Introduction

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INTRODUCTION
par Giuseppe BETTONI
Au cours des dernières décennies, les responsabilités de certains
ministères, notamment ceux chargés de l’économie, ont subi de
profondes modifications.
En effet, les réductions budgétaires, accompagnées d’un élargissement de la panoplie des besoins des citoyens – efficacité des transports,
télécommunications, demande d’une efficience environnementale de plus
en plus élevée, etc. – ont obligé les acteurs publics, à leurs différents niveaux
d’action, à des confrontations de plus en plus rudes et antagonistes.
Toutes les disciplines qui se confrontent avec l’administration
publique – politologie, sciences de l’administration publique, droit,
géographie, économie, etc. – ont souvent concentré leur attention sur des
aspects étroitement liés à leur méthode de recherche, à leurs modèles,
évitant tout aspect qui aurait pu réduire l’efficacité de leurs modélisations. Un de ces aspects « polluants » est sans doute la conflictualité et
l’antagonisme entre les stratégies des divers acteurs
Depuis plus d’une décennie, le mot « gouvernance » semble être utilisé
par les experts des différentes disciplines comme un mot « fourre-tout »,
personne ne sachant exactement ce qu’il signifie. Comme toujours,
il s’agit d’abord d’une question de vocabulaire. Que voulons-nous
dire quand nous utilisons le mot « gouvernance » ? Souvent, chez les
spécialistes des sciences sociales et chez les politistes, gouvernance est
synonyme d’efficacité de l’action publique, tandis que pour les spécialistes d’aménagement du territoire il est synonyme de bonne volonté de
la part des acteurs territoriaux à trouver des solutions communes à des
problèmes communs.
En tout cas, il est rare de faire face à ce genre de questions en partant
non pas du point de vue de l’instrument, du projet ou des citoyens,
mais tout simplement du point de vue du territoire comme lieu d’action
des acteurs politiques où cohabitent plusieurs réseaux sociaux, avec
beaucoup de différences entre eux.
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Gouverner les territoires
Chaque discipline a approché cette question avec une méthode différente, la plupart en cherchant des clés d’interprétation, voire des modélisations possibles et exportables, avec un but, donc, de généralisation.
Mais le territoire digère très mal les modélisations et ce monde, par sa
variété, ne connaît pas de cas identiques.
Parmi les variables qui affectent un territoire, lorsqu’il est le lieu de
l’action d’un acteur politique, l’antagonisme est sans aucun doute la
plus difficile à maîtriser et à évaluer. C’est pour cette raison que pendant
des décennies elle était aux abonnés absents dans la théorie des sciences
sociales. Jusqu’au moment où Yves Lacoste commence à l’y inscrire de
force avec sa définition de la géopolitique. Le géographe français définit
cette discipline, dans le préambule du Dictionnaire de géopolitique en
1993, comme la situation dans laquelle deux ou plusieurs acteurs politiques cherchent à imposer leur contrôle sur un territoire, tandis que les
populations qui habitent ce territoire ou qui sont représentées par ces
acteurs participent à cette opposition au travers d’un débat nourri de
représentations opposées.
Cette définition, qu’au début on croyait plutôt destinée à des situations d’oppositions entre États, a connu de plus en plus de succès dans
des contextes internes aux États, particulièrement parce qu’elle a su
mettre en lumière l’antagonisme entre les acteurs. Cet aspect revêt une
grande importance dans la mesure où il peut empêcher le retour sur
investissement des efforts engagés, bref le succès du territoire.
Si jusqu’à la fin des années 1970 (en Italie jusqu’à la fin des années
1980), cette dimension avait une importance si faible qu’elle n’intéressait personne ou presque, le changement intervenu dans la situation
financière ainsi que l’élargissement des pouvoirs des niveaux autres que
le national dans tous les pays européens ont changé la donne. Ainsi,
cet antagonisme entre acteurs politiques est devenu non seulement
important mais objet d’étude, surtout en matière d’action publique.
Ce sujet est effectivement important à la fois du point de vue d’une
meilleure efficacité de l’argent utilisé dans les différentes actions, mais
aussi du point de vue de la cohérence de ces mêmes actions. La définition de Lacoste, en effet, souligne avant tout le fait que cette vision
différente, souvent antagoniste, entre acteurs politiques, peut aboutir à
des résultats dans le meilleur des cas moins efficaces et, dans le pire,
négatifs pour le territoire visé et ses citoyens. Nous voyons cela de façon
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évidente dans le cas du Grand Paris traité par Philippe Subra. C’est
ainsi que toute une panoplie d’instruments d’action visant à réduire
la conflictualité entre acteurs a fait son apparition, particulièrement à
partir des années 1980.
John Agnew nous montre comment une demande générale de déconcentration des pouvoirs commence à faire son apparition, d’une manière
assez timide, dès les années 1970. Les raisons qui conduisent dans cette
direction sont multiples et surtout assez différentes selon les régions
de la terre que nous considérons. Son explication, à travers le cas des
États-Unis, de la « polyphonie territoriale » montre comment un État
fédéral dont la tradition et l’enracinement ne font aucun doute n’est
pas à l’abri de ces antagonismes qui rendent défaillante l’action des
différents acteurs politiques.
D’ailleurs c’est précisément dans la redéfinition des équilibres de
pouvoir entre les différents États (ou ensemble d’États) que nous assistons aux antagonismes les plus complexes, les plus tendus, les plus
longs dans le temps. La question de la cohésion territoriale dans l’Union
européenne en est, probablement, l’exemple type. Andreas Faludi nous
en dresse non seulement une perspective historique, comme nous n’en
trouvons dans aucun autre texte, mais surtout il en fait une analyse qui
nous montre combien cette « conflictualité » entre les différents niveaux
de pouvoir a toujours été un enjeu essentiel du fonctionnement de la
machine européenne. Important au point d’en tenir l’opinion publique à
l’écart. Depuis toujours, l’architecture institutionnelle européenne a eu
un point de grande faiblesse en refusant de prendre en compte l’antagonisme entre les différents acteurs et notamment entre les gouvernements
et la Commission. Mais c’est précisément pour avoir nié l’existence de
cet antagonisme entre ces acteurs, parfois en faisant référence à une
vague volonté de coopération, que depuis quelques années la machine
européenne n’arrive plus à avancer. En tout cas cet ouvrage cherche à
faire le point sur la situation.
Si Andreas Faludi fait le point sur la situation actuelle de l’Union
européenne et sur l’éventuelle impasse dans laquelle elle se trouve
depuis quelques années, Patsy Healey met l’accent sur les microdynamiques sociales des pratiques de gouvernance comme un chemin
vers l’efficacité. Sans aucune complaisance vis-à-vis de sa proposition de planification communicative, elle souligne l’importance des
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Gouverner les territoires
sensibilités analytiques, notamment sur les détails de l’action des
pouvoirs publics.
Nous pouvons dire que cet ouvrage est un lieu de confrontation entre
des disciplines diverses, entre de grands spécialistes qui pour la première
fois confrontent leurs expériences, cherchant à mettre en lumière le
rôle de la conflictualité dans l’inefficacité de l’action publique. Une
conflictualité qui a tout d’abord un coût pour le contribuable mais qui
provoque aussi des échecs dans la mise en œuvre de politiques publiques visant à améliorer la qualité de vie autant que la compétitivité de
nos territoires.
C’est pour ces raisons que l’exercice présenté dans ces pages est
important : pour faire le point sur les dernières années et ouvrir des
chemins vers l’avenir.
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