Prise en charge des personnes souffrant de troubles dépressifs

L’Encéphale, 2006 ; 32 : 705-12, cahier 1 705
ÉPIDÉMIOLOGIE
Prise en charge des personnes souffrant de troubles dépressifs –
Données d’enquête en population générale
B. LAMBOY, C. LÉON (1)
(1) Direction des Affaires Scientifiques, Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES), 42, boulevard de la Libération,
93203 Saint-Denis, France.
Travail reçu le 9 septembre 2005 et accepté le 24 novembre 2005.
Tirés à part : C. Léon (à l’adresse ci-dessus).
Use of health services and treatments for major depressive episode in France
Summary. Introduction – The depressive disorders are among the most frequent disorders in the general population.
Various validated treatments exist but, according to international psychiatric epidemiologic surveys, only a minority of
currently depressed people seek and receive treatment. To date, in France, few national studies have investigated these
problems. Objectives – By using the data of the national French survey : « Santé mentale en population générale
(SMPG) » : 1) to estimate the prevalence of use of care services by depressed people in the general population, 2) to
evaluate the proportion of depressive subjects who have received drug and/or psychological treatments, 3) to identify
the demographic and clinical factors and representations associated with use. Method – SMPG was a transversal survey
carried out by the WHO national collaborative center (CCOMS) and the Direction of the statistics of the ministry for Health
(DREES). A representative sample of 36 105 non-institutionalised French individuals aged 18 or over was interviewed.
Three main questionnaires was used : the Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI) questionnaire was used
to assess several mental disorders according to the ICD-10 classification, a questionnaire on the representations of the
mental disease and the treatments, and a questionnaire on use of care services and treatments received. Results – 71.9 %
of depressed people sought or received a treatment and 47.1 % stated claimed to be treated for depression. About 20 %
of people classified as having a recurrent or chronic depressive disorder have never used health care services for mental
health. Only 53.4 % of subjects having a mild or moderate Major Depressive Episode (MDE) already received a treatment :
42.1 % had taken psychotropic drugs only, 3.2 % had psychotherapy only, 8.1 % had both, and 25.6 % had taken anti-
depressants among the subjects treated by psychotropic drugs ; 24 % of subjects classified as having a recurrent or
chronic depressive disorder have never received a treatment and about 3/4 of them have never received a minimal ade-
quate treatment. Use of services by depressed people was associated with sociodemographic factors, the severity of the
disorder and several representations. Conclusion – The SMPG survey confirms the international finding concerning the
treatment of depressed people. Several problems were pointed out : an important part of depressed people had never
taken any treatment, less than half claimed they were stated to be treated for depression, a minority received a psycho-
therapy, and very few had a minimal adequate treatment. In France, more psychiatric epidemiologic surveys are needed
to confirm and specify these findings.
Key words : Depressive disorders ; Psychiatric epidemiology ; Psychotherapy ; Psychotropic drugs ; Use of health care services.
B. Lamboy, C. Léon L’Encéphale, 2006 ; 32 : 705-12, cahier 1
706
Résumé. Le recours aux soins et la prise en charge des per-
sonnes souffrant de troubles dépressifs représentent un pro-
blème majeur de santé publique. Cependant, il n’existe qua-
siment aucune donnée nationale française en population
générale sur cette problématique. Les données de l’enquête
« La santé mentale en population générale » (CCOMS-
DREES, 2004) réalisée, en France, auprès de 36 105 per-
sonnes de 18 ans et plus, nous permet de faire une première
estimation de ce phénomène particulièrement préoccupant.
Des analyses uni- et multivariées ont été effectuées sur les
variables associées aux troubles dépressifs et à la prise en
charge. Comme attendu, le recours aux soins et les traite-
ments reçus par les personnes dépressives s’avèrent très
problématiques ; 47,1 % des personnes dépressives consi-
dèrent avoir été soignées pour dépression et environ 20 %
des personnes souffrant de troubles dépressifs récurrents ou
chroniques affirment n’avoir jamais été prises en charge.
