Questions pour un champion en réanimation 371
MODES D’ADMINISTRATION ET ABSORPTION PUL-
MONAIRE DU MONOXYDE D’AZOTE INHALE EN
VENTILATION ARTIFICIELLE
L. Puybasset, J-J. Rouby, Unité de Réanimation Chirurgicale, Département d’Anesthé-
sie-Réanimation de la Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.
INTRODUCTION
L’inhalation de monoxyde d’azote (NO) en ventilation artificielle peut se faire selon
deux modalités différentes. Soit le NO est administré en aval du respirateur dans la branche
inspiratoire du circuit, soit il est mélangé à l’oxygène et à l’azote en amont du ventilateur,
celui-ci servant de chambre de mélange. Du fait de sa simplicité de mise en œuvre et de
son moindre coût, l’administration en aval du ventilateur est la plus utilisée en France. A
l’inverse, en Amérique et en Europe du Nord, le système d’administration en amont du
ventilateur est largement prédominant. Chaque système a ses avantages et ses
inconvénients.
1. ADMINISTRATION DU NO INHALE EN AMONT DU VENTILATEUR
1.1. PRINCIPE
L’administration en amont du respirateur a été initialement développée en
Scandinavie [1, 2]. Des régulateurs massiques de flux sont utilisés pour mélanger oxygène,
air et NO avant l’entrée basse pression des gaz dans le ventilateur (Système NOMIUS C
adapté sur un respirateur Siemens Servo 900 C). Ces débitmètres, onéreux et précis, ont
une variabilité égale ou inférieure à 1 % de la valeur de consigne. Un microprocesseur
permet de piloter chaque régulateur massique de flux pour obtenir la concentration de
NO désirée à l’entrée du respirateur. Il existe le plus souvent un système de mesure
permettant de vérifier la concentration de NO délivrée dans la branche inspiratoire du
circuit.
1.2. AVANTAGES
L’administration en amont du ventilateur assure une grande stabilité des concentrations
inspiratoires de NO, l’intérieur du ventilateur servant de chambre de mélange [2, 3]. Un
deuxième avantage est que la concentration inspiratoire de NO ne dépend pas du mode
ventilatoire utilisé. Dans ce système d’administration, la concentration inspirée de NO
ne dépend ni du débit de gaz délivré par le ventilateur, ni de sa forme, ni du rapport I/E,
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ni de l’effort inspiratoire généré par le patient. Il n’existe aucun risque de surdosage lié à
une interruption momentanée de la ventilation lors d’une aspiration trachéale ou en cas
de réduction brutale de la ventilation minute secondaire à une pause inspiratoire du patient
dans un mode ventilatoire d’assistance partielle [2, 3]. C’est la raison principale pour
laquelle ce mode d’administration est recommandé en Amérique du Nord et dans les
pays scandinaves [3, 4].
1.3. INCONVENIENTS
Le principal inconvénient de ce mode d’administration est d’allonger le temps de
contact entre le NO et l’oxygène [5]. Le dioxyde d’azote (NO2) résulte de l’oxydation du
NO. Il s’agit d’un composé toxique entraînant une bronchoconstriction pour des
concentrations comprises entre 0,6 et 2 ppm et une atteinte lésionnelle de la membrane
alvéolo-capillaire pour des concentrations supérieures à 2 ppm. La quantité de NO2 formée
est proportionnelle au temps de contact NO-O2, à la fraction inspirée d’oxygène (FIO2) et
au carré de la concentration de NO [6]. Parce que des FIO2 élevées sont utilisées au cours
du syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA), l’administration de NO en amont du
ventilateur peut générer de fortes concentrations de NO2. Il est donc nécessaire d’ajouter
un bac à chaux sodée sur le circuit inspiratoire de manière à éliminer le NO2 avant son
arrivée dans les voies aériennes supérieures du patient. La chaux sodée absorbe environ
75 % du NO2 formé et moins de 10 % du NO administré. Le renouvellement régulier de
la chaux sodée s’impose en cas d’administration prolongée de NO, une période de 3 jours
semblant être la durée maximum d’utilisation. Les différents systèmes disponibles dans
le commerce ne semblent pas équivalents dans leur capacité à éliminer le NO2 tout en
laissant passer le NO [2, 7, 8]. Il est donc recommandé de tester chaque absorbeur avant
utilisation clinique et de monitorer les concentrations de NO réellement délivrées en aval
de l’absorbeur [9]. En cas d’administration prolongée, il ne semble pas exister de risque
d’oxydation des parties métalliques internes du ventilateur par le NO et le NO2. Il existe
un deuxième inconvénient majeur de ce mode d’administration qui est son prix élevé.
