mon amitié, mais c'est peut-être par amitié, que je contribue à ce que mon ami ne s'endette
pas plus. Une femme peut repousser les avances d'un homme, afin que leur amitié ne soit
pas détruite. Ceci est un conflit entre l'expression et la promotion ou préservation de
l'amitié. («being cruel to be kind» Swanton 1995, 67) Je peux, un soir, ne pas répondre à
un appel de mon amie, car je sais, qu'elle a un examen à préparer, et car je souhaite qu'elle
ne gaspille pas son temps dans une longue conversation avec moi. Dans cet exemple aussi,
on peut être désagréable par amitié.
17. Dans la mesure où l'amitié est une "vertu mixte", il nous faut à la fois la promouvoir et
l'exprimer. Nous n'avons pas le droit de faire seulement l'un et de négliger constamment
l'autre. Un ami, qui ne sourit jamais, est tout autant insupportable qu'un ami qui sourit
toujours et ne sais jamais être dur avec ses amis.
18. La diversité des profils des vertus implique la possibilité de nombreuses et fortes tensions
au sein d'une vertu individuelle. Vis-à-vis de mes valeurs, et vis-à-vie de mes amis, il peut
y avoir des tensions entre différents points de vue, tel l'estime, la promotion, l'expression
ou le respect. («there could be tension between the appreciative, promotional, expressive,
or honoring aspects.» Swanton 1995, 71)
19. On peut aimer une valeur ou une bonne chose, on n'est pas pour autant obligé de la
promouvoir ou de l'incarner soi-même. Je peux, par exemple, regarder des objets de
grande valeur dans un musée, sans pour autant me sentir obligé d'en collectionner de
semblables. Apprécier est plus une réponse passive, qui n'oblige pas à la maximisation
d'une valeur ou à une activité. Il n'y a pas de rapport direct et strict entre l'estime et le
devoir. On ne peut pas dire de quelqu'un qu'il aime moins ou pas assez une bonne chose,
juste parce qu'il ne s'engage pas ou pas assez pour la faire foisonner et la promouvoir.
20. La compassion aussi est une vertu mixte, car elle consiste à aider les autres, et à exprimer
des sentiments de sympathie. Cela peut être suffisant, dans certaines circonstances,
d'exprimer de tels sentiments de sympathie. La compassion exige toujours quelque signe
de compassion, c'est-à-dire l'expression de la compassion, tandis que des actes accomplis
par amitié ne présupposent pas toujours de sentiments amicaux. A l'inverse, un bienfait ou
une aide n'est pas nécessairement accomplie par compassion. Je peux aussi faire le bien ou
aider en vertu de tout autres motifs ou dispositions, comme par exemple pour préserver
une bonne atmosphère dans le voisinage ou améliorer ma réputation. Je peux de même
aider quelqu'un dans la détresse, uniquement parce que je considère cela comme mon
devoir, et car je suis convaincu qu'un tel homme pourrait mourir sans mon aide. Il faut
distinguer l'amour actif de la simple pitié, ou d'un acte dans lequel j'exprime mon regret.
21. Si mon bienfait abaisse le bénéficiaire ou si même j'ai l'intention de l'abaisser, alors je
n'agis pas par compassion. La pitié [pity] peut bien être véritable, cela ne mène pas pour
autant à la vertu ou à la pratique d'un acte d'une grande valeur morale. Un acte qui accepte
l'abaissement de l'autre, ou même y aspire, ne peut être un acte de compassion [act of
compassion].
22. Lorsqu'un bienfait ou une aide est ressentie comme indésirable ou comme une atteinte à la
liberté, il me faut, pour autant que j'ai la vertu de compassion, restreindre son expression,
en gardant le contrôle de mes sentiments ou de mon comportement ou des deux. Celui qui
a la vertu de compassion ne peut être aveugle aux effets secondaires indésirables des
formes de pitié importunes ou inopportunes.
23. La créativité est une vertu. Nietzsche l'entend comme la vertu de renverser les valeurs et