Histoire Humaniste

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Revue Québécoise de Psychologie, vol. 20, n° 2, 199 9
LA PSYCHOTHÉRAPIE HUMANISTE-EXISTENTIELLE
D'HIER À DEMAIN : ÉPILOGUE
1
Conrad LECOMTE
Annette RICHARD
Université de Montréal
Université de Montréal
Résumé
La psychologie humaniste-existentielle et son application en psychothérapie sont-elles
encore bien vivantes et en croissance ou en voie de disparition? Cet article propose l’analyse
de cette problématique en trois temps : d’abord, nous abordons l’étude des facteurs qui ont
contribué à sa popularité et, paradoxalement, à son déclin. Puis, nous discutons de l’avenir et
de la contribution de la psychothérapie humaniste-existentielle dans une perspective de
dialogue pluraliste. Enfin, nous tentons de situer les défis épistémologiques et les enjeux
reliés à une crise paradigmatique généralisée en psychologie scientifique et en
psychothérapie spécifiquement.
Mots clés : psychologie et psychothérapie humaniste-existentielle, épistémologie, défis et
enjeux, perspectives et prospectives
La psychologie humaniste-existentielle et son application en
psychothérapie sont-elles encore bien vivantes et en croissance ou en voie
de disparition au Québec? Quelles directions semblent-elles prendre pour
e
le XXI siècle? Voilà les questions posées en prologue, dès le début de ce
numéro spécial. Nous nous proposons de conclure en élargissant la
réflexion aux développements observés ailleurs dans le monde. Nous
croyons que la crise identitaire du psychologue humaniste-existentiel est
reliée à certaines lacunes inhérentes à son développement passé et actuel.
Par contre, elle peut être vue aussi comme une crise de croissance,
laquelle s'est d'ailleurs généralisée à toute la psychologie comme science
et à toute approche thérapeutique comme spécialité. Nous aborderons
cette problématique en trois temps : d'abord, nous tenterons d'analyser
quelques aspects qui ont contribué à sa popularité et, paradoxalement, à
son déclin en Amérique du Nord et en Europe. Puis, nous discuterons
comment la « Troisième Force » peut envisager son avenir et sa
contribution de façon pertinente au dialogue pluraliste contemporain.
1.
Toute correspondance doit être adressée à Conrad Lecomte, Département de
psychologie, Université de Montréal, Montréal (Québec), H3C 3J7. Courriel :
[email protected]
189
Finalement, nous tenterons de situer les défis, surtout épistémologiques, et
les enjeux reliés à une crise paradigmatique en science, en psychologie
scientifique et en psychothérapie.
1
Nous avons trouvé l'ennemi, et c'est nous
Le développement et l'évolution de la psychothérapie humanisteexistentielle soulèvent plusieurs questions. Comment expliquer qu'une
approche qui a connu une popularité et une influence considérables au
cours des 35 dernières années semble aujourd’hui connaître un déclin
important en Amérique du Nord? Alors que Rogers est encore reconnu par
l'ensemble des psychothérapeutes comme celui qui a le plus influencé leur
pratique, à peine 9% s'identifient spécifiquement à son approche (Smith,
1982). Pour ajouter à ces paradoxes, mentionnons que, malgré que
Rogers soit le fondateur de la recherche en psychothérapie, son système
est un des moins enseignés en milieu universitaire.
La plupart des psychothérapeutes humanistes-existentiels savent que
leur approche s'est construite en réaction au behaviorisme positiviste
américain et au réductionnisme biologique de la psychanalyse orthodoxe.
Bien au-delà d'une réaction ponctuelle et situationnelle, peu de
psychologues savent que l'émergence de cette approche a été le résultat
d'un processus rigoureux d'investigation et de réflexion d'un groupe de
théoriciens de la personnalité et de la psychothérapie (Gilbert, 1975). En
fait, le courant humaniste-existentiel découle directement de la rencontre
de la psychologie de la personnalité et des « leaders » de la psychologie
humaniste. Les grands théoriciens de la personnalité qu'étaient Allport
(1937), Murray (1938), Murphy (1947) et Kelly (1955) ont été les premiers à
jeter les bases de la psychologie humaniste par leurs travaux sur la
personnalité. Gordon Allport (1937), avec son œuvre maîtresse
Personality: A psychological interpretation, élabora un cadre
phénoménologique nuancé pour étudier le développement de la personne.
Murray (1938) et Murphy (1947) abordèrent des aspects novateurs en
intégrant des aspects biopsychosociaux à l'étude de la personnalité. Que
dire de George Kelly (1955) qui, avec la psychologie des construits
personnels, a contribué largement au développement de l'approche
constructiviste et cognitive. Du côté européen, Charlotte Bühler,
chercheure en psychologie du développement, René Dubos, biologiste, et
Jacques Barzin, écrivain, se joignirent au mouvement humaniste dès sa
fondation. La rencontre de ce groupe de théoriciens et de chercheurs avec
les théoriciens de la psychothérapie humaniste-existentielle, soit Rogers
(1961), May (1950) et Maslow (1954), constituera la base de la « Troisième
Force » en psychologie.
