Le cerveau a-t-il créé Dieu ou Dieu a-t-il créé le cerveau?
Débat avec Georges Hélal et Yanick Villedieu
Soirée du 28 octobre 2010
Introduction de Joseph-Arthur Bergeron (texte intégral)
En mars 2010, le physicien P.J.E. Peebles, professeur à l’Université de Princeton et un des
concepteurs de la théorie du Big Bang qui, jusqu’à ce jour, est considérée comme étant la seule
susceptible d’expliquer l’Univers tel qu’il est, écrivait ceci : « L’histoire des sciences est
l’histoire de l’amélioration des approximations successives qui suscitent de nouvelles questions
et orientent la recherche vers des approximations encore plus fines. »
La question de l’origine de l’Univers n’est pas sans rapport avec celle de l’existence de Dieu.
Il va de soi que si une gigantesque explosion comme celle du Big Bang a donné naissance à
l’Univers, à l’espace et au temps, on est en droit de se demander ce qui a provoqué cette
explosion, s’il y avait un « avant Big Bang » et qui ou qu’est-ce qui se cache derrière ce que les
physiciens appellent le « mur de Planck ».
Depuis quelques années, les physiciens ont l’avantage d’avoir à leur disposition des satellites
astronomiques de plus en plus puissants, véritables cerveaux mécaniques dont le dernier, appelé
Planck en l’honneur de Max Planck, l’auteur de la théorie des quantas, a été mis en orbite le 14
mai 2009. Ce satellite scrute les moindres recoins de l’Univers à la recherche d’informations qui
pourraient permettre aux chercheurs de se rapprocher de la frontière ultime de la réalité, c’est-à-
dire du moment tout a commencé avec le Big Bang, moment ou frontière ultime qu’on
désigne sous le nom de mur de Planck.
Tout comme les physiciens, les neuroscientifiques ont fait de grands pas dans la découverte
du fonctionnement du cerveau depuis les vingt dernières années. Mais, même si leurs recherches
ont abouti à des découvertes étonnantes, il semble bien que lorsqu’il s’agit de savoir si c’est le
cerveau qui a créé Dieu ou si c’est Dieu qui a créé le cerveau, ils font eux aussi face à une sorte
de mur de Planck.
Contrairement aux physiciens, il leur est impossible de lancer des satellites à l’intérieur du
cerveau pour observer ce qui s’y passe. Tout se déroule plutôt comme si leur satellite
d’exploration était le cerveau lui-même, satellite, lui aussi, extrêmement complexe dont ils
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s’acharnent à détecter, avec des instruments de précision chaque jour plus sophistiqués, les
secrets de son fonctionnement. Toutes ces recherches donnent naissance à de multiples
hypothèses ouvrant la porte, comme le disait le professeur Peebles, à l’amélioration
d’approximations successives suscitant toujours de nouvelles questions et orientant la recherche
vers des approximations chaque jour plus fines.
Dans ce domaine de la recherche neuroscientifique, on se retrouve devant deux grands
courants d’interprétation du fonctionnement du cerveau. Le premier, qui semble majoritaire, est
celui des neuroscientifiques et philosophes matérialistes qui tentent de démontrer, par l’étude des
composantes du cerveau, que l’esprit, la conscience, les sentiments et la volonté ne sont que des
processus électriques et chimiques. Ce qui les conduit à considérer les expériences religieuses,
spirituelles et mystiques comme des illusions créées par l’activité des neurones et
conséquemment à affirmer que c’est le cerveau qui a créé Dieu.
L’autre courant, celui des neuroscientifiques et des philosophes non matérialistes, prétend que
les neuroscientifiques matérialistes n’ont pas réussi à élaborer une théorie neuroscientifique qui
expliquerait de façon satisfaisante la façon dont l’esprit, la conscience et la volonté surgissent à
partir de l’interaction entre plusieurs régions cérébrales, les circuits neuronaux et les
neurotransmetteurs. Selon eux, cette démonstration n’est pas faite et ils affirment même que la
tentative des neuroscientifiques matérialistes est un échec. Selon Mario Beauregard, professeur à
l’Université de Montréal et auteur du livre Du cerveau à Dieu (Guy Trédaniel Éditeur, 2008), cet
échec est à l’immense fossé épistémologique qui sépare le domaine psychologique du
domaine physique. Ces deux domaines constituent plutôt deux aspects d’un même principe sous-
jacent à savoir qu’aucun ne peut être ignoré au profit de l’autre.
Ceci étant dit, il ne nous reste plus qu’à entendre nos deux conférenciers de ce soir qui, à
l’aide de leur cerveau satellite, vont nous offrir, chacun selon ses convictions, les
approximations, sûrement les plus fines, relativement à cette frontière ultime, à ce mur que
constitue la question de savoir si c’est Dieu qui a créé le cerveau ou si c’est le cerveau qui a créé
Dieu.
