Les relations entre judaïsme, christianisme et islam Les causes des conflits Le judaïsme, le christianisme et l'islam ont le même Père (le Dieu d'Abraham). Mais ils ont des relations non pas fraternelles mais fratricides. Les trois religions monothéistes croient toutes trois en un même et seul Dieu unique, le Dieu d'Abraham, et elles reconnaissent la même lignée de fondateurs et de prophètes : Adam, Noé, Abraham, Moïse, Job, David et Jésus. Mais cette consanguinité, bien loin de les rapprocher et de les unir, les met en situation de rivalité. Chacune prétend détenir seule la « révélation ». Cette situation de rivalité fratricide se complique par une situation de rivalité œdipienne. Le judaïsme n'est pas seulement, comme on l'a dit, le frère aîné du christianisme, il est aussi le père du christianisme. Et le judaïsme et le christianisme ne sont pas seulement les frères aînés de l'islam mais le grand-père et le père de l'islam. Et la religion-fille, tout en reconnaissant la religionmère, a la volonté et le désir de la supplanter et même de la tuer. Comment se manifeste cette relation de filiation, mais aussi de rivalité œdipienne ? Prenons l'exemple des relations du christianisme avec le judaïsme. Le christianisme reconnaît le judaïsme puisque le christianisme a maintenu le Livre des Juifs (la Thora, l'Ancien Testament) dans le corpus de ses livres saints. Mais le christianisme est aussi souvent animé d'un sentiment d'antisémitisme meurtrier à l'égard du judaïsme. Le christianisme s'est souvent prétendu « le nouvel Israël » qui devait se substituer au vieil Israël. Le christianisme reconnaît, à la rigueur, la place, la fonction et la légitimité du judaïsme d'avant Jésus-Christ, à titre de préparation et d'annonce du christianisme. Par contre il a du mal à définir le rôle du judaïsme d'après Jésus-Christ. Et toutes les relations d'amitié judéo-chrétiennes qui se manifestent aujourd'hui n'empêchent pas que le christianisme considère que le judaïsme d'après Jésus-Christ est aveugle puisqu'il n'a pas voulu reconnaître Jésus-Christ. Et le judaïsme lui-même, (en dépit des efforts d'un Martin Buber et d'un Elie Benamozig (1) a du mal à reconnaître une fonction et une légitimité au christianisme. De la même manière, l'islam reconnaît la place des « gens du Livre » (les juifs et les chrétiens) et reprend à son compte la prophétologie judéo-chrétienne. Mais il considère que le judéochristianisme a défiguré la vérité et il prétend prendre la place de ceux dont il est l'héritier. Si l'on veut concourir à ce que chacune des confessions monothéistes reconnaisse les deux autres, il ne sert à rien de mettre en valeur ce qu'elles ont en commun puisque cela ne fait que conforter leur rivalité. Il faut au contraire tenter de fonder théologiquement leur différence, leur spécificité et leur complémentarité. La compétition fratricide entre les trois monothéismes ne peut être évitée que si l'on démontre que chacun des trois monothéismes, dans sa spécificité propre, est légitime, véridique et indispensable aux deux autres. Ainsi il faut fonder la place, la fonction et la légitimité du christianisme et de l'islam dans le cadre d'une théologie juive, et aussi la place, la fonction et la légitimité du judaïsme et de l'islam dans le cadre de la théologie chrétienne, et enfin la place, la fonction et la légitimité du judaïsme et du christianisme dans le cadre d'une théologie musulmane. Articulation générale du judaisme, du christianisme et de l'islam Pour articuler le judaïsme, le christianisme et l'islam, on peut user de plusieurs images. Donnons-en une première : celle de l'arbre. Le judaïsme est le tronc, le christianisme constitue les branches maîtresses et l'islam les branches secondaires. L'arbre serait incomplet s'il n'y avait pas le tronc, les branches maîtresses et les branches secondaires. Le tronc serait incomplet et inutile sans les branches maîtresses et secondaires. Et les branches maîtresses ont besoin, pour accomplir leur mission, de l'existence du tronc. Et les branches secondaires ont besoin, pour accomplir leur mission de l'existence du tronc et des branches maîtresses. L'islam doit reconnaître qu'il a son fondement dans le judaïsme et le christianisme. Et le christianisme doit reconnaître qu'il a son fondement dans le judaïsme. Cette image de l'arbre rend compte d'une succession chronologique entre le judaïsme, le christianisme et l'islam. Mais il est possible de donner une image spatiale de l'articulation des trois monothéismes. C'est celle de trois cercles concentriques qui rendent compte de l'extension et de l'universalisation progressive du champ du monothéisme. Le cercle central représente le judaïsme. Le second représente le christianisme qui étend le monothéisme à un cercle plus large au-delà des limites du judaïsme. Et l'islam étend le monothéisme à un cercle plus large encore : le champ des peuples extérieurs au champ de l'Eglise chrétienne du VIIe siècle. La mission du christianisme est plus universelle que celle du judaïsme (elle concerne les gentils alors que la mission du judaïsme concerne les seuls juifs) et la mission de l'islam est encore plus universelle (le prophète Mohamed, au VIIe siècle s'est adressé aux tribus païennes qui n'avaient été touchées ni par le judaïsme ni par la mission chrétienne). Autre articulation possible entre le judaïsme, le christianisme et l'islam. Puisque chacun de ces trois monothéismes considère que Dieu conclut plusieurs alliances successives avec l'humanité, chacun des trois monothéismes peut être considéré comme la réalisation de l'une de ces alliances. Pour nous faire comprendre, rappelons en quoi consiste cette succession des Alliances. Dieu conclut une première alliance avec Adam, père de l'ensemble de l'humanité ; puis, devant l'échec de cette première alliance, Il conclut une deuxième alliance plus restreinte (on pourrait dire moins ambitieuse) avec Noé, père, non pas de l'ensemble de l'humanité mais des seuls croyants ; puis, devant l'échec de cette deuxième alliance, il conclut une troisième alliance, plus restreinte encore, avec Abraham, père des seuls croyants monothéistes ; puis devant l'échec de cette alliance, il conclut une alliance plus restreinte encore avec Moïse, père du seul peuple juif. On peut considérer que le judaïsme constitue la réalisation de l'alliance avec Moïse et le peuple élu, que le christianisme constitue la réalisation de l'alliance avec Abraham et le croyants, et que l'islam constitue la réalisation de l'alliance avec Adam et l'ensemble de l'humanité. Et le paradoxe est que l'islam qui constitue la dernière alliance dans l'ordre chronologique représente l'accomplissement de la première alliance dans l'ordre de la succession des alliances. Lors de la succession des alliances avec Adam, Noé, Abraham, Moïse, Dieu restreint progressivement et peu à peu le territoire de son alliance de façon à avoir une emprise, certes plus restreinte, mais aussi plus ferme et plus sûre. A partir de l'aire sûre et fidèle que constitue le judaïsme, il pourra alors étendre progressivement le champ qu'il peut s'approprier d'abord par la mission chrétienne puis par la mission islamique, réalisant ainsi son alliance avec Abraham, père de l'ensemble