Les fondateurs de l'approche humaniste-existentielle n'étaient pas
antiscientifiques. Au contraire, ils souhaitaient établir les bases d'une
psychologie caractérisée par l'étude de l'expérience humaine avec ses
1.
190
Walt Kelly, cité par Mahoney (1991).
RQP, 20(2)
valeurs, ses intentions et ses significations. En particulier, Rogers et
Maslow visaient à donner des bases empiriques à l'approche humaniste.
Pour sa part, Rollo May (1950) apporta l'éclairage des courants européens
existentiels et phénoménologiques au courant humaniste, par exemple
Kierkegaard et Heidegger.
Que s'est-il donc passé pour que soient oubliées et ignorées les
origines de l'approche humaniste-existentielle? Coïncidence historique ou
destin incontournable, la fondation de la « Troisième Force » arriva
simultanément avec l'émergence du phénomène sociopolitique de la
contre-culture. Ce mouvement préconisait plusieurs aspects qui faisaient
écho à la psychologie humaniste. En conséquence, la psychologie et la
psychothérapie humanistes ont été récupérées par ce mouvement
humaniste en mettant de l'avant l'individualisme, le potentiel humain sans
limites, le dévoilement de soi, l'ici et maintenant, l'hédonisme et l'irrationnel.
Cet immense mouvement social rejeta les appels à la réflexion, la critique
et la recherche des fondateurs de la psychologie humaniste, en particulier
des théoriciens de la personnalité. Alors se sont confondus l'intuition,
l'occulte, le transpersonnel, les états altérés de conscience sous l'effet de
la drogue, avec un langage d'apparence humaniste.
C'est dans ce contexte complexe que se développèrent le centre
d'Esalen, les groupes « encounter » et les centres de croissance. Ces
centres s'appuyaient sur des aspects théoriques et pratiques des groupes
de « sensitivité », du psychodrame et de la thérapie de la Gestalt. Des
expériences intensives de groupe combinant des approches corporelles,
de la méditation, du dévoilement de soi, du yoga, des expériences
mystiques ont alors connu une grande popularité (Lasch, 1979). Poussant
plus loin l'étude de l'expérience humaine, certains praticiens, se trouvant à
l'étroit dans ce mouvement humaniste, développèrent une psychologie
transpersonnelle (Tart, 1975). On semblait loin des aspirations des
fondateurs qui souhaitaient donner des assises scientifiques à cette
nouvelle psychologie.
Ce qui est peu connu, c'est que, durant cette période où dominait de
façon outrageuse le mouvement humaniste, certains auteurs ont su
maintenir des liens articulés avec les racines mêmes de la « Troisième
Force ». Ainsi, Giorgi (1970), s'appuyant sur la philosophie de MerleauPonty, proposa une perspective articulée de la psychologie humaniste qui
se distinguait du mouvement populaire de l'époque. Rychlak (1977) avança
une série de propositions pour le développement d'une psychologie
humaniste rigoureuse. De son côté, Bakan (1966) procéda à une analyse
savante des principes dialectiques régissant l'existence humaine. Frankl
(1962), en formulant la logothérapie, présenta une version voisine de celle
de Rollo May où dominait la quête de sens face à la mort et la souffrance.
En 1965, Bugental élabora une approche existentielle-analytique en
définissant la quête d’authenticité au coeur du processus thérapeutique.
Par ailleurs, quelques voix dissidentes ont dénoncé les dangers de la
fascination irréfléchie pour les gadgets et les pratiques douteuses du
191
mouvement humaniste (Koch, 1971; Farson, 1978). Pour leur part, May et
Maslow sont demeurés plutôt ambivalents face à ce mouvement, alors que
Rogers (1970) a offert son soutien aux groupes « encounter ».
Au cours des années 80, le mouvement populaire humaniste a perdu
de sa ferveur et de son influence. Certains auteurs humanistes tentèrent
alors de redonner des bases rigoureuses et scientifiques à certaines
approches humanistes, en particulier aux thérapies centrées-sur-lapersonne et la Gestalt (Greenberg et Pinsof, 1986; Liater, Rombarts et Van
Balen, 1990). Malgré ces développements récents, une certaine confusion
persiste entre le mouvement humaniste et la psychothérapie humanisteexistentielle. Tout compte fait, nous pouvons dire que notre ennemi, c'est
nous. Nous avons contribué au développement d'un mouvement
phénoménal où se sont confondus sans nuance des aspects novateurs et
significatifs avec des expériences réduisant la personne à un simulacre de
valeurs fondamentales, comme l'authenticité et la spontanéité.
Alors, que faire pour la suite? D'abord, reconnaître cet état de faits. Les
dérapages et les dérives du mouvement humaniste ne doivent pas occulter
la richesse et la profondeur des propositions du projet humaniste. En fait, le
mouvement humaniste représente une exploration massive sans précédent
de l'expérience subjective et du potentiel humain (Kopp, 1978). Tout en
soulignant les possibilités insoupçonnées du changement psychologique,
ce mouvement ne reconnut que partiellement la complémentarité
nécessaire des processus de maintien et de stabilité pour s'adapter et vivre
en continuité avec qui nous sommes. Paradoxalement, on peut se
demander si ce n'est pas justement l'exploration intense du pôle de la
subjectivité et de ses potentialités qui a contribué à défaire le mythe de
l'objectivité et de la neutralité. Reconnaître la subjectivité de toute
entreprise, qu'elle soit scientifique, littéraire ou thérapeutique, est
maintenant devenu un lieu commun.