Seulement 53,3 % des personnes souffrant d’un EDM léger
ou moyen ont déjà reçu un traitement ; 3,2 % ont déjà suivi
une psychothérapie sans traitement médicamenteux ;
25,6 % des personnes déclarent avoir pris des antidépres-
seurs parmi celles qui ont bénéficié d’un traitement
pharmacologique ; 24 % des personnes souffrant de trou-
bles dépressifs récurrents ou chroniques n’ont jamais reçu
de traitement et près des 3/4 ne reçoivent pas un traitement
adéquat minimal.
Mots clés : Épidémiologie psychiatrique ; Psychothérapie ; Recours
aux soins ; Traitements psychotropes ; Troubles dépressifs.
INTRODUCTION
Les troubles mentaux qui touchent, au niveau mondial,
plus d’une personne sur quatre durant la vie font de la
santé mentale un problème majeur de santé publique (4).
Les troubles dépressifs unipolaires sont parmi les troubles
les plus fréquents en population générale. Ils représentent
la 4e cause d’Années de vies corrigées de l’incapacité
(AVCI) et devraient être en 2020 la 2e cause d’AVCI après
les maladies cardio-vasculaires (18). Différents traite-
ments existent et ont fait leur preuve en termes d’effi-
cacité ; cependant, leur utilisation semble poser problème.
Cette étude questionne ainsi le recours aux soins et la qua-
lité de la prise en charge des personnes souffrant de trou-
bles dépressifs. À ce jour, nous disposons de très peu de
données françaises nationales sur cette problématique.
L’enquête Santé mentale en population générale (SMPG)
qui évalue les troubles dépressifs et le recours aux services
nous permet ainsi de réaliser une première estimation de
ce phénomène particulièrement préoccupant.
Problèmes de prise en charge
Faible recours aux soins
Plusieurs études en population générale ont mis en évi-
dence la faiblesse du taux de consultation chez les per-
sonnes ayant un diagnostic psychiatrique non psychoti-
que (3, 17, 19, 20). Les patients souffrant de troubles
dépressifs auraient un taux de consultation oscillant entre
20 et 50 % suivant la sévérité de ce problème [environ
30 % au États-Unis (20)]. Dans l’enquête européenne
ESEMeD, seulement 36,5 % des personnes ayant souf-
fert d’un trouble de l’humeur au cours des 12 derniers mois
ont eu recours aux soins ; 34,6 % ont consulté un médecin
généraliste uniquement, 21,4 % un psychiatre et 10,5 %
un spécialiste de la santé mentale (non psychiatre) (5).
Les quelques données françaises concernant la prise en
charge des personnes souffrant de troubles dépressifs se
situent dans le prolongement des données internationa-
les. Selon l’enquête DEPRES menée en 1995, 65,9 % de
personnes souffrant de troubles dépressifs auraient eu
recours au système de santé ; 60,5 % auraient consulté
un médecin généraliste, 10,8 % un psychiatre et 6,9 % un
psychologue (16). Ces résultats sont assez proches de
ceux obtenus dans l’enquête menée en région parisienne
par Kovess et al. (15). Parmi les 960 personnes souffrant
de troubles dépressifs, 41,4 % avaient eu recours à un
médecin généraliste et 14,5 % à un psychiatre.
Inadéquation des traitements
Outre les problèmes de demande d’aide et de recours
aux services de santé, se pose la question de l’adéquation
des traitements proposés aux personnes souffrant de trou-
bles dépressifs. Même en utilisant une définition très souple
de ce terme d’« adéquation », il semblerait qu’une minorité
de patients puisse bénéficier d’une prise en charge adé-
quate (8, 22, 23). Dans l’enquête européenne ESEMeD,
71 % des personnes ayant souffert d’un trouble de l’humeur
dans l’année et ayant eu recours aux soins ont reçu un trai-
tement médicamenteux (37,9 % un traitement médicamen-
teux uniquement ; 33,1 % un traitement médicamenteux et
un traitement psychologique) et 13,8 % ont bénéficié uni-
quement d’un traitement psychologique (5). Nous dispo-
sons de quelques données françaises sur ce problème.