des croyants monothéistes, et peut-être même avec Adam, père de l'humanité toute entière. Si l'on prend l'image des poupées russes, et en assimilant l'emboîtement de ces poupées aux différentes alliances, on peut dire que l'islam emboîte le christianisme qui emboîte le judaïsme. Mais, chronologiquement, la construction de ces Alliances se fait en sens inverse. C'est la plus petite poupée (le judaïsme) qui vient en premier. Puis est placée la moyenne (le christianisme), puis la plus grande (l'islam). Nous voulons maintenant étayer ce schéma général en présentant d'abord l'articulation du judaïsme avec le christianisme, puis l'articulation du judéo-christianisme avec l'islam. Articulation du judaïsme avec le christianisme On peut considérer que le projet de Dieu est de s'approprier (de devenir le Seigneur) de l'humanité entière. Le peuple juif constitue le « camp de base » à partir duquel le Dieu unique va mettre en œuvre son projet. Le peuple juif, pour pouvoir être un camp de base sûr, doit être séparé et protégé du reste de l'humanité. Il doit être saint, c'est-à-dire séparé du reste du monde. D'où l'interdiction de toute forme de mixité entre le peuple juif et les autres peuples. Les rites, les règles et les lois auxquels doit se soumettre le peuple élu sont là pour manifester cette sainteté et cette séparation, signe et condition de sa fiabilité. La théologie juive insiste sur le fait que le peuple élu doit être juste et saint, mais cette sainteté du seul peuple d'Israël assure le salut de l'ensemble de l'humanité. C'est ce dont rend compte la prière d'Abraham. Il suffit que dans une ville il y ait dix justes pour que l'ensemble de la ville soit sauvée, à cause de ces dix justes. La sainteté du peuple juif est une sainteté vicaire, « pars pro toto ». Elle assure le salut de l'ensemble de l'humanité. Ainsi, il faut y insister, pour le judaïsme, le Dieu du peuple élu est aussi le Dieu qui sauve aussi l'ensemble de l'humanité. Mais, s'il en est ainsi, quelle est la spécificité du christianisme et de l'enseignement de Jésus par rapport au judaïsme ? - Jésus n'est donc pas le fondateur d'une religion nouvelle qui serait le christianisme. Jésus-Christ est la quintessence du judaïsme, et non pas le fondateur du christianisme. C'est la foi juive que Jésus a prêchée. Il n'a pas prêché le christianisme. Le christianisme a prêché Jésus-Christ, mais Jésus, lui n'a pas prêché le christianisme (2). Jésus n'a pas prêché Jésus-Christ. Il a prêché une forme de judaïsme parmi d'autres, tout simplement. Certes, Jésus, dans sa prédication, a particulièrement insisté sur certains thèmes, le pardon de Dieu pour les pécheurs par exemple. Certes, il s'est montré un « libéral », par rapport au sabbat et aux règles rituelles du judaïsme de son temps. Mais, même sur ces points, Jésus n'a pas innové. Il n'a fait que reprendre, en le radicalisant, l'enseignement des anciens prophètes d'Israël. Ce qu'il y a de nouveau chez Jésus, ce n'est donc pas le contenu de sa prédication, c'est le fait qu'il ait prêché non seulement aux Juifs mais aussi aux païens. Il leur a prêché qu'ils étaient, eux aussi, tout comme le peuple juif, au bénéfice de la Bonne Nouvelle du salut et qu'ils pouvaient eux aussi accéder au Royaume Mat. 8, 11. Comment Jésus s'est-il considéré ? Bien loin de se considérer comme le fondateur d'une religion nouvelle, il s'est voulu le représentant et même l'incarnation de l'Israël fidèle et obéissant à Dieu (un peu comme le Général de Gaulle, en 1940, s'est considéré investi de la mission d'être la vraie France). Jésus s'est considéré comme le Serviteur de Dieu (dont la figure et la mission avaient été décrites dans le livre d'Isaïe). Et c'est à ce titre qu'il peut être considéré comme la « lumière des nations » (c'est-à-dire des nations non juives), c'est-à-dire comme celui qui annonce aux « nations » que le Dieu d'Israël est aussi un Dieu de salut pour les nations. - Certes, cette manière de voir pose une question. Si Jésus s'est seulement considéré comme une figure de la foi juive, pourquoi y a-t-il eu une scission entre le christianisme naissant et le judaïsme ? Notons d'abord que, dans le christianisme naissant, il y avait plusieurs courants et que la plupart d'entre eux ont continué fort longtemps à se considérer comme faisant partie du judaïsme. Ainsi le courant des Nazaréens (composé de Juifs reconnaissant Jésus mais restant Juifs) est resté dans le judaïsme jusqu'au IVe siècle de notre ère. Ainsi également le courant conduit par Pierre puis par Jacques, le frère de Jésus, s'est considéré comme l'un des rameaux du judaïsme, et ce jusqu'aux années 90-100. Certes, le courant conduit par Paul a pris plus tôt ses distances vis-à-vis de certaines règles rituelles de la loi juive (l'exigence de la circoncision, les prescriptions alimentaires, la fidélité au Temple de Jérusalem) et ce parce qu'il recrutait parmi les non-Juifs. Mais les Eglises fondées par Paul ont cependant continué à être abritées dans les synagogues jusqu'en 85-90. En fait, il n'y a guère que le courant des Hellénistes, conduit par Etienne et Philippe, qui ait rompu rapidement avec le judaïsme officiel parce qu'il refusait le ritualisme du Temple. Notons ensuite que la théologie du christianisme naissant n'a fait que reprendre des articles de foi du judaïsme, même si elle l'a fait en cristallisant ceux-ci sur la figure du « Christ ». Ainsi, le titre de « fils de Dieu » que l'on a attribué à Jésus était déjà utilisé dans le judaïsme pour qualifier le peuple d'Israël lui-même et ses représentants (Exode 4, 22 ; Esaïe 1, 2 ; Psaume 2, 7). Ainsi encore, l'idée que les croyants étaient sauvés grâce au sacrifice d'un Juste était déjà présente dans le judaïsme (cf. la figure du Serviteur souffrant de Esaïe 53). De même, l'idée d'une incarnation de Dieu dans l'histoire sous la forme du Verbe était également présente, sous une forme comparable, dans le judaïsme (cf. la figure de la « Sagesse » dans Proverbes 8). Ainsi les théologiens qui considèrent que le christianisme constitue une nouvelle théologie par rapport au judaïsme sont à mon avis dans l'erreur. La théologie du Serviteur souffrant, c'est-à-dire du sacrifice vicaire, qui semble caractériser le christianisme de Paul par rapport au judaïsme était déjà présente dans le judaïsme (cf. Moïse qui s'offre en sacrifice pour le salut des juifs apostats qui ont érigé le Veau d'or, cf. aussi la théologie sous-jacente à Lebed Yahvé de Esaïe 53). De même l'idée théologique du Logos (Dieu incarné dans l'histoire) était déjà présente dans le judaïsme tardif sous la forme de la Sagesse et de la Thora. De même la théologie de la résurrection des morts était déjà présente dans le judaïsme dès le second siècle avant notre ère. En fait, la rupture entre le christianisme et le judaïsme ne n'est pas faite sur des points de théologie. Et elle ne s'est pas faite non plus parce que les chrétiens confessaient que Jésus était le Messie et le Christ. Elle s'est faite d'abord sur des points que nous pourrions considérer comme secondaires, par exemple l'abandon, dans les communautés fondées par Paul, de la circoncision et des règles relatives à l'alimentation. Mais la rupture entre le christianisme et le judaisme, même