Redécouvrir les prémisses du projet humaniste, c'est revisiter un
ensemble de postulats définissant la primauté de l'expérience subjective
holistique (Bugental et Bracke, 1992). Relire attentivement les travaux de
Rogers, de Maslow, de Perls et de ses collaborateurs et de May, c'est
redécouvrir l'ampleur du projet humaniste-existentiel. Ce n'est pas par
hasard si la plupart des postulats mis de l'avant par la « Troisième Force »
en psychologie sont maintenant reconnus par plusieurs tenants
d'approches contemporaines psychanalytiques et cognitives. Plus encore,
les méta-analyses portant sur les processus et les résultats thérapeutiques
soulignent l'influence de plusieurs éléments centraux de l'approche
humaniste, par exemple les conditions facilitantes, l'alliance et l'émotion
(Lambert et Bergin, 1994).
Les fondateurs souhaitaient donner des bases scientifiques
rigoureuses à l'étude de l'expérience humaine. Avec l'émergence récente
de nouvelles méthodologies scientifiques, comme l'interprétation
herméneutique et les méthodes qualitatives, de nouvelles perspectives de
192
RQP, 20(2)
recherche s'ouvrent pour l'étude de l'expérience humaine telle que définie
par les humanistes. Cette nouvelle « Zeitgest » semble suggérer
l'émergence d'une nouvelle problématique en psychothérapie. Face à cette
situation, on peut se demander ce que sera l'avenir de la psychothérapie
humaniste-existentielle. A-t-elle encore sa raison d'être? Si oui, sous quelle
forme? Comment envisager le dialogue avec les autres approches
thérapeutiques? Qu'avons-nous besoin d'élaborer pour se situer et se
différencier?
Au-delà du dogmatisme et du relativisme : le dialogue pluraliste
Même si, dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, à peine 9 % des
psychothérapeutes s'identifient comme humanistes, le courant humanisteexistentiel continue d'avoir une influence importante sur la pratique
professionnelle de la psychothérapie. Un grand nombre de
psychothérapeutes éclectiques affirment combiner l'approche humaniste
avec d'autres approches (Norcross et Prochaska, 1982). Par ailleurs,
plusieurs aspects de la psychothérapie humaniste ont été adoptés par
d'autres courants thérapeutiques (Bohart, 1995). À l'exception des travaux
de Rogers, le développement de la psychothérapie humaniste-existentielle
s'est fait en dehors des milieux universitaires et, la plupart du temps, sans
effort de validation scientifique (Giorgi, 1987). Cette absence de réflexion,
de critique et de validation, combinée aux dérives du mouvement
humaniste de la contre-culture, n'a pas facilité l'évolution de l'approche
humaniste-existentielle. Plusieurs formulations théoriques et pratiques
auraient eu avantage à être élaborées, nuancées et révisées.
Pendant que la psychothérapie humaniste-existentielle se détachait
péniblement des excès du mouvement humaniste de la contre-culture, les
approches psychanalytiques, en particulier la psychanalyse relationnelle, la
psychologie du soi, l'intersubjectivité (Aron, 1996), et certaines formes de
thérapies cognitives (Young, 1994) procédaient à d'importantes
reformulations et révisions. Ces approches reprenaient à leur compte non
seulement l'essentiel des postulats humanistes-existentiels, mais, plus
encore, leur donnaient une nouvelle profondeur et cohérence. Plusieurs
psychothérapeutes humanistes-existentiels se cherchent des lieux de
réflexion et de perfectionnement face à l'évolution récente de la
psychothérapie. En apparence, plusieurs approches thérapeutiques
semblent maintenant reconnaître la plupart des postulats humanistesexistentiels. Est-ce bien le cas? Comment savoir? Cette problématique est
complexe. Ainsi, peut-on prétendre que la révolution cognitive en
psychothérapie répond aux attentes et aux buts de l'approche humaniste?
Les révisions importantes de la psychanalyse formulées en particulier dans
les théories contemporaines de la psychanalyse correspondent-elles à la
quête des humanistes? Finalement, comment peut-on envisager le
dialogue avec les autres approches à un moment où la pluralité des points
de vue est de plus en plus reconnue avec respect et intérêt? Comment
s'ouvrir à un pluralisme sans prêter le flanc au relativisme subjectif?
193
D'abord, redécouvrir, reconnaître et approfondir les fondements
essentiels de l'approche humaniste-existentielle en les contextualisant
dans sa propre histoire de vie peut contribuer à se redéfinir. Cette
démarche est d'autant plus importante à un moment où un nouveau
paradigme semble émerger en s'appuyant lourdement sur les postulats
humanistes-existentiels. Tout dialogue est exigeant; il implique continuité et
changement. Cependant, il est nécessaire à l'évolution de qui nous
sommes comme êtres en devenir. Sur quelles bases, sous quelles formes
et avec quels critères peut-on envisager un tel dialogue?
