« JE DOIS COLLOQUER MON PATIENT ! »

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« JE DOIS COLLOQUER MON PATIENT ! » Les plus grand talents, le dévouement le plus intense, la patience la plus angélique, tout connaît des limites. Parfois, le médecin doit se résoudre à envisager cette solution : « colloquer son patient ». La démarche n’est guère agréable car elle tend à faire priver de liberté celui dont on prend soin. Elle conduit aussi le praticien aux confins de la médecine et de la procédure judiciaire, à laquelle il n’est pas du tout formé. L’objectif de cette modeste note est de rassurer le médecin quant à la légitimité et à la légalité de sa démarche mais aussi de tenter aussi simplement que possible d’exposer les exigences de la loi et la manière dont la demande de « collocation » sera traitée. INTRODUCTION PRINCIPE Le mot « collocation » est hérité de l’ancienne La loi du 26 juin 1990 énonce explicitement le procédure, en vigueur en Belgique jusqu’en principe de base de cette matière : juillet 1990. Dans notre pays, il est aujourd’hui « Sauf les mesures de protection prévues par la synonyme sans présente loi, le diagnostic et le traitement des consentement ». Il a en tout cas complètement troubles psychiques ne peuvent donner lieu à disparu des codes et des livres de droit pour aucune restriction de la liberté individuelle … » faire place de à « hospitalisation l’expression « mise en observation ». Autrement dit, s’il apparaît que le traitement d’un patient atteint de troubles psychiatriques On ne peut aborder la matière sans comprendre requiert son enfermement ou au moins la les principes de base que le législateur a mis en limitation de sa liberté individuelle et qu’il ne application pour permettre cette hospitalisation consent pas à ces mesures, on ne peut appliquer forcée. L’exposé du principe général de la en Belgique aucune autre solution que la mise législation constituera la première partie de en observation telle qu’elle est organisée par la cette note. J’envisagerai ensuite les conditions loi du 26 juin 1990, non seulement dans ses d’applications que la loi a retenue avant, dans conditions de fond mais aussi dans ses aspects un troisième temps, d’esquisser brièvement les procéduraux. procédures qu’impose la mise en œuvre des dispositions légales. Je clôturerai mon texte en évoquant la manière dont le traitement sous privation de liberté prend fin. Des procédés de rétention d’un patient, par des moyens physiques (« cabanon », …) ou chimiques, rentrent donc maintenant dans le champ de la législation pénale et constitueraient des infractions de séquestration ou détention peut être en soi considérée comme une maladie arbitraires.1 mentale ». Pour autant que besoin, la loi (art. 3) rappelle Le prescrit légal est cinglant et chacun y explicitement que : souscrit sans réserve. La pratique révèle « La personne qui se fait admettre librement cependant l’existence d’une certaine dérive qui dans un service psychiatrique peut le quitter à tendrait tout moment ». psychiatrique pour des inadaptés sociaux qui à recourir à l’enfermement perturbent l’ordre public tout en présentant un CONDITIONS D’APPLICATION bilan de santé globalement peu satisfaisant2. La loi refuse catégoriquement cette solution ! La loi précise aussi les situations dans lesquelles il sera permis d’envisager une mesure de protection de la personne du malade mental : Existence d’une maladie mentale Il ne m’appartient pas, à défaut de compétence, La référence à la maladie mentale fait aussi obstacle à la mise en observation « humanitaire », solution ultime pour venir en aide à des sans‐abris déboussolés dont la survie est menacée par la précarité de leur situation sociale. d’aborder l’aspect médical de la notion de ¾ Les assuétudes ne sont pas en soi des maladie mentale. maladies mentales
La loi, mais aussi la jurisprudence, précisent L’acuité de bon nombre de cas cependant certains contours de la notion de d’alcooliques ou de toxicomanes a amené les maladie mentale : praticiens, médecins, policiers et procureurs à ¾ La marginalité n’est pas une maladie mentale (art. 2 al. 2) « L’inadaptation aux valeurs morales, sociales, religieuses, politiques ou autres, ne tenter de leur appliquer la loi du 26 juin 1990 sur la protection des malades mentaux. A très juste titre, les tribunaux les ont rapidement renvoyés à leurs études : en soi une assuétude ne peut être assimilée à une maladie mentale. Dans la pratique, la mise sous protection 1
La loi pénale ne s’applique cependant pas dans
l’hypothèse de « L’état de nécessité ». L’affirmation
légale de la liberté du patient atteint d’un trouble
psychique n’a pas pour objectif de lui permettre de
concrétiser sa dangerosité vis-à-vis de lui-même ou
d’autrui. En cas d’urgence, il sera donc tout à fait admis
de réduire, voire de supprimer, son droit d’aller et de venir.