si elle ne s'est pas faite pour des questions théologiques, s'est néanmoins faite sur une question de fond : faut-il annoncer aux païens le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ? Après quelques hésitations (dont témoignent les dissensions entre Pierre et Jacques d'une part et Paul d'autre part), le christianisme naissant a prêché, tout comme l'avait fait Jésus, que le fils prodigue (le païen) était accueilli, par le Père (Dieu), à la même table que le fils aîné (le Juif). Et cela a scandalisé le judaisme de l'époque même si, en y regardant de près, cette universalité de la grâce de Dieu était déjà présente dans le judaisme ancien (en particulier chez Isaïe, Jonas, Malachie et dans les Psaumes). En fait, Jésus-Christ n'a fait que reprendre la théologie classique du judaisme (qui avait été un peu oubliée à son époque), celle de la prédication d'un Dieu dont le projet est la conclusion d'une alliance universelle. Articulation entre judaisme et christianisme ? C'est un fait, le christianisme a voulu supprimer le judaisme en prétendant être le nouvel Israël. Certes, il a reconnu le judaisme antérieur à Jésus-Christ, en incorporant les livres saints du judaisme au canon de ses Ecritures. Mais il a voulu aussi dénier la légitimité du judaisme d'après Jésus-Christ (en considérant que la Synagogue d'après Jésus-Christ avait les yeux voilés pour n'avoir pas voulu reconnaître le Christ). Il a voulu se substituer au judaisme en se prétendant le nouvel Israël rendant caduc ainsi le judaisme d'après Jésus-Christ et même celui d'avant Jésus-Christ. L'antisémitisme et les exécutions meurtrières ont clairement manifesté cette volonté du fils de tuer le père. - Mais cette théologie de l'Eglise comme nouvelle Israël me paraît tout à fait erronée. Ma thèse (qui n'engage que moi) tient en une phrase : le christianisme, c'est le judaisme pour les nonJuifs. Le judaisme est et reste la religion légitime du peuple juif. Les juifs ont raison de rester juifs même après Jésus. En effet Jésus n'est pas venu pour les convertir à une religion nouvelle. Il est venu pour étendre aux non-Juifs les promesses dont bénéficiait le peuple juif et dont il bénéficie toujours. Le christianisme n'est pas un monothéisme nouveau par rapport au judaisme. Le christianisme n'est rien d'autre que le judaisme, mais il est le judaisme étendu aux non-juifs. Sa fonction est de prêcher le monothéisme et la promesse du Dieu d'Israël sont parole de vérité et de salut aussi pour les non-Juifs. Sa spécificité est d'étendre aux non-juifs ce qui, jusqu'à présent, avait été entendu par les seuls juifs. En confessant Jésus comme le Christ, les chrétiens ne dénoncent pas la véracité et la légitimité du judaisme. Bien au contraire, nous l'avons dit, Jésus-Christ incarne en lui-même la plénitude du judaisme. Il est la voix du judaisme adressée aux non-Juifs. Le judaisme et le christianisme ont chacun leur vocation propre. Et ces deux vocations sont l'une et l'autre nécessaires. Le judaisme a pour vocation la sainteté (le fait d'être à part du monde). Le christianisme a pour vocation l'incarnation (le fait d'ensemencer le monde). Le judaisme a pour vocation d'être professé par un peuple « à part » de façon à rappeler que Dieu lui-même est « à part » du monde. Le christianisme, lui, par contre, a pour vocation d'incarner, on pourrait dire de mélanger, le germe de la présence de Dieu dans l'ensemble de l'humanité. Ainsi le judaisme insiste sur le fait que Dieu est énigme et transcendance, et le christianisme, lui, insiste sur le fait que Dieu est présence et proximité. Le judaisme insiste sur le fait que Dieu est « Loi », et le christianisme insiste, lui, sur le fait qu'Il est « grâce » universelle. Le judaisme et le christianisme ont tous les deux raison. - La vocation du judaisme se vit sur le mode de la pureté, de l'intégrité, de la sainteté et de la séparation par rapport aux nations. La vocation du christianisme se vit, elle, sur le mode de l'incarnation à l'intérieur de la pâte des nations. Pour reprendre une image biblique (3), le christianisme a pour vocation de saler la pâte que constitue les nations avec le sel que constitue le judaisme. Et c'est pour cela que le sel (du judaisme) doit garder sa pureté et son intégrité. Car « si le sel perd sa saveur, avec quoi salera-t-on » la pâte des nations ? Ainsi, le christianisme doit s'enraciner dans le judaisme d'après Jésus-Christ comme d'avant JésusChrist. Sans le judaisme, celui d'avant Jésus-Christ comme celui d'après Jésus-Christ, le christianisme perd son socle, sa source et son sel. Le judaisme est élu pour obéir à la loi de sainteté. Le christianisme a pour vocation d'être missionnaire et d'incarner le sel et le levain de cette sainteté parmi les « nations ». Israël est élu pour être obéissant à une loi. Cette loi c'est celle de la Thora de Moïse. Le christianisme a pour vocation de témoigner d'une foi et de la communiquer aux nations. Cette foi est la foi à la prédication de Jésus-Christ qui apporte hors des limites du judaisme la promesse du salut dont seul le judaisme avait reconnu jusque-là la vérité. Reprenons notre image des cercles concentriques. Elle nous permet d'expliquer de quelle manière est mise en oeuvre le projet de Dieu de « faire alliance » et de passer contrat avec l'ensemble de l'humanité. Le cercle le plus central, c'est celui d'Israël. Israël est le premier peuple conquit par Dieu. Et par sa sainteté, il assure le salut de l'ensemble de l'humanité (4). Le deuxième cercle (ou plutôt le deuxième anneau) c'est celui de l'Eglise chrétienne, c'est celui qui symbolise l'ensemble de ceux qui ont foi dans ce salut. Mais le deuxième cercle ne recouvre pas l'ensemble de l'humanité. Il subsiste des païens sans loi ni foi. Le troisième anneau, c'est celui qui caractérise le champ et la vocation de l'islam. Et nous allons le voir, la spécificité de l'islam s'exprime sur un mode autre que ceux de la loi et de la foi. Nous en venons donc maintenant à une tentative de préciser l'articulation entre l'islam d'une part, et le judaisme et le christianisme d'autre part. La vocation propre à l'islam va être d'annoncer la Parole du Dieu d'Israël et de Jésus-Christ là où le christianisme n'avait pas pu et n'avait pas su l'apporter, c'est-à-dire dans la partie du paganisme qui n'avait pas été atteinte par la mission chrétienne. Articulation du judaïsme et du christianisme avec l'islam - Dès son apparition, l'islam s'est attribué pour vocation la mission parmi les païens adeptes de religions reconnaissant d'autres dieux que l'Unique, le Dieu d'Abraham et de Jésus. Le monothéisme que l'islam prêche aux polythéistes, c'est celui du Judéo-christianisme. Pour l'islam, judaisme, christianisme et islam sont une seule et même religion avec les mêmes desseins. Le judéo-christianisme, tel que le voit l'islam, est essentiellement la forme de la religion unique et éternelle que Dieu a voulu valable d'abord pour les enfants d'Israël à un moment déterminé de l'histoire puis pour l'ensemble du genre humain. Pour l'islam, c'est ce monothéisme que Jésus a prêché (5). C'est ce monothéisme que l'islam veut reprendre à son compte (6). Certes l'islam considère que ce monothéisme judéo-chrétien a été perverti