Face aux positions pessimistes et déterministes du behaviorisme
radical et de la psychanalyse orthodoxe, les tenants de la psychologie
humaniste ont opposé des propositions téléologiques caractérisées par la
croyance que tout être humain est programmé de façon innée à des
objectifs d'actualisation et de croissance. La vision était généreuse. Elle
remettait en question les abus d'une raison qui voulait tout contrôler
(Hayek, 1967), en lui préférant une position romantique de bonté humaine
inspirée de Rousseau. Les humanistes accordaient ainsi une grande
importance à la finalité et à la directionnalité de la condition humaine. Cette
proposition les a amenés à privilégier l'analyse introspective-empathique
de l'expérience humaine dans une perspective phénoménologique
holistique.
Cette question de finalité est des plus pertinentes. On peut se
demander si ce concept de « finalité », défini hors des contingences du
temps de l'histoire, de l'espace et des autres, n'a pas contribué à créer
l'illusion de la possibilité de changement sans limites (Koch, 1971), illusion
récupérée par le mouvement de la contre-culture. Tout en soulignant la
centralité et la sagesse d’une recherche de finalité pour questionner le
sens et la direction de l'expérience humaine, il paraît nécessaire de
reconnaître l'influence complexe et imprévisible des contingences « biopsycho-socioéconomiques » sur le destin humain (Mahoney, 1991). Ainsi,
l'expérience humaine peut être conceptualisée comme s'auto-organisant
constamment avec directionnalité tout en ne connaissant pas sa
destination finale précise face à une multitude d'influences
environnementales et héréditaires. Au lieu de « téléologie », plusieurs
auteurs recommandent alors d'utiliser plutôt le concept de « téléonomie »
(Mahoney, 1991). « Téléonomie » évoque l'importance d'une directionnalité
dans la vie humaine tout en reconnaissant son évolution et son
développement complexe. Des concepts comme expérience subjective,
actualisation, croissance deviennent alors incarnés et contextualisés.
Dans cette perspective, les postulats humanistes-existentiels prennent
un sens encore plus profond. Saisir l'expérience unique et holistique de la
personne aux prises avec les contraintes contextuelles de ses choix de vie
représente bien l'essentiel du projet humaniste-existentiel. C'est un peu
dans ce sens que plusieurs humanistes (Shlien et Levant, 1984;
Greenberg, Rice et Elliott, 1993) ont récemment proposé de reconsidérer
la tendance actualisante comme la tendance à développer des structures
194
RQP, 20(2)
intégrées qui se différencient constamment. Cette reconceptualisation
continue, sorte de « ménage épistémologique » des concepts et des
postulats humanistes, semble prometteuse pour faciliter l'échange avec les
autres approches. Par exemple, en précisant sa position téléonomique,
l'approche humaniste-existentielle peut étudier la pertinence des
propositions de la psychologie cognitive et des théories contemporaines de
la psychanalyse en s'appuyant sur des critères de cohérence. Il nous
semble que ce dialogue, entre les approches thérapeutiques, sera
fructueux dans la mesure où les enjeux fondamentaux épistémologiques
seront bien campés. Cette conscience éclairée ouvre la voie à de nouvelles
formes de respect dans la diversité. C'est dans cet espace que peut
s'amorcer une démarche de réflexion et de collaboration pertinente et
rigoureuse. Au cœur de ce programme se retrouve la vieille tension
dialectique et paradoxale de s'ouvrir au changement et à la différenciation
tout en assurant l'intégrité et la continuité systémique de l'approche
humaniste-existentielle.
Ce dialogue est déjà amorcé. Sans prétendre être exhaustif,
soulignons quelques tendances récentes de l'interaction de la
psychothérapie humaniste-existentielle avec les autres approches. Les
travaux théoriques et scientifiques les plus marquants des 15 dernières
années ont été réalisés par l'équipe de l'Université York, sous la direction
de Laura Rice et de Leslie Greenberg (1984). Leurs réflexions théoriques
et pratiques et leurs propositions scientifiques constituent une contribution
rigoureuse et pertinente. Par un tour de force, ils ont réussi à développer
des méthodologies de recherche compatibles avec les visées humanistes.
Ces nouvelles méthodes ont révolutionné l'étude des processus
thérapeutiques pour l'ensemble des approches (Rice et Greenberg, 1984).
S'appuyant sur les postulats humanistes, ces auteurs ont élaboré une
intégration de la Gestalt thérapie, de la thérapie centrée-sur-le-client, du
focusing, avec certains aspects des théories cognitive et systémique
contemporaines (Greenberg, Rice et Elliott, 1983). Ils accordent une place
prépondérante à l'émotion dans le travail thérapeutique (Greenberg et
Safran, 1987).
En Belgique, en Allemagne et au Danemark, un groupe de chercheurs
et de psychothérapeutes tentent de réviser les propositions de la thérapie
centrée-sur-la-personne en envisageant des rapprochements avec d'autres
approches, en particulier cognitives (Liater, Rombarts et Van Balen, 1990).
