Quelle réponse aux récentes propositions de recommandations du

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Quelle réponse aux récentes propositions de recommandations du plan cancer 3 ? RECOMMANDATIONS · Supprimer le remboursement du dosage des PSA réalisé sans signe d’appel clinique chez les hommes sans risque élevé. · Mettre en place une information indépendante expliquant la balance bénéfices-­‐risques défavorable de la pratique systématique et répétée de ce dosage. · Elaborer une procédure d’information particulière pour les hommes à risque élevé de cancer de la prostate prenant en compte les recommandations de la HAS. · Réduire de 20 % en 5 ans le nombre de prostatectomies (objectif de 18 000 prostatectomies totales). Rappel sémantique : « Dépister » consiste à réaliser au sein d’un groupe de personnes ne présentant pas de symptômes apparents d’une maladie, des tests performants simples et rapides permettant de distinguer celles qui ont un risque faible d’être porteuses de la pathologie et celles dont le risque est suffisamment élevé pour justifier la poursuite de la procédure diagnostique. Il s’agit de s’assurer que le dépistage permet effectivement d’atténuer les problèmes de santé et qu’il ne revient pas seulement à allonger la durée pendant laquelle les personnes se savent malades. Le dépistage doit pouvoir conduire à modifier le processus de la maladie. En fonction de la population cible, un dépistage peut être : • soit systématique, la population recrutée étant non sélectionnée (en dehors d’un critère d’âge éventuellement) ; • soit ciblé lorsqu’il s’adresse à une sous-­‐population sélectionnée sur des critères préalablement définis, lesquels permettent de la considérer comme à « haut » risque (en général facteurs de risque mis en évidence dans la littérature). Une sous-­‐population est considérée à haut risque pour une maladie ou un trouble donné si la prévalence de cette maladie ou de ce trouble est beaucoup plus élevée dans cette sous-­‐
population que dans la population générale. Selon les modalités de mise en œuvre, on distingue : • le dépistage organisé : la population est recrutée de façon active dans la communauté. Le dépistage est proposé dans le cadre de campagnes de dépistage et s’appuie sur la participation volontaire des sujets. Le dispositif repose également sur un système d’assurance qualité et un système d’information permettant une évaluation. • le dépistage individuel (ou opportuniste) : la population est recrutée lors d’un recours aux soins (hospitalisation, consultation médicale, centre de santé ou de dépistage, médecine du travail). Le terme « dépister » ne s’adresse qu’aux personnes qui n’ont pas de symptômes apparents de la maladie. Lorsque des personnes ont des symptômes, on parle de « diagnostiquer » la maladie. • Le constat Selon les recommandations de la HAS, il n’existe pas de dépistage systématique organisé du cancer de la prostate en France, que ce soit pour une population d’hommes à risque ou pour la population générale. Il existe, par contre, en France, une pratique du dosage du PSA, qui dépasse celle d’un dépistage individuel (ou opportuniste), rejoignant la consommation « en nombre » d’un dépistage systématique (3,8 M de tests PSA (150 M€) ont été effectués en 2010). Cette pratique entraîne un sur diagnostic (diagnostic précoce de petits cancers non agressifs qui n’auraient pas forcément évolués pendant la durée de vie du patient) et un sur traitement (traitement jugé comme non nécessaire pour la survie du patient mais avec des effets secondaires potentiels délétères). Mais le cancer de la prostate reste la 3ème cause de mortalité par cancer chez l’homme avec 8 876 décès en France (données CepiDC pour l’année 2012). • Les faits > Baisse de la mortalité La mortalité est en baisse constante depuis 1990 : elle est passée de 17,8/100 000 en 1990 (taux standardisé monde) à 10,8/100 000 en 2011, soit une baisse de 26 % sur toute la période. Compte tenu de l'évolution démographique de la population masculine, donc de l'augmentation de la population exposée au risque, la réduction de la mortalité spécifique en France a été d'au moins 4 % par an les 15 dernières années. Plusieurs hypothèses peuvent rendre compte de cette baisse de la mortalité alors même que le taux d’incidence a augmenté fortement. Le développement du dépistage individuel par le