par les successeurs de Jésus (7). Et c'est pourquoi Dieu a envoyé le prophète Mohamed pour rétablir la vérité. Ainsi, pour l'islam, la prédication de Mohamed, dans sa teneur essentielle, ne se distingue pas de celle des prophètes antérieurs, du moins par son contenu. Mais, en revanche elle s'en distingue par trois éléments formels d'une importance considérable (8). - Cette proclamation s'adresse à tous les hommes du monde entier - Seul le Coran est la Parole de Dieu (et la forme écrite du Coran est le garant du caractère non modifiable et définitif de cette Parole). - Avec Mohamed, les annonces bibliques d'un prophète à venir sont définitivement accomplies. De sorte que juifs et chrétiens devraient reconnaître que l'annonce de la venue de Mohamed est mentionnée « chez eux dans la Thora et l'Evangile » (Sourate 7,157). L'islam se présente donc d'une part comme une réforme au sein du judéo-christianisme (non pas tant par rapport au judéo-christianisme authentique et éternel mais par rapport à ses déviations (9) ) et une réinstauration de la vérité du monothéisme authentique (10). Et il faut reconnaître qu'il vise souvent juste et vrai. Et il se présente aussi, d'autre part, comme une prédication missionnaire hors du « champ » qui a été couvert par le judéo-christianisme. Et sur ce point aussi, on ne peut que lui reconnaître une grande légitimité puisque, incontestablement, il a conduit à la connaissance du Dieu d'Abraham, de Moïse et de Jésus-Christ de nombreux peuples qui n'avaient pas été atteints par la mission chrétienne. - Voyons plus précisément comment l'islam présente l'articulation du judaisme, du christianisme et de l'islam. Nous citons Mgr Teyssier (11). « L'histoire religieuse de l'humanité est conçue dans l'apologétique musulmane comme passant par trois étapes : celle de l'enfance, où l'homme doit être encore éduqué par la loi (celle du judaisme) ; celle de l'adolescence, où Dieu fait appel aux sentiments généreux de l'enthousiasme juvénile comme l'amour et le pardon (c'est le christianisme) ; et celle de l'âge adulte de l'humanité, autrement dit de la période de l'islam, qui équilibre les exigences de la loi et les bons sentiments dans la religion du juste milieu (Sourates 2,43). Le judaisme et le christianisme sont ainsi perçus comme deux étapes révolues de l'histoire de l'humanité. Aux prodiges que Moïse avait multipliés pour impressionner les Hébreux familiarisés avec la magie égyptienne, aux miracles de Jésus, l'islam substitue le seul signe qui convient pour l'étape rationnelle de l'histoire de l'humanité : la merveille intellectuelle et littéraire qu'est le Coran, signe par excellence de la véracité du Message. L'apologétique musulmane exalte la simplicité du message islamique centré sur Dieu, unique objet d'une adoration qui, sans intermédiaire ou intercesseur, sans clergé ni sacrement, met chaque homme devant sa responsabilité personnelle pour ce monde et le monde à venir. Et il faut reconnaître la grandeur du témoignage rendu à Dieu dans la prière musulmane, la proclamation du Coran et la soumission des croyants à la loi divine dans leur vie individuelle, familiale et sociale. » - Le Dieu de l'islam sera un Dieu Un, inconnaissable et transcendant (12) , universel et éternel. Cette manière de définir Dieu est considérée par l'islam comme plus originaire et universelle que la manière judéo-chrétienne d'inscrire l'alliance et la manifestation de Dieu dans un processus historique lié à un peuple particulier. Elle peut être considérée comme plus originaire parce qu'elle met en oeuvre la première alliance conclue par Dieu, celle qu'il a conclue avec Adam, Noé et Abraham. - Le Dieu unique et universel n'est pas le Dieu d'Isaac, de Moïse et de Jésus (qui sont des figures relatives à une histoire particulière, celle du petit peuple d'Isaac, de Moïse et de Jésus), il est le Dieu d'Abraham et ainsi celui de Noé et d'Adam lui-même. Il est le Dieu éternel, universel et a-historique. Puisque le champ couvert par le judéo-christianisme a son origine seulement en Isaac et Moïse, l'islam s'enracinera en Abraham, père d'Isaac (et par là du judaisme) et aussi d'Ismaël. Il consacrera ses efforts au rameau ismaélien de la descendance d'Abraham, comme s'il ne voulait pas concurrencer le judaisme sur son propre terrain ; En effet, dans la descendance d'Abraham, Ismaël est l'ancêtre des non-juifs et par là même des non-chrétiens. - L'islam se considère donc comme un monothéisme plus universel et plus général que le monothéisme juif. Ce monothéisme est fondé sur le concept de création. Pour l'islam, Dieu est le Dieu de la création du monde et de l'humanité. Dieu n'est pas un Dieu lié à une histoire se déroulant dans le temps et encore moins à l'histoire particulière du peuple d'Israël. Le concept de création est plus évidemment accessible par tous que celui de « Loi » (la Loi de Moïse qui délimite le peuple de ceux qui lui obéissent) ou celui de foi (la confession de foi du christianisme qui délimite l'Eglise par rapport au monde). Dieu, parce qu'il est universel, unique et éternel est d'abord et même uniquement le Dieu créateur. L'islam recommande à ses fidèles de réfléchir sur la création et sur le mystère de la création et de s'écarter ainsi de toute réflexion sur le mystère de Dieu lui-même (13). Ce Dieu créateur est le Dieu de la creatio continua et c'est pourquoi le Coran refuse l'idée d'une lassitude de Dieu après le travail créateur des six jours (tel qu'il est rapporté dans Genèse 1 et dans Coran 50,38-39), ce qui l'aurait conduit au repos. Dieu est éternel et immuable. Le Dieu de l'islam, tout en étant prêché postérieurement, sur le plan chronologique, au Dieu du judaisme et du christianisme doit donc, logiquement, être considéré comme plus en amont que le Dieu du judéo-christianisme, celui-ci ayant une emprise historique et géographique plus partielle. Et c'est pourquoi l'islam s'enracine en Abraham, père du monothéisme universel, ancêtre en amont d'Isaac, de Jacob, de Moïse et de Jésus. Pour l'islam, le judaisme et le christianisme ne sont que des formes particulières d'un monothéisme plus général et plus « premier », celui du Dieu d'Abraham. « Abraham n'était ni juif ni chrétien, mais il était hanif et muslim (vrai monothéiste et vrai soumis à Dieu) et non polythéiste » (Coran 3, 67, cf. aussi Coran 2,135). Il est décrit comme voulant convaincre son peuple (et aussi son propre père) d'abandonner les idoles et le polythéisme. Mohamed aurait dit dans l'un de ses propos que « il n'est aucun enfant nouveau né qui n'appartienne naturellement à la religion musulmane. Ce sont ses parents qui en font un juif, un chrétien ou un adorateur du feu » (14). Ceci montre bien que l'islam serait bien le monothéisme universel, premier et abrahamique dont le judaisme et le christianisme ne seraient que des particularités. - Ainsi, par rapport au judaisme et au christianisme, la spécificité de l'islam est, du moins dans son principe, sa prétention à être une religion universelle. Et cette universalité, ce n'est pas seulement une manière de caractériser le champ du monde qu'il veut couvrir (le christianisme aussi a une prétention à l'universalité), c'est aussi la caractéristique de ses dogmes et de ses