Leurs travaux innovateurs auprès des déficients mentaux et des étatslimites sont particulièrement intéressants. Mahrer (1996) a développé sa
propre version d'une thérapie expérientielle. Ses recherches sur certains
moments critiques du processus thérapeutique sont particulièrement
intéressantes.
Au Québec, Lecomte et al. (1993) et Lecomte et Richard (1997) ont
contribué à définir et préciser des lieux de réflexion et de dialogue
théorique, pratique et scientifique entre la psychothérapie humaniste, la
psychologie du soi, l'intersubjectivité et la psychanalyse relationnelle. Pour
195
sa part, Delisle (1999) propose une théorie intégrative de la thérapie de la
Gestalt et de la théorie de relations d'objet de Fairbairn (1954). Garneau et
Larivey (1999) ont élaboré une conception originale du diagnostic, du
transfert et de l'émotion dans une perspective humaniste. De son côté,
St-Arnaud (1999) intègre la perspective d'action éclairée et efficace de
Argyris et Schön (1974) à son approche humaniste d'inspiration
rogérienne.
La psychothérapie humaniste-existentielle a-t-elle dit son dernier
mot?
L'interaction de la psychothérapie humaniste avec les autres
approches thérapeutiques soulève plusieurs questions complexes touchant
à des dimensions cruciales du processus thérapeutique. À l'intérieur même
du courant humaniste s'opposent les tenants de la centralité de la relation
empathique et d'autres qui préconisent l’adoption d’un rôle de facilitateur
actif pour le thérapeute (Rice et Greenberg, 1984). Comment réconcilier
des notions d'authenticité, de dévoilement de soi, de spontanéité et de
transparence avec des concepts comme l'alliance, le transfert, le contretransfert, la résistance et les défenses? Plusieurs utilisent ces notions
assez librement sans s'interroger sur les enjeux de cohérence
épistémologique. Fondamentalement, le choix d'une approche
thérapeutique repose en bonne partie sur les théories tacites de souffrance
et de guérison de chacun. Reconnaître sa propre théorie implicite permet
de donner du sens à l'engagement théorique. Au-delà de ce critère de
signification, une démarche épistémologique de cohérence s'impose dans
l'analyse de problématiques comme la résistance, le transfert, l'authenticité
et le dévoilement de soi. Cette quête de cohérence a amené, chacun de
leur côté, des humanistes comme Greenberg, Rice et Elliott (1993), des
psychanalystes comme Stolorow et Atwood (1992) et des behavioristescognitivistes comme Young (1994) et Linehan (1993), à utiliser des
concepts émanant de la psychologie cognitive et de la théorie des
systèmes dynamiques (Greenberg, Rice et Elliott, 1993) pour
reconceptualiser des aspects centraux de leur approche thérapeutique.
Ainsi, certains auteurs humanistes (Bohart, 1995) et certains cognitivistes
(Young, 1994) en arrivent à redéfinir la personnalité en fonction de
schémas centraux (Anderson, 1974). Pour leur part, des psychanalystes
(Stolorow et Atwood, 1992) conceptualisent l'expérience du transfert à
partir de concepts d'assimilation et d'accommodation de Piaget (1970). La
psychologie cognitive et les théories systémiques dynamiques (Thelen,
1989) semblent offrir un lieu commun de révision et d'articulation de
diverses notions thérapeutiques. Un immense chantier de réflexion à partir
de ces perspectives s'est mis en place (Ryle, 1985, 1995). Malgré leurs
divergences théoriques, les différentes approches tentent de se donner un
langage commun pour arriver à mieux articuler la complexité du
changement thérapeutique. Ce nouveau langage cognitif et systémique est
en voie de faciliter l'émergence d'un nouveau paradigme en
psychothérapie.
196
RQP, 20(2)
Alors que s'engage ce nouveau dialogue caractérisé par le respect de
la pluralité des points de vue pour tenter de comprendre la complexité du
changement thérapeutique, les postulats et les principes affirmés dans le
projet humaniste semblent plus que jamais pertinents. En fait, plusieurs
changements substantiels apportés autant dans les approches analytiques
contemporaines que dans les thérapies cognitives-behaviorales sont très
voisins des principes ou des postulats humanistes. On n'a qu'à penser à
l'importance accordée à l'empathie, à la démarche phénoménologique, à
l'émotion et à l'expérience relationnelle (Aron, 1996). Peut-on conclure
qu'après plusieurs années, les affirmations humanistes ont été non
seulement entendues, mais reconnues par les autres approches? Peutêtre? Alors, au-delà de leurs réactivations passées, les humanistes sont
peut-être conviés à reconnaître la contribution des autres, tout en étant
fidèles à leur passé, pour ainsi mieux articuler et différencier leur propre
identité. Par ailleurs, certains auteurs estiment que la psychologie du soi et
la théorie de l'intersubjectivité intègrent l'essentiel des propositions
humanistes-existentielles en leur donnant des bases théoriques plus
élaborées (Kahn, 1996; Jacobs, 1991). D'autres considèrent que la
psychologie du soi (Kohut, 1971), l'intersubjectivité (Stolorow et Atwood,
1992) et la psychanalyse relationnelle (Mitchell, 1997; Aron, 1996)
constituent des passerelles de dialogue entre les univers humanisteexistentiel et psychanalytique (Portnoy, 1999). Face à la crise
paradigmatique de la pratique thérapeutique, la psychothérapie humanisteexistentielle n'a peut-être pas dit son dernier mot, mais elle est sans
contredit conviée à un défi existentiel presque aussi formidable que celui
qui l'a amenée à poser les bases de la psychologie de la « Troisième
Force » en 1964.
