B. Lamboy, C. Léon L’Encéphale, 2006 ; 32 : 705-12, cahier 1
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Résumé. Le recours aux soins et la prise en charge des per-
sonnes souffrant de troubles dépressifs représentent un pro-
blème majeur de santé publique. Cependant, il n’existe qua-
siment aucune donnée nationale française en population
générale sur cette problématique. Les données de l’enquête
« La santé mentale en population générale » (CCOMS-
DREES, 2004) réalisée, en France, auprès de 36 105 per-
sonnes de 18 ans et plus, nous permet de faire une première
estimation de ce phénomène particulièrement préoccupant.
Des analyses uni- et multivariées ont été effectuées sur les
variables associées aux troubles dépressifs et à la prise en
charge. Comme attendu, le recours aux soins et les traite-
ments reçus par les personnes dépressives s’avèrent très
problématiques ; 47,1 % des personnes dépressives consi-
dèrent avoir été soignées pour dépression et environ 20 %
des personnes souffrant de troubles dépressifs récurrents ou
chroniques affirment n’avoir jamais été prises en charge.
Seulement 53,3 % des personnes souffrant d’un EDM léger
ou moyen ont déjà reçu un traitement ; 3,2 % ont déjà suivi
une psychothérapie sans traitement médicamenteux ;
25,6 % des personnes déclarent avoir pris des antidépres-
seurs parmi celles qui ont bénéficié d’un traitement
pharmacologique ; 24 % des personnes souffrant de trou-
bles dépressifs récurrents ou chroniques n’ont jamais reçu
de traitement et près des 3/4 ne reçoivent pas un traitement
adéquat minimal.
Mots clés : Épidémiologie psychiatrique ; Psychothérapie ; Recours
aux soins ; Traitements psychotropes ; Troubles dépressifs.
INTRODUCTION
Les troubles mentaux qui touchent, au niveau mondial,
plus d’une personne sur quatre durant la vie font de la
santé mentale un problème majeur de santé publique (4).
Les troubles dépressifs unipolaires sont parmi les troubles
les plus fréquents en population générale. Ils représentent
la 4e cause d’Années de vies corrigées de l’incapacité
(AVCI) et devraient être en 2020 la 2e cause d’AVCI après
les maladies cardio-vasculaires (18). Différents traite-
ments existent et ont fait leur preuve en termes d’effi-
cacité ; cependant, leur utilisation semble poser problème.
Cette étude questionne ainsi le recours aux soins et la qua-
lité de la prise en charge des personnes souffrant de trou-
bles dépressifs. À ce jour, nous disposons de très peu de
données françaises nationales sur cette problématique.
L’enquête Santé mentale en population générale (SMPG)
qui évalue les troubles dépressifs et le recours aux services
nous permet ainsi de réaliser une première estimation de
ce phénomène particulièrement préoccupant.
Problèmes de prise en charge
Faible recours aux soins
Plusieurs études en population générale ont mis en évi-
dence la faiblesse du taux de consultation chez les per-
sonnes ayant un diagnostic psychiatrique non psychoti-
que (3, 17, 19, 20). Les patients souffrant de troubles
dépressifs auraient un taux de consultation oscillant entre
20 et 50 % suivant la sévérité de ce problème [environ
30 % au États-Unis (20)]. Dans l’enquête européenne
ESEMeD, seulement 36,5 % des personnes ayant souf-
fert d’un trouble de l’humeur au cours des 12 derniers mois
ont eu recours aux soins ; 34,6 % ont consulté un médecin
généraliste uniquement, 21,4 % un psychiatre et 10,5 %
un spécialiste de la santé mentale (non psychiatre) (5).
Les quelques données françaises concernant la prise en
charge des personnes souffrant de troubles dépressifs se
situent dans le prolongement des données internationa-
les. Selon l’enquête DEPRES menée en 1995, 65,9 % de
personnes souffrant de troubles dépressifs auraient eu
recours au système de santé ; 60,5 % auraient consulté
un médecin généraliste, 10,8 % un psychiatre et 6,9 % un
psychologue (16). Ces résultats sont assez proches de
ceux obtenus dans l’enquête menée en région parisienne
par Kovess et al. (15). Parmi les 960 personnes souffrant
de troubles dépressifs, 41,4 % avaient eu recours à un
médecin généraliste et 14,5 % à un psychiatre.
Inadéquation des traitements
Outre les problèmes de demande d’aide et de recours
aux services de santé, se pose la question de l’adéquation
des traitements proposés aux personnes souffrant de trou-
bles dépressifs. Même en utilisant une définition très souple
de ce terme d’« adéquation », il semblerait qu’une minorité
de patients puisse bénéficier d’une prise en charge adé-
quate (8, 22, 23). Dans l’enquête européenne ESEMeD,
71 % des personnes ayant souffert d’un trouble de l’humeur
dans l’année et ayant eu recours aux soins ont reçu un trai-
tement médicamenteux (37,9 % un traitement médicamen-
teux uniquement ; 33,1 % un traitement médicamenteux et
un traitement psychologique) et 13,8 % ont bénéficié uni-
quement d’un traitement psychologique (5). Nous dispo-
sons de quelques données françaises sur ce problème.
Dans l’enquête DEPRES, 51,4 % des personnes souffrant
d’un épisode dépressif majeur au cours des 6 derniers mois
ont bénéficié d’un traitement médicamenteux ; parmi ces
dernières, 30 % ont pris des antidépresseurs et 28 % ont
reçu uniquement des anxiolytiques (16). Selon Lecrubier,
Boyer et al. (15), seulement 10 % des personnes souffrant
de troubles dépressifs diagnostiqués par un généraliste
recevraient un antidépresseur à dose efficace pendant au
moins 1 mois. Ces problèmes d’adéquation des traite-
ments se retrouvent au niveau de la prise en charge des
personnes suicidaires. Dans le Baromètre 2000 (13), envi-
ron la moitié des personnes ayant fait une tentative de sui-
cide (49,8 % des femmes et 49,1 % des hommes) décla-
rent avoir été suivies par un médecin ou un professionnel
de la santé mentale après leur dernière tentative.
Nombre important de personnes traitées à tort
comme dépressives
Alors qu’un nombre considérable de personnes souf-
frant de troubles dépressifs n’a pas recours aux soins et