Dans l’enquête DEPRES, 51,4 % des personnes souffrant
d’un épisode dépressif majeur au cours des 6 derniers mois
ont bénéficié d’un traitement médicamenteux ; parmi ces
dernières, 30 % ont pris des antidépresseurs et 28 % ont
reçu uniquement des anxiolytiques (16). Selon Lecrubier,
Boyer et al. (15), seulement 10 % des personnes souffrant
de troubles dépressifs diagnostiqués par un généraliste
recevraient un antidépresseur à dose efficace pendant au
moins 1 mois. Ces problèmes d’adéquation des traite-
ments se retrouvent au niveau de la prise en charge des
personnes suicidaires. Dans le Baromètre 2000 (13), envi-
ron la moitié des personnes ayant fait une tentative de sui-
cide (49,8 % des femmes et 49,1 % des hommes) décla-
rent avoir été suivies par un médecin ou un professionnel
de la santé mentale après leur dernière tentative.
Nombre important de personnes traitées à tort
comme dépressives
Alors qu’un nombre considérable de personnes souf-
frant de troubles dépressifs n’a pas recours aux soins et
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 705-12, cahier 1 Prise en charge des personnes souffrant de troubles dépressifs
707
ne bénéficient d’aucun traitement, le taux de faux positifs
est paradoxalement aussi très élevé. De nombreuses per-
sonnes ne répondant pas aux critères diagnostiques de
troubles dépressifs sont ainsi traitées comme telles (1).
Une étude épidémiologique réalisée en France en popu-
lation générale a montré que 22 % de personnes recevant
des antidépresseurs au moment de l’enquête ne présen-
taient pas de trouble psychiatrique avéré (10).
Lignes directrices concernant la prise en charge
des personnes souffrant de troubles dépressifs
Comme nous venons de le constater, dans la pratique,
la prise en charge des personnes souffrant de troubles
dépressifs est entourée de nombreux problèmes : problè-
mes de recours aux soins, problèmes de prise en charge,
problèmes d’adéquation des traitements… Paradoxale-
ment, les données scientifiques dans ce domaine sont
considérables. Les traitements ont largement été évalués
empiriquement. Les résultats de recherche accumulés sur
ces questions ont permis d’élaborer des recommanda-
tions de bonnes pratiques bien étayées. Des lignes direc-
trices ont ainsi pu être élaborées par des organismes gou-
vernementaux ou des associations de professionnels en
France et dans de nombreux autres pays : ANAES (2),
INSERM (14), Agence française du médicament (1),
Association des Psychiatres du Canada (7), American
Psychiatric Association (6), Evidence Base Medicine Gui-
delines (12). Il est important de noter qu’à quelques diffé-
rences près, elles proposent les mêmes orientations.
La question de la qualité de la prise en charge des per-
sonnes souffrant de troubles dépressifs est abordée dans
la récente loi relative à la politique de santé publique (août
2004). Parmi la centaine d’objectifs de santé publique, plu-
sieurs portent sur les « affections psychiatriques ». Plus
particulièrement, l’objectif 60 concerne la prise en charge
des personnes souffrant de « troubles bipolaires, dépres-
sifs et névrotiques ». Ainsi, pour 2008, il est préconisé
d’« augmenter de 20 % le nombre de personnes souffrant
de troubles bipolaires, dépressifs ou névrotiques et
anxieux qui sont traitées conformément aux recomman-
dations de bonne pratique clinique ».