2. ADMINISTRATION DU NO INHALE EN AVAL DU VENTILATEUR
L’administration du NO en aval du respirateur est largement utilisée en France et
dans les pays d’Europe du Sud comme l’Espagne et l’Italie. Le NO est administré dans la
partie initiale du tuyau inspiratoire immédiatement en aval de l’humidificateur chauffant
quand celui-ci est présent. La délivrance intra-trachéale directe ou au niveau de la pièce
en Y du ventilateur doivent être abandonnées. Il a été démontré que ces 2 types
d’administration génèrent, au site où le NO est délivré, de très hautes concentrations de
NO et de NO2 avec une toxicité potentielle pour la muqueuse trachéobronchique [2].
L’utilisation de matériel en Téflon pour connecter la bouteille de NO au site
d’administration et l’appareil de mesure au site de mesure est recommandée. Certains
plastiques sont en effet capables d’adsorber le NO. Il importe aussi de ne pas administrer
le NO au niveau d’un site humide : le gaz se dissolvant dans l’eau pour former l’acide
nitrique (HNO3) [2]. C’est la raison pour laquelle, le NO doit être administré en aval de
l’humidificateur quand celui-ci est présent.
Il existe deux modalités différentes d’administration après le ventilateur :
l’administration continue, à l’aide d’un débitmètre à azote calibré, connecté directement
à la sortie de la bouteille-réservoir et l’administration séquentielle, limitée à la phase
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inspiratoire et nécessitant un appareillage spécial avec système de reconnaissance de la
phase inspiratoire. Ces deux systèmes ne sont pas équivalents : seule l’administration
séquentielle couplée à la ventilation contrôlée à débit inspiratoire constant assure des
concentrations inspiratoires stables de NO [3, 10]. L’administration continue, bien que
d’utilisation simple et moins onéreuse, ne permet pas un mélange homogène du NO dans
Temps Temps Temps Temps
Flow
40
20
0
40
20
0
40
20
0
150
100
50
0
150
100
50
0
[NO] (ppm)
cy
ci
iy
ii
pre
Ventilation contrôlée
en volume
Ventilation contrôlée
en pression
T1 = 1 s T1 = 2 s T1 = 1 s T1 = 2 s
Figure 1 : Concentrations de NO mesurées sur un modèle de poumon test avec différents
systèmes d’administration en ventilation à volume et à pression contrôlés. La figure
représente les concentrations mesurées au niveau de la partie moyenne de la trachée en
ventilation à volume contrôlé (à gauche) et en pression contrôlée (à droite). L’objectif de
concentration était de 20 ppm. Les lignes épaisses représentent les concentrations
mesurées avec un appareil à chemiluminescence à réponse rapide alors que les lignes
fines représentent les concentrations mesurées avec un appareil à réponse lente. Le modèle
simule une absorption pulmonaire de 100 %. Différents modes d’administration étaient
testés :
- «pre» = administration avant le respirateur ;
- «ii» = administration séquentielle dans la branche inspiratoire ;
- «iy» = administration séquentielle dans la pièce en Y ;
- «ci» = administration continue dans la branche inspiratoire ;
- «cy» = administration continue dans la pièce en Y [3].
MAPAR 1998374
le gaz inspiré [10]. Ces différences ont été bien mises en évidence par Imanaka et al.
Comme illustré sur la figure 1, ces auteurs ont mesuré des pics de concentration en NO
dix fois supérieurs à la concentration désirée en utilisant un mode d’administration
continue. A l’inverse, en utilisant une administration séquentielle, les concentrations
mesurées étaient très proches des concentrations désirées.
2.1. ADMINISTRATION CONTINUE
2.1.1. PRINCIPE
L’administration continue consiste à délivrer un débit continu de NO régulé par un
débitmètre à azote dans une tubulure en Téflon connectant la bouteille réservoir à la
partie initiale du circuit inspiratoire du ventilateur. Le débit continu de NO est supposé
constant, se situant entre 200 mL/min-1 et 2 L/min-1 et la concentration de la bouteille
peut être de 225 ou 450 ppm (recommandation de l’ATU). Du fait de sa simplicité et de
son caractère peu onéreux, ce type d’administration prédomine largement en France. Les
utilisateurs de ce système font l’hypothèse que le NO est mélangé de manière homogène
avec les gaz inspirés provenant du respirateur et appliquent la formule suivante pour
calculer la concentration inspiratoire de NO :
[NOinsp] = VNO . V-1 . [NObout ]
- où [NOinsp] = concentration inspiratoire de NO,
- V = ventilation minute provenant du ventilateur,
-V
NO = débit de NO délivré à partir de la bouteille et
-NO
bout = concentration de la bouteille.
