C'est la foi juive que Jésus a prêchée. Il n'a pas prêché le christianisme. Le christianisme a prêché
Jésus-Christ, mais Jésus, lui n'a pas prêché le christianisme (2). Jésus n'a pas prêché Jésus-Christ.
Il a prêché une forme de judaïsme parmi d'autres, tout simplement.
Certes, Jésus, dans sa prédication, a particulièrement insisté sur certains thèmes, le pardon de
Dieu pour les pécheurs par exemple. Certes, il s'est montré un « libéral », par rapport au sabbat
et aux règles rituelles du judaïsme de son temps. Mais, même sur ces points, Jésus n'a pas innové.
Il n'a fait que reprendre, en le radicalisant, l'enseignement des anciens prophètes d'Israël.
Ce qu'il y a de nouveau chez Jésus, ce n'est donc pas le contenu de sa prédication, c'est le fait qu'il
ait prêché non seulement aux Juifs mais aussi aux païens. Il leur a prêché qu'ils étaient, eux aussi,
tout comme le peuple juif, au bénéfice de la Bonne Nouvelle du salut et qu'ils pouvaient eux aussi
accéder au Royaume Mat. 8, 11.
Comment Jésus s'est-il considéré ? Bien loin de se considérer comme le fondateur d'une religion
nouvelle, il s'est voulu le représentant et même l'incarnation de l'Israël fidèle et obéissant à Dieu
(un peu comme le Général de Gaulle, en 1940, s'est considéré investi de la mission d'être la vraie
France). Jésus s'est considéré comme le Serviteur de Dieu (dont la figure et la mission avaient été
décrites dans le livre d'Isaïe).
Et c'est à ce titre qu'il peut être considéré comme la « lumière des nations » (c'est-à-dire des
nations non juives), c'est-à-dire comme celui qui annonce aux « nations » que le Dieu d'Israël est
aussi un Dieu de salut pour les nations.
- Certes, cette manière de voir pose une question. Si Jésus s'est seulement considéré comme une
figure de la foi juive, pourquoi y a-t-il eu une scission entre le christianisme naissant et le
judaïsme ?
Notons d'abord que, dans le christianisme naissant, il y avait plusieurs courants et que la plupart
d'entre eux ont continué fort longtemps à se considérer comme faisant partie du judaïsme. Ainsi le
courant des Nazaréens (composé de Juifs reconnaissant Jésus mais restant Juifs) est resté dans le
judaïsme jusqu'au IVe siècle de notre ère. Ainsi également le courant conduit par Pierre puis par
Jacques, le frère de Jésus, s'est considéré comme l'un des rameaux du judaïsme, et ce jusqu'aux
années 90-100. Certes, le courant conduit par Paul a pris plus tôt ses distances vis-à-vis de
certaines règles rituelles de la loi juive (l'exigence de la circoncision, les prescriptions alimentaires,
la fidélité au Temple de Jérusalem) et ce parce qu'il recrutait parmi les non-Juifs. Mais les Eglises
fondées par Paul ont cependant continué à être abritées dans les synagogues jusqu'en 85-90. En
fait, il n'y a guère que le courant des Hellénistes, conduit par Etienne et Philippe, qui ait rompu
rapidement avec le judaïsme officiel parce qu'il refusait le ritualisme du Temple.
Notons ensuite que la théologie du christianisme naissant n'a fait que reprendre des articles de foi
du judaïsme, même si elle l'a fait en cristallisant ceux-ci sur la figure du « Christ ». Ainsi, le titre
de « fils de Dieu » que l'on a attribué à Jésus était déjà utilisé dans le judaïsme pour qualifier le
peuple d'Israël lui-même et ses représentants (Exode 4, 22 ; Esaïe 1, 2 ; Psaume 2, 7). Ainsi
encore, l'idée que les croyants étaient sauvés grâce au sacrifice d'un Juste était déjà présente dans
le judaïsme (cf. la figure du Serviteur souffrant de Esaïe 53). De même, l'idée d'une incarnation de
Dieu dans l'histoire sous la forme du Verbe était également présente, sous une forme comparable,
dans le judaïsme (cf. la figure de la « Sagesse » dans Proverbes 8).
Ainsi les théologiens qui considèrent que le christianisme constitue une nouvelle théologie par
rapport au judaïsme sont à mon avis dans l'erreur. La théologie du Serviteur souffrant, c'est-à-dire
du sacrifice vicaire, qui semble caractériser le christianisme de Paul par rapport au judaïsme était
déjà présente dans le judaïsme (cf. Moïse qui s'offre en sacrifice pour le salut des juifs apostats qui
ont érigé le Veau d'or, cf. aussi la théologie sous-jacente à Lebed Yahvé de Esaïe 53). De même
l'idée théologique du Logos (Dieu incarné dans l'histoire) était déjà présente dans le judaïsme tardif
sous la forme de la Sagesse et de la Thora. De même la théologie de la résurrection des morts était
déjà présente dans le judaïsme dès le second siècle avant notre ère.
En fait, la rupture entre le christianisme et le judaïsme ne n'est pas faite sur des points de
théologie. Et elle ne s'est pas faite non plus parce que les chrétiens confessaient que Jésus était le