Révolution ou évolution : perspectives épistémologiques
Le mouvement de la psychologie humaniste-existentielle est en crise. Il
semble avoir été affaibli par ses propres excès, selon certains (Smith,
1990). Ces excès, problématiques sous beaucoup d’aspects, peuvent
aussi être vus comme les soubresauts d’un changement majeur, à la fois
en psychologie comme science et en psychothérapie comme spécialité.
Les fondements scientifiques de la psychologie moderne et de la
psychothérapie sont ébranlés et l’humanisme en psychologie, par son
opposition à la science psychologique positiviste, matérialiste et
rationnaliste, a contribué à les remettre en question. Nous sommes conviés
à un changement de perspective, pas seulement comme psychologues
humanistes, mais avec nos collègues de toutes approches et même avec
nos collègues de toutes les sciences.
L’histoire des idées, à travers trois millénaires, nous révèle, entre
autres, que celles-ci ont évolué en spirale, reflétant ainsi les « tensions
essentielles », les dualismes puissants avec lesquels nous sommes aux
prises : le bon et le mauvais, le corps et l’esprit, l’extérieur et l’intérieur, le
197
réel et l’illusoire, l’objectif et le subjectif, le conscient et l’inconscient, pour
ne nommer que ceux-là.
Mahoney (1991), dans un ouvrage magistral portant sur cette mutation
de perspectives en psychologie et en psychothérapie, démontre comment
la psychologie a été prise dans cette « spirale conceptuelle », passant,
entre autres, d’une emphase mise à ses débuts sur la personne interne à
la considération exclusive des facteurs externes évidents (le behaviorisme)
et, dans la dernière partie de ce siècle, à la difficile recherche d’équilibre
entre la considération des facteurs internes et des facteurs externes
explicatifs des phénomènes psychologiques.
Tenant compte de notre position dans le contexte plus large de
l’évolution des sciences et de ses applications, nous vous proposons, en
conclusion, les quelques considérations suivantes.
1. Nos excès contre-culturels, notre marginalité, notre dogmatisme
parfois dans nos prises de position en rapport avec la psychologie
expérimentale scientifique et les pratiques dominantes, peuvent être
considérés comme un phénomène de transformation du patrimoine culturel
et scientifique de l’époque moderne vers une époque postmoderne. Kuhn
(1983), dans son histoire de la pensée scientifique, démontre la forte
propension de la science en général à reconduire, à maintenir ses
interprétations et la rareté des véritables changements paradigmatiques.
Comme le fait bien ressortir Roy (1998) dans son essai sur les
dogmatismes contemporains, ces derniers mouvements dénoncent le
monisme des sciences. L’humanisme en psychologie s’est aussi opposé
au scientisme de la psychologie scientifique dominante. Nous avons
exploré le « non-encore-pensé » de notre jeune science, en nous
préoccupant d’une vérité simplifiée, laquelle reflétait les pôles de nos
dualismes fondamentaux qui avaient été occultés par les « prêt-à-penser »
de la science moderne. La ferveur avec laquelle nous avons cultivé nos
certitudes quant à la subjectivité humaine, à la primauté des émotions sur
les cognitions et sur les comportements, à la finalité actualisante du
potentiel humain inscrit dans l’organisme, à l’environnement comme
facilitateur de ou entrave à cette actualisation, témoigne souvent d’une
interprétation réduite du réel, à la recherche de nouvelles métaphores
prégnantes et signifiantes pour remplir les vides de la culture dominante.
Nous disons maintenant : mission accomplie! Les questions que nous
avons soulevées dans la marginalité sont devenues des préoccupations
communes à tous les psychologues, théoriciens, chercheurs et praticiens.
Avec nos collègues des autres écoles de pensée, nous ne faisons que
commencer à reconnaître l’irréductible complexité du réel ainsi que
l’ambiguïté de toute interprétation de ce réel.
2. La reconnaissance de cette complexité et de l’ambiguïté de notre
compréhension du psychisme humain qui sous-tend nos pratiques de
thérapeutes en a conduit plusieurs d’entre nous à changer d’allégeance
théorique et d’approche. Certains de nos collègues ont opté pour des
198
RQP, 20(2)
écoles psychanalytiques ou cognitivistes-behaviorales contemporaines qui
semblaient offrir des perspectives mieux adaptées à cette nouvelle quête
de sens.