rituels. La confession de foi de l'islam et ses rituels se veulent universellement accessibles et signifiants. Au contraire, le christianisme est fondé et limité par une confession de foi spécifique qui n'a pas de sens universel et par des sacrements spécifiques dont la sémantique ne peut être reconnue par tous les croyants, et à plus forte raison par l'humanité entière. Pour l'islam, il n'y a pas comme pour Israël de signe de la différence entre « le peuple élu » et le reste de l'humanité. Il n'y a non plus de baptême qui, comme dans le christianisme, délimiterait la limite entre l'Eglise et le reste de l'humanité. Entre la verticalité de la transcendance de Dieu et l'horizontalité de la pratique rituelle, il n'y a aucune médiation, aucun intermédiaire, aucun sacrement. La révélation de l'islam ne s'effectue pas dans une histoire particulière, comme dans le judaisme, ni dans et par une incarnation comme dans le christianisme. L'islam insiste sur le caractère limité de la mission de Jésus tandis que Mohamed a été envoyé au monde entier et que l'islam est valable jusqu'à la fin des temps (15). Les cinq piliers de l'islam ont un caractère absolument universel : la confession de l'Unique, la prière, le jeûne, l'aumône. Le dernier, le pèlerinage à La Mecque, peut apparaître plus spécifique, mais rappelons que Jérusalem (le nombril du monde tout entier et le centre de tout monothéisme) était le premier lieu saint des musulmans. - Les Musulmans insistent sur le caractère social et politique, et par là même profane du Coran. Par certains côtés, l'islam est une forme de religion profane et a-confessionnelle, et par là même universelle. Une des raisons du succès de l'islam fut qu'il apportait un nouveau type de fraternité, avec le souci des faibles et des pauvres (16). Le Coran constitue la révélation parfaite et intemporelle de Dieu, et ce même si cette révélation a été faite, à un moment donné à Mohamed (17). Le fait que l'ordre des Sourates du Coran ne soit pas un ordre chronologique est significatif. La théologie musulmane ignore la différence entre les Sourates mekkoise et médinoises. Le Coran est donc considéré comme une révélation unique ne s'inscrivant pas dans le temps. Et c'est sans doute la raison pour laquelle l'islam n'a pas incorporé dans ses livres saints la Bible juive et le Nouveau Testament chrétien. Il y a là une différence profonde par rapport au christianisme qui a inclus la Bible juive dans le canon de ses Ecritures en la plaçant avant le Nouveau Testament qui lui est spécifique. Il est également hors de question pour l'islam de considérer que le canon de ses Ecritures puisse être ouvert. Il n'est ouvert ni vers l'amont (puisqu'il n'intègre pas la Bible juive et le Nouveau Testament) ni vers l'aval. Pour l'islam, le Coran inclut en lui-même le judaisme et le christianisme et constitue le judaisme et le christianisme authentique et accompli (18). Il rend caduques les deux étapes (le judaisme et le christianisme) du processus dont il se prétend l'accomplissement. Pour l'islam, l'histoire du salut a pris fin avec le Coran. - Ainsi l'islam prétend être le monothéisme le plus monothéiste, pourrait-on dire, c'est-à-dire le plus simple, celui pour lequel Dieu se réduit à la simple expression de sa transcendance pure. Et ce monothéisme pourra se prétendre universel car Dieu y sera confessé sans que lui soient attribués les attributs spécifiques que lui reconnaissent le judaisme, le christianisme et éventuellement d'autres monothéismes. Il n'y a aucun discours sur Dieu ni sur les attributs de Dieu ni sur l'histoire de la révélation divine, puisque Dieu est confessé comme Simple, sans attribut, sans histoire, sans contingence ni incarnation (19). - La théologie et la liturgie de l'islam telles que nous les présentons peuvent paraître très séduisantes. Les règles et rituels de l'islam sont d'une grande simplicité. La confession de foi (la première Sourate) est d'une grande et majestueuse austérité (qui rappelle le Soli Deo gloria de Calvin). - Mais nous voulons être clair sur un point. Ce qui m'inquiète dans l'islam, c'est justement sa perfection épurée. C'est son caractère définitif, éternel, a-historique, on pourrait dire utopique. Une religion a besoin d'être incarnée dans des formes et des articles de foi susceptibles d'évolution. Elle doit être incarnée dans la nature humaine et aussi dans l'histoire (20). L'islam devrait accepter que l'histoire de la révélation de Dieu précède le Coran et se poursuive après le Coran. Le Coran a pris un risque en prétendant intégrer dans la révélation faite à Mohamed au VIe siècle l'intégralité de la révélation du Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Jésus-Christ, éternel et en en niant le caractère progressif et historique. Ce risque c'est celui du totalitarisme. L'universalisme, soit ! le totalitarisme, non ! Ainsi le reproche le plus fondamental que nous ferons à l'islam, ce n'est pas sa prétention à l'universalité (bien au contraire !), c'est sa prétention à être a-temporel et indépendant des catégories humaines. D'une certaine manière, c'est une remise en cause de la notion d'alliance. Le Dieu de la Bible, même s'il est unique et éternel, fait alliances (au pluriel) avec l'histoire des hommes et avec la multiplicité des peuples. Il incarne et adapte sa Parole unique dans des situations particulières. La pluralité des désignations de Dieu dans le judaisme et la théologie de la Trinité (un Dieu unique se manifestant en plusieurs « personnes ») le manifestent clairement. - Notons à ce sujet que la querelle que l'islam fait à la théologie trinitaire du christianisme procède d'un malentendu. L'islam s'attaque, à juste titre, à une certaine théologie trinitaire et même tri-théïste qui était présente au VIe siècle et qui était infidèle à l'enseignement du christianisme authentique. L'islam devrait au contraire se réjouir de la théologie trinitaire du christianisme, car c'est elle, et plus particulièrement la théologie du Saint-Esprit, qui devrait, du moins théoriquement, permettre au christianisme d'entériner la légitimité de l'islam et de la prédication de Mohamed. Le christianisme, en confessant l'Esprit-Saint (l'Esprit également appelé le Paraclet annoncé par Jésus comme devant prendre son relais après son départ), ouvre la porte à la possibilité de l'action de l'Esprit après Jésus-Christ, et pourquoi pas, au sixième siècle de notre ère, dans la prédication de Mohamed. D'ailleurs l'islam tend lui-même la perche au christianisme sur ce point. En effet il considère que Mohamed est une manifestation de l'Esprit Saint. Et il prêche que Jésus lui-même, en prêchant la venue après lui de l'Esprit Saint, a annoncé la venue de Mohamed. A mon sens, cette proposition est fausse exégétiquement. Il n'est possible d'identifier Mohamed au Paraclet annoncé par Jésus que de manière tout à fait artificieuse (21). Mais elle est à mon sens valable théologiquement car il est possible de considérer la prédication de Mohamed comme l'une des manifestations de l'Esprit Saint. - Nous en venons ainsi à une question fondamentale. Le christianisme peut-il reconnaître la légitimité de la prédication de Mohamed ? Sur cette question, on peut d'abord rappeler l'opinion de