Au lit du malade, la concentration souhaitée est obtenue en réglant le débit de NO en
fonction de la ventilation minute du patient et de la concentration de la bouteille. La
plupart des équipes font confiance au calcul pour la détermination de la concentration
inspiratoire de NO. Si l’on mesure par chimiluminescence ou électrochimie les
concentrations réellement délivrées dans le circuit inspiratoire au cours de l’administration
continue, on constate que les concentrations mesurées diffèrent fortement des
concentrations prédites par le calcul [10].
2.1.2. MISE EN EVIDENCE EXPERIMENTALE DE «LEFFET BOLUS»
L’administration continue en ventilation contrôlée volumétrique à débit inspiratoire
constant équivaut à mélanger un débit continu de NO avec un débit gazeux discontinu
provenant du ventilateur. Pendant l’inspiration, le mélange NO, oxygène et azote se fait
d’une manière homogène (mélange de deux débits constants). Pendant l’expiration, le
débit provenant du respirateur cesse dans la branche inspiratoire alors que le débit continu
de NO persiste. Il en résulte une accumulation de NO dans la partie initiale du tuyau
inspiratoire. Lors du volume courant suivant, ce «bolus» est propulsé vers les voies
aériennes supérieures sans pouvoir se mélanger de manière homogène dans le volume
courant (VT). Le volume et la concentration du «bolus» de NO dépendent du débit de
NO administré, du temps expiratoire et de la concentration de la bouteille [10].
Il est facile de mettre en évidence ce phénomène en échantillonnant le gaz contenu
dans le circuit inspiratoire au niveau de différents sites se situant à des multiples du
volume courant administré. Comme le montre la figure 2, les concentrations de NO
mesurées aux sites d’échantillonnage correspondant à 1 et 2 VT, sont plus élevées que les
concentrations de NO mesurées aux sites d’échantillonnage correspondant à 0,5 et 1,5
VT. L’explication est la suivante : pendant la phase expiratoire qui dure 2 secondes,
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l’appareil à chimiluminescence mesure au niveau des sites «1» et «2» VT des
concentrations de NO qui se rapprochent du «bolus» se trouvant «devant» le volume
courant. Aux sites «0,5» et «1,5» VT, l’appareil à chimiluminescence mesure des
concentrations qui se rapprochent des concentrations inspiratoires prédites par le calcul
Figure 2 : Mise en évidence expérimentale de l’effet «bolus» au cours de l’administration
continue en aval du ventilateur. Le NO est administré en mode continue dans un modèle
de poumon-test. La branche inspiratoire du ventilateur est constituée par un tube de
4,75 m de long avec différents sites permettant d’échantillonner le gaz à des points qui
correspondent à 0,5 (site 1), 1 (site 2), 1,5 (site 3) et 2 (site 4) volumes courants. Sur la
figure supérieure (A) sont représentées les concentrations de NO enregistrées au niveau
des 4 sites d’échantillonnage du tuyau inspiratoire, au niveau trachéal et au niveau du
soufflet du poumon-test au cours d’une l’administration continue à partir d’une bouteille
réservoir de 22,5 ppm. Les concentrations enregistrées aux sites correspondant à 1 et à
2 volumes courants sont plus élevés que celles enregistrées aux sites correspondant à 0,5
et 1,5 volumes courants : ceci confirme l’existence d’un «bolus» de NO, se déplaçant en
avant de chaque volume courant. Sur la figure du bas (B) sont représentés les
concentrations de NO enregistrées au niveau des 4 sites d’échantillonnage du circuit
inspiratoire, au niveau trachéal et au niveau du soufflet du poumon-test au cours d’une
administration en continue à partir d’une bouteille réservoir de 900 ppm. L’effet «bolus»
est moins prononcé que lorsqu’on utilise une bouteille de 22,5 ppm. Il n’y a plus de bolus
décelable au site d’échantillonnage correspondant à 2 volumes courants, suggérant que
le NO s’est mélangé de manière homogène dans le gaz inspiré [10].
VT = 600 ml
F = 20 min-1
Ti/Ttot = 30 %
V
95 cm
Poumon test
Sonde d’intubation
Soufflet
380 cm190 cm 285 cm 510 cm
1 VT
(600 ml)
1,5 VT
(900 ml)
2 VT
(1200 ml)
20 s
[NO]
10 ppm
5 ppm
0 ppm
Débit resp.
20 s
[NO]
10 ppm
5 ppm
0 ppm
Débit resp.
A
B
A : 22,5 ppm ; Débit = 1.800 mL.min-1
B : 900 ppm ; Débit = 36 mL.min-1
0,5 VT
(300 ml)
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