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Introduction 11
la plupart des guerres peuvent être qualifiées de paix armées et la plupart des paix
sont des guerres froides, des paix de compromis.
Si paix et guerre sont liées, surgit une autre interrogation : la paix, ou l’état de
paix, exclut-il tout antagonisme ? Quels antagonismes la paix vise-t-elle à supprimer ?
Dans une constitution civile idéale, dans une République conforme à l’Idée de droit,
la paix, au plan interne, est garantie par l’absence d’un droit de résistance et la publi-
cité des décisions du souverain. Si Kant reconnaît la possibilité « de fait » de se révol-
ter contre le souverain, cette possibilité ne doit pas être « instituée juridiquement ».
La révolution doit demeurer possible en pratique, mais elle doit également demeurer
illégale et illégitime. Inscrire à même la Constitution un droit de révolte, cela revient
à ruiner le fondement même du droit. La paix civile, interne, est négativement l’ab-
sence de rébellion et, positivement, l’accord de tous au sein de la volonté générale.
Cependant, le peuple peut émettre des critiques envers le chef de l’État. La liberté de
penser fonde la république. Les instruments de la paix civile républicaine sont donc
à la fois la liberté d’expression et l’obéissance à la Constitution.
Le même paradigme régit la paix perpétuelle dans le cadre des relations internatio-
nales. La paix n’est pas contre, mais au-dessus de tout antagonisme. Toutefois, l’antago-
nisme, forme radicale de l’extériorité et de la différence, semble incompatible avec l’exi-
gence d’harmonie et d’unité que sous-tend l’idée de paix. Quand les antagonismes sont
trop prégnants (guerre froide), la paix est impossible et la guerre improbable. Se pose
alors la question de savoir si l’antagonisme peut fonder la paix. Le modèle parlemen-
taire instaure, au plan interne, la paix en institutionnalisant certains antagonismes. La
paix civile se maintient donc en donnant aux antagonismes un statut juridique. Le
modèle des organisations internationales répond de la même logique.
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L’on perçoit donc la relativité des concepts de guerre et de paix, relativité qui permet
d’expliquer l’existence d’intermédiaires. La paix peut être une forme atténuée de la
guerre, guerre froide ou paix armée. La paix armée est une guerre latente, prévue, inté-
grée à une stratégie politique, diplomatique ou militaire, régie par la peur de l’anéan-
tissement réciproque. Cette tension conduit ainsi à une course aux armements. La paix
armée met en œuvre l’adage si vis pacem para bellum. La paix va s’armer contre la guerre
afin de préserver sa pérennité. Le résultat d’une paix armée peut être la guerre alors
que son intention est de sauver la paix. En effet, lorsqu’un certain seuil d’armement est
dépassé, la paix devient guerre; la différence de degré – quantitative – devient alors dif-
férence de nature – qualitative. La paix armée peut être victime d’une illusion, à savoir
croire que la dissuasion militaire est un pacifisme efficace. La paix armée n’est qu’un
espoir de sécurité, en aucun cas une assurance de sécurité. La paix, dans sa forme
armée, se trouve dénaturée par les moyens qu’elle met en œuvre pour se maintenir.
Trêve et armistice sont d’autres formes mixtes entre guerre et paix. La trêve est,
comme la paix armée, une pseudo-guerre censée préparer la paix, une suspension du
conflit; elle ne fait qu’apaiser la crise, mais n’engendre pas la paix, si ce n’est une paix
de compromis, temporaire. De même, l’armistice, ne met pas un terme à la guerre.
Cependant, le regard n’est pas tourné dans la même direction: alors que la trêve est
dirigée vers la reprise de la guerre, l’armistice prépare un traité de paix et se veut donc
à visée plus durable.
De façon générale, la paix peut exiger le désarmement, à condition toutefois que
celui-ci soit total et inconditionnel ; le principe de non-violence appliqué seulement
à soi réintroduit la guerre, en ce qu’elle met l’État en situation de faiblesse vis-à-vis
de ceux qui n’ont pas renoncé à l’armement.