Jésus lui-même. Jésus ne s'est sûrement pas considéré comme le seul et unique prophète de Dieu. Bien au contraire, il ne cesse de citer les prophètes qui l'ont précédé. Et puisque Jésus accepte qu'il y ait des prophètes avant lui, pourquoi n'accepterait-il pas qu'il y en ait après lui ? D'ailleurs s'il annonce qu'il laisse l'Esprit après lui et qu'il est avantageux qu'il s'en aille, c'est bien parce qu'il suppose que l'Esprit fera son travail après lui. L'histoire de la Révélation et de la Parole de Dieu ne s'arrête pas le jour de Pâques. Bien au contraire, elle reprend de plus belle lors de la Pentecôte. Et lors de la Pentecôte, chacun des peuples a entendu l'Evangile, et ce « dans sa propre langue », comme le précise le récit biblique. Ce serait une conception fausse (et quasiment islamique !) que de considérer que la totalité de la vérité éternelle de Dieu se révèle en un seul moment de l'histoire et en un seul langage. On peut également noter que Jésus considérait que la Parole de Dieu pouvait être énoncée, même après lui, en dehors du champ du judaisme puisqu'il a dit : « beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et ils s'assiéront à la même table qu'Abraham, qu'Isaac et Jacob » (Mat 8, 11). On peut donc considérer qu'il a pu accepter que la parole de Dieu soit prêchée après lui hors du judaisme et du christianisme. Puisque Jésus a reconnu la légitimité de la foi des païens (la Syro-phénicienne, le centurion romain), on peut considérer qu'il aurait pu également légitimer la foi des musulmans et le fait que Dieu pouvait parler par l'intermédiaire de leur prophète. Autre point. Les prophètes qui ont été les annonciateurs du Messie n'étaient pas tous juifs (cf. Cyrus, rois des Perses). Si Jésus a pu être en lui-même la récapitulation d'un prophétisme qui n'était pas uniquement juif, pourquoi ne pourrait-il pas être la source d'un prophétisme extérieur au judéo-christianisme ? Rappelons que Mohamed se réclame de Jésus et qu'il le considère comme une source (22). Nous ne voyons donc aucun obstacle à ce que le christianisme reconnaisse une légitimité à la prédication de Mohamed. Le dialogue judéo-christiano-musulman Nous voudrions terminer par quelques propositions sur ce dialogue. - Il est inutile et équivoque de vouloir rapprocher les trois monothéismes en insistant sur ce qu'il y a de commun entre le judaisme et le christianisme (l'Ancien Testament par exemple), entre le judaisme, le christianisme et l'islam (par exemple la place des prophètes et en particulier d'Abraham), entre le christianisme et l'islam (par exemple la place de Marie et de Jésus en particulier). - Ce qui importe, c'est que le judaisme reconnaisse la légitimité et la nécessité théologiques (du point de vue du judaisme) du christianisme et de l'islam en tant que tels, que le christianisme reconnaisse la légitimité et la nécessité théologiques (du point de vue du christianisme) du judaisme et de l'islam en tant que tels et que l'islam reconnaisse la légitimité et la nécessité théologiques (du point de vue de l'islam) du judaisme et du christianisme en tant que tels. - Il existe manifestement des différences et même des contradictions entre les théologies juive, chrétienne et musulmane, mais elles ne se portent pas toujours là où l'on pense. - Il est inutile de faire reproche aux Juifs de ne pas avoir reconnu Jésus-Christ. Et ce tout simplement parce que Jésus-Christ n'avait pas à être « reconnu » par le judaisme. Jésus-Christ n'est pas le porteur d'une vérité dont le judaisme n'avait pas connaissance et qu'il aurait dû reconnaître. Nous l'avons dit, la spécificité de l'enseignement de Jésus-Christ et du christianisme n'est pas d'être une réforme du judaisme mais une extension de la prédication du judaisme auprès des non-Juifs. Jésus a pour vocation spécifique d'être le porteur de la vérité du judaisme au-delà des limites du peuple juif. Il n'avait donc pas à être reconnu par le peuple juif. - Il est inutile de faire reproche aux musulmans et au Coran de ne pas avoir compris « comme il faut » qui était Jésus-Christ. En effet, le Coran accorde à Jésus des titres égaux ou supérieurs à ceux que lui accorde le Nouveau Testament. Rappelons que le Nouveau Testament n'a jamais présenté Jésus-Christ comme la deuxième personne de la Trinité (pour la bonne raison que la théologie trinitaire n'est apparue qu'aux troisième et quatrième siècles de notre ère). Les chrétiens n'ont donc pas à faire reproche au Coran de refuser de considérer Jésus comme la deuxième personne de la Trinité. Au contraire ils devraient l'en féliciter car le Coran, par ce refus, s'attaque à ce que l'on peut considérer comme une hérésie chrétienne, la théologie chrétienne « officielle » n'ayant jamais identifié purement et simplement Jésus à Dieu. Ajoutons que le Coran a donné à Jésus des titres qu'il n'a pas donnés à Mohamed et que le Nouveau Testament ne lui a pas donné aussi explicitement. Ainsi Jésus est nommé, par le Coran, comme étant la « Parole de Dieu » (Sourate 4,271), la « Parole de Vérité » (Sourate 19,34), « le Messie et un Verbe émanant de Dieu » (Sourate 3,45). - Pour faire avancer le dialogue entre le judaisme et le christianisme, je propose les thèses suivantes. - Le judaisme et le christianisme ont des vocations différentes, également nécessaires et complémentaires. Le judaisme confesse la transcendance, l'altérité et la sainteté de Dieu. Il rappelle que le service de Dieu s'effectue comme une marche à l'aveugle, avec pour seul guide l'obéissance à une loi qui, par son arbitraire, rappelle l'incompréhensibilité de Dieu. Le christianisme confesse la proximité, l'incarnation de Dieu et sa présence au coeur des hommes. Il rappelle que Dieu ne peut être qu'objet de foi, et que le service de Dieu est aussi le service des hommes. - Le christianisme doit renoncer à toute théologie qui ferait de lui un « nouvel Israël » rendant caduque la légitimité du judaisme d'après Jésus-Christ. Il devrait s'interdire non seulement de prier pour la conversion des juifs mais même d'accueillir des juifs dans l'Eglise. Et réciproquement, les chrétiens n'ont pas à se convertir au judaisme, puisque le christianisme n'est rien d'autre que le judaisme pour les non-juifs. Le christianisme doit considérer que le Nouveau Testament n'est pas un enseignement nouveau mais le mode opératoire de la prédication du Premier Testament aux non-juifs. Mais, de son côté, le judaisme doit reconnaître la légitimité de la mission chrétienne qui est d'incarner sa sainteté dans la « pâte humaine » des non-juifs. S'il ne reconnaît la mission du christianisme, le judaisme condamne Dieu à ne pouvoir jamais être le Seigneur du monde entier, alors que c'est ce qu'il confesse explicitement. - Pour faire avancer le dialogue entre le christianisme et l'islam, je propose les thèses suivantes. - Le christianisme doit affirmer que la prédication du Dieu d'Israël et de Jésus-Christ se poursuit et se renouvelle sous l'action du Saint-Esprit après Jésus-Christ et même après la période néotestamentaire. Et on peut parfaitement considérer le Coran comme une forme de prédication du Dieu d'Israël et de Jésus-Christ, cette prédication ayant été actualisée, sous l'action du St-Esprit, dans le contexte