Le développement d’instruments et d’indicateurs per-
mettant d’estimer le nombre de personnes souffrant de
ces troubles et qui sont traitées conformément aux recom-
mandations est présenté comme un objectif méthodolo-
gique préalable. En effet, à ce jour, nous disposons de très
peu de données françaises concernant les traitements
proposés aux personnes souffrant de troubles dépressifs
ainsi que sur leur adéquation et leur conformité aux lignes
directrices. Dans ce sens, les données de l’enquête
SMPG qui permettent d’estimer les personnes ayant souf-
fert de troubles dépressifs et qui fournissent des informa-
tions sur le recours aux services et aux traitements s’avè-
rent particulièrement utiles. Ainsi, ce travail d’analyse à
partir de ces données d’enquête se veut un premier pas
dans cette démarche méthodologique préconisée par les
pouvoirs publics.
OBJECTIFS
Le premier objectif de cette étude est d’estimer le taux
de recours aux soins des personnes dépressives en popu-
lation générale et les variables cliniques, représentation-
nelles et sociodémographiques associées. Le second
objectif est d’évaluer la proportion de personnes dépres-
sives ayant bénéficié de traitements médicamenteux et/
ou psychologiques.
MÉTHODE
Présentation de l’enquête « Santé mentale
en population générale » (SMPG)
L’enquête SMPG a été menée par le Centre collabora-
teur de l’Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS),
l’Association septentrionale d’Épidémiologie psychiatrique
(ASEP) et la Direction de la recherche, des études, de l’éva-
luation et des statistiques (DREES) du ministère de la
Santé. Il s’agit d’une enquête réalisée en population géné-
rale, en France, auprès de 36 105 personnes âgées de
18 ans et plus. La méthode d’échantillonnage retenue est
celle de l’agrégation d’enquêtes par quotas ; des enquêtes
par quotas sociodémographiques ont été réalisées sur
47 sites locaux au sein de 18 régions françaises ; un
échantillon national a été constitué en agrégeant les don-
nées des sites. Les données ont été redressées pour être
représentatives de la population française âgée de 18 ans
ou plus sur les variables âge, sexe, niveau d’études, caté-
gorie socioprofessionnelle et situation vis-à-vis de l’emploi.
L’enquête SMPG utilise 3 principaux questionnaires :
un questionnaire sur les représentations de maladie
mentale et les modes d’aides ; un questionnaire diagnos-
tique structuré fondé sur la classification internationale
des maladies (CIM-10) : le Mini (Sheehan, 1998) ; une
fiche complémentaire de recours aux soins en cas de trou-
ble repéré, auxquels s’ajoute une fiche d’identification
sociodémographique. Les questionnaires ont été admi-
nistrés au cours d’entretiens en face-à-face par des
enquêteurs formés. Le questionnaire de l’enquête SMPG
dure en moyenne 40 minutes. Afin de garantir un strict
anonymat, les personnes sont recrutées dans des lieux
publics (rues, hall de grands magasins ou de services
publics), mais les entretiens ont lieu dans des lieux
d’accueil prédéterminés, permettant de maintenir des
conditions de confidentialité (mairies proches, local asso-
ciatif, banc public isolé, etc.). Pour une présentation
détaillée de l’enquête SMPG, voir Roelandt et al. et Bel-
lamy et al. (21, 9).
Présentation des variables utilisées
Variables portant sur les troubles dépressifs (critères
diagnostiques de la CIM-10)
Les personnes sont considérées comme ayant eu un
épisode dépressif majeur (EDM) au cours des 2 dernières
B. Lamboy, C. Léon L’Encéphale, 2006 ; 32 : 705-12, cahier 1
708
semaines lorsqu’elles ont au moins 4 symptômes, dont au
moins 2 parmi les 3 premiers : 1. triste, la plupart du
temps ; 2. presque tout le temps, le sentiment de n’avoir
plus goût à rien ; 3. presque tout le temps, fatigué ; 4. pris
ou perdu du poids ; 5. problèmes de sommeil, presque tou-
tes les nuits ; 6. lenteur ou agitation ; 7. manque de con-
fiance en soi ; 8. sentiment de culpabilité ; 9. du mal à
réfléchir ; 10. pensées de mort.