Il ne pourra cependant jamais s’agir que de mesures
conservatoires, prises dans l’urgence et dans l’attente de
l’application imminente de la loi du 26 juin 1990.
n’est plus envisagée que pour des cas fort limités où la maladie mentale préexistait à la 2
Solution préconisée par certains bourgmestres pour gérer
des « poivrots », mendiants, bagarreurs, grossiers et dont
l’ivresse requiert très régulièrement l’intervention du sv
100.
toxicomanie ou lorsqu’elle a été induite par les santé, qu’il risque de compromettre gravement addictions s’il n’est pas contraint de se soigner. (syndrome de Korsakov par exemple). La mise en observation est évidemment La mise en observation ne peut donc pas être aussi applicable lorsqu’il s’agit de garantir la considérée ni a fortiori utilisée à d’autres fins sécurité du patient, qu’il est susceptible de que la thérapie d’un patient atteint d’une menacer lui‐même. On pense ici concrètement maladie mentale. Quelle que soit leur aux risques de passage à l’acte en matière de légitimité, toutes les autres motivations liées à suicide ou de comportement dangereux. des impératifs familiaux, sociaux ou humanitaires ne peuvent conduire à la mise ¾ Soit il constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui.
sous protection d’un patient. La loi prend ici en compte la dimension Même la dangerosité objective d’une personne ne peut justifier sa mise en observation si elle ne résulte pas d’une maladie mentale. Il appartiendra dans ce cas aux responsables de l’ordre public de prendre les autres mesures que la loi met à leur disposition (s’il en existe !). Absolue nécessité pour le patient La maladie mentale ne suffit pas à elle seule à sociale de la maladie mentale, c'est‐à‐dire les répercussions que le comportement du malade peut avoir sur ses concitoyens. Le danger qu’il constitue pour autrui justifie sa mise en observation. La menace qu’il représente peut porter non seulement sur la vie d’autrui mais aussi sur l’intégrité de la personne. Sont ici visés les épisodes de violence, tant physique que psychologique. justifier la mise en observation d’un patient. Il est cependant bien précisé que la Cette mesure doit en outre être « requise par menace doit être grave. La gravité va son état ». Cette condition est explicitée par la s’apprécier tant au niveau de son intensité, un loi : simple risque ne suffit pas, que de son objet, un ¾ Soit il met gravement en péril sa santé et dommage véniel ne pouvant pas davantage sa sécurité
justifier la mesure. La loi entend réserver la contrainte Dans la pratique, on verra qu’il est parfois thérapeutique aux situations dans lesquelles la difficile survie du patient est menacée. Il ne peut être d’absolue nécessité distinctement de celle question de mesure de confort (pour le malade d’urgence que nous rencontrerons plus loin. ou pour ses proches) mais de sauvegarde de sa d’appréhender cette condition L’absence de consentement du patient à son Compétence traitement La mise en observation est aujourd’hui une La loi ne le prévoit pas expressément mais il mesure judiciaire (en ce sens qu’elle est résulte clairement de la philosophie du texte prononcée par un juge). que la mise en observation vient suppléer le Le juge compétent est défaut de volonté du patient à se soumettre au -
traitement destiné à améliorer son état. pour les majeurs : Le juge compétent pour la mise en observation d’une personne majeure L’absence de tout autre traitement approprié (c'est‐à‐dire âgée de plus de 18 ans, Il convient enfin, selon le prescrit légal, de quelle que soit sa nationalité) est le juge vérifier qu’il n’existe pas de « solution de de paix du lieu où la personne se trouve. rechange » à la mise en observation. Dès qu’il -
