La détresse, le 6e signe vital, quel outil pour la - chu

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Compte rendu de congrès
Céline Barbu, Infirmière,
membre de l’Afic
[email protected]
« La détresse,
le 6e signe vital,
quel outil pour
la dépister ? »
6e Congrès mondial des infirmières
et infirmiers francophones
Montréal (Québec), mai-juin 2015
G
pour l’EONS (European Oncology Nursing Society) et
l’ISNCC (International Society of Nurses in Cancer Care).
râce à l’Afic (Association française des infirmières en cancérologie), j’ai pu assister au
6e Congrès mondial organisé par le SIDIIEF à
Montréal. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore,
le Secrétariat international des infirmières et infirmiers
de l’espace francophone est une association qui a pour
mission :
– de faciliter la mise en réseau de la communauté infirmière dans tout le monde francophone ;
– de mettre en valeur le leadership infirmier ;
– de promouvoir la contribution de la profession infirmière à la santé des populations.
C’est pourquoi, tous les trois ans, se déroule le Congrès
mondial des infirmières et infirmiers francophones qui
permet aux professionnels de langue française, venant
de 33 pays différents, de se rencontrer.
Cet espace permet des échanges très enrichissants sur
le développement des pratiques de chacun dans leur
pays respectif.
Plus d’informations sur l’association sont disponibles
via le lien suivant :
http://fr.slideshare.net/sidiief/promotion-sidiief20142015
À savoir : l’Afic étant membre associatif du SIDIIEF, tous
les membres de l’Afic sont membres du SIDIIEF, comme
Bulletin Infirmier du Cancer
Pendant ce congrès, le terme de « leadership infirmier »
est revenu très souvent. Dans le dictionnaire français, il
désigne les capacités d’un membre du personnel infirmier à stimuler chez ses collègues une amélioration de
leurs pratiques au profit du patient.
Il y a eu de très nombreuses présentations sur ce sujet,
mais celles qui ont le plus attiré mon attention évoquaient l’outil de dépistage de la détresse (ODD) en
oncologie développé au Québec.
La maladie cancéreuse est largement associée à la notion
de souffrance psychique, et les besoins en termes de
soutien psychologique sont vastes dans cette population soumise à de nombreux événements stressants.
Ceux-ci commencent habituellement lorsque la personne
apprend que quelque chose ne va pas, et se prolongent
souvent bien au-delà des traitements.
La gestion des symptômes est un élément central pour la
qualité de vie et le confort des patients atteints de cancers.
Parmi ceux-là, il y a la détresse qui se définit comme une
expérience émotionnelle désagréable de nature psycho-
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Compte rendu de congrès
en services et du pourcentage de patients nécessitant
chaque niveau d’aide. On y remarque que tous les
malades ont besoin d’information et de soutien, mais
que seulement certains ont besoin d’interventions spécialisées.
logique, sociale ou spirituelle, qui risque d’interférer avec
la capacité de la personne à faire face au cancer, ses symptômes physiques et les traitements qu’il nécessite [1].
Les taux d’incidence de détresse à tous les stades du
cancer atteignent les 35 % à 45 % en Amérique du Nord,
et seulement 10 % auraient accès à une aide [2].
Cette prévalence de détresse a donné lieu à la reconnaissance de celle-ci, par diverses associations canadiennes en oncologie, en tant que 6e signe vital (les
autres étant la température, le pouls, la pression sanguine, la fréquence respiratoire et la douleur) et nécessitant donc un suivi périodique.
Elle est souvent sous-estimée et mal évaluée, voire même
pas toujours prise en compte de façon appropriée. Pourtant, celle-ci peut avoir un retentissement direct sur les
patients quant à leur capacité à partager les décisions,
à adhérer aux thérapeutiques et en conséquence à bénéficier des meilleurs soins disponibles pour le traitement
de leur pathologie.
La figure 1 est une représentation graphique des besoins
Les infirmier(e)s canadien(ne)s se sont intéressé(e)s à
ce symptôme en développant un outil de dépistage de
la détresse (ODD).
C’est un indicateur de départ qui permet de déterminer
des problèmes physiques, fonctionnels, psychosociaux,
spirituels et informationnels qui sont à la source de cette
détresse.
Il permet de réaliser une vision de soins centrés sur la
personne puisqu’il donne aux patients l’occasion d’exprimer leurs préoccupations et inquiétudes, permettant
ainsi d’orienter les évaluations et les interventions. De
plus, le dépistage de la détresse va au-delà des symptômes physiques courants en tenant compte des préoccupations sur le plan affectif et pratique (figure 2).