Un diagnostic de dysthymie au cours des 2 dernières
années est posé lorsque la personne déclare s’être sentie
triste, cafardeuse, déprimée, la plupart du temps, au cours
des deux dernières années, sans se sentir bien pendant
plusieurs semaines et ayant eu au moins 3 symptômes en
plus parmi les suivants : 1. manque d’énergie ; 2. problè-
mes de sommeil ; 3. perte de confiance en soi ; 4. difficul-
tés de concentration ; 5. pleurs fréquents ; 6. perte
d’intérêt ; 7. perte d’espoir ; 8. incapacité à faire face aux
responsabilités ; 9. insatisfaction ; 10. repli sur soi ;
11. baisse d’expression.
Une première variable portant sur le type de troubles
dépressifs a été construite avec des modalités
indépendantes : 1 EDM (présence d’1 seul EDM au cours
de la vie sans dysthymie), trouble récurrent (au moins
2 EDM au cours de la vie sans dysthymie), trouble chro-
nique (au moins 2 EDM au cours de la vie sans rémission
d’au moins 2 mois avant l’EDM actuel, ou dysthymie avec
au moins 1 EDM), dysthymie (dysthymie sans EDM), pas
de dépression (absence des 4 troubles ci-dessus).
D’autres variables portant sur les troubles dépressifs ont
été utilisées dans l’analyse : dépression (total) (au moins
1 des 4 troubles cités ci-dessus), sévérité de la dépression
(EDM léger : 4 ou 5 symptômes au total ; EDM moyen : 6
ou 7 symptômes, ou 2 des 3 premiers symptômes et
5 symptômes au total ; EDM sévère : les 3 premiers symp-
tômes et 8 symptômes au total), chronicité de la dépres-
sion (trouble récurrent ou trouble chronique ou dysthy-
mie), comorbidité (dépression et au moins un des autres
troubles : trouble anxieux, symptômes psychotiques,
manie).
Variables portant sur la prise en charge
Plusieurs variables ont été construites à partir des items
du questionnaire sur les représentations et les comporte-
ments de santé : recours aux soins (« avoir déjà pris des
médicaments pour les nerfs, pour la tête » ou « avoir déjà
suivi une psychothérapie » ou « avoir été soigné pour folie
ou maladie mentale ou dépression », par une psychothé-
rapie ou une consultation d’un professionnel de santé, ou
un traitement médicamenteux ou une hospitalisation), soi-
gné pour dépression (répondre positivement à la question
« avez-vous déjà été soigné pour dépression ? »), traite-
ment (répondre positivement à une des questions portant
sur le fait d’avoir suivi une psychothérapie ou à une des
questions portant sur la consommation de médicaments
pour les nerfs), médicament uniquement (répondre posi-
tivement à une des questions portant sur la consommation
de médicaments pour les nerfs et répondre négativement
à une des questions portant sur le fait d’avoir déjà suivi
une psychothérapie), psychothérapie uniquement (répon-
dre positivement à une des questions portant sur le fait
d’avoir déjà suivi une psychothérapie et répondre négati-
vement à une des questions portant sur la consommation
de médicaments pour les nerfs), médicament et psycho-
thérapie (répondre positivement à une des questions por-
tant sur la consommation de médicaments pour les nerfs
et à une des questions portant sur le fait d’avoir suivi une
psychothérapie).
Analyses statistiques
Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés
à la question du recours aux soins. Nous avons effectué
des analyses descriptives (fréquence des personnes
dépressives ayant eu recours aux soins et ayant été soi-
gnées pour dépression) puis des analyses multivariées
afin d’étudier les liens entre le recours aux soins et les
variables sociodémographiques, cliniques et représen-
tationnelles ; deux régressions logistiques portant sur le
recours aux soins et le recours à la psychothérapie ont
été réalisées. Dans un second temps, notre intérêt s’est
porté sur les types de traitements reçus par les personnes
souffrant de troubles dépressifs. Différentes analyses
descriptives ont été effectuées : fréquence des personnes
dépressives ayant reçu un seul type de traitement (médi-
caments ou psychothérapie) et deux types de traitement
(médicaments et psychothérapie) ; fréquence des person-
nes dépressives ayant reçu des antidépresseurs et des
anxiolytiques parmi les personnes dépressives ayant reçu
un traitement médicamenteux. L’ensemble des analyses
statistiques a été réalisé à l’aide du logiciel SPSS.