PSA qui a permis le diagnostic, à un stade plus précoce donc localisé, des cancers à haut risque, beaucoup plus curables que les stades avancés. Une modélisation a suggéré que plus de 50 % de cette réduction de mortalité est liée au dépistage (réf. Cancer Cases Control 2008;19:175-­‐181). L’évolution concomitante de l’accès à des prises en charge standardisées et à des progrès thérapeutiques y a aussi largement contribué. L’ERSPC a confirmé la réduction de mortalité de 21 % en cas de dépistage systématique organisé du cancer de la prostate par le PSA par rapport l’absence de dépistage, chez des hommes européens âgés de 55 à 69 ans, suivis pendant au moins 11 années. Cette baisse de mortalité atteint 29% pour les hommes ayant effectivement réalisé le dépistage. Cette analyse après 2 années de suivi supplémentaires confirme que le dépistage par PSA diminue de façon importante la mortalité par cancer de la prostate. L’ERSPC a confirmé également une diminution du risque d’être diagnostiqué à un stade métastatique de 30% après un suivi de 12 ans. > Les symptômes du cancer de la prostate Lorsque les symptômes permettent de diagnostiquer la maladie majoritairement à un stade précoce (ou pas trop tardif) permettant un traitement encore curatif, le problème est simple et le problème du dépistage ne se pose pas. Or, comme le dit la HAS dans son rapport (p. 10) : « La grande majorité des hommes ayant un cancer de la prostate n’ont pas de symptômes. Le cancer de la prostate localisé ne donne pas de signes urinaires. Les troubles urinaires habituellement attribués à la prostate sont essentiellement le fait de l’adénome prostatique, qui engendre une obstruction des voies urinaires liée à une hypertrophie bénigne de la prostate, fréquente chez les hommes âgés, et qui peut co-­‐exister avec le cancer. La progression de la tumeur peut provoquer une hématurie ou une obstruction des voies urinaires. Sa propagation à l'extérieur de la glande prostatique peut entraîner un oedème des membres inférieurs dû à l'obstruction lymphatique régionale ou des douleurs au niveau lombaire liées aux métastases osseuses. Ces symptômes apparaissent à un stade avancé, terminal de la maladie. Ce pourquoi, il y a 25 ans (avant l’ère du PSA), 85% des cancers de la prostate étaient diagnostiqués à un stade métastatique. Les autres étaient de découverte histologique lors d’un traitement chirurgical de l’HBP (RTUP ou adénomectomie). > PSA et diagnostic du cancer de la prostate La HAS reconnaît dans son rapport de façon implicite l’intérêt de diagnostiquer plus tôt les formes agressives qui auront un impact sur la vie des patients : « Importance de la recherche La HAS souligne l’intérêt des recherches sur les marqueurs permettant de distinguer les formes agressives de cancer de la prostate de celles dont la lente évolution n’aura pas d’impact sur la vie des patients. » La HAS dans son document « questions réponses » associé à son rapport pose la question : 10. Cela signifie-­‐t-­‐il que le dosage de l’antigène spécifique prostatique est inutile ? Dans un objectif de dépistage du cancer de la prostate chez un homme asymptomatique, aucun examen de dépistage performant n’est actuellement disponible, le dosage du PSA n’ayant pas toutes les qualités nécessaires à un test de dépistage (reproductibilité, validité) : les limites et les difficultés d’interprétation de cet examen se retrouvent de la même façon pour des hommes avec ou sans facteurs de risque. Pour autant, le dosage sanguin de l’antigène spécifique prostatique est un marqueur utile dans un contexte de diagnostic et de suivi du traitement d’un cancer de la prostate. La HAS rappelle l’importance de la recherche sur des tests de dépistage performants et sur des marqueurs permettant de distinguer les formes agressives des formes non agressives de cancer de la prostate à évolution lente et sans impact sur la vie des patients. • La problématique est donc : o d’une part, ne pas sous-­‐traiter les hommes porteurs d’un cancer de la prostate agressif, ce qui implique de les diagnostiquer précocement pour proposer un traitement offrant les meilleures chances de guérison ; o d’autre part, éviter le diagnostic inutile des cancers de la prostate de faible volume et peu agressifs (diminuer le « sur-­‐diagnostic »), et leur traitement potentiellement inutile (prostatectomie totale, radiothérapie