Patients atteints de cancer intégrant le systeme
de soins liès au cancer (100 %)
Services
de soins
de soutien
Tous les patients ont besoin que l’on procède à
un dépistage périodique de leurs besoins. Renseignements
pertinents, soutien émotionnel minimal, bonne communication
et gestion des symptômes
20 % s’adaptent
bien avec ce
niveau de service
seulement
Le patient peut avoir besoin de rensignements
supplémentaires, explications et encouragement
en vue d’obtenir une aide additionnelle
Certains ont besoin d’une intervention
spécialisée/professionnelle pour la gestion
des symptômes ou de la détresse
30 % ont également
besoin de ce niveau
de service
35 % à 40 % ont également
besoin de ce niveau
de service
Quelques-uns ont
besoin de soins plus
complexes
10 % à 15 % ont
besoin de ce niveau
de service
Figure 1. Guide d'implantation du
dépistage de la détresse Partenariat
canadien mai 2009.
2. Ouvrir le dialogue avec le
patient, établir la relation
thérapeutique
1. Dépister les
symptômes et la
détresse
4. Vérifier la perception du
patient et négocier un plan de
soins approprié
3. Évaluer les facteurs
de risque et les
problèmes
5. Choisir les interventions
appropriées selon des
données probantes
Figure 2. Dépister la détresse,
un premier pas.
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Modèle de dépistage
de la détresse
Pour le verso :
– données cliniques sur la maladie ;
– moment du dépistage ;
– identification de l’infirmier(e)r ;
– orientation vers un autre professionnel (psychologue,
assistante sociale, etc.) et acceptation du patient par rapport à cet aiguillage ;
– autre suivi et/ou information additionnelle (figure 4).
La réalisation du dépistage, au moyen d’un outil, est la
première étape à intégrer dans les soins de tous les
patients, et doit être suivie d’un entretien avec lui pour
discuter des résultats.
L’ODD se décompose en 2 parties :
Pour le recto :
– l‘intensité de la détresse à l’aide d’un thermomètre qui
permet de chiffrer la détresse ;
– la liste des problèmes ;
– l’Échelle d’évaluation des symptômes d’Edmonton
(ESAS) : une cote de 1 à 3 indique habituellement un
faible degré de détresse, de 4 à 6 une détresse modérée,
et de 7 et plus un niveau élevé de détresse ;
– une dernière question : « souhaitez-vous de l’aide ? »
(figure 3).
Il a déjà été prouvé que le taux de détresse varie tout au
long de la maladie, c’est la raison pour laquelle cet outil
est rempli par le patient à des moments clés de son parcours : lors du diagnostic de la maladie, en début/fin de
traitement, et à la récidive (recommandations du NCCN).
L’ODD amène le patient à réfléchir sur sa situation et à
clarifier ses besoins.
L’infirmier(e), après l’avoir récupéré, s’entretient avec
le patient pour évaluer ses difficultés, puis lui proposer
des interventions et/ou des orientations vers un autre
Figure 3. Outil de dépistage
de la détresse (ODD), recto du document.
Figure 4. Outil de dépistage
de la détresse (ODD), verso du document.
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professionnel en fonction des problèmes énoncés. Il/Elle
se base sur un protocole de trajectoire globale de
réponse à la détresse (figure 5).
blèmes posés. On sait qu’ils ne peuvent pas tous être
résolus mais cela permet de cibler avec le patient ceux
qui sont prioritaires. Le tout est d’orienter le malade au
bon moment vers le bon intervenant.
Des études réalisées, notamment à l'hôpital Maisonneuve-Rosemond, par N. Tremblay en 2015 [3], montrent que 81% des patients interrogés trouvent le questionnaire utile et que le taux de détresse, après l'entretien
infirmier, baisse de façon significative car ils se sentent
rassurés par la prise en charge et l'écoute du professionnel de santé.
L’ODD permet avant tout d’identifier les problèmes
majeurs et de les valider avec le patient. La conversation
avec lui est indispensable. On ne peut pas simplement
récupérer les informations et les archiver dans le dossier sans les avoir analysées et tenter de régler les pro-
Cet outil présente de nombreux avantages. Tout d’abord,
il permet de tracer ce que tout soignant fait déjà dans sa
pratique quotidienne. De plus, il améliore la communication soignant-soigné et permet une prise en charge personnalisée dans laquelle le patient est acteur car aujourd’hui, on ne travaille plus autour de lui mais avec lui.
Cela permet également de régler des problèmes à la
base, avant qu’ils ne deviennent chroniques et du coup
plus difficiles à gérer.