du VIe siècle de notre ère. Les Chrétiens sont en dette par rapport aux Musulmans. Les Musulmans reconnaissent Jésus et les Chrétiens ne reconnaissent pas Mohamed. Et ils ont tort, au nom même des principes du christianisme (incarnation de la Parole de Dieu dans des cultures différentes, insistance sur le fait que la Révélation de Dieu est continue dans l'histoire et peut progresser ou se modifier au cours de l'histoire, insistance sur la fonction de l'Esprit-Saint après Jésus-Christ). L'Incarnation de Dieu dans un juif du premier siècle (Jésus) ne doit pas être considérée comme le lieu exclusif et unique de l'Incarnation de Dieu mais comme le prototype de l'Incarnation de Dieu dans la variété des cultures et des époques. Bien sûr, il n'est pas question pour les chrétiens de reconnaître Mohamed comme étant à l'égal de Jésus-Christ. Mais ceci, même les Musulmans ne le font pas : ils n'accordent en aucune manière à Mohamed les titres prestigieux qu'ils accordent à Jésus. - L'islam ne peut légitimement se considérer comme la troisième étape de la révélation de Dieu assumant les deux précédentes (judaisme et christianisme) qu'à condition de respecter leur intégrité (de la même manière que le christianisme doit respecter l'intégrité du judaisme sans en faire une sorte d'annonce du christianisme). De la même manière que le christianisme a intégré au canon de ses Ecritures la Bible juive en tant que telle, de même l'islam doit ouvrir le canon de ses Ecritures en assumant le Premier Testament et le Nouveau Testament en tant que tels. Ou du moins il doit changer le statut du Coran. Le Dieu éternel est aussi le Dieu de l'histoire. Le problème du canon des Ecritures - La question du canon est en fait fondamentale. C'est sur cette question que se cristallise tout le problème de l'acceptation par l'un des trois monothéismes, de la légitimité des deux autres. Et sur cette question, judaisme, christianisme et islam sont peu au clair et ambigus. - Le problème du canon des Ecritures pose d'abord le problème de la clôture de ce canon. Clôturer le canon, c'est considérer que la Parole de Dieu ne se fait plus entendre (ou du moins ne parle plus de la même manière) après le dernier écrit canonique : le livre d'Habbacuk pour le judaisme (23), le livre de l'Apocalypse pour le christianisme (24), le Coran pour l'islam (25). Cela pose un sérieux problème, puisque cela dénie le caractère continu de la Révélation. - Le problème du canon se pose aussi de la manière suivante : les Ecritures doivent-elles être considérées comme monolithiques et comme la Parole et la Révélation du Dieu éternel délivrées à un moment unique de l'histoire, ou bien peuvent-elles être considérées comme le recueil d'une succession de paroles délivrées et accueillies à des moments différents de l'histoire ? Les Ecritures canoniques sont-elles la Parole de Dieu en tant que telle ou des paroles humaines témoignant de cette Parole ? Sur ce point aussi, les trois monothéismes ont des conceptions différentes. - Pour le judaisme orthodoxe, la Thora (les cinq premiers livres de la Bible juive) est la Parole de Dieu dite à Moïse et transcrite par Moïse. Mais il n'en est pas de même pour les autres livres de la Bible juive. Mais le judaisme, même s'il considère la Thora comme la révélation de Dieu écrite par Moïse, fait un usage tellement libre de cette Thora que ceci permet le développement de théologies qui sont en fait très loin de l'Ecriture. - Le christianisme par contre accepte le caractère progressif de la Révélation au cours de l'histoire et par là même la diversité des livres bibliques. Le christianisme, en principe du moins, n'identifie pas les Ecritures avec la Parole de Dieu. Et toujours en principe, les Ecritures doivent être lues et prêchées à la lumière du Saint-Esprit. Pourtant bien des Chrétiens ont une conception fondamentaliste du statut des Ecritures, et paradoxalement plus fondamentaliste que celle du judaisme. - Pour l'islam, le Coran a le même statut que la Thora pour le judaisme. Il est la Parole de Dieu dite à Mohamed et transcrite par lui à un moment précis de l'histoire. Pour les musulmans, le Coran est considéré comme une révélation unique, intemporelle, monolithique, clôturée et scripturairement révélée. Et pourtant, paradoxalement, tout comme les juifs, les musulmans, ont une attitude très libre vis-à-vis du Coran. Ils le récitent, mais ne le connaissent pas. Et tout comme le judaisme, l'islam développe, à côté du Coran, une multitude de récits allégoriques et légendaires, une multitude de « dits du Prophète » (la Sunna). - Ainsi, à mon sens, le problème du canon est le noeud du dialogue des trois monothéismes. Et l'on peut regretter que le problème du statut du canon fasse peu l'objet de débats à l'intérieur de chacune des trois confessions monothéistes et à plus forte raison ne fasse pas l'objet de débats inter religieux. Si l'on veut aller dans le sens d'une réelle reconnaissance, par chacun des trois monothéismes, de la légitimité des deux autres, je ne vois que deux solutions. - Ou bien appeler chacun des trois monothéismes à inclure dans ses Ecritures les Ecritures des deux autres. Si, comme nous le prétendons, les trois monothéismes sont complémentaires et non pas exclusifs les uns des autres, les Ecritures des monothéismes frères devraient être reconnues en tant que telles et intégrées en tant que telles dans le canon de chacun des monothéismes. Ce que le christianisme a fait avec les Ecritures juives devait être généralisé. - Ou bien renoncer au concept même d'Ecriture canonique, ou du moins accepter sa relativisation. C'est cette deuxième voie qui me paraît la plus réaliste : les Ecritures devraient être considérées et instituées par les Eglises comme un ensemble jamais clôturé, à géométrie variable, de textes écrits par des hommes pour rendre compte de leur foi. Elles seraient considérées alors comme une référence historique et une source d'inspiration prophétique. C'est d'ailleurs, semble-t-il de cette manière que Jésus a considéré les textes du Premier Testament. ___________________________________________ Notes 1. Israël et l'humanité, Albin Michel 1961. 2. La veille de sa mort, Jésus célèbre, non pas l'eucharistie chrétienne, mais le repas de la Pâque juive. Et l'on ne peut comprendre ce qu'il fait que si l'on comprend la signification de ce repas. Lors de ce repas, le président du repas donnait en nourriture aux participants trois galettes de pain azyme qui représentaient chacune « le corps » des prêtres, celui des lévites et celui du peuple d'Israël lui-même. A elles trois, elles représentaient « le corps » (c'est-à-dire la substance) du judaïsme dans son ensemble. Jésus, lui, utilise une seule galette. Il veut ainsi montrer l'unité du judaïsme et récuser toute distinction entre des « castes ». Au moment où Jésus dit « ceci est mon corps » en montrant cette galette, il ne veut bien évidemment pas dire que cette galette contient son corps physique ! Il identifie son « corps » (c'est-à-dire la substance de ce qu'il est), non pas à la galette elle-même, mais à ce que représente la galette, c'est-à-dire le judaïsme dans son ensemble. Il identifie son « corps » au « corps » du judaïsme. Ainsi, il s'identifie au judaïsme. Mais, ensuite, pour le rituel de la coupe, Jésus montre comment il se différencie du judaïsme de son temps. Il énonce que son sang est versé « pour une multitude », c'est-à-dire non seulement pour le peuple juif, mais pour l'ensemble de l'humanité, Juifs et non Juifs. Le christianisme, c'est le judaïsme pour les non-Juifs. 