Devons-nous tout discarter et recommencer ailleurs? Est-ce qu’une
révolution est nécessaire ou peut-on se contenter d’évoluer? Pouvonsnous encore nous définir en continuité avec nos prémisses humanistesexistentielles, fondatrices de notre identité? Les textes d’auteurs qui
précèdent tentent de répondre à ces questions. Tous se définissent
comme des humanistes-existentiels, mais l’emphase mise sur les
continuités ou sur les discontinuités des positions en rapport avec les
prémisses théoriques varie. Le choix d’emphase est surtout important
politiquement, mais il a aussi des implications sur les plans clinique et
théorique (p. ex. les textes des auteurs précédents). L’orthodoxie ou
l’hérésie sont des phénomènes reliés à des certitudes, à des dogmes;
nous croyons que la psychologie humaniste-existentielle peut transcender
ces polarisations.
L’ambiguïté est cependant différente de la confusion conceptuelle.
Pour embrasser et vivre avec l’ambiguïté de nos interprétations du réel et
pour bien aider nos clients, nous avons besoin de clarifier nos concepts et
ceux que nous empruntons aux autres. Suivant l’approche
phénoménologique de la psychologie humaniste-existentielle, nous avons
voulu
mettre
de
coté
toutes
préconceptions
diagnostiques,
métapsychologiques ou autres, afin de travailler aussi complètement que
possible à l’intérieur de l’expérience subjective de nos clients. Ce projet
phénoménologique a été rapidement contraint par les biais que notre
propre subjectivité, historiquement constituée, lui a imposés. L’évolution
vers la reconnaissance d’une coconstruction du sens de l’expérience des
clients dans un dialogue intersubjectif, c’est-à-dire où nous participons
pleinement comme sujet, nous oblige à clarifier nos concepts, nos propres
biais personnels et théoriques. Évolution ou révolution? Les deux, nous
croyons.
3. Que ce soit l’une ou l’autre, évolution ou révolution, nous
proposons qu’il y a des changements nécessaires à réaliser à deux
niveaux étroitement reliés de notre discipline : au niveau de la théorie
psychologique et clinique « proche-de-l’expérience », des métaphores qui
nous servent à construire une compréhension de l’expérience de nos
clients, de leur souffrance et des processus de guérison de cette
souffrance; et aussi au niveau de la métathéorie, c’est-à-dire comment
nous construisons notre compréhension de cette expérience. Sans cette
double réflexion conceptuelle et épistémologique continue, nous allons
cesser d’évoluer et notre pratique deviendra stérile.
4. Or nous croyons que nous sommes en bonne compagnie. Les
récents développements dans les sciences cognitives, dans les
neurosciences, dans les recherches et les théories sur le développement
de l’enfant, dans les théories de l’émotion, dans les psychologies du soi,
199
nous propulsent tous dans une nouvelle ère scientifique en psychologie et
en psychothérapie, celle marquée par les biais de l’observateur-participant
et, même parfois, du participant-observateur.
Nous ne croyons pas qu’une théorie psychologique unifiée sur la
subjectivité humaine n’est possible, pas plus que désirable. La
reconnaissance des complémentarités et des différences dans les
perspectives ouvre la porte à des dialogues, à des échanges dialectiques
beaucoup plus créateurs que les anciennes rivalités et l’isolationnisme d’où
nous émergeons.
Comme psychologue et psychothérapeute humaniste-existentiel, nous
avons une responsabilité spéciale, quoique de plus en plus partagée avec
les autres approches, envers nos clients comme envers notre discipline, de
« garder les fenêtres ouvertes sur l’expérience humaine actuelle et la
fenêtre spéciale que constitue la relation thérapeutique » (Smith, 1990,
p. 18). Nous continuerons sans doute à « inter-prêter » des contenus très
différents à cette expérience humaine puisque nos « théories de la
1
souffrance et de la guérison » sont formées implicitement en grande partie
dans l’histoire de notre propre expérience personnelle, familiale et
culturelle. Pourtant, plus nous élargirons notre conscience de ces trois
niveaux de présomptions, plus efficaces seront notre dialogue
thérapeutique avec le client et notre dialogue de compréhension clinique et
théorique avec nos collègues. Entre autres, ceci nous permettra d’élaborer
des modèles métathéoriques clarifiant les relations entre les théories et les
différents niveaux conceptuels.
5. Le défi est énorme et excitant. Il se situe dans un contexte de
révolution paradigmatique introduit dans toutes les sciences par la
découverte de la physique quantique et, avec celle-ci, une révolution
épistémologique : l’impossibilité de séparer l’observateur de l’observé.
Toute division entre ces deux derniers, laquelle doit nécessairement être
faite pour en arriver à des observations, est arbitraire. Ceci rend impossible
toute description objective de l’objet de la science et nous restreint à des
descriptions complémentaires correspondant aux divisions établies
arbitrairement entre l’observateur et l’observé. Cette révolution
épistémologique a ébranlé tous les fondements de la science moderne, en
forçant la reconnaissance de la subjectivité, de l’incertitude, de la
contradiction et la nécessité de renoncer à des explications causales
linéaires comme étant inhérentes à toute entreprise scientifique.
Nous ne faisons que commencer à mesurer les implications de cette
révolution en psychologie scientifique comme en psychothérapie, le seul
champ scientifique où l’observateur est également l’observé. Entre autres,
elle nous amène à reconnaître : 1) que le thérapeute et la personne-cliente
forment un système dyadique intersubjectif inséparable, tout comme la
dyade parent-enfant; 2) que la compréhension de l’expérience subjective
1.