RÉSULTATS
Étude sur le recours aux soins
Parmi la totalité des personnes présentant un trouble
dépressif, 71,9 % déclarent avoir déjà pris des médica-
ments pour les nerfs ou/et suivi une psychothérapie ou/et
été soignées pour folie ou maladie mentale. Moins de la
moitié (47,1 %) considère avoir été soignée pour dépres-
sion. Ces fréquences fluctuent selon le type de trouble
dépressif. Les personnes présentant pour la première fois
un EDM sont celles qui ont le moins eu recours aux soins
(55,9 %) et celles qui déclarent le moins avoir été soignées
pour dépression (27,1 %). Dans le cas de troubles récur-
rents ou chroniques, le niveau de recours aux services est
globalement plus élevé : environ les 3/4 des personnes
ont eu recours aux soins et environ la moitié affirme avoir
été soignée pour dépression (tableau I).
Le recours aux soins est influencé par certaines varia-
bles sociodémographiques (sexe, âge, situation matrimo-
niale), par des variables cliniques (sévérité et chronicité
de la dépression, comorbidité) et différentes représenta-
tions en lien avec la dépression et son traitement
(tableau II). Les femmes d’âge mûr (36-65 ans) et sépa-
rées de leurs conjoints ont tendance à avoir davantage
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 705-12, cahier 1 Prise en charge des personnes souffrant de troubles dépressifs
709
recours aux soins (de 1,4 à 2 fois plus). La gravité du trou-
ble est le facteur qui influence le plus le recours aux soins.
Les personnes vont quasiment deux fois plus avoir
recours aux soins en cas d’EDM sévère, de trouble chro-
nique et trouble comorbide. Certaines représentations
vont aussi favoriser le recours aux soins de façon
significative : le fait de croire qu’un sujet dépressif n’est
pas responsable de sa dépression, qu’un dépressif sait
qu’il est dépressif, qu’on ne soigne pas un dépressif sans
médicament, qu’il est possible de guérir un dépressif. Le
fait de connaître d’autres lieux que l’hôpital psychiatrique
pour soigner un sujet dépressif est la variable représen-
tationnelle qui influence le plus le recours aux soins (OR
de 1,6). Le recours à une psychothérapie est globalement
influencé par les mêmes variables sociodémographiques,
cliniques et représentationnelles. Le fait d’être une femme
d’âge mûr souffrant d’un trouble dépressif sévère, chro-
nique et comorbide et connaissant d’autres lieux que
l’hôpital psychiatrique pour soigner un sujet dépressif
favorise le recours à une psychothérapie. Mais contraire-
ment aux recours aux soins en général, le suivi d’une psy-
chothérapie est beaucoup moins fréquent chez les per-
sonnes âgées (OD de 0,5 chez les 66-98 ans) et chez les
personnes mariées et veuves (OR de 0,6 et 0,4). Le fait
de croire qu’un sujet dépressif ne peut pas guérir tout seul
favorise aussi le recours à une psychothérapie.
Étude sur les traitements
Seulement la moitié (53,4 %) des personnes souffrant
d’un EDM léger ou moyen a déjà bénéficié d’un
traitement : 42,1 % ont pris uniquement des médi-
caments, 3,2 % ont suivi uniquement une psychothérapie
et 8,1 % ont déjà reçu ces deux traitements. Dans le cas
des troubles dépressifs récurrents ou chroniques, plus des
3/4 accèdent à un traitement. Cette augmentation est par-
ticulièrement visible au niveau des personnes ayant béné-
ficié d’un double traitement. En effet, 27,5 % des sujets
ont déjà pris des médicaments et suivi aussi une psycho-
thérapie. Le pourcentage de personnes ayant bénéficié
d’un seul traitement reste globalement le même que pour
l’EDM léger ou moyen (45 % pour les médicaments et
3,5 % pour la psychothérapie) (tableau III).