3. Mat 5,13. 4. De la même manière que, selon le récit de la prière d'Abraham, quelques justes peuvent assurer le salut de la ville Gen 18,16 sq. 5. Cf. J. Journet p. 124. 6. « Dis : nous croyons en Dieu, à ce qu'il nous a envoyé, à ce qu'il a révélé à Abraham, Israël, Jacob et aux douze tribus : nous croyons au livre saint que Moïse, Jésus et les prophètes ont reçu du ciel ; nous ne mettons aucune différence entre eux, nous sommes soumis à la volonté de Dieu » (Coran sourate 3, 78). « Il t'a envoyé un livre (le Coran) contenant la vérité et qui confirme les Ecritures qui l'ont précédé. Avant lui il fit descendre le Pentateuque et l'Evangile pour servir de direction aux hommes » (Sourate 3, 2). « Parmi les juifs et les chrétiens, il y en a qui croient en Dieu et aux livres envoyés à vous et à eux, qui s'humilient devant Dieu et ne vendent pas ces signes pour un vil prix » (Sourate 3, 198). « Avant lui (le Coran), le livre de Moïse servait de guide et de miséricorde ; mais celui-ci (le Coran) est le livre qui apporte la confirmation en langue arabe » (Sourate 46, 12). 7. Sourates 3,75 ; 4,46 ; 5,41. Mais ceci ne signifie pas pour autant que les Ecritures du Judaïsme et du Christianisme sont fausses. C'est l'interprétation faite par les Juifs et les Chrétiens de ces Ecritures qui en a constitué une falsification des Ecritures est intervenue après. 8. Cf. Hans Zirker, in Nouveau dictionnaire de théologie, Cerf 1996, page 440. 9. « Certains d'entre les gens du livre racontent n'importe quoi au sujet de l'Ecriture, en pensant que cela fait partie de l'Ecriture alors que cela n'en fait pas partie. Ils disent que cela vient de Dieu mais cela ne vient pas de Dieu » (3,78). 10. Cf. Coran 5,14-19. 11. Mgr Teyssier, Archevêque d'Alger, Islam et christianisme, dialogues et confrontation, Revue du SOEPI n° 31, Octobre 1990. 12. Le Dieu de l'Islam est purement transcendant et Un, tout comme le Dieu du Judaïsme. En parallèle avec le commandement du Judaïsme de ne se faire aucune image de Dieu et de ne reconnaître aucun autre Dieu devant sa face, citons ce commandement de l'Islam : « Dieu ne pardonne pas qu'il lui soit donné des associés » (Coran 4,48). 13. En ceci il rejoint la philosophie dont l'objet est de se demander : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » 14. S. Keshavjee, Le roi, le sage et le bouffon, Points Seuil, 1998, page 143. 15. Jacques Jomier, Pour connaître l'islam, Editions du Cerf, page 126. 16. Cf. Khomeyni : « Le Coran renferme cent fois plus de versets qui concernent les problèmes sociaux que les sujets de dévotion. Sur une série de cinquante thématiques de la tradition musulmane, il n'y en a peut-être que trois ou quatre qui traitent de la prière ou des devoirs de l'homme envers Dieu, quelques-uns se rapportent à la morale, et tout le reste porte sur la société, l'économie, le droit, la politique et l'Etat ». Khomeyni, Pour un gouvernement islamique, Paris 1979, pages 10-12. 17. La théologie coranique ignore qu'en fait le Coran n'a été « collecté » et composé qu'un ou deux siècles après la mort du prophète. 18. La question de savoir si le Coran prétend rectifier la Thora juive et le Nouveau Testament peut être débattue. Il est possible que la théologie musulmane révélée dans le Coran ne soit pas une rectification de la Thora et du Nouveau Testament mais une rectification de la « falsification » des Ecritures (c'est-à-dire de la déformation du sens de la Thora et du Nouveau Testament) qui a été opérée par la théologie juive et chrétienne du VIe siècle. En particulier les critiques du Coran à propos de la Trinité chrétienne ne doivent pas être conçues comme une rectification du Nouveau Testament (qui n'inclut aucune théologie trinitaire) mais plutôt comme une critique de la théologie chrétienne du VIe siècle ou mieux de diverses hérésies chrétiennes de cette époque (la théologie trithéiste). En effet, à l'époque de Mohamed, beaucoup de chrétiens étaient trithéistes. Ils croyaient que Dieu était une famille de trois êtres divins : Dieu le Père qui, avec Marie la mère, aurait sexuellement engendré Jésus le Fils. 19. Il y a pourrait-on dire quelque chose de franc-maçon dans cette définition de Dieu réduite à être Transcendance pure et Créateur de l'univers. 20. Et ceci, le judaïsme et le christianisme (plus d'ailleurs le catholicisme que le protestantisme) l'ont compris. Une religion doit tenir compte de la religion naturelle de l'homme, même s'il y a en elle une forme de paganisme. Si la religion naturelle et le paganisme ne sont pas assumés par la religion officielle, ils ressurgissent de manière incontrôlée hors de la religion officielle et à côté d'elle. C'est ce qui se passe dans les pays musulmans. Certes, on pourra objecter que, dans les pays judéo-chrétiens, il y a de plus en plus de manifestations païennes, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Synagogue et de l'Eglise. Mais c'est sans doute parce que, depuis quelques décennies, le judaïsme et le christianisme, eux aussi, veulent « purifier » et rendre plus abstraite leur conception de Dieu. 21. Citons à ce sujet Jacques Jomier, Pour connaître l'islam, page 179. « Déjà la Sira de Ibn Hisham (mort en 834) qui est la plus ancienne vie du Prophète... évoque cette prédiction. Elle veut trouver dans l'annonce de Jésus de la venue du Paraclet (Jean 14,16-17), la prophétie qui annonce Mohamed. Le Paraclet est identifié à Mohamed par suite d'un rapprochement des deux mots en syriaque. D'autres ont tenté des rapprochements en grec où Praklêtos (ou "Paraklytos") est identifié à Periclytos, illustre, glorieux. Comme Mohamed signifie "loué" en arabe et est qualifié de "le très glorieux" dans le Coran (Sourate 61,6), le jeu de mots est habile ». 22. Le schéma de l'histoire du salut tel que le présente le théologien protestant Oscar Cullmann peut être significatif à ce sujet. Pour lui, Jésus est la récapitulation non seulement de l'alliance de Dieu avec le peuple juif mais également, en amont de l'alliance en Abraham (plus universelle que celle de Moïse) et, plus en amont encore de l'alliance avec Noé et même Adam. Cette humanité entière (dans toute sa diversité et dans toutes ses aspirations religieuses) avec laquelle Dieu a fait alliance se trouve concentrée en Jésus-Christ par une sorte de mouvement de systole. Et ensuite, Jésus-Christ injecte, par une forme de diastole, son sang et son message jusqu'aux confins du monde. L'alliance de Dieu se fait en s'élargissant et en s'universalisant progressivement, d'abord avec les douze disciples de Jésus, puis avec l'Eglise chrétienne, puis avec les religions abrahamiques monothéistes, puis avec l'humanité tout entière. 23. C'est d'ailleurs ce que dit la théologie juive : Dieu n'a plus parlé après Habbacuk. 24. C'est ce que semble considérer le christianisme bien qu'il n'ait clôturé le canon qu'au XVIe siècle. 25. C'est d'ailleurs ce que dit l'islam.