200
Une expression de R. Roussillon, conférence prononcée à Montréal, au congrès de
l’Ordre des psychologues du Québec en 1996.
RQP, 20(2)
interne de la personne-cliente est coconstruite et inséparable du système
intersubjectif où elle émerge et est construite; 3) que les mondes internes
(l’intrapsychique) et les mondes externes (l’interpersonnel ou
l’intersubjectif) sont inséparables et fondamentalement coordonnés et
réciproques dans le changement développemental comme le changement
thérapeutique; 4) que la situation thérapeutique est constituée par
l’intersection de deux subjectivités dans laquelle aucun des deux
participants n’a une vision privilégiée de la réalité.
Cette perspective avait déjà commencé à s’articuler en psychologie
humaniste-existentielle avec, entre autres, la prédominance de la
méthodologie phénoménologique, la théorie du champ, la vision holistique
de la nature humaine et l’emphase mise sur les concepts de processus
expérientiels plutôt que mécanicistes comme en psychanalyse. Pourtant,
l’importance qu’on accordait à l’expérience subjective interne menait le plus
souvent à la vision d’un soi monadique, « isolé ». Une vraie vision
holistique de la vie psychique des individus doit pouvoir s’étendre à
l’extérieur des frontières de l’espace intrapsychique.
6. Notre langage étant limité pour saisir et décrire ces phénomènes
sans privilégier le domaine interne ou le domaine externe, nous avons
besoin de nouvelles métaphores, de nouveaux modèles. Implicite et
partiellement articulée dans plusieurs théories et pratiques en psychologie
humaniste-existentielle, la théorie des systèmes dynamiques, complexes,
non linéaires, auto-organisants, issue de l’étude du chaos, est en train de
se déployer et de se généraliser à la psychologie développementale, à la
psychanalyse et aux théories cognitives (Mahoney, 1991; Stolorow, 1997;
Sucharov, 1994; Stern, 1985; Mitchell, 1988; Hoffman, 1983; Aron, 1996;
Sander, 1998; Beebe et Lachmann, 1998; Young, 1994). En se
développant, elle révolutionne à la fois nos méthodes scientifiques et nos
théories. Puisant ses origines en physique, en chimie et en
mathématiques, cette nouvelle perspective sert actuellement à chercher
les principes communs qui sous-tendent des phénomènes aussi divers que
le climat, les forêts, le développement des embryons et celui des enfants,
de même que l’organisation de l’expérience subjective et intersubjective.
La théorie des systèmes dynamiques complexes, appliquée en
psychologie développementale (Thelen et Smith, 1994), commence à
démontrer sa supériorité sur les explications traditionnelles, lesquelles
apparaissent alors simplistes. Le processus de changement
développemental est conceptualisé comme étant « la génération d’une
organisation émergente de la complexité : comment la structure et les
configurations apparaissent à partir de la coopération de plusieurs parties
individuelles » (Thelen et Smith, 1994, p. XIII). Stolorow (1997) affirme et
démontre que cette théorie, en tenant compte comme nulle autre de la
nature fluide, désordonnée et sensible du contexte du processus de
changement développemental, devient une source féconde de métaphores
lorsque également appliquée au processus de changement thérapeutique.
La vision systémique dynamique a, entre autres, le mérite d’abriter le
201
principe téléonomique d’une directionnalité vers la complexité et
l’organisation dans la vie humaine, sans finalité précise.
Cette théorie nous semble particulièrement prometteuse pour nous
aider à ne pas polariser nos perspectives subjectives de compréhension et
à éviter les pièges d’une « psychologie à une personne » (facteurs
internes, intrapsychiques uniquement) comme ceux d’une « psychologie à
deux personnes » (facteurs interpersonnels, externes), lorsque « les
tensions essentielles primitives et dynamiques » (Mahoney, 1991, p. 47) de
notre existence et de notre pensée deviennent intolérables.
Finalement, nous croyons que nous avons besoin de développer de
tels concepts pour soutenir la difficile conscience des complémentarités
dialectiques des perspectives, laquelle se vit souvent comme des tensions
plus ou moins conflictuelles, soit en rapport avec notre propre expérience
de soi, soit en rapport avec les autres, dans le dialogue thérapeutique
comme dans le dialogue avec nos collègues, face à l’émergence d’une
nouvelle vision du monde.
Abstract
Are existential-humanistic psychology and its application in psychotherapy still alive and
growing, or are they destined to disappear? In this article, we attempt to answer this question
in a threefold analysis. First, we examine the factors which contributed to their popularity and,
paradoxically, to their decline. Then, we discuss the future and the contribution of existentialhumanistic psychology to the pluralistic dialogue. Finally, we attempt to identify
epistemological challenges and issues related to the generalized paradigmatic crisis in
scientific psychology and, specifically, in psychotherapy.
Key words :
202
existential-humanistic psychology and psychotherapy,
challenges and issues, perspectives and prospectives
epistemology,
RQP, 20(2)
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