Parmi les personnes qui ont bénéficié d’un traitement
médicamenteux et qui souffrent d’un EDM léger ou
moyen, 25,6 % ont déjà pris des antidépresseurs et
37,1 % des anxiolytiques (tableau IV). Ce dernier pour-
centage est le même chez les personnes souffrant de trou-
bles dépressifs récurrents ou chroniques. En revanche,
dans ce type de troubles dépressifs, le pourcentage de
personnes ayant consommé des antidépresseurs devient
équivalent à celui des personnes ayant pris des anxioly-
tiques (37,7 %).
DISCUSSION
Les données de l’enquête SMPG confirment les pro-
blèmes qui entourent la prise en charge des personnes
souffrant de troubles dépressifs. Près de la moitié des per-
sonnes dépressives déclarent n’avoir jamais été soignées
pour dépression et environ 20 % des personnes souffrant
de trouble dépressif grave (trouble récurrent ou chronique)
n’ont jamais été prises en charge pour ces problèmes de
santé par le système de soin. Comme attendu, le recours
aux soins et à la psychothérapie fluctuent en fonction de
certaines variables sociodémographiques, cliniques et
représentationnelles. L’âge, la situation matrimoniale, la
comorbidité, la sévérité et la chronicité de la dépression
sont les dimensions les plus associées aux recours aux
soins et à la psychothérapie. La connaissance des lieux
de soins influence aussi significativement ces comporte-
ments de santé. Au niveau des traitements et de leur adé-
quation par rapport aux recommandations de bonne pra-
tique clinique, nos attentes sont confirmées. Seulement
la moitié des personnes souffrant d’un EDM léger ou
moyen a déjà reçu un traitement. Alors que, dans ce cas
de figure, la psychothérapie est largement recommandée
en première intention ou en monothérapie, uniquement
11,3 % des personnes ont déjà bénéficié de ce type de
traitement et seulement 3,2 % a déjà suivi une psycho-
thérapie sans traitement médicamenteux. De plus, parmi
les personnes qui ont bénéficié d’un traitement pharma-
cologique, les 3/4 n’ont pas reçu un médicament adéquat.
En effet, seulement 25,6 % des sujets déclarent avoir pris
des antidépresseurs. Ce taux est inférieur à celui des per-
sonnes ayant déjà pris des anxiolytiques (37 %). Pour les
troubles dépressifs plus graves (trouble récurrent, trouble
chronique, dysthymie), l’accès aux traitements et leur adé-
quation est tout aussi problématique. Près d’1/4 de ces
malades n’a jamais reçu de traitement, environ les 3/4 ne
bénéficient pas d’un traitement optimal (médicaments et
psychothérapie) et presque les 3/4 ne reçoivent pas un
traitement adéquat minimal (antidépresseurs). En effet,
parmi les 72,5 % de personnes ayant déjà reçu un traite-
ment pharmacologique, plus de 60 % déclarent n’avoir
jamais consommé d’antidépresseurs. Le taux de person-
nes traitées par antidépresseurs est équivalent à celui des
personnes traitées par anxiolytiques.
TABLEAU I. — Pourcentage de personnes dépressives
déclarant avoir eu recours à des soins et avoir été soignées
pour dépression selon le type de trouble dépressif.
En % Recours
aux soins Soigné pour
dépression
Pas de dépression 35,6 14,9
1 EDM 55,9 27,1
Trouble récurrent 74,2 51,1
Trouble chronique 81,5 56,0
Dysthymie 78,7 55,7
Dépression (total) 71,9 47,1
1 / 8 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !