HISTOIRE JUIVE - RELIGION JUIVE 5 / 62
(processus qui est en cours au moins depuis 1967), sa
politique réelle s’inspire de plus en plus de motifs
tirés de l’idéologie juive et de moins en moins de
considérations rationnelles. En disant « rationnel », je
n’entends pas porter un jugement moral sur les orien-
tations de la politique israélienne, ni traiter de ses
impératifs présumés de défense ou de sécurité —
encore moins du prétexte éculé de la « survie d’Is-
raël ». Je parle de sa politique impériale, fondée sur
ses prétendus intérêts. Aussi mauvaise moralement ou
politiquement que soit cette politique, je tiens pour
encore pire l’adoption de conduites inspirées de
l’« idéologie juive » dans l’une ou l’autre de ses
variantes. Les justifications de la politique israélienne
font appel en général à des articles de la foi juive, ou
bien, dans le cas des laïcs, à des « droits historiques »
qui eux-mêmes dérivent de ces croyances et en
conservent tout le caractère dogmatique et fidéiste.
C’est sur cette question précise que j’ai « viré » politi-
quement : que je suis passé, à l’égard de Ben Gou-
rion, de l’admiration à l’opposition la plus résolue. En
1956, j’avalais sans problème toutes les raisons poli-
tiques et militaires avancées par le chef sioniste pour
déclencher la guerre de Suez ; mais je n’ai plus suivi
quand lui, qui était athée et fier de son indifférence
pour les commandements de la religion juive, a décla-
ré devant la Knesset, le troisième jour du conflit, que
la véritable raison, le véritable objectif était de « réta-
blir le royaume de David et de Salomon » dans ses
frontières bibliques. À ces paroles, les membres de la
Knesset se sont presque tous levés spontanément et
ont entonné l’hymne israélien. Aucun dirigeant sio-
niste, que je sache, n’a jamais désavoué cette idée de
fonder la politique d’Israël (dans la mesure où le per-
mettent des considérations pragmatiques) sur le réta-
blissement des frontières bibliques. Et, de fait, une
analyse attentive de la stratégie d’ensemble d’Israël et
des principes réels de sa politique étrangère (tels
qu’ils sont, celle-là et ceux-ci, formulés en hébreu)
montre clairement que la politique effective d’Israël
est déterminée par l’« idéologie juive » plus que par
tout autre facteur. Aussi reste-t-elle un mystère tou-
jours renouvelé pour les observateurs étrangers, qui
ne tiennent aucun compte de cette « idéologie juive »
ni du judaïsme réel, et n’en connaissent en général
que de grossières apologies.
Donnons une illustration plus récente de la différence
essentielle entre les projets impériaux, même les plus
ambitieux, mais de type laïc — et les principes de
l’« idéologie juive ». Selon cette dernière, les pays
que des souverains juifs gouvernèrent dans l’antiqui-
té, ou que Dieu a promis aux Juifs — soit selon la
Bible, soit (considération plus décisive politiquement)
selon une interprétation rabbinique du Livre et du Tal-
mud — doivent revenir à Israël, en sa qualité d’État
juif. Ce principe est partagé non seulement par les
« faucons », mais par de nombreux Juifs du parti des
« colombes » — même s’ils estiment nécessaire de
différer ces conquêtes à une époque où Israël sera
plus fort qu’aujourd’hui, ou pensent que l’on peut
espérer une « conquête pacifique » : autrement dit,
que les chefs d’État ou les peuples arabes se laisse-
ront « persuader » de céder les pays en question, en
échange d’avantages que leur concéderait alors l’État
juif.
Il circule plusieurs versions des frontières bibliques
de la Terre d’Israël qui, selon l’interprétation des
autorités rabbiniques, appartient de droit divin à l’État
juif. La plus grandiose inclut à l’intérieur de ces fron-
tières les pays suivants : au sud, tout le Sinaï et une
partie de la basse Égypte jusqu’aux environs du
Caire ; à l’est, toute la Jordanie, un gros morceau de
l’Arabie Saoudite, le Koweït, et, en Irak, le sud-ouest
de l’Euphrate ; au nord, toute la Syrie (Liban com-
pris) et une vaste portion de la Turquie (jusqu’au lac
de Van) ; à l’ouest, Chypre. Cette question des fron-
tières bibliques suscite une flopée de recherches et de
discussions savantes, qui se traduisent concrètement,
en Israël, par des atlas, des livres, des articles et des
moyens plus populaires de propagande ; tout cela
étant publié, bien souvent, au frais de l’État ou grâce
à d’autres formes de soutien. Il est certain qu’à l’ins-
tar de leur maître, les adeptes de feu Kahane, ainsi
que des organisations influentes comme Gush Emu-
nim, non seulement veulent la conquête de ces terri-
toires par Israël, mais sont persuadés qu’une telle
entreprise est un ordre de Dieu et que donc le succès
est assuré. Aux yeux de certaines personnalités du
monde religieux, Israël, en refusant de faire cette
guerre sainte ou, pis encore, en ayant rendu le Sinaï à
l’Égypte, a commis un péché national — que
d’ailleurs Dieu, dans sa justice, a puni ! Comme l’a
déclaré à maintes reprises l’un des membres les plus
autorisés de Gush Emunim, Dov Lior, rabbin des
implantations de Kiryat Arba et d’Hébron, l’échec de
la conquête du Liban en 1982-1985 est ce châtiment
divin, que la nation a bien mérité pour avoir « donné
une partie de la Terre d’Israël », le Sinaï, à l’Égypte.
J’ai choisi, je l’admets, un exemple extrême de l’éten-
due biblique de cette « Terre d’Israël » qui « doit
revenir » à l’« État juif » ; il n’empêche que ces fron-
tières démesurées sont bien connues dans les cercles
nationaux-religieux. Il existe des versions plus modé-
rées ; on parle alors, parfois, de « frontières histo-
riques ». Mais j’insiste sur ce fait qu’en Israël et chez
ses partisans dans la diaspora, l’idée des frontières
bibliques ou historiques comme frontières de la terre
revenant de droit aux Juifs n’est pas rejetée en ligne
de principe (sauf par l’infime minorité qui conteste la
notion même d’un État juif). Les objections émises