pour les mineurs apparaît qu’un autre traitement qui n’impose pas la privation de liberté du patient est Si le malade mental est âgé de moins de envisageable, la priorité doit être donnée à 18 ans, c’est le juge de la jeunesse de la cette solution. résidence du mineur qui est compétent. La mise en observation ne peut donc constituer La loi prévoit deux procédures, selon l’urgence qu’une mesure subsidiaire, lorsque toutes les de la situation. autres ont été envisagées sans succès ou font Procédure « ordinaire » défaut. Nous verrons successivement le mode d’introduction de la demande et la manière LA PROCEDURE Si ces conditions de fond sont vérifiées, la mise dont le dossier va être traité par le juge. 1. introduction de la demande en observation d’un patient atteint d’une o initiative maladie mentale requiert en outre le respect Qui peut demander la mise en observation d’une procédure assez lourde. L’objectif de ces d’un malade mental ? multiples formalités est de garantir à la personne concernée le respect le plus strict de sa liberté individuelle et de prévenir au maximum les abus. L’initiative de cette mesure peut être prise par toute personne intéressée. Le requérant devra simplement pouvoir justifier d’un intérêt légitime pour que son action soit Obligatoirement cette requête doit comporter recevable. en annexe un rapport médical circonstancié : Il pourra donc s’agir d’un parent, d’un enfant, -
datant de 15 jours au plus d’un membre de la famille ou d’un proche -
décrivant l’état de santé du patient, les soucieux de la santé du malade. L’action d’un symptômes de la maladie et constatant tiers est tout aussi possible, pour les mêmes que les conditions de fond (cf. supra) motivations. L’assistance d’un avocat n’est pas requise. o Forme : sont réunies -
établi par un médecin qui n’est ƒ
La demande doit prendre la forme d’une requête déposée au greffe de la juridiction compétente (cf. supra). Cette requête doit obligatoirement comporter les mentions suivantes : ni parent ni allié du malade ou du requérant ƒ
pas attaché au service psychiatrique où le malade se trouverait déjà. Ces formalités sont prescrites à peine de désignation du juge auquel elle est nullité, c'est‐à‐dire que la demande sera adressée rejetée si l’un ou l’autre d’entre elles n’est pas -
jour, mois et an respectée, en tout ou en partie. -
identité complète de celui qui la dépose -
-
-
et indication du degré de parenté ou de Sans entrer dans les détails, épinglons trois la nature de sa relation avec la personne points fondamentaux dans le traitement de la dont la mise en observation est demande par le juge : demandée o Examen sommaire de la demande objet de la demande (donc bien indiquer D’emblée et sans débat, dans les 24 heures du qu’il s’agit d’une demande de mise en dépôt de la requête le juge peut rejeter la observation) et exposé de la motivation demande si elle lui paraît manifestement nulle (c'est‐à‐dire expliquer sommairement en ou irrecevable (défaut d’une des formalités quoi les conditions légales sont remplies) mentionnées ci‐dessus). l’identité complète du malade dont la Dans le même délai, il doit vérifier sa mise sous protection est demandée -
2. traitement de la demande par le juge signature du requérant ou de son avocat compétence territoriale et s’il estime qu’elle est manifestement erronée, il transmet la prononcé. Dans ce cas là, c’est le procureur du procédure à son collègue compétent. Roi qui prend la décision. o Instruction de la demande 1. Notion d’urgence La loi prévoit que le malade mental doit La loi ne définit pas l’urgence qui justifie toujours être assisté d’un avocat. Le juge l’intervention veille d’abord à ce qu’un conseil soit désigné évidemment d’une situation de crise dans par le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats. Il laquelle les critères de fond prennent une organise ensuite la visite qu’il va rendre au acuité toute particulière. Caricaturalement, patient. Il rencontre en principe le malade à on retiendra l’image du « fou furieux ». l’endroit où il se trouve (il ne le convoque Pratiquement, on jaugera l’urgence à donc normalement pas). l’importance du danger auquel le malade Lors de cette visite, le juge doit entendre le s’expose ou qu’il fait courir aux autres, l’acuité malade assisté de son avocat (celui qui a été de son état et au risque concret de le voir désigné ou un autre qu’il a choisi) et le cas passer à l’acte. échéant d’un médecin psychiatre (qu’il a La notion d’urgence est malheureusement consulté ou que le juge a estimé devoir requérir). Le juge peut aussi entendre toutes les personnes qu’il souhaite. du Parquet. Il s’agit galvaudée aujourd’hui, au point que l’on oublie que la procédure urgente est considérée comme exceptionnelle par la loi. o Débats et jugement Le requérant y trouve son avantage puisqu’il Après