externe, curiethérapie) (diminuer le « sur-­‐traitement »). • La réponse à cette problématique : > La proposition du plan cancer 3 « Supprimer le remboursement du dosage des PSA réalisé sans signe d’appel clinique chez les hommes sans risque élevé » n’est pas la bonne réponse à la question posée. C’est une réponse économique. Ne faire un dosage de PSA qu’en présence de signe d’appel clinique serait un retour en arrière de diagnostic du cancer de la prostate à un stade métastatique. Par ailleurs, c’est une réponse qui accroit les inégalités sociales. La réponse à cette problématique ne peut être binaire. La HAS écrit aussi dans son rapport qu’il faut « Améliorer l’information des hommes pour parvenir à une décision éclairée Dans ce contexte d’incertitudes, la HAS insiste sur l’importance de l’information à apporter aux hommes envisageant la réalisation d’un dépistage individuel du cancer de la prostate afin que chaque homme puisse choisir de se faire dépister ou non en connaissance de cause. Elle rappelle l’existence d’un guide d’information publié par l’Anaes en 2004, dont la mise à jour fait l’objet d’un travail sous la coordination de l’INCa, en association avec la HAS. » > La proposition de l’AFU, dans l’état actuel des connaissances, est une démarche individuelle de diagnostic précoce qui repose sur : • une information claire et transparente des hommes pour parvenir à une décision éclairée ; • la recherche, par l’interrogatoire de l’existence de facteurs de risque (FR) (facteurs génétiques et environnementaux : antécédents familiaux de ce cancer chez des parents de 1er degré (père ou frère), origine africaine, exposition à certains agents chimiques) ; • l’examen clinique de la prostate par un toucher rectal ; • l’utilisation pertinente du dosage du PSA*, à proposer de façon plus précoce en présence de FR, à ne plus proposer quand l’espérance de vie est estimée inférieure à 10 ans en raison de l’âge avancé ou des comorbidités; • la réalisation de biopsies prostatiques lorsqu’elles sont indiquées, en tenant compte des données du toucher rectal et de la valeur du PSA (interprétée selon l’âge, la cinétique, le volume prostatique, les maladies intercurrentes). • L’analyse des facteurs d’agressivité des cellules cancéreuses (en cas de biopsies positives) : grade histologique, valeur du PSA, volume tumoral et la prise en compte de l’espérance de vie du patient (âge, facteurs de morbidité compétitive) et de ses préférences, pour proposer la prise en charge la plus adaptée : surveillance active, traitement actif d’emblée, participation à des études (dont le traitement focal). Toute action ou décision en médecine ne doit pas être systématique mais doit s’adapter à chaque patient, en fonction de son histoire, de son espérance de vie (dépendant de l’âge mais aussi de la morbidité compétitive), de ses propres souhaits, et s’adapter à l’état de la connaissance en cours, pour améliorer la prise en charge diagnostique et thérapeutique au seul profit du patient. * L’Association Européenne d’Urologie propose dans ses dernières recommandations (EUROPEAN UROLOGY 64 (2013) 347–354) : • de faire un premier dosage à 40 – 45 ans. Une valeur de PSA ≥ 1 ng/ml à 45 ans et une valeur de PSA ≥ 2 ng/ml à 60 ans sont associées à une augmentation significative du risque de mortalité spécifique et du risque de diagnostic de cancer de la prostate avancé ou métastatique même 25 ans après ce premier dosage. Il a été démontré que les hommes avec une valeur de PSA ≥ 2 ng/ml à 60 ans avaient 26 fois plus de risque de mourir d’un cancer de la prostate. • d’adapter la fréquence de ce dosage en fonction de cette valeur initiale, avec un intervalle de 2 à 4 ans pour les hommes avec un PSA ≥ 1 ng/ml à 45-­‐59 ans et de 8 ans pour ceux avec un PSA < 1 ng/ml. En utilisant cette approche, il doit être possible de réduire les inconvénients du dépistage en ciblant une population plus restreinte d’hommes à haut risque. D’un côté, des intervalles de dosage plus courts sont préférables pour éviter de passer à côté d’un cancer agressif. D’un autre côté, des intervalles plus longs pourraient être préférables pour réduire le risque de sur diagnostic et pour réduire les couts d’un dépistage fréquent. Paris le 13 septembre 2013 Patrick COLOBY Président de l’Association Française d’Urologie. 
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