisme 
nous  demande  de  croire  à  l’avenir 
mais surtout de croire en la perfecti-
bilité de l’homme, ou plutôt de jouer 
le jeu de cette possible perfectibilité. 
Mais derrière cette phrase il y a quand 
même aussi, de façon plus concrète, 
le souhait des Juifs de la Diaspora de 
revenir un jour sur leur terre…
D. : … qui n’est pas vraiment leur terre 
puisque c’était celle des Hébreux !
D. F. : Disons  alors :  sur  la  terre  de 
leurs  lointains  ancêtres !  Et,  peut
être le savezvous, en Israël, les Juifs 
 disent : « L’an prochain à Jérusalem 
reconstruite ».  Ce  qui  va  bien  en 
réalité  dans  votre  sens :  quand  on 
exprime ce vœu sur place, il ne peut 
évidemment pas concerner la Jérusa-
lem terrestre, c’est bien de la Jérusa-
lem divine, celle de l’ère messianique, 
qu’il s’agit et c’est ce qu’exprime ex-
plicitement  le  concept  de  « recons-
truction », employé bien sûr ici dans 
un sens abstrait.
D. : Tout  ceci  laisse  donc  la  ques-
tion  idéologique  du  sionisme  com- 
plètement  ouverte,  en  l’occur-
rence  celle  des  conséquences  d’une 
 
implantation  territoriale  des  Juifs 
à  vocation  de  pérennité.  Alors  que 
l’histoire  bimillénaire  des  Juifs  est 
fondamentalement diasporique, pen-
sezvous  qu’on  puisse  rester  « juif » 
au  même  sens  du  terme  dès  lors 
qu’il faut désormais assumer les for-
tes contraintes d’un mode de vie éta-
tique,  donc  radicalement  différent ? 
C’est  une  question  délicate,  qu’il  ne 
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