avoir entendu toutes les parties en leurs est dispensé des formalités et du suivi de la arguments, le juge rend sa décision. Celle doit procédure. Il n’est pas si sûr que le malade en intervenir dans les dix jours du dépôt de la tire autant de profit : les moyens du requête. procureur, justifiés par l’importance supposée de la menace, font passer l’aspect médical et Procédure d’urgence La procédure « ordinaire » « l’humanité » au second plan (le malade est est donc relativement rapide. La loi a cependant voulu tenir compte des situations de crise où il ne paraît pas possible d’attendre 10 jours avant que le jugement. de mise en observation ne soit généralement appréhendé par la police et placé en garde à vue avant d’être examiné par un médecin dans des conditions aussi précaires que celles dans lesquelles travaillent les policiers et les magistrats). On évitera donc autant que possible cette procureur du Roi conduit le malade mental en voie, spécialement lorsque l’on assiste à une milieu psychiatrique. dégradation de l’état du patient : autant intervenir un peu plus tôt par la voie ordinaire qu’au dernier moment et dans l’urgence. La mise en observation au sens strict La décision du juge de placer un malade mental 2. Saisine du procureur du Roi en observation a une validité de 40 jours. Au Il n’existe ici plus aucune formalité. Le cours de cette période, la patient subit une série magistrat de garde du parquet est avisé par la d’investigations, sous la responsabilité d’un police, par la famille, par le médecin traitant, médecin du service psychiatrique auquel il a été des voisins, …. En principe, le particulier qui confié. Ce dernier peut autoriser des sorties, s’adresse à lui doit lui remettre un rapport seul ou accompagné, de jour comme de nuit ou médical circonstancié (cf. supra) mais en des séjours à temps partiel à l’extérieur de pratique, s’il n’en dispose pas, il se débrouille l’établissement. pour solliciter sur l’heure l’avis d’un Au bout de cette période, si son état s’est spécialiste. amélioré et que sa privation de liberté ne s’impose plus, la mesure est levée. 3. procédure S’il est convaincu de la nécessité et de la Si le traitement semble devoir être poursuivi, on légalité de la mise en observation, le envisagera le maintien du malade. procureur du Roi rend une « décision de mise en observation ». Le malade est Le maintien immédiatement transféré dans le service Ce maintien est demandé par le médecin chef psychiatrique mentionné dans cette décision. du service auquel le malade a été confié dans le Le parquet dispose de 24 h. pour déposer une cadre d’un rapport adressé au juge de paix. Le requête devant le juge compétent comme le malade a le droit de solliciter l’avis d’un autre ferait un particulier. A défaut, sa décision praticien. cesse ses effets et le malade mental est remis La décision de maintenir le malade est prise par en liberté. le juge compétent. Elle a une validité de deux ans maximum, renouvelable une fois. EXÉCUTION DE LA MISE EN OBSERVATION La mise en observation, que ce soit au terme de la procédure ordinaire ou sur décision du C’est le médecin chef du service qui dispose du droit de mettre fin à ce maintien. La post‐cure La loi permet enfin, au cours du maintien, l’instauration d’une post‐cure en dehors de l’établissement. Ce régime est placé sous la responsabilité du médecin‐chef de l’établissement. CONCLUSION Le traitement des malades mentaux constitue le point de rencontre le plus fréquent entre médecine et justice. Cette dernière, par les procédures légales dont elle veille au respect, garantit la liberté individuelle du patient. Elle laisse cependant très vite le champ libre au monde médical, spécialement aux spécialistes des établissements auxquels ces patients sont confiés. Ce passage de relais confirme bien que la loi qui permet la mise en observation d’un malade mental ne peut être appliquée que dans cette finalité strictement thérapeutique. Médecins, magistrats du parquet et juges doivent rester vigilants à ne pas la détourner cette finalité et ne pas hésiter à faire appel à d’autres institutions dès qu’il apparaît que les conditions de son application ne sont pas réunies. Bernard Appart Procureur du Roi de Dinant 
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