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Résumé de l’intervention de Yanick Villedieu
Par Mathieu Lavigne
Monsieur Villedieu a obtenu un Baccalauréat en philosophie au Lycée
Cézanne en France en 1965. Il poursuit ensuite ses études à l’École
supérieure de journalisme de Lille de 1965 à 1968 et fait également des
études littéraires générales, d’histoire de la philosophie et de sociologie à
l’Université de Lille en 1966-1967. Monsieur Villedieu est un journaliste
scientifique bien connu. Actuellement, il est animateur et journaliste à
l’émission Les années lumière
à la Première chaîne de Radio-Canada et cela depuis 1982. Il est
aussi chroniqueur et journaliste au magazine L’Actualité
depuis 1983. Il est collaborateur
régulier aux magazines Québec Science
,
Réseau
et Le réveil du consommateur
.
Monsieur
Villedieu a publié plusieurs ouvrages dont les plus récents sont Un jour la santé (Boréal, 2002)
et Parlons sciences. Les transformations de l’esprit scientifique
(Boréal, 2008). Il a aussi
participé à l’ouvrage collectif Heureux sans Dieu (VLB, 2009). Parmi les distinctions reçues par
Monsieur Villedieu, soulignons qu’il a été fait Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2008
et qu’il a reçu un Doctorat honoris causa
de l’Université d’Ottawa en 2005.
Enfin, Monsieur
Villedieu a remporté de nombreux prix dont le Grand Prix du Journalisme des Radios publiques
francophones en décembre 2006.
*****
Dans son intervention, Yanick Villedieu reprend quelques-unes des idées qu’il a présentées dans
sa contribution à l’ouvrage collectif Heureux sans Dieu, publié chez VLB éditeur en 2009. Tant
dans ce texte que dans sa communication, Villedieu propose une vision matérialiste du monde et
du vivant. Partant de cette conception du monde, à la question « Le cerveau a-t-il créé Dieu ou
Dieu a-t-il créé le cerveau? » il répond sans détour que le cerveau humain a inventé l’idée de
Dieu comme il a inventé beaucoup d’autres idées et concepts. Villedieu précise sa pensée en
affirmant que Dieu est une hypothèse dont il n’a pas besoin, reprenant ici les propos de
l’astronome Pierre-Simon de Laplace, auteur d’un traité intitulé Mécanique céleste dont les
premiers volumes furent publiés à partir de 1799. Quand Laplace présenta le fruit de ses travaux
à Napoléon, celui-ci lui aurait demandé : « Mais est Dieu dans tout cela? », à quoi Laplace
aurait répondu : « Dieu est une hypothèse dont je n’ai pas eu besoin. » Ce que Laplace insinuait,
c’est qu’il n’avait pas besoin d’une hypothèse divine pour expliquer la façon dont fonctionnait le
mouvement des planètes, les lois de la physique lui suffisant. Dans le cas du cerveau, ou du
« noble chou-fleur » comme il le désigne, Villedieu reprend le même discours : l’hypothèse
divine n’est pas nécessaire pour expliquer le cerveau, comme en témoignent les avancées
réalisées dans le domaine des neurosciences.
Depuis 100 ou 150 ans, nos connaissances du cerveau se sont développées de façon
remarquable. Son fonctionnement, son organisation, les liens entre ses diverses parties, les
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fonctions des diverses aires sont maintenant bien connus. La neuropsychologie scientifique a
montré à travers l’analyse de cas de dysfonctionnements manifestes comment fonctionne le
cerveau normal. Sur ce sujet, Villedieu recommande d’ailleurs la lecture de l’ouvrage du
neurologue Oliver Sacks, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau,l’auteur décrit des
cas de pathologies importantes, curieuses, qui toutes trouvent leur explication dans un
dysfonctionnement de l’organe, de la machine qu’est le cerveau. Ce qu’on aurait pu voir comme
quelque chose de surnaturel il y a 100, 200 ou 300 ans, c’est le cas de l’épilepsie notamment,
lentement la science réussit à l’expliquer. Le cerveau n’est donc plus une espèce de « boîte
noire » mystérieuse. Évidemment, beaucoup reste à faire, plusieurs questions demeurent sans
réponses, mais chaque jour, notre compréhension du cerveau s’améliore.
Le cerveau comme produit de l’évolution
Le cerveau, au départ, est un organe comme le cœur, le foie, l’intestin, qui fonctionne avec des
lois biologiques que l’on commence à comprendre. C’est un organe qui se retrouve chez tous les
animaux, dont l’humain, et qui orchestre l’ensemble des activités de l’individu à partir de ses
perceptions. Le cerveau fonctionne aussi à partir du programme génétique qui a fait qu’il se
développe. On a tous le même cerveau qui, sauf exception, a deux hémisphères reliés par le
corps calleux. Cet organe, cette machine physique et biochimique fonctionne aussi à partir de nos
expériences, de nos des apprentissages et de nos souvenirs. Il est intéressant de noter que le
cerveau, de la plus humble bestiole à la bestiole pas toujours humble qu’est l’être humain, est
globalement la même machine. Le cerveau humain et celui de la souris par exemple partagent
beaucoup de similitudes, du moins sur le plan de l’organisation.