Il est vrai que pour certains professionnels, cela peut
représenter une charge de travail administrative
Figure 5. Trajectoire
globale de réponse
à la détresse.
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Je finirais sur une phrase d’Adèle Bakhache, ou sœur
Françoise, directrice des soins infirmiers à l’Hôtel-Dieu
de France au Liban qui a reçu le prix de reconnaissance
du SIDIIEF 2015 : « Dans la vie nous sommes plurielles
(...) n’arrêtez jamais de vous perfectionner ».
Je crois qu’il appartient à chacun d’entre nous, professionnels de santé, de transformer notre quotidien en
cherchant toujours à nous améliorer tous ensemble, par
les échanges et la collaboration.
Le Bulletin Infirmier du Cancer (BIC) attend donc vos
articles, à vos stylos !
supplémentaire. Mais comme souvent, une fois l’outil
intégré, il fait gagner du temps et permet d’améliorer
nos pratiques.
Au Québec, avant de le mettre en place dans les services, il a dû être testé afin de savoir s’il avait un avantage pour la pratique. Et même si certains professionnels se sont montrés réticents, au final, la majorité a
reconnu son utilité pour le malade.
L’ODD tend à être développé dans d’autres domaines
que la cancérologie, toujours dans le but d’améliorer la
qualité de soins des patients.
Liens d’intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de lien
d'intérêt en rapport avec cet article.
Ma participation à ce congrès m’amène à réfléchir sur la
réalité de la profession, qui dépend totalement de notre
lieu d’exercice. Les infirmières et infirmiers canadiens
gardent toujours pour objectif l’amélioration de leur pratique quotidienne afin d’optimiser leur prise en charge
globale des patients. C’est un exemple motivant pour
notre profession.
Par ailleurs, pour ceux qui seraient encore plus envieux
de découvrir les pratiques canadiennes, il faut savoir
que depuis février 2014, en collaboration avec l’Ordre
national des infirmiers (ONI) français, dans le cadre de
l’Arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) des
qualifications professionnelles, le gouvernement du Québec a accepté de reconnaître le diplôme d’État infirmier
(DEI) délivré par la France au même niveau que le baccalauréat en sciences infirmières (il n’y a donc plus
d’équivalence à passer).
Pour pouvoir exercer là-bas, il faut être inscrit au tableau
de l’ONI français et avoir travaillé au moins 500 heures
au cours des quatre années précédant la demande.
En parallèle, il est indispensable d’entreprendre les
procédures d’immigration auprès des gouvernements
canadiens et québécois afin d’obtenir les autorisations
de travail.
Pour de plus amples informations sur les démarches, il
est possible de se référer au site de l’Ordre des infirmiers
et infirmières du Québec (OIIQ) :
https://www.oiiq.org/admission-a-la-profession/infirmiere-formee-hors-quebec/permis-dexercice/infirmierede-la-france-adm [4].
Bulletin Infirmier du Cancer
Bibliographie
1. National Comprehensive Cancer Network. Practice guidelines
in oncology. 2008.
2. Bultz BD, Carlson LE. Emotional distress: the sixth vital sign—
future directions in cancer care. Psycho-Oncology 2006; 15: 93-5.
3. Tremblay N, Le Breton K. Portrait de la détresse dans les cancers du sein et hématologiques. 6e congrès mondial du SIDIIEF,
2015, Montréal.
4. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Infirmière de la
France admissible à l’arrangement de reconnaissance mutuelle
des qualifications professionnelles (ARM). 2014. https://www.oiiq.
org/admission-a-la-profession/infirmiere-formee-hors-quebec/permis-dexercice/infirmiere-de-la-france-adm (consulté
06/06/15).
5. Partenariat canadien contre le cancer. Dépistage de la détresse,
le 6e signe vital : guide d’adoption de pratiques exemplaires pour
des soins centrés sur la personne. 2012. http://www.cancerview.ca/idc/groups/public/documents/webcontent/guide_implement_sfd_fr.pdf
6. Blais MC, Plante A, Joannette S. Dépister la détresse en oncologie : une occasion de dialoguer avec le patient. Atelier au Congrès
de la direction de la lutte contre le cancer, 2010.
7. Dolbeault S. La détresse des patients atteints de cancer : prévalence, facteurs prédictifs, modalités de repérage et de prise en charge.
2009. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00432252 (consulté
06/06/15).
8. http://www.cancernurse.eu/education/eons_cancer_nursing_curriculum.html
9. http://ec.europa.eu/health/major_chronic_diseases/diseases/
cancer/index_en.htm#fragment1
160
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