191
valeurs, ses intentions et ses significations. En particulier, Rogers et
Maslow visaient à donner des bases empiriques à l'approche humaniste.
Pour sa part, Rollo May (1950) apporta l'éclairage des courants européens
existentiels et phénoménologiques au courant humaniste, par exemple
Kierkegaard et Heidegger.
Que s'est-il donc passé pour que soient oubliées et ignorées les
origines de l'approche humaniste-existentielle? Coïncidence historique ou
destin incontournable, la fondation de la « Troisième Force » arriva
simultanément avec l'émergence du phénomène sociopolitique de la
contre-culture. Ce mouvement préconisait plusieurs aspects qui faisaient
écho à la psychologie humaniste. En conséquence, la psychologie et la
psychothérapie humanistes ont été récupérées par ce mouvement
humaniste en mettant de l'avant l'individualisme, le potentiel humain sans
limites, le dévoilement de soi, l'ici et maintenant, l'hédonisme et l'irrationnel.
Cet immense mouvement social rejeta les appels à la réflexion, la critique
et la recherche des fondateurs de la psychologie humaniste, en particulier
des théoriciens de la personnalité. Alors se sont confondus l'intuition,
l'occulte, le transpersonnel, les états altérés de conscience sous l'effet de
la drogue, avec un langage d'apparence humaniste.
C'est dans ce contexte complexe que se développèrent le centre
d'Esalen, les groupes « encounter » et les centres de croissance. Ces
centres s'appuyaient sur des aspects théoriques et pratiques des groupes
de « sensitivité », du psychodrame et de la thérapie de la Gestalt. Des
expériences intensives de groupe combinant des approches corporelles,
de la méditation, du dévoilement de soi, du yoga, des expériences
mystiques ont alors connu une grande popularité (Lasch, 1979). Poussant
plus loin l'étude de l'expérience humaine, certains praticiens, se trouvant à
l'étroit dans ce mouvement humaniste, développèrent une psychologie
transpersonnelle (Tart, 1975). On semblait loin des aspirations des
fondateurs qui souhaitaient donner des assises scientifiques à cette
nouvelle psychologie.
Ce qui est peu connu, c'est que, durant cette période où dominait de
façon outrageuse le mouvement humaniste, certains auteurs ont su
maintenir des liens articulés avec les racines mêmes de la « Troisième
Force ». Ainsi, Giorgi (1970), s'appuyant sur la philosophie de Merleau-
Ponty, proposa une perspective articulée de la psychologie humaniste qui
se distinguait du mouvement populaire de l'époque. Rychlak (1977) avança
une série de propositions pour le développement d'une psychologie
humaniste rigoureuse. De son côté, Bakan (1966) procéda à une analyse
savante des principes dialectiques régissant l'existence humaine. Frankl
(1962), en formulant la logothérapie, présenta une version voisine de celle
de Rollo May où dominait la quête de sens face à la mort et la souffrance.
En 1965, Bugental élabora une approche existentielle-analytique en
définissant la quête d’authenticité au coeur du processus thérapeutique.
Par ailleurs, quelques voix dissidentes ont dénoncé les dangers de la
fascination irréfléchie pour les gadgets et les pratiques douteuses du