Comment le cerveau humain a-t-il pu devenir la merveille qu’il est aujourd’hui? Pour
Villedieu, les explications sont d’ordre purement et simplement naturel. Elles s’inscrivent dans
l’immense durée qu’est l’évolution. L’émergence de ce que l’on pourrait appeler
« l’humanitude », soit ce qui nous différencie des autres animaux, se fait très lentement à la suite
de milliers et de milliers de générations d’êtres qui petit à petit changent en découvrant et en
apprenant des choses, en développant de nouvelles capacités grâce à la faculté fabuleuse du
cerveau humain d’accumuler du savoir.
Il est toutefois difficile de dater l’apparition de cette « humanitude ». Par exemple, près de
nous, il y a environ 7 millions d’années, ce qui est infime à l’échelle des 4 milliards d’années
d’existence de la vie, il y a l’homme de Toumaï dont le crâne a été découvert au Tchad en 2001.
Est-ce que Toumaï a déjà un peu d’humanité en lui? Toumaï est très proche d’un singe; il n’a pas
le langage ni la capacité de faire des outils. Il demeure néanmoins plus ou moins directement
dans notre ligne. Plus près de nous, Lucy, découverte en Éthiopie en 1974, a 3,2 millions
d’années. On pense qu’elle est bipède ou semi-bipède et qu’elle vit surtout dans les arbres, tout
en étant parfois par terre. A-t-elle de l’humain en elle, ou est-ce simplement une espèce plus
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évoluée de singe? Impossible à dire. Et Homo habilis, qui vivait il y a environ 2,5 à 1,8 millions
d’années et qui était capable de fabriquer ses outils de façon organisée dans ce qui pourrait être
les premières « usines » de pierres taillées? Très souvent on perçoit chez ce lointain ancêtre des
traces d’humanité en raison des outils utilisés et de l’organisation qui est déployée pour les
produire. Même chose pour Homo erectus qui domestique le feu il y a entre 600 000 et 800 000
ans et qui, tout en étant loin de nous, a quelque chose qui annonce ce que nous serons. Homo
sapiens, notre ancêtre direct, apparaît quant à lui il y a environ 200 000 ans. Est-il sapiens, c’est-
à-dire « sage », dès ses débuts, ou le deviendra-t-il au fil des générations? Quand devient-il
pleinement et totalement humain?
Après ce survol de l’évolution humaine, Villedieu pose la question suivante : si Dieu a créé le
cerveau, entre Toumaï et nous, à quel moment l’a-t-il créé? À quel moment apparaît le petit
« zeste » de plus faisant que nous ne sommes plus tout à fait animal et bien humain? Pouvons-
nous dater la création du cerveau par Dieu? Y a-t-il un moment clé nos ancêtres « pré-
humains » sont devenus humains à la suite d’une intervention divine? Pour l’animateur de
l’émission Les années lumière, notre cerveau est plutôt le résultat d’une longue et lente
évolution.
Pourquoi avoir créé Dieu?
Selon Villedieu et les tenants du courant matérialiste, le cerveau a inventé Dieu, ou plutôt des
dieux. Pourquoi avoir créé des dieux? Pourquoi ont-ils surgi du cerveau humain? Pour ce
journaliste scientifique, une partie de l’explication réside dans le fait que, contrairement à
l’animal, l’humain est en mesure d’anticiper la mort. Certes, l’animal que l’on conduit à
l’abattoir doit sentir que sa mort approche, mais il ne l’anticipe pas sa vie durant. Très tôt dans
l’Histoire, l’humain va anticiper la mort, la sienne et celle des gens l’entourant. Face à cette fin
inéluctable, l’humain peut éprouver diverses émotions : peur, angoisse, révolte, etc. Ainsi, peut-
être est-ce pour l’aider à affronter la mort que l’humain va la ritualiser, notamment en enterrant
les corps, et inventer des dieux. L’invention des dieux peut aussi s’expliquer par la difficulté que
l’homme a à expliquer certains phénomènes naturels. Faute d’explications rationnelles, ces
phénomènes lui semblent alors surnaturels. On peut imaginer que l’on a inventé les dieux pour
répondre à nos questions, pour expliquer toutes ces choses qui étaient mystérieuses et que, petit à
petit, la science explique.
L’invention de l’idée de Dieu permet à l’humain de répondre à certaines questions qui
semblent sans réponse; elle donne sens à la vie, elle explique son existence. Pour la personne
ayant une vision darwinienne, matérialiste des choses, la vie semble plutôt le fruit du hasard,
d’une multitude de hasards composant l’évolution. Bref, l’humain n’était pas destiné à apparaître
sur Terre, il aurait pu ne pas exister. Mais la vie s’est passée, l’ADN s’est organisé, des cellules
sont